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BIBLIOMED
Le Journal Faxé du
Centre de Documentation
de l’UNAFORMEC
Qu'est-ce qu'une maladie?
Sous ce titre P. Cathébras, du service de Médecine Interne du CHU de Saint Etienne, vient de publier un article très stimulant qu'il nous a paru intéressant de résumer.1
La maladie est une catégorie naturelle, mais c'est aussi
une construction sociale. L'anthropologie médicale distingue trois réalités distinctes sous les trois termes désignant la maladie en anglais: les altérations biologiques
(disease), le vécu subjectif du malade (illness) et le processus de socialisation des épisodes pathologiques
(sickness). Cela correspond en gros aux trois perspectives distinctes du médecin, du malade et de la société.
Médecins, patients ont de la maladie des vues distinctes:
- la vision médicale résulte d'une culture: rationalité scientifique, croyance en l'existence d'entités pathologiques
que sont les maladies. Pour le médecin, la maladie est la
réalité objective. Ainsi la médecine a tendance à négliger
le contexte socio-économique, la culture et la personnalité du patient, le sens personnel qu'il peut donner aux troubles, ou dans le meilleur des cas à le ranger dans le
champ de la psychologie et de la psychiatrie.
- le patient ressent des symptômes, mais ne les décode
pas avec la même grille que le médecin. Les symptômes
font partie d'une expérience vécue, avant tout subjective,
englobant réactions émotionnelles et modifications corporelles, construite généralement en interaction avec les
proches et leurs représentations de la maladie. Le patient
donne un sens à son état de malade: "pourquoi ai-je mérité
cela?" ou dans d'autres cultures "qui me veut du mal?"
- maladie (disease) et expérience subjective de la maladie
(illness) ne coïncident que partiellement. Il peut y avoir illness sans disease (somatisation) ou disease sans illness
(anomalie biologique sans symptômes). Mais surtout la
définition de la santé varie grandement selon les individus, les groupes culturels, les classes sociales. Chaque
société édicte des normes sur le comportement du malade, qui est toujours plus ou moins un mode de communication. Le médecin joue un rôle important dans ce processus de socialisation de la maladie (sickness), dans la vali-
dation de la plainte et la légitimation du statut de malade.
Ces trois perspectives concurrentes sur la maladie ne
sont pas imperméables et il existe de nombreux ponts entre illness, disease et sickness. La perception subjective
de la maladie se nourrit des représentations biomédicales
véhiculées par les médias (pont illness-disease); celles ci
ne sont pas toujours détachées des représentations populaires de la maladie (pont disease-illness). Reste la légitimation sociale de l'état de maladie qui pose le problème
de la relation disease-sickness.
Les maladies existent-elles indépendamment des concepts qui cher chent à les décrire? Porter un diagnostic,
est-ce "découvrir" une réalité plus ou moins cachée, ou
est-ce "construire" une explication? Cela veut dire que
nommer une maladie revient à extraire du chaos de la réalité des éléments jugés signifiants, en fonction de théories
et de croyances préexistantes pour donner sens aux observations et les orienter en retour. Dans cette construction d'un diagnostic médical interviennent au moins deux
acteurs: le patient et le médecin. La maladie est donc "une
construction au bout d'un dialogue, mais une construction
qui dépasse le dialogue, puisque derrière le malade il y a
toutes les représentations collectives des troubles, et
derrière le médecin, des systèmes appris dans les livres
et les écoles" 2 En ce sens la construction d'un diagnostic
médical est toujours "sociale". Dire qu'une maladie est socialement construite n'est pas nier la réalité des symptômes et encore moins de la souffrance, mais c'est rappeler
qu'en nommant les choses, en expliquant et en proposant
un pronostic, le praticien va intervenir sur le cours de la
maladie elle-même. Nos diagnostics nous permettent de
prédire des événements, mais les théories vont aussi modifier les symptômes et le cours de la maladie. L'auteur
prend en exemple l'hystérie de Charcot, et plus près de
nous le syndrome de fatigue chronique et la fibromyalgie.
Cet article nous parait important pour mieux comprendre le fossé entre notre formation avant tout biomédicale et la réalité de notre exercice. Mais il faudrait bien se garder de limiter les exemples à ceux des maladies dites psychosomatiques. Quelques réflexions parmi d'autres que suscite cet article:
- Lorsqu'il y a accord entre le cadre de référence du patient et celui du médecin, c'est à dire que les grilles
d'analyse du médecin et du patient se rejoignent, la maladie et les soins qui en découlent sont acceptés.
Cela peut expliquer pourquoi, un patient nous quitte sans raison, le recours aux médecines parallèles ou aux
guérisseurs, la compliance ou non aux traitements.
- La société va excuser la conduite addictive, qu'elle autorise et condamne dans d'autres lieux, si le patient la
reconnait comme maladie et en accepte les soins.
Nombreux sont les articles de ce type dans la littérature anglo-saxonne. Il est heureux que les français apportent leur contribution qui devrait concerner la réflexion, l'enseignement mais aussi la recherche.
1 - Cathébras P. Qu'est-ce qu'une maladie? Revue de Médecine Interne, 1997, 18, 809-813
2 - Bastide R. Sociologie des maladies mentales. Paris: Flammarion, 1965, 266-267
Mots-clé: maladie, décision médicale, anthropologie, relation médecin malade
Numéro 76 du 16 octobre1997
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