Textes proposés pour traiter la leçon « Se croire libre » : Descartes, Les principes de philosophie, § 39 : « Au reste, il est si évident que nous avons une volonté libre, qui peut donner son consentement ou ne pas le donner quand bon lui semble, que cela peut être compté pour une de nos plus communes notions. Nous en avons eu ci-devant une preuve bien claire ; car, au même temps que nous doutions de tout, et que nous supposions même que celui qui nous a créés employait son pouvoir à nous tromper en toutes façons, nous apercevions en nous une liberté si grande, que nous pouvions nous empêcher de croire ce que nous ne connaissions pas encore parfaitement bien » Leibniz, Essais de théodicée, § 50 : « La raison que monsieur Descartes a alléguée pour prouver l’indépendance de nos actions libres par un prétendu sentiment vif interne n’a point de force. Nous ne pouvons pas sentir proprement notre indépendance, et nous ne nous apercevons pas toujours des causes, souvent imperceptibles, dont notre résolution dépend. C’est comme si l’aiguille aimantée prenait plaisir à se tourner vers le nord : car elle croirait tourner indépendamment de quelque autre cause, ne s’apercevant pas des mouvements insensibles de la matière magnétique. » Spinoza, Lettre à G.H. Schuller dans son intégralité, notamment « Concevez maintenant, si vous le voulez bien, que la pierre, tandis qu’elle continue de se mouvoir, pense et sache qu’elle fait un effort, autant qu’elle le peut, pour se mouvoir. Cette pierre assurément, puisqu’elle a conscience de son effort seulement et qu’elle n’est en aucune façon indifférente, croira qu’elle est très libre et qu’elle ne persévère dans son mouvement que parce qu’elle le veut. Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent. Un enfant croit librement appéter le lait, un jeune garçon irrité vouloir se venger et s’il est poltron, vouloir fuir. Un ivrogne croit dire par un libre décret de son âme ce qu’ensuite, revenu à la sobriété, il aurait voulu taire. De même un délirant, un bavard, et bien d’autres de même farine, croient agir par un libre décret de l’âme et non se laisser contraindre. Ce préjugé étant naturel, congénital parmi tous les hommes, ils ne s’en libèrent pas aisément ». Diderot, Lettre à Landois, juin 1756 : « Regardez-y de près, et vous verrez que le mot liberté est un mot vide de sens ; qu’il n’y a point, et qu’il ne peut y avoir d’êtres libres ; que nous ne sommes que ce qui convient à l’ordre général, à l’éducation, et à la chaîne des évènements. Voilà ce qui dispose de nous invinciblement. On ne conçoit non plus qu’un être agisse sans motif, qu’un des bras d’une balance agisse sans l’action d’un poids ; et le motif nous est toujours extérieur, étranger, attaché ou par une nature ou par une cause quelconque, qui n’est pas nous. Ce qui nous trompe, c’est la prodigieuse variété de nos actions jointe à l’habitude que nous avons prise tout en naissant de confondre le volontaire avec le libre. Nous avons tant loué, tant repris, nous l’avons été tant de fois, que c’est un préjugé bien vieux que celui de croire que nous et les autres voulons, agissons librement. » Kant, Critique de la raison pure, « Troisième conflit des Idées transcendantales » dans la Dialectique transcendantale ; voir aussi le Canon de la raison pure dans la Méthodologie transcendantale, 3ème section p 611 dans la traduction Barni (GF-Flammarion) : « Tenir quelque chose pour vrai (la croyance, das Fürwahrhalten) est un fait de notre entendement qui peut reposer sur des principes objectifs mais qui suppose aussi des causes subjectives dans l’esprit de celui qui juge. Quand cet acte est valable pour chacun, pour quiconque du moins a de la raison, le principe en est objectivement suffisant, et c’est alors la conviction. Quand il a uniquement son principe dans la nature particulière du sujet, on la nomme persuasion. La persuasion est une simple apparence, parce que le principe du jugement, qui réside simplement dans le sujet, est tenu pour objectif. Aussi un jugement de ce genre n’a-t-il qu’une valeur individuelle, et la croyance ne s’en communique-t-elle pas. Mais la vérité repose sur l’accord avec l’objet, et par conséquent, par rapport à cet objet, les jugements de tous les entendements doivent être d’accord. La pierre de touche servant à reconnaître si la croyance est une conviction ou une simple persuasion est donc extérieure : elle consiste dans la possibilité de la communiquer et de la trouver valable pour la raison de chaque homme ; car alors, il est au moins présumable que la cause qui produit l’accord de tous les jugements, malgré la diversité des jugements entre eux, reposera sur un principe commun, je veux dire sur l’objet, et que, tous s’accordant ainsi avec l’objet, la vérité sera prouvée par là-même. ». Voir aussi Critique de la raison pratique (à préciser). Fichte, Première introduction à la doctrine de la science, Vème section dans Œuvres choisies de la philosophie première : concernant l’opposition entre l’idéalisme transcendantal et le dogmatisme (déterministe), Fichte affirme : « aucun de ces deux systèmes ne peut directement réfuter celui qui lui est opposé ; en effet, leur conflit concerne le premier principe, qui lui-même ne peut être déduit de rien d’autre ; chacun de ces deux systèmes, si on lui accorde son principe propre, réfute celui de l’autre ; chacun nie tout ce qui appartient au système opposé, et ils n’ont aucun point commun, à partir duquel ils pourraient se comprendre réciproquement et s’unir (…). Le conflit entre l’idéaliste et le dogmatique consiste véritablement en la question de savoir si c’est à l’indépendance du Moi que doit être sacrifiée l’indépendance de la chose, ou si inversement c’est à l’indépendance de la chose que doit être sacrifiée l’indépendance du Moi. Qu’est-ce donc, qui peut pousser un homme doué de raison, à se déclarer partisan de l’un des deux systèmes ? (…). Lequel des deux (le Moi ou la chose) doit-il être posé comme étant le premier ? La raison ne livre aucun argument décisif en faveur de l’un ou de l’autre ; en effet, il ne s’agit pas de la liaison d’un terme dans une série –en cela, il ne faut que des raisons proprement dites- ; il s’agit du début de toute la série, qui en tant qu’acte absolument premier, ne dépend que de la liberté de la pensée. Ce terme doit par conséquent être librement déterminé et puisque la décision du libre-arbitre suppose cependant un motif, il doit être déterminé par penchant ou par intérêt. Le fondement ultime de la différence de l’idéalisme et du dogmatisme est ainsi la différence de leurs intérêts. (…) Ce que l’on choisit comme philosophie dépend ainsi de l’homme que l’on est ; un système philosophique n’est pas, en effet, un instrument mort, que l’on pourrait prendre ou rejeter selon son bon plaisir ; mais il est animé par l’esprit de l’homme qui le possède (…)