Déficit de l`attention au boulot Procrastination chronique, oublis

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Déficit de l'attention au boulot
Procrastination chronique, oublis répétés et mauvaise organisation ne sont pas des caractéristiques
séduisantes pour un employeur. Plus qu’un manque de volonté, il s’agit dans certains cas d’un mal qui
se soigne : le trouble du déficit de l’attention.
Si une personne qui espère une promotion se voit confier la direction d’une réunion importante en
l’absence de son patron, on imagine difficilement qu’elle l’oublie au cours de la fin de semaine. C’est
pourtant déjà arrivé à Duane Gordon, 47 ans, rédacteur technique à Montréal. «Le lundi matin, j’ai
attendu avec les autres employés dans la salle de réunion. J’avais complètement oublié de remplacer
mon patron!» avoue-t-il. À cette époque, Duane Gordon ignorait que ses problèmes de mémoire étaient
symptomatiques d’un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH, voir encadré).
Cette dysfonction, plus communément associée à l’enfance, touche aussi certains adultes. En effet, des
5 %* des enfants atteints d’un TDAH, plus de la moitié en garderont les symptômes après leur
adolescence, d’après Annick Vincent, psychiatre à Québec et auteure d’un ouvrage sur ce trouble chez
l’adulte (Mon cerveau a ENCORE besoin de lunettes). Or, les symptômes sont particulièrement
invalidants sur le marché du travail : «Les individus touchés ont de la difficulté à prêter attention aux
détails, ce qui peut s’avérer problématique dans le cas de tâches administratives», explique la
psychiatre.
La dimension hyperactive du TDAH induit aussi une tendance à changer d’emploi plus souvent que la
moyenne des gens. «J’ai rarement gardé un poste plus de 5 ans», déclare Francine Demers,
diagnostiquée à 42 ans et aujourd’hui salariée de l’association PANDA (Parents Aptes à Négocier le
Déficit de l’Attention) de la MRC Les Moulins dans Lanaudière. «Quand la routine s’installait, je ne
me sentais plus à ma place», dit celle qui a également entrepris trois retours aux études.
Diagnostic tardif
À l’instar de bien des adultes, Francine Demers et Duane Gordon ont été diagnostiqués plutôt tard, à la
suite du dépistage chez leurs enfants. Ils peuvent malgré tout se considérer comme chanceux, car
seulement 10 % des adultes concernés seraient diagnostiqués. «La plupart des gens viennent nous voir
une fois qu’ils sont au pied du mur, après avoir commis une faute grave», relate Dave Ellemberg,
psychologue et directeur de la clinique d’évaluation neuropsychologique et des troubles de
l’apprentissage de Montréal (CENTAM). Ce centre propose des évaluations d’une durée de sept heures
incluant questionnaires et tests cliniques.
«C’est un dépistage difficile et coûteux», déplore cependant Linda Walker. Selon cette coach de vie
spécialiste du TDAH, la plupart des médecins au Canada ne savent pas diagnostiquer ce trouble.
L’association canadienne du TDAH (CADDRA) parle même de scepticisme de la part de certains
psychiatres quant à l’existence de ce trouble chez l’adulte. Afin d’en avoir le cœur net, le patient doit
souvent débourser plus de 1 000 $ pour des tests effectués par un neuropsychologue, sauf s’il détient
une assurance privée suffisamment généreuse. La RAMQ ne couvre que les tests menés par un
psychiatre en milieu hospitalier, une option rarissime, estime Linda Walker : seulement 2 ou 3 % de ses
clients en ont bénéficié. Les autres ont dû payer.
C’est regrettable, car une fois le problème identifié, les solutions existent. Pour Dave Ellemberg,
l’intervention doit être globale et peut inclure de la médication, une thérapie cognitive et des outils
d’aide à l’organisation, comme un agenda électronique. Le traitement pharmacologique, tel que le
Ritalin, peut fonctionner pour certains patients comme Duane Gordon, mais ne pas convenir à d’autres.
«Le médicament me mettait trop dans ma bulle», raconte Francine Demers.
Linda Walker conseille également à ses clients de se documenter sur le TDAH afin d’en comprendre les
mécanismes et de mettre en place des stratégies adaptées. Par exemple, quand on sait qu’on est plus
distrait à un certain moment de la journée, on évite de prévoir des tâches difficiles pour cette période.
Accommodements raisonnables
Au travail, il est préférable que la personne souffrant d’un TDAH ne soit pas soumise aux distractions.
Un poste de travail situé à un endroit passant est donc à proscrire. Quand on ne peut faire autrement,
Annick Vincent suggère le port de bouchons d’oreilles. Duane Gordon, lui, a délibérément choisi un
bureau sans fenêtre. «La plupart des gens veulent une fenêtre, mais moi ça me dérange vraiment trop»,
dit-il, amusé. L’agenda électronique ou l’enregistreuse, pour les longues réunions, font également partie
des outils recommandés pour compenser les trous de mémoire et le manque de concentration.
Ces solutions impliquent souvent que le salarié a informé l’employeur de sa condition. Mais sur cette
question, les avis sont partagés. Linda Walker pense que ce trouble est encore tabou et qu’il est
préférable de ne pas le dévoiler. L’une de ses clientes s’est justement vue écartée d’un poste pour lequel
elle était la candidate favorite après avoir révélé son TDAH. Elle a d’ailleurs porté plainte auprès de la
Commission des droits de la personne et attend le verdict. Dave Ellemberg, pour sa part, croit que le
salarié doit informer l’employeur dans la mesure où cela lui permet de demander des arrangements.
«Dans certaines entreprises, il existe des programmes d’aide aux employés que le salarié touché peut
aussi solliciter», ajoute-t-il.
Marc (nom fictif), qui a suivi un programme de pré-employabilité à l’Association québécoise des
troubles d’apprentissage (AQETA) de Saint-Léonard, n’envisage pas d’informer un futur employeur.
«J’aurais peur que cela me nuise», confie-t-il. Marline Bazile, responsable de ce programme (qui n’a
pas été reconduit par manque de subventions), avoue également que trouver des employeurs pour
accueillir les participants en stage n’a pas été une mince affaire : «Ils avaient peur que les stagiaires
leur demandent plus de temps.»
Conjuguer les talents
Pourtant, lors de sa formation à l’AQETA, Marc a appris à reconnaître ses forces. «J’ai réalisé que le
domaine de la mécanique où je tentais de travailler ne me correspondait pas», dit le jeune homme de 30
ans qui compte se réorienter dans la vente. Selon Annick Vincent, une personne ayant un TDAH doit
occuper un emploi stimulant, mais encadré. Elle fera aussi un bon chef d’entreprise si elle a une bonne
équipe de direction. Linda Walker parle même de «génie créatif». «Ces individus savent prendre des
risques, sont travailleurs et particulièrement bons pour les remue-méninges.» Comme exemple, elle cite
David Neeleman, inventeur du billet d’avion électronique et fondateur de la compagnie aérienne Jet
Blue. En 2000, il avait révélé souffrir d’un TDAH dans une entrevue accordée au réseau américain
CBS.
Si l’entrepreneuriat est une option, ce n’est pas non plus pour tout le monde, d’où la nécessité de
protéger ceux qui vivent d’un emploi salarié. L’AQETA étudie donc la meilleure approche à adopter
auprès du gouvernement québécois afin que le TDAH soit reconnu comme un handicap. «Avec cette
reconnaissance, l’employeur ne pourra pas congédier une personne sous prétexte qu’elle ne peut
accomplir une tâche, mais devra mettre en place des aménagements qui l’aideront à faire son travail»,
explique Monique Lucas, orthopédagogue et membre du conseil d’administration de l’association.
Affaire à suivre... avec attention.
*Chiffres américains. Il n’existe pas de chiffres canadiens ou québécois, car les études sont très
coûteuses. Les spécialistes d’ici se basent donc sur les données d’outre-frontière, car les populations
des deux pays ont des caractéristiques semblables.
Le TDAH
Le déficit d’attention avec ou sans hyperactivité est un trouble neurologique, souvent héréditaire.
Principaux symptômes :
faible concentration
désorganisation
oublis fréquents
procrastination
impulsivité
difficulté à rester en place
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