“Psychologie de l`organisation de la santé”

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PSYCHOLOGIE DE L’ORGANISATION DE LA SANTÉ
Cet article d'Ivar Oddone répondait à une demande particulière (donc avec un public et un nombre de
pages bien définis) émanant d'une revue de psychologues : faire connaître notre situation en Italie. Même si
le contenu est lié à cette demande particulière, sa lecture est utile parce que, d'un certain point de vue, nous
avons travaillé dans l'optique qu'il décrit. Les points pour lesquels des développements ultérieurs sont
prévus : a) le couple médecin-client (en particulier en direction du médecin spécialiste – nous considérons
le médecin du travail comme un médecin spécialiste -, et du médecin des urgences) ; b) les aspects liés à
l'organisation sociale (le cartographe, le Maire, tout ce qui est décrit à propos du "triangle" et qui peut
permettre de dépasser l'isolement du couple médecin-client) ; c) le problème du langage.
RESUMÉ. La Psychologie de la santé est corrélée au langage et à l’organisation du parcours individuel "du
soupçon à la connaissance" de l’état de santé. Dans une commune française, une expérience, durée 20 ans, a
permis de réaliser des résultats intéressants, que ce soit sur le plan pratique ou sur le plan théorique. Le
produit : le SIC (Système d’Information Concret), une intervention liée à une approche d’ergonomie
cognitive. Une intervention tournée vers l’intégration des comportements des groupes intéressés : les
citoyens, les médecins généralistes et le maire, comme représentant emblématique du pouvoir sur
l’environnement construit. Le but : l’élimination progressive des maladies qui peuvent être sûrement
éliminées c’est-à-dire les maladies liées à l’environnement construit.
1) De la médecine à la psychologie de la santé
HIER
Parler de psychologie de la santé en voulant identifier un territoire bien défini n’est pas facile pour moi, ce ne
serait peut-être même pas correct. La géographie scientifique se redéfinit continuellement, la géographie
psychologique en particulier.
Nombres de recherches des années soixante et soixante-dix, définies "non rituelles" par F. Butera, ont
impliqué la psychologie européenne intéressée au problème de la santé, avant leur identification ou leur
reconnaissance par la communauté des psychologues italiens liés à la psychologie de la santé d’empreinte
nord américaine.
On peut identifier en Italie une aire de la psychologie de la santé "autre", différente de celle qui comporte la
médiation de la psychologie américaine. Un enchevêtrement d’expériences hétérogènes, à partir desquelles
on pourrait redéfinir un ensemble de références théoriques. Dans la mémoire de la communauté scientifique,
peu de choses restent de cet ensemble. Nombre des recherches ont été conduites en dehors des règles de la
communauté scientifique, liées à des paradigmes qui n’ont pas survécu. Aujourd’hui il ne reste que ce qui a
été recueilli et archivé principalement en dehors des sources d’information de routine des chercheurs.
Quatre congrès annuels de la Société de Médecine du travail Italienne (1971, 1973, 1976, 1978) ont
comporté des rapports liés à des initiatives ouvrières sur la santé ; en particulier, en 1978, G. Marri a
présenté, au nom du syndicat unitaire, un rapport sur "les systèmes participatifs de prévention dans le cadre
du service sanitaire national".
Le peu d’importance des travaux scientifiques (en psychologie, mais pas seulement), comme eurent à le
souligner G. F. Minguzzi d’abord et D. Romano ensuite, trouve peut-être un motif dans l’accouplement
structurel entre sous-ensembles scientifiques et milieux de développement isolés du monde réel.
L’histoire européenne de l’après guerre, en particulier en Italie, avec tous les problèmes sociaux, pratiques
et théoriques qui l’ont caractérisée, a certainement influé sur l’attention portée par les mouvements
politiques et culturels au thème de la santé. Mon expérience est née dans ce scénario.
Le thème de la psychologie de la santé évoque à nouveau en moi l’une des plus fascinantes ouvertures d’une
position psychologique, celle du premier cognitivisme, le “comportementalisme subjectif” de G. A. Miller,
E. Galanter et K.H. Pribram (1960) :
“Quand je suis assis à mon bureau, je sais où je suis. Je vois devant moi une fenêtre; au-delà, des arbres ;
au-delà de ceux-ci, les toits rouges du campus de l’université de Standford ; au-delà encore, les collines
dorées du Hamilton Range. Quoi qu’il en soit, je sais plus que tout ce que je vois … Ce dont j’ai parlé
concerne la connaissance. La connaissance n’est peut-être pas le mot juste. On devrait peut-être dire mon
image du monde. La connaissance a une implication de vérité, Ce dont je suis en train de parler c’est ce dont
je crois qu’il soit vrai" (K.E. Boulding, 1956).
En ré-évoquant les phrases d'ouverture de "The Image" de K. L. Boulding, GA Miller, E Gallanter et KH
Pribram proposent l'Image comme l'ensemble des dimensions de notre vie : notre inscription dans l'espace,
dans le temps, dans la société, dans la nature et dans notre histoire personnelle.
Écrire un article sur la psychologie de la santé est pour moi comme me mettre à une fenêtre : au-delà se
dessine un paysage, un ensemble de souvenirs, de visages, d'émotions, surtout une atmosphère particulière
d'action et de recherche. A la fin des années soixante, quelques groupes d'ouvriers me posèrent un problème
que je ne savais pas résoudre. Ils me demandaient des informations sur le risque que leur condition de travail
pouvait représenter pour leur santé. Ils considéraient que ces informations pourraient leur permettre de
changer la condition de travail. Ce groupe n'était pas le seul à poser ce problème et je n'ai pas été le seul
médecin à qui il ait été posé. Les sujets de la demande sont devenus des centaines de milliers et ont
certainement influé sur les "services sanitaires".
"Au moment où un événement se produit, celui-ci altère la structure de l'Image. La signification d'un
événement ou d'un message est le changement qu'il produit dans l'Image. La majeure partie des messages la
traversent sans la frapper, une partie ajoute des spécifications, des détails : ce qui était vague devient plus
clair, plus stable. Quelquefois, un message frappe une sorte de noyau ou la structure portante d'une image et
la chose entière change de façon radicale" (KL Boulding, 1956).
Les "messages" qui ont déterminé en moi ce phénomène de réorganisation de l'image, en introduisant un
élément de rupture dans ma façon d'affronter le problème de la santé, qui était celui du médecin traditionnel,
et changé de façon radicale mon image de la santé et de la maladie, sont reliés à cette demande adressée à un
médecin pour avoir les informations adéquates pour améliorer les conditions de travail. Je n'étais pas un
médecin du travail mais un assistant universitaire de médecine interne qui, le soir, faisait le médecin
généraliste, le médecin de la mutuelle.
La demande des ouvriers m'a poussé, dans un premier temps, à m'informer sur les textes de médecine du
travail, mais seulement pour me rendre compte que ce que je réussissais à trouver était une liste de
substances. Je ne retrouvais rien de ce qu'on nous décrivait comme conditions réelles de production, ni sur la
possibilité de substituer au processus polluant des processus non polluants. Certains ouvriers me
demandaient même comment devenir plus rapidement asbestosés. Cette demande apparemment paradoxale
contenait en réalité une hypothèse dissonante par rapport à mon image médicale des maladies dues à
l'environnement construit par l'homme.
Je découvrais en fait que ma connaissance avait une structure rationnelle.
Un processus productif donné pouvait comporter des risques pour la santé, mais justement cette
connaissance des risques possibles, basée sur la littérature médicale, garantissait, logiquement pour moi,
l'élimination des conditions de nocivité. Pour les travailleurs au contraire, le problème se configurait
autrement. C'était la réalité productive, avec ses risques réels, qui définissait leur attitude. La crédibilité d'un
changement des conditions de travail, dans le contexte spécifique où ils se trouvaient, était le fait
psychologiquement important, qui déterminait leur demande de santé. Si le dépassement de la nocivité
n'était pas psychologiquement crédible, devenir asbestosé (c'est-à-dire tomber malade) "par anticipation",
voulait dire au moins pouvoir sortir "avant" d'un milieu de travail certainement nocif.
Quand, aujourd'hui, je cherche à reconstruire ce moment de rupture et de réorganisation de mon Image en
terme de psychologie de la santé, entendu comme capacité de "voir" le comportement des hommes face à la
santé et à la défense de la santé, je revois, d'une part, des clients qui représentent le patient traditionnel, avec
la demande de diagnostic, de pronostic et de thérapeutique, d'autre part des hommes qui ne me demandaient
pas des examens ou des médicaments, mais une utilisation du savoir médical dans le but de modifier les
conditions de travail, de prévenir les maladies d'environnement, d'adapter le milieu de travail à l'homme au
travail. En d'autres termes, actuels aujourd'hui mais qui n'étaient pas alors à la mode, une intervention de
"santégénèse".
A partir de ce moment, se sont définies en moi deux Images qui ont soutenu, dans mon expérience, deux
stratégies professionnelles différentes. Deux modèles d'usage différents, au départ avec un noyau central
commun, le savoir médical. Deux compétences d'usage : une de type traditionnel, comme réponse à des
demandes "typiques" du parcours qui s'ouvre avec la consultation du médecin de la part d'un patient ; l'autre,
qui a accompagné ma nouvelle, et définitive activité professionnelle, celle de psychologue du travail à
approche ergonomique.
Mon savoir professionnel de médecin non seulement ne me mettait pas en condition de répondre à la
demande de santé qui m'était adressée par les ouvriers, mais il ne me rendait même pas capable
"d'interroger", de façon adéquate, les personnes sur leur milieu de vie et de travail. Pour le faire j'aurais dû
avoir un plan professionnel de recherche qui me permette de reconstruire la condition de production, et
l'organisation du travail qui la définissait, jusqu'à la spécification suffisante pour "voir" ce que "voyait"
l'ouvrier de la situation productive. Je ne réussissais pas à partager avec eux, dans leur expérience
quotidienne, dans les négociations syndicales, dans leurs discussions internes, ce que Minsky définirait "une
ligne K" (knowledge line), c'est-à-dire le fil qui coud l'une à l'autre les expériences faites, pour composer le
tissu de la connaissance, pour définir l'Image.
Je devais avant tout résoudre un problème clé : construire un langage qui rende perméable l'interface entre
moi, comme technicien de la santé et eux, comme sujets qui demandaient de gérer la solution du problème de
la nocivité du travail. Les tentatives pour construire ce langage communiquant, d'interfaces, demandèrent
tant de temps et tant d'erreurs ; environ 5 ans de travail sur le terrain. Le parcours qui a caractérisé la
tentative qui apparaît, à la lumière de l'expérience, celle qui a nécessité le plus d'engagement et qui a eu le
moins de succès fût celui de tenter de reconstruire la représentation des facteurs de risque des ouvriers
comme un ensemble minimal de connaissance du même type que les connaissances scientifiques, sans
changer de paradigme, c'est-à-dire en termes de divulgation.
La solution vint encore de l'Image, de la "compétence d'usage" commune à tous, d'un script. Du matériau
cognitif mnémotechnique, lié au langage historico-naturel. De ce qui dans le glossaire de notre laboratoire
sonne comme ce qu'on ne peut pas ne pas savoir.
"Quelles images viennent à l'esprit, par association, quand un sujet choisit une maison ? Lesquelles quand il
pense à une usine ? Lesquelles quand il pense à la fatigue ? " Les réponses sont des images familières à tous,
quel que soit le niveau de scolarité. Il en dérive "les 4 groupes de facteurs nocifs" qui dans les années 70
furent l'instrument essentiel du langage de la santé dans les usines.
La maison rappelle à l'esprit : température, éclairement, bruit, ventilation, humidité (1er groupe). L'usine :
poussières, gaz, fumées, vapeurs (2ème groupe). La fatigue, deux types fondamentaux de fatigue : celle,
traditionnelle, due à l'activité physique (3ème groupe), les autres formes infinies de fatigue due à des causes
différentes de l'activité musculaire ; par exemple : monotonie, anxiété, répétitivité, rythmes excessifs,
responsabilité (4ème groupe).
Cette structure représente les scripts, les "frame" essentiels, les catégories de bases, sur lesquelles construire
et les arborescences scientifiques et les organisations mentales empiriques, du type "agrégat" selon M.
Minsky.
Un deuxième élément de réorientation de la compétence vers une psychologie de la santé caractérisée en un
sens ergonomique : la conscience réfléchie de la centralité des "lieux". La découverte de l'importance, pour
notre type de recherche psychologique, du "où", de "l'indovazione", de la "terroirisation". Nous
construisîmes alors la technique de la carte brute. Les ouvriers dessinaient les cartes brutes de leurs postes de
travail, de façon grossière, comme une carte du trésor. Ceci signifiait pouvoir confronter les cartes
cognitives spatiales que la psychologie connaît bien mais utilise peu. Les utiliser signifie, comme notre
laboratoire l'a largement confirmé, que sous leur aspect grossier, les cartes cognitives révèlent une richesse
notable, nous les définîmes alors brutes, à cause d'une signification attribuée à l'adjectif par le dictionnaire :
"en attente d'une quelconque élaboration formelle". La possibilité de confrontation signifiait vérification,
signifiait possibilité de capacité critique, capacité de distinguer deux lieux distincts. Des centaines, des
milliers de cartes brutes de risques, ont été faites à la main, dans les années 60 et 70, par les ouvriers, par les
étudiants, par les médecins et par les psychologues engagés dans les luttes pour la santé dans les postes de
travail. Des recherches non rituelles, étrangères au circuit scientifique à tel point que dans le bulletin de la
société géographique italienne, il y a peu d'années, on proposait d'utiliser en Italie aussi une technique très
diffuse aux États-Unis, "the hand sketch maps" (P.Daini, 1993). Ceci est, assis à mon bureau, tout ce que je
revois au-delà de la fenêtre, en récupérant les premières Images de "ma" psychologie de la santé.
AUJOURD'HUI
Il y a 20 ans, nous avons répondu (comme LECHT), à la demande d'une société de secours mutuel, en
engageant un projet pilote pour la transformation d'une organisation sanitaire volontaire, à base territoriale,
dans la zone des Bouches-du-Rhône. Objectif : une recherche de psychologie de l'organisation de la santé,
sur base ergonomique. Le résultat de cette recherche : un projet d'organisation de la santé, le Système
d'Information Concret (SIC), et sa réalisation.
Il s'est agi d'un travail d'action-recherche plus que de recherche-action. Le rapport entre action et recherche
a été le moteur d'inférence. Les résultats de l'intervention, de l'action, posaient les problèmes de la recherche
et les problèmes de la recherche définissaient les indications pour l'action.
L'objectif de l'intervention était celui de transformer l'organisation curative existante en une organisation
capable "aussi" d'identifier (pour pouvoir les éliminer) les maladies sûrement éliminables en tant que
maladies dues à l'environnement construit. La dynamique prévue : définir des risques prioritaires, considérés
indices prioritaires de la santé ; créer un parcours de l'information sur la santé individuelle ; assembler les
informations individuelles pour obtenir une représentation de la santé collective ; informatiser le système ;
diffuser les résultats comme terminaux d'un service ciblé, structuré de façon à permettre à la communauté
municipale d'évaluer l'organisation de la santé et de la modifier en conséquence.
L'objectif de la recherche de notre laboratoire : vérifier les hypothèses théoriques et la méthodologie
dérivées des recherches sur l'organisation de la santé en usine en tentant un accouplement structurel plus
ample, celui de la collectivité communale, et préfigurer un système ergonomique centré sur le médecin
généraliste.
Le milieu de développement : un "centre de santé" géré par une organisation de secours mutuel. Un centre de
soins qui peut être considéré comme privé en ce sens qui gère la santé (pour les exigences non hospitalières)
des adhérents à la société de secours mutuel, avec une organisation autonome, avec des secrétaires, des
médecins généralistes, des médecins spécialistes, un laboratoire. En d'autres termes il garantit le service qui
est garanti en Italie par le médecin de base, plus les services spécialisés usuels : le laboratoire d'analyses, la
radiographie, l'échographie, l'électrocardiographie, la pneumologie, la neurologie, l'angiologie, parmi
d'autres.
Chaque citoyen, qui a le droit d'utiliser ce centre de santé quand il est volontairement inscrit à cette société
de secours mutuel, peut retenir par téléphone une consultation de son médecin traitant. En cas d'urgence il
peut se rendre directement au centre de santé, en utilisant les médecins généralistes présents. Chaque
médecin généraliste travaille dans des conditions particulières de temps, de possibilité d'examens, de
services paramédicaux, et de plateau technique. On peut dire que ce sont des conditions optimales pour
l'exercice des fonctions du médecin généraliste, de famille.
Dans le cadre de cette activité usuelle, le SIC représente une activité intégrée à l'activité usuelle du médecin
généraliste.
Dans le déroulement de son travail, le médecin signale, sur la base de règles instaurées dans le système, les
cas qu'il considère à risque du point de vue de l'environnement (de vie et/ou de travail). Cette déclaration est
à l'origine d'un parcours spécial qui définit le traitement des informations du SIC. La déclaration du
médecin, qui peut être substituée par la déclaration du sujet lui-même qui veut savoir si sa santé est à risque
du point de vue de l'environnement, donne lieu à la création d'une liste de sujets à risques présumés.
Quand un client se rend au centre de santé pour une visite usuelle, si il existe, pour lui, le signalement d'une
situation de "risque présumé", se met en route le cycle caractérisé par le parcours : médecin, secrétaire,
cartographe, médecin. Un parcours que l'information, considérée centrale dans le système, trace, et que le
psychologue de la santé guide, du point de vue des procédures. Celui qui le gère, d'un point de vue
opérationnel, à travers les hommes impliqués, en particulier les médecins généralistes, c'est une figure
nouvelle dans l'organisation de la santé, le cartographe. C'est le gestionnaire d'une intervention d'ergonomie
cognitive, contrôlée par le psychologue, visée à la récupération de l'expérience des sujets impliqués, en
particulier les connaissances du client sur son micro-milieu de vie et de travail. La récupération de
l'expérience procédurale des opérateurs impliqués dans l'action-recherche, intéresse aussi.
Le cycle comporte : après le signalement du médecin, qui a donné origine au parcours, l'enquête d'une
secrétaire, qui remplit la fiche individuelle de risques et la fiche du poste de travail ( la seule qui soit déjà
complètement activée parmi les huit fiches environnementales prévues). Pour recueillir les informations
nécessaires, la secrétaire suit une procédure définie et périodiquement vérifiée par le psychologue avec les
opérateurs intéressés. La procédure utilise le modèle des quatre groupes de facteurs nocifs, et les
informations déjà accumulées dans le cadastre des situations à risque du SIC.
La fiche individuelle de risques, informatisée, est composée de quatre aires. La première permet d'identifier
le sujet (le nom est visible seulement pour le médecin traitant) ; une deuxième identifie le poste de travail et
les risques éventuels par l'exposition ; une troisième précise les risques de maladies et les atteintes
éventuellement présentes. Ces trois parties sont rigidement codifiées alors qu'une quatrième partie, appelée
feuille d'accompagnement, contient toutes les informations (non élaborées, selon les codes, dans les autres
aires) sur le sujet et sur les conditions de risques, dont on présume qu'elles puissent être de quelque intérêt.
Le but est celui de faciliter une observation, enregistrée, "ouverte", non définie a priori par la codification.
La fiche du poste de travail représente la base de l'anamnèse environnementale, concrète, utilisable pour
établir un lien éventuel entre atteinte et environnement. Le poste de travail est identifié à travers trois
éléments : le "2x2, le "CQF" et la "spécificité locale". Le "2 mètres par 2 mètres" définit le contexte spatial
concret dans lequel un sujet travaille (il peut y en avoir plus d'un pour le même sujet). Le "CQF" (ce qu'il
fait) est ce que le sujet fait véritablement dans son poste de travail (la tâche connotée de façon adéquate). La
"spécificité locale" identifie si l'activité de travail, le processus, a des caractéristiques spécifiques, en positif
ou en négatif, en ce qui concerne le risque par rapport aux activités de travail du même type.
L'évaluation du risque et/ou de l'atteinte à la santé de l'individu, donc des examens nécessaires, de la
signification des résultats, jusqu'à l'éventuelle déclaration de la maladie professionnelle, est de la
compétence du médecin généraliste. Celui-ci est le même qui a signalé le soupçon de risque et qui le vérifie
sur la base des informations (environnementales, cliniques, et de laboratoire).
Le cartographe construit les archives des postes de travail à risque. Le terme qui le qualifie
professionnellement dérive de son devoir de produire les cartes de risques. Les cartes sont construites par le
bas, par apposition, chaque nouveau cas s'ajoute à ceux déjà connus. Les cartes sont utilisées, avec une
partie du matériau des fiches individuelles, pour la construction d'un panneau communal des risques
composé par : A- une carte topographique de la commune avec notation (on les encercle de rouge) des lieux
à risque ; B- quatre colonnes relatives aux risques prioritaires : 1- liste numérique des personnes à risque
pour chacun des risques prioritaires (estimation) ; 2- une liste numérique des personnes à risque
(connaissance documentée dans le SIC) ; 3- liste numérique des atteints (estimation) ; 4- liste numérique des
atteints (connaissance documentée dans le SIC). Le panneau communal des risques est mis à jour
périodiquement et utilisé par les trois protagonistes du système d'information concret : les citoyens, les
médecins, et le maire. Il représente l'un des deux pôles (l'autre est représenté par les fiches individuelles)
d'un système ergonomique avec une forte possibilité de fonction cybernétique en tant que les informations
rendent possible le contrôle du territoire pour vérifier l'amélioration de la santé vers laquelle tend le système.
2 / Une action recherche d'ergonomie de la santé
L'organisation de la santé comporte l'identification des "acteurs" fondamentaux de l'organisation, actuels
et/ou potentiels, et des interfaces de contact.
Nous avons utilisé un schéma qui permet la confrontation entre des situations différentes. Trois éléments
sont toujours présents, dans le cadre du territoire d'une commune, dans le scénario de l'organisation de la
santé : les citoyens, les médecins généralistes, le maire. Le triangle de base pour le système d'information
concret.
La qualité de citoyen est commune à tous : c'est le sujet qui a le problème de sa propre santé. Tous ont la
qualité de citoyens, les composants du deuxième et du troisième groupe aussi. Le second groupe : les
médecins généralistes, ont une fonction sociale particulière, "évaluer" la santé des citoyens (et agir en
conséquence). Le troisième groupe, représenté emblématiquement par le maire, comprend ceux qui dans la
société ont la fonction de gérer le territoire communal, l'environnement construit, aussi en fonction de la
santé.
L'étude des rapports entre ces acteurs présuppose l'hypothèse qu'il y ait une homogénéité de langage à
l'intérieur de ces trois groupes, et une hétérogénéité entre les groupes. Par conséquent il est d'un intérêt
notable, pour le psychologue, d'étudier les interfaces de communication entre ces groupes. En premier lieu,
pour vérifier lesquels sont seulement potentiels, lesquels sont actuels. En outre, il y a un intérêt à connaître
s'il y a des prévalences dans l'une des deux aires qui s'interfacent, si la perméabilité est valide dans les deux
sens, si dans l'ensemble la perte d'information dans le passage est acceptable. L'état de ces interfaces
détermine et définit l'efficacité des langages procéduraux : structure des dossiers médicaux, procédure
d'interrogation anamnésique et catégories concrètes de support, codes de classification des maladies,
langages de mise en mémoire des éléments de référence. L'ensemble complexe en général confus, souvent
obsolète, parfois inadéquat, des langages de la santé.
Parmi les interfaces possibles, entre les trois groupes, une seule est généralement active : celle entre le
citoyen singulier et le médecin généraliste correspondant. Dans la situation spéciale des deux communes
dans lesquelles nous avons opéré, en France, où les différenciations formelles des services sanitaires
périphériques sont très amples, la société de secours mutuel, qui a permis de faire la recherche, a joué un rôle
fondamental pour définir la dynamique du triangle citoyen-médecin-maire.
Une nouvelle fonction a été activée, celle du cartographe, qui joue la fonction essentielle de gestion
opérationnelle des interfaces. L'importance du langage s'est révélée déterminante pour le partage de
catégories et de stratégies, surtout de procédures ciblées et participatives. Tout le parcours de l'information,
du moment de la naissance du soupçon jusqu'à la connaissance vérifiée du risque PAR (l'agent causal) et de
l'existence du risque DE avéré (maladie, atteinte consécutive au risque PAR), a été reconstruit avec le
personnel paramédical et surtout avec les médecins.
Nous avons étudié tous les côtés du triangle (citoyens, médecins et maire) auxquels correspondent les
interfaces. En particulier celle qui se trouve entre le médecin généraliste et le client a été objet de recherches
sur la base d'une approche définie par nous comme "plan quotidien d'intégration". Nous utilisons le modèle
du plan millérien pour simuler séparément le comportement et du médecin généraliste et du client, pour
l'évaluation des incongruences entre les deux plans, les deux langages et de la perméabilité de l'interface.
L'objectif est la construction du plus petit commun dénominateur d'intégration entre les deux plans de
comportement.
Les trois côtés ont tous été activés, même s'il ont été en mesures diverses. L'activation des interfaces entre
maire et médecins généralistes et entre maire et citoyens, a déterminé la création d'un O.C.S. géré par la
commune (Observatoire Communal de la Santé), qui assure la diffusion des données produites par le
système d'information concret parmi les médecins extérieurs au SIC et parmi les citoyens.
La synthèse de ces données est représentée par le panneau communal des risques, qui de façon mis à jour,
répond aux questions : a) où sont les risques prioritaires? b) combien sont les exposés à ces risques? combien
sont les atteints?
Qu'est-ce qu'il donne aux citoyens ? Une représentation organique, accessible à tous, de la situation de la
santé de la population de la commune, ciblée par une série définie de maladies éliminables. Il sert au citoyen
pour avoir un cadre à utiliser pour agir dans la direction d'un changement prévu, pour vérifier la validité de
la prévision et de la proposition d'action.
Qu'est-ce qu'il donne aux médecins généralistes ? Un instrument pour relier leur activité professionnelle à la
recherche médicale, en réalisant une action-recherche, qui les qualifient comme terminaux de la recherche
scientifique. Un instrument nouveau. Un instrument pour pouvoir mesurer l'efficacité de leur procédure,
pour faciliter la communication d'interface avec les clients et avec les responsables de l'organisation de la
santé. Un exemple, en 1997 les 9 médecins qui travaillent dans le SIC ont déclaré 80 maladies
professionnelles (mésothéliome, silicose, surdité, etc.) contre un nombre égal de déclarations faites par les
129 autres généralistes du territoire, les 132 spécialistes, l'hôpital, etc. (une moyenne de 9 déclarations pour
les généralistes intégrés contre une moyenne de 0,16 pour les généralistes isolés).
Qu'est-ce qu'il donne au maire ? Une représentation partagée (potentiellement partageable) de la santé de la
collectivité de laquelle dérivait des interventions vérifiables, pour l'amélioration. Il permet la recherche de la
représentation adéquate pour améliorer, de façon participative, la qualité totale de la santé.
Qu'est-ce qui a changé ?
Il existe une organisation de la santé qui a une structure en fonction, visible. On a défini un cadastre des
situations de risques (8 classes) pour ce qui concerne les environnements de vie et de travail). La situation la
plus étudiée, en tant que plus codifiée, plus connue sur la base de la littérature médicale pour les expositions
professionnelles, est celle qui correspond aux activités économiques (6ème classe). Dans l'ensemble des
risques liés aux activités économiques, on a choisi 7 risques prioritaires, parce que plus graves et/ou plus
fréquents. Ils ont été choisis parce qu'ils sont des risques en tant que risques éliminables, parce que dus à
l'environnement construit par l'homme.
Il existe une nouvelle figure professionnelle qui collabore avec les médecins et avec les gestionnaires de
l'environnement : le cartographe. Le cartographe représente la nouveauté organisationnelle fondamentale.
C'est l'opérateur qui permet au psychologue de la santé la supervision procédurale de tout le système, avec la
possibilité d'une certification, ou mieux d'une validation accréditée, sans solution de continuité, de la qualité
de l'organisation de la santé. C'est le responsable du cadastre de l'environnement, l'expert des enquêtes sur le
territoire, en particulier sur l'environnement construit. Il garantit en particulier l'information sur l'anamnèse
environnementale jusqu'alors distordue par un à peu près inévitable. Sa fonction n'est pas seulement celle de
recueillir les données, mais de garantir à tous leur disponibilité.
La qualité du travail du médecin est définie par le processus de partage des procédures, des résultats, et des
innovations. Les procédures des médecins sont visibles, partagées, formalisées, donc le modèle moyen, le
standard, est plus riche. Surtout une qualité essentielle du standard a changé : étant partagé, formalisé et
modifiable sur la base de l'expérience, il possède une tendance à l'enrichissement. Il ne s'agit pas d'une
moyenne entre éléments dispersés, mais d'une moyenne entre éléments reliés.
En particulier ce qui a changé c'est la valence du couple médecin généraliste-client qui assume la fonction de
moteur d'inférence du système.
L'innovation fondamentale : la qualité de l'anamnèse. En médecine, anamnèse signifie recueillir des
informations sur les précédents de la vie d'une personne et aussi de ses ascendants, dans un but diagnostique.
Le médecin, habituellement, la recueille, à travers l'interrogatoire anamnésique, de la mémoire du client.
Elle sert à suspecter un risque lié à des maladies passées ou à l'hérédité familiale. L'innovation a été celle de
compléter l'anamnèse à travers les précédents pathologiques des "parents environnementaux". La
reconstruction de l'anamnèse du sujet est en outre soulignée par la mémorisation du profil pathologique. Le
médecin généraliste, médecin de famille, a une carte mentale des clients singuliers qui représente un
véritable profil pathologique. C'est une mémoire qui n'est presque jamais écrite mais prégnante pour cadrer
les symptômes du client dans un contexte défini de probabilité. Le profil pathologique, qui comprend le
risque environnemental, redéfinit l'anamnèse et devient une modalité de classification "autre", outre aux
modalités traditionnelles. Les changements sont étudiés rigoureusement seulement au niveau du système
d'information concret, mais par ondes de choc ils se répercutent sur toute l'activité médicale du généraliste.
En d'autres termes, le métamodèle professionnel est influencé par les procédures liées au SIC aussi sur
l'aspect curatif.
Un élément essentiel de la recherche, très difficile à transmettre au lecteur : les changements de langage
opératoires ne sont pas une "vue" de l'organisation, du bureau qui a la fonction de "monitorer" le
fonctionnement du système, mais sont des éléments intégrant de la façon d'opérer des médecins généralistes
et de l'organisation. Cette "intégration/intériorisation", dans le tissu vivant de l'organisation, des résultats de
la recherche et de la recherche elle-même, sont le caractère spécifique du travail des psychologues de la
santé dans le SIC.
3 / Langage et organisation de la santé
Le langage, pour le psychologue intéressé à l'aspect ergonomique, organisationnel, de la santé, représente et
le cadre de son activité et l'instrument professionnel essentiel.
La maladie, et/ou la peur de la maladie, comporte des classifications, des stratégies de vérification, des
stratégies d'utilisation des experts, des moyens diagnostiques, des lieux, des interventions qui sont un motif
de communication avec d'autres à travers de nombreux types de langage. Chaque citoyen a son Image
personnelle de la santé. Il règle sa journée, sa semaine, son existence, essentiellement à partir de ces
éléments, de façon parfois automatique et parfois consciente jusqu'à la nosophobie. L'aspect de son
comportement sanitaire, au sens strict, ainsi qu'il se manifeste dans ses rapports avec les services, en
particulier avec son médecin personnel, est profondément influencé par son Image de la santé, par la langage
relatif.
C'est en particulier au niveau de l'interface entre le médecin généraliste et le citoyen-client, qu'il est
intéressant pour le psychologue de la santé d'étudier le langage. A ce niveau se définit le langage portant,
celui qui caractérise l'enregistrement et la mémorisation de la qualité de la santé du citoyen singulier et de la
collectivité ; le langage qui est toujours plus "marqué" par les langages codifiés de l'archivage électronique
informatisé.
Le psychologue peut se construire un glossaire des langages qu'il apprend et qu'il contribue à définir dans
son activité professionnelle.
Un glossaire qui lui permette de gérer le système d'organisation, d'un point de vue ergonomique. Il ne s'agit
pas d'un thesaurus exhaustif, ni d'une liste de mots clés, mais d'un enregistrement (avec identification du
"parlant") de la signification des termes, des locutions, des comportements face aux problèmes de maladie,
de prévention, de soins, appris dans l'activité professionnelle. Le langage historico-naturel de la santé, en
soi, généralement imprécis, tend au lieu commun.
Construire un glossaire comme système de référence avec chaque terme ou locution important connoté avec
l'indication de l'interface avec laquelle chacun correspond. En fait le langage qui intéresse le psychologue est
un langage monosémique qui n'admet pas d'ambiguïté dans la communication. La polysémie est acceptable,
même importante, si elle est définie par un ensemble de monosémies, chacune desquelles étant reconnue et
précisément attribuée à un groupe ou une fenêtre donnée.
Une image au sens strict du terme, me rappelle où j'ai appris la signification de ce qui pour moi est la fenêtre
du modèle de Mendès. Autour d'une table, des médecins et des ouvriers. Nous discutions justement du
langage relatif aux maladies, surtout professionnelles mais pas seulement. Le groupe de médecins insistait
sur la valeur de leur propre langage. Il en résultait implicitement que si la langue dominante était celle de la
médecine, les ouvriers devaient l'apprendre, apprendre à traduire leurs termes en ceux des médecins. Un des
ouvriers, Mendès, soutenait le droit de défendre, pour les ouvriers, et pas seulement, son propre langage,
même s'il est très "terroirisé", et même justement pour ça. Accepter comme valide seulement le terme et/ou
la locution médicale aurait signifié perdre toutes les connotations des ateliers, tous les liens avec une réalité
faite de choses, d'hommes, et de modèles, que le langage médical ne pouvait pas supporter. La conclusion du
groupe : une "chose" est comme si elle était une chose placée dans une cour, vue des différentes fenêtres, de
façon différente. Chacune de ses vues a une valeur en soi ; aucune d'elles n'a la valeur de la seule vue valable.
Chaque groupe, homogène d'un point de vue opératoire, a sa propre vue du problème de la santé. Chaque
vue a sa valeur fonctionnelle. Le médecin est le porteur d'une vue structurée scientifiquement, donc centrale,
mais insuffisante pour résoudre, seule, les problèmes de la santé. Le modèle des fenêtres de Mendès peut
permettre, s'il est accepté comme métamodèle par le psychologue, de gérer des glossaires différents, vus
comme langage d'interface entre des groupes différents. Le psychologue peut rester professionnellement en
communication avec des groupes différents sur le problème de la santé. Chaque groupe a un langage qui lui
est propre, qu'il vit comme étant un langage suffisant pour traduire toutes les significations des autres
langages. Ce langage, vu en analogie avec le modèle autopoiétique, de H.Maturana, non seulement est un
ensemble totalisant, mais offre une résistance notable au changement, en ceci qu'il tend à reproduire ses
propres caractéristiques. Connaître les langages des différents groupes pour améliorer le fonctionnement du
système-organisation de la santé, est indispensable.
Le langage est un "tout" terroirisé, il est "tout" ce qui intéresse, comme psychologue de la santé, dans un
contexte territorial défini, et il est étroitement relié à l'action sociale. Celui-ci comprend, de toute façon, les
comportements que le problème de la santé demande.
L'organisation de la santé, comme l'organisation de la société civile, dont elle fait partie, est un
enchevêtrement de systèmes formels et de systèmes bruts, c'est-à-dire riches d'expériences accumulées,
élaborées en minimes parties.
Les systèmes formels, les services, représentent des sous-systèmes qui peuvent de quelque manière être
étudiés avec les modèles de lecture les plus usités en psychologie du travail et de l'organisation. Les
systèmes bruts sont représentés par l'information non organisée qui se relie au formalisé, seulement au
moment du besoin du sujet.
Sous-jacente à l'organisation sanitaire visible, vit l'information sur la santé qu'il est nécessaire de connaître et
de contrôler. Le parcours de cette information a comme point de départ le soupçon de l'altération de l'état de
santé (actuelle ou prévue), de la part de l'individu singulier qui utilise les services sanitaires publics (et/ou
privés) pour acquérir les connaissances nécessaires au moins du point de vue diagnostique (causes et cadre
nosologique) et thérapeutique.
Le parcours du soupçon à la connaissance représente la structure portante de l'organisation de la santé. Un
métamodèle qui caractérise l'histoire de la santé de chaque individu singulier, mais que l'on ne peut pas
retrouver, comme un parcours documenté, sans solution de continuité, dans la forme actuelle de
l'organisation sanitaire. Le parcours produit, à chacun de ses moments, une information, il utilise un langage,
il définit une valeur qui pourrait être une mémoire utile.
La structure de l'organisation sanitaire présente des nœuds, des goulots d'étranglement qui rendent
discontinu le parcours "du soupçon à la connaissance". Un des nœuds visible par tous, mais
malheureusement envisagé surtout d'un point de vue bureaucratique, est le rapport client/médecin
généraliste. Le couple client-médecin généraliste est le moteur de tout le système de santé. Il représente donc
un élément de production essentiel. C'est seulement si on garantit, à ce niveau, une condition de productivité
maximale, qu'on peut commencer à parler de qualité d'organisation de la santé. Le développement technique
et scientifique a profondément modifié le " poste de travail" du médecin de famille d'autrefois. Il ne s'agit
pas seulement d'un changement de termes : médecin généraliste, médecin de base. Il s'agit d'une
modification de la situation clinique caractérisée par l'unité de temps, de lieu, d'action. Cette situation, qui a
caractérisé le plan de comportement professionnel du médecin pendant plus d'un siècle, présupposait que le
médecin ait en soi, sur soi, tout ce qui lui permettait de conclure l'acte médical : formuler le diagnostic, le
pronostic, et prescrire la thérapeutique.
Le développement des procédures techniques a ouvert un problème, le plan de comportement professionnel
s'est désagrégé en deux phases. Une première phase de contact avec le client pour la définition d'une
hypothèse diagnostique, de laquelle dérivent des demandes d'examens. Une deuxième phase, dans laquelle
les résultats des examens permettent au médecin de conclure le parcours diagnostique. Le temps qui s'écoule
entre la première phase et la seconde, parfois démesurément long, déforme le plan de comportement
professionnel du médecin, altère profondément la qualité du couple médecin généraliste-client.
Le médecin du service des urgences représente, paradoxalement, le médecin de famille de l'an 2000 ; il a en
fait la possibilité d'avoir à disposition, en temps réel, tous les examens nécessaires pour conclure le parcours
diagnostique en une seule phase.
C'est au psychologue de l'organisation de la santé que revient d'étudier comment classifier les conditions
dans lesquelles, dans un contexte territorial défini, le médecin généraliste se trouve pour opérer. Une
évaluation de ce "où" est une information essentielle dans la certification de qualité, dans la "validation
accréditée", du "poste de travail" du médecin généraliste. Probablement, à partir de la classification de la
qualité de ce moteur d'inférence, on peut dessiner le parcours qui peut conduire à l'identification des indices
de qualité totale.
Dans une situation spéciale, il a été possible de visualiser l'organisation à travers la récupération et la
formalisation de tous les segments bruts essentiels. Ceci a comporté un travail de plusieurs années,
l'implication, dans ce processus, des opérateurs fondamentaux du système, les médecins généralistes en
particulier, et la reconnaissance de leurs modèles d'usage, de leur compétences d'usage. En d'autres termes,
le modèle d'analyse valide a respecté le vieil adage chinois qui dit : "si j'entends j'oublie, si je vois je me
souviens, si je fais je comprends".
En construisant avec les acteurs, les protagonistes d'une organisation de la santé déjà existante, de type
empirique mais basée sur une demande sociale bien précise et valide, une organisation nouvelle, consciente,
"visible et sans solution de continuité", comme psychologue-ergonome de la santé, nous avons cru entrevoir
une première réponse à l'exigence de construire une organisation de la santé de type cybernétique.
L'approche est cybernétique en ce sens qu'elle garantit les limites dans lesquelles le système s'autorègle. Il
garantit aussi une autorégulation plus complexe, que nous pouvons identifier avec l'autopoièse, parce que les
valeurs de référence pour l'autorégulation sont une capacité interne au système lui-même.
Nous utilisons le terme garanti, nous devrions préciser "pourrait garantir", comme instrument ; la garantie
est donnée seulement par l'action sociale collective.
4 / Observations de conclusion
Nous ne nous sentons pas de tirer des conclusions de l'expérience ergonomique de conduite de projet dans
notre laboratoire sur le thème de l'organisation de la santé. Tirer des conclusions signifierait donner à nos
réalisations une signification telle à permettre une généralisation. Il nous suffirait d'avoir transmis
quelques-uns des problèmes qui, selon nous, il faut affronter.
Nous pensons que le scénario qui intéresse les psychologues de la santé, à approche ergonomico-cognitive et
d'organisation, dans les années à venir, soit un élément de quelque intérêt.
Un scénario caractérisé par une turbulence notable liée aux changements : de l'état de l'organisation sociale
, du développement des méthodologies technico-scientifiques liées à la santé, de la culture de la santé, du
droit à la santé comme expression démocratique.
Tous ces changements probables, possibles, représentent des problèmes sur lesquels le psychologue
ergonome a des motifs pour réfléchir par rapport à trois références au moins : l'organisation de la santé, le
langage et la construction de projets.
Dans le cadre de l'organisation sanitaire générale, l'organisation de la santé, comme fil conducteur pour
l'individu, implique le psychologue en première personne. Une implication qui le ramène à l'approche
première de l'ergonome : la récupération des modèles d'usage, de la compétence d'usage, qui tendent à
redéfinir les modèles théoriques. L'intervention du psychologue dans un tel sens, représente une proposition
continuellement mise à jour, de l'organisation de la santé, pour qui doit reprogrammer l'organisation
formelle.
L'utilisation de cette proposition pour la redéfinition de l'organisation sanitaire, dépend de médiations
sociales et politiques qui n'impliquent pas nécessairement le psychologue. On peut tout de même identifier
un rôle qui lui revient dans la construction de projets comme professionnel capable de coordonner les
différentes compétences professionnelles dans une approche ergonomique que le spécialiste singulier,
même si il est qualifié en ergonomie, n'est pas capable d'accomplir de façon adéquate, du fait de tout ce que
comporte l'intégration opérationnelle.
La construction de projets n'est pas seulement un rapport abstrait entre connaissance et création, mais elle est
capacité d'utiliser les connaissances concrètes, parfois seulement terroirisées, de sujets experts, pour faire
une construction de projets comme composition de plans de comportements existants en les intégrant d'un
point de vue ergonomique.
La priorité pour le psychologue de la santé touche certainement au langage, à partir de l'habileté à dialoguer,
pour recevoir, restituer, transmettre et vérifier l'information secondaire. Une première réflexion sur le
"langage" : sur notre article comme tentative de transmettre une expérience et la réalité vivante d'une
organisation de la santé avec des caractères particuliers. La tentative de transmettre notre recherche a été très
fatigante, probablement peu efficace.
L'Europe Unie posera des problèmes notables au psychologue de la santé, avant tout des problèmes
d'information. Que devra-t-il savoir de médecine, d'organisations sanitaires, des éléments de référence pour
contrôler les situations dans les différents pays ? Le risque est la recherche de paroles, de locutions
compréhensibles par tous et de partout. Le résultat serait, et on en a déjà des exemples, une course à
l'identification et la diffusion de lieux communs. La définition de la santé par l'OMS peut en être un exemple
: non plus "l'absence de maladie et d'infirmité", mais un "complet état de bien-être psycho-physique".
Pour la compréhension de notre travail, il aurait été utile (nous ne l'avons pas fait pour des raisons qui
tombent sous le sens) d'expliquer les procédures, les know-how, et ils sont nombreux, que le projet a
comporté justement pour transmettre, vérifier le résultat de la transmission, récupérer la compétence
d'usage, la restituer. Nous ne nous sommes pas non plus arrêtés sur le problème de l'informatisation, qui est
l'élément central, reconnu, d'une nouvelle organisation de la santé.
"Un système d'information n'a pas besoin d'avoir une structure fixe, il peut être une structure en évolution
déterminée par les situations." (T.Winograd et F.Flores, 1986). Même en ce sens, le rôle du psychologue
ergonome peut être important dans la gestion du développement des situations, dans leur devenir, et dans la
contribution à la redéfinition des langages, en premier lieu les langages informatiques qui jouent le rôle de
langage guide.
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