La différenciation des stomates : un exemple d’étude de la coordination spatio-temporelle chez les Angiospermes Les Angiospermes se caractérisent par leur développement post-embryonnaire, localisé essentiellement dans les méristèmes. Cependant, des événements de prolifération et de différenciation cellulaires, parfois majeurs mais dans tous les cas très importants pour le cycle de vie de la plante, sont également présents au sein de quelques cellules, tissus et organes bien définis (méristèmes secondaires, cellules et tissus reproducteurs, ….). Les stomates, structures foliaires très spécialisées, ont comme principale fonction de percevoir et de réguler le flux de gaz à la fois vers l’intérieur (gaz carbonique) et hors de la feuille (eau) (cf figure). Notons également le fait que les hyphes mycéliens des champignons pathogènes pénètrent fréquemment dans la plante par le stomate. QuickTime™ et un décompresseur TIFF (LZW) sont req uis pour visionner cette imag e. A B C Figure 1 : Stomates fermés (A, C) et ouvert (B) La forme, la répartition des stomates, leur ouverture et leur fermeture varient en fonction d’une très large gamme de signaux intracellulaires (calcium) ou même climatiques (Hetherington and Woodward, 2003 ; Bergmann, 2004). Ainsi, une carence en eau entraîne leur fermeture. L’épiderme de la face adaxiale (tournée vers la tige) et celui de la face opposée, la face abaxiale, de la feuille de rosette d’Arabidopsis, possèdent pratiquement le même nombre de stomates par unité de surface, autour de 150-160 par mm2 (Berger et Altmann, 2000). Cependant le nombre de stomates par unité de surface varie fortement selon les conditions de culture, le génotype utilisé, l’environnement, et selon que l’on observe l’épiderme d’un cotylédon, d’une feuille de rosette, ou bien d’une feuille de la hampe florale, entre 60 et près de 1500 stomates par mm2 (Figure 2). Figure 2 : Epiderme foliaire de la variété Columbia (Arabidopsis thaliana) Mise en place des stomates La formation des stomates requiert des divisions cellulaires à partir de leur cellule précurseur, le méristémoïde (Figure 3). De telles divisions surviennent durant la phase d’étalement de la feuille, sur une période de plus de deux semaines (Donnelly et al., 1999). Chez Arabidopsis, la petite cellule en général “triangulaire“, résultant d’une division asymétrique d’une cellule de l’épiderme foliaire est nommée méristémoïde primaire, du fait qu’elle continue à se diviser alors que les cellules alentour ont cessé leur division. Ce méristémoïde subira de une à trois mitoses pour former les cellules de garde des stomates (Donnelly et al., 1999). Chacune de ces divisions produit une cellule épidermique et une cellule à destinée méristémoïde (cf figure 3). Cette observation soulève donc la question fondamentale du ou des mécanismes assurant le maintien de l’identité méristémoïde. L’observation à montré que les méristémoïdes se formaient à la suite d’une division cellulaire asymétrique de leur cellule mère, tant sur le plan de la géométrie qu’à celui du devenir des cellules filles. De même, leur maintien durant une à trois mitoses est lié à la division asymétrique du méristémoïde lui-même. MS DA Cellule mère du méristémoïde 1 DS M 1 DA 1 64,4 % DA 1 M DS 2 1 2 DA : division asymétrique 28,9 % DA DS : division symétrique du méristémoïde. M : méristémoïde MS : méristémoïde secondaire 1 M DS 2 1 3 1 à 4 : cellules épidermiques en puzzle 3 2 6,7 % DA 1 2 4 3 DS M 1 4 3 2 Figure 3 : Formation des stomates. Noter le fait que le complexe stomatique est anisocytique (cellules 1 à 4 de tailles différentes) Ainsi que le décrivent Zhao et Sack (1999) : “Le premier événement cytologique détecté dans la cellule mère du méristémoïde (ou CMM) est la polarisation du cytoplasme. En effet, avant la division asymétrique, le noyau et une large part du cytoplasme sont localisés d’un côté de la cellule, proche du futur site de division, notamment du futur plateau cellulaire, endroit marqué par une fine bande préprophasique. Les méristémoïdes nouvellement formés sont des cellules à cytoplasme dense, à paroi nouvelle fine, et dont le noyau est situé au centre de la cellule. Par contre la cellule sœur en puzzle, issue de la division de la CMM est largement vacuolisée, avec une fine zone cytoplasmique sur le pourtour cellulaire“. Enfin, la division finale du méristémoïde donnant les deux cellules de garde du stomate, est une division symétrique. Un aspect fondamental de la mise en place des stomates est celui de la présence d’un espace autour de chaque stomate (pas de stomates adjacents), avec entre deux stomates au moins une cellule épidermique en puzzle (ou « pavement cell »). Cet espacement des stomates (cf figure 2) est caractéristique (Larkin et al., 1997). Il est fréquent de lire que les stomates sont répartis aléatoirement sur l’épiderme. Mais ceci n’est vrai qu’en première approximation. En fait, lorsque les plantes poussent en conditions naturelles, la répartition des stomates sur l’épiderme n’est pas parfaitement aléatoire, suggérant l’existence d’un contrôle génétique de l’organisation spatiale des stomates. Chez Arabidopsis et d’autres dicotylédones, il existe un second type de méristémoïde nommé méristémoïde satellite, ou secondaire, résultant de la division asymétrique d’une cellule adjacente au stomate. La polarité des divisions conduisant à la formation du méristémoïde satellite est finement régulée. La division asymétrique de la cellule adjacente au stomate est orientée de telle façon d’une part que la plus petite cellule fille (le méristémoïde secondaire) qui va donner un stomate secondaire, se localise loin du premier stomate, et d’autre part que la plus grande cellule fille sépare ce stomate secondaire du stomate précédent. Ainsi, qu’il s’agisse des stomates provenant du méristémoïde primaire ou de ceux issus du méristémoïde satellite, le nombre et la distribution, la position, des stomates sont régulés durant le développement foliaire (Nadeau and Sack, 2002 ; Geisler et al., 2000). Notons que les petites cellules que sont les méristémoïdes possèdent des noyaux dont la quantité d’ADN demeure au niveau 2C, alors que les (parfois très) larges cellules en puzzle atteignent jusqu’à 16C (Melaragno et al., 1993). Les variations du nombre de stomates par unité de surface peuvent résulter soit de modifications de la taille des cellules épidermiques, soit du nombre de cellules en puzzle, soit enfin du nombre de stomates. L’indice stomatique (IS) a été conçu par Salisbury (1927), tel que IS = nombre de stomates / nombre de cellules en puzzle + nombre de stomates, pour pouvoir analyser les événements qui affectent l’épiderme. Signalisation de la mise en place des stomates Récemment, des travaux de génétique du développement ont permis l’obtention et la caractérisation moléculaire et cellulaire de mutants extrêmement intéressants. En effet, les mutations des gènes YODA (YDA), une kinase de type MAP kinase kinase kinase (Bergman et al., 2004 ; Lukowitz et al., 2004), TOO MANY MOUTHS (TMM), un récepteur transmembranaire à LRR (Nadeau and Sack, 2002), STOMATAL DENSITY AND DISTRIBUTION (SDD1), une subtilisine (Berger and Altmann, 2000), FOUR LIPS (FLP)(Yang and Sack, 1995 ; Larkin et al., 1997), affectent la production (nombre) et la position des stomates. Les mutants tmm et flp contreviennent à la règle qui assure que les stomates ne sont pas en contact (Geisler et al., 1998). L’hypothèse actuelle est celle d’un ligand (SDD1), perçu par le récepteur TMM, déclenchant la transmission d’un signal qui voyage par le biais de la kinase YODA, puis de facteurs de transcription tels que FAMA (Sack, 2004 ; Serna and Fenoll, 2002 ; Serna 2004). La position de FLP est encore indéterminée, mais FLP est génétiquement en aval de YODA (Bergmann et al., 2004). Le signal transmis au noyau de la cellule mère du méristémoïde est une information dictant à la fois son identité de CMM et son devenir en terme de polarité des divisions (division produisant un méristémoïde, division donnant les cellules de garde). Des résultats très récents viennent de conforter l’implication de récepteurs impliqués dans la signalisation intercellulaire. En effet, Shpak et al. (2005) montrent que des interactions complexes entre le récepteur TMM et les récepteurs kinase à LRR ERECTA, ERL1 et ERL2, ces deux derniers très proches d’ERECTA, participent à cette voie de signalisation (cf figure 4). Enfin, Boudolf et al. (2004) montrent que la cycline-dependent kinase (CDK) CDKB1;1 est fortement exprimée dans les cellules de garde et dans les cellules précurseurs des stomates. De plus, une expression réduite de cette CDK entraine une diminution de l’indice stomatique, par blocage précoce de la division du méristémoïde et inhibition de la formation de méristémoïde satellite (Boudolf et al., 2004). Les dernières données montrent que FLP est en fait un facteur de transcription de type R2R3 MYB (MYB 124), qui possède un paralogue capable de complémenter sa fonction, MYB 88 (Lai et al., 2005). Ces deux MYB agissent de concert pour limiter la division. Une des cibles de ces facteurs de transcription pourrait être CDKB1;1. SDD1 LRR ERL1 paroi LRR membrane TMM signalisation YODA phosphorylation facteurs de transcription FLP (MYB124) et MYB 88 CDKB1;1 noyau - devenir - contrôle de la division Figure 4 : Mécanismes de contrôle de la mise en place des stomates. Conclusion Ainsi, même sur un espace limité, comme la feuille, certains types cellulaires se comportent comme des cellules méristématiques qui, selon les moments, perçoivent de leurs voisines un signal de type « division asymétrique », « division symétrique », ou une information de type « cesser la division faute d’espace ». L’exemple de la mise en place des stomates au niveau de l’épiderme des cellules foliaires, montre la complexité des événements mis en œuvre et la participation de divers gènes assurant ainsi le contrôle spatio-temporel de cette structuration originale. Ceci présente une conséquence primordiale sur la mise en place d’une fonction cellulaire, l’échange de gaz et de molécules d’eau, échanges vitaux pour la réussite du cycle de vie des plantes. Références Berger D, Altmann T, 2000 A subtilisin-like serine protease involved in the regulation of stomatal density in Arabidopsis thaliana. 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