Phil d`or n° 6 110311

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« Les soirées Phil’d’or »
Sixième rencontre (11/3/2011) :
« La révolution copernicienne en philosophie »
et
« Persuasion, conviction, certitude »
L’intérêt de ces petits « bilans », à la suite de chaque rencontre, c’est que vous
puissiez, si vous le souhaitez, vous constituer un petit livret, rassemblant, au fil
des séances, nos réflexions partagées. Je vous invite en tout cas à vous constituer
une petite boîte à outils progressive (les outils de la pensée sont les concepts,
lesquels sont l’éclaircissement des notions) ; ils seront mis en évidence en bleu à
chaque fois. Vous ne retrouverez certes pas tout ce que nous avons « remué »
mais ce qui, selon mon estimation (qui peut toujours être mauvaise, certes !), a
fait le socle de nos réflexions.
*
La dite « révolution copernicienne » en philosophie (selon les termes de Kant
(philosophe prussien du XVIIIe s.) qui l’a lui-même réalisée concernant la
question de la connaissance) est un exemple remarquable d’ « opération » que la
pensée peut être amenée à réaliser pour se sortir d’impasses dans lesquelles elle
s’est elle-même engagée relativement à ses propres questions ; impasses
incontournables et donc fructueuses en tant qu’elles soulèvent les difficultés et
conduisent la pensée à se dépasser (indéfiniment) : que le criticisme kantien soit
(entre autres) un dépassement de l’empirisme et du rationalisme en matière de
réflexion sur la connaissance ne signifie pas que le premier envoie les deux
autres aux oubliettes puisque lui-même ne peut être compris que comme un
dialogue et un dépassement de ceux-là.
Ainsi, tant les explications qui fondent la connaissance sur l’expérience que
celles qui la fondent sur la raison se sont révélées insuffisantes pour rendre
compte de la connaissance (propositions nécessaires et universelles, par
définition) 1. Kant se demande alors si le problème n’est pas mal posé (si les
prémices ne sont pas invalides). Il se réfère à la révolution de Copernic en
astronomie. A l’époque du célèbre astronome, les hommes de science avaient
hérité d’une carte du ciel extrêmement surchargée relativement au besoin
plusieurs fois rencontré, pour « sauver » le système géocentrique, de résoudre la
question de calculs incompatibles avec les résultats antérieurs. Copernic a alors
entrepris d’examiner si une carte du ciel héliocentrique ne permettrait pas de
1
Voir les comptes rendus précédents.
mieux rendre compte des phénomènes astronomiques ; ce qui s’avéra être
parfaitement le cas.
Ainsi, considérant qu’il n’y avait finalement pas de sens à se demander
comment l’objet visé par la connaissance (donc l’inconnu) pouvait être atteint
par la connaissance, étant entendu que, une fois atteint, l’objet n’était
précisément plus tel qu’il avait été visé - à savoir comme inconnu - mais qu’il
était devenu tel qu’il avait été rendu par le travail même de la recherche, Kant
inversa les termes du problème, décentrant la question de l’objet (comment le
sujet atteint-il la vérité de l’objet ?) au bénéfice du sujet (que fait le sujet
humain lorsqu’il transforme la réalité en objet de connaissance ?). Il est clair
que si c’est la réalité qui est visée par la connaissance, celle-là doit être
immédiatement appréciée comme contenu de notre perception (la connaissance
commence avec l’expérience). Mais la perception est déjà une construction, par
la sensibilité humaine t-elle qu’elle est (a priori : qui ne vient pas de l’expérience
car qui la rend précisément possible), à partir de sa rencontre avec l’extériorité
dont on ignorera toujours comment elle est en elle-même (impossibilité, pour
reprendre la formule de Bergson, de savoir comment ça se passe quand on n’y
est pas). Or l’homme n’étant pas qu’un être de perception mais aussi un être de
pensée, il organise ses propres perceptions en fonction de son entendement,
celui-ci étant structuré d’une façon particulière, par exemple selon l’exigence
d’une lecture du réel en termes de causalité, etc (second niveau de l’a priori, au
même sens que ci-dessus).
La connaissance commence donc nécessairement avec l’expérience mais ne
dérive pas toute d’elle puisque précisément la sensibilité et l’entendement
humains (a priori) organisent l’expérience et l’interprètent selon leur structure
propre (le réel de la chauve souris n’est pas le réel de l’homme, etc.).
Reste à se demander quel est l’ « usage » de la sensibilité (capacité perceptive)
et de l’entendement que l’homme appelle scientifique. Il s’agit précisément de
l’ « usage » universel de ces facultés ; entendons : de celui qui rassemble tous
les hommes dans une vision spécifiquement humaine de la réalité et qui se
distingue ainsi de l’ « usage » subjectif de ces facultés (alors au fondement des
simples opinions, des croyances en général…). La science nous révèle donc
moins le monde que l’universellement humain !
Ainsi, seules les propositions ayant valeur de nécessité et d’universalité
méritent de générer une adhésion des esprits qu’il convient d’appeler une
« certitude ». La certitude est la croyance qui cesse d’être croyance en tant
qu’elle porte sur un jugement tenu pour vrai à raison (toutes les raisons de
croire sont objectives, à savoir, précisément nécessaires et universelles). La
certitude accompagne donc précisément le savoir (la connaissance). Par rapport
à cela, il n’est véritablement question que de croyances lorsque les raisons de
croire sont ou toutes subjectives (nous échangeons intelligemment autour de
questions qui dépassent les limites de l’expérience possible, par exemple celle
de la vie après la mort) ou pour certaines objectives mais pour les autres
subjectives (par exemple, débats autour de questions qui dépassent les limites de
l’expérience simplement actuelle : par exemple celle d’une vie extra-terrestre) ;
on parlera alors, là, de conviction. Mais il existe une croyance qui n’a même pas
de « raisons » à avancer (en tout cas dignes de ce nom) mais qui est déterminée
par des causes (le bourrage de crâne subi, la peur, etc.). Cette croyance s’appelle
la persuasion 2. Il y a des opinions qui sont des persuasions, d’autres qui sont des
convictions. La foi religieuse est généralement conviction, mais si elle vire au
fanatisme, c’est qu’elle s’est dégradée en persuasion, etc. Seul le discours
scientifique permet la certitude (pour toutes sciences, y compris les sciences de
l’homme qui, quoique sciences non exactes, n’en sont pas moins dans l’exigence
de fonder rigoureusement leurs propos).
N. Abécassis
2
Selon la classification de Kant dans la Critique de la raison pure.
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