Les traités de paix d`après la première guerre mondiale

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Anne Bousseau
Formation théorique
Les traités de paix d'après la première guerre mondiale
Au lendemain de l'armistice du 11 novembre 1918 commence le temps du
rétablissement de la paix internationale et des reconstructions. La conférence
internationale pour le règlement du conflit est animée tout à la fois par les
nationalismes que quatre années de guerre ont exacerbés et par un courant de
pacifisme : devant l'ampleur des pertes humaines et matérielles, on ne veut plus jamais
connaître de conflit ; la guerre qui s'achève doit être "la der des ders" et tous aspirent
désormais à construire une paix durable.
La conférence de paix débouche sur une série de traités signés dans les années
1919-1920 entre les alliés et chacun des vaincus. Malgré l'idéal d'une paix durable
dans un nouveau monde libéré, les traités présentent bien des faiblesses et la paix
qu'ils définissent pourrait en être fragilisée.
I- La difficile marche de la conférence de paix
A partir du 18 janvier 1919 se réunit à Paris une conférence chargée du règlement
de la paix. Elle rassemble plus de mille délégués issus de vingt-sept nations "alliées"
ou neutres. Les vaincus et la Russie alors en révolution sont exclus des négociations.
Les différentes questions sont travaillées par des commissions d'experts, puis les
décisions sont prises par un "conseil des dix" qui compte les chefs de gouvernement et
ministres des Affaires étrangères de la France, des États-Unis, du Royaume-Uni, de
l'Italie et Japon. Pour hâter les débats, ce "conseil des dix" se transforme bientôt en
"conseil des Quatre" avec Wilson pour les États-Unis, Clemenceau pour la France,
Lloyd George pour le Royaume-Uni et Orlando pour l'Italie.
Des intérêts divergents
De grandes divergences se lèvent entre les ambitions des parties en présence.
La France veut surtout écarter le danger allemand et voudrait supprimer les
pays rhénans à l'Allemagne pour en faire un état neutre qui mettrait ainsi une barrière à
la route de l'invasion.
Le Royaume-Uni voudrait maintenir l'équilibre européen afin d'éviter un
nouveau conflit et ne veut donc pas laisser la France dominer l'Europe. Il cherche
également ses intérêts économiques et essaie de laisser à l'Allemagne son rang de
grande puissance qui en ferait un client de choix.
L'Italie, la Roumanie et la Grèce ont surtout des ambitions territoriales, à la
hauteur des promesses qui leur ont été faites.
Les États-Unis sont animés par un idéal pacifique fondé sur les quatorze points
de Wilson. Ce message présenté dès le 8 janvier 1918 domine la conférence de paix. Il
préconise la fin des alliances secrètes entre les peuples, la liberté de navigation, le
libre-échange, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, un désarmement, enfin la
création d'une assemblée générale de nations. Ces règles doivent établir une paix
durable, fondée sur le droit et la justice.
La Société des Nations (S.D.N.)
L'idée de donner au monde un parlement unique avait déjà été soulevée par des
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réformateurs. L'idéalisme wilsonien permet de la réaliser lors de la conférence de
paix. La Société des Nations est fondée sur un pacte conclu librement entre des états
souverains. Ce pacte doit conduire à une réduction des armements.
La S.D.N. est composée de plusieurs organes : une Assemblée Générale réunie
chaque année, un Conseil et un secrétariat permanent, et une Cour de Justice
Internationale. Ces organes ont mission d'arbitrage en cas d'agression d'un état, mais
toutes les décisions importantes doivent être prises à l'unanimité. Le Bureau
International du Travail a pour mission d'améliorer les conditions de travail.
La proposition de Clemenceau de constituer une armée internationale est jugée
inutile puisque l'on entre dans l'ère de la "paix organisée".
La règle d'unanimité et l'absence de force armée seront des faiblesses de la
S.D.N. à laquelle elles ne confèrent une autorité que morale.
II- Les traités
Une série de traités est signée entre les vainqueurs d'un part et chacun des vaincus
d'autre part. Ces traités modifient profondément la carte de l'Europe : les états vaincus
sont amputés, des états sont agrandis, tandis que d'autres sont créés.
Allemagne
La question de l'Allemagne est réglée la première. Le projet est présenté aux
délégués Allemands le 8 mai 1919, mais avec un délai très court pour soumettre leurs
observations écrites. Le chancelier Scheidemann fait savoir qu'il ne signera pas un tel
document "inspiré par la haine". La majorité des contre-propositions allemandes est
rejetée et c'est sous la menace d'une reprise des hostilités que l'Allemagne doit signer
le traité de Versailles le 28 juin 1919 dans la galerie des glaces. La symbolique est
double: le lieu est celui où avait été proclamé l'empire allemand en 1871, la date est
celle de l'anniversaire de l'attentat de Sarajevo.
L'Allemagne subit d'importantes pertes territoriales. L'Alsace et la Lorraine
sont restituées à la France, des territoires stratégiques cédés à la Belgique. Une partie
de la Silésie est attribuée à la Pologne ainsi que le corridor de Dantzig qui, en lui
donnant un accès à la mer, coupe la Prusse orientale du reste de l'Allemagne. Le
Danemark est agrandi du Sleswig du Nord. Tout l'empire colonial allemand, enfin, est
remis à la S.D.N. qui le redistribue à ses membres au titre de mandat avec mission de
guider ces pays vers l'indépendance.
La puissance militaire de l'Allemagne est anéantie. Son armée est soumise à un
quota, dépourvue d'artillerie lourde avec une flotte réduite, tandis que l'aviation est
supprimée. La rive droite du Rhin doit être démilitarisée et occupée par les alliés
pendant quinze ans. En cas de nouvelle attaque allemande, la France est assurée du
soutien anglo-américain.
L'Allemagne doit s'engager d'autre part à respecter l'indépendance de
l'Autriche.
Enfin, tenue pour responsable de la guerre, l'Allemagne doit rembourser les
dommages de guerre. Le montant de ces réparations doit attendre le 1er mai 1921 pour
être fixé. La France en outre reçoit la possession des mines de charbon de la Sarre.
Exclue de la S.D.N., l'ancien empereur Guillaume II poursuivi en justice, l'Allemagne
est placée au ban des relations internationales.
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Empire Austro-hongrois
L'Empire austro-hongrois est disloqué pour laisser place à de nouveaux états
répondants au principe wilsonien des nationalités. Des traités différents concernent
l'Autriche et la Hongrie.
La paix avec l'Autriche est signée au traité de Saint-Germain le 10 octobre
1919. L'Italie reçoit le Trentin et l'Istrie, la Roumanie est agrandie de la Bucovine. La
Bohème et la Moravie reviennent à la Tchécoslovaquie, la Slovénie et la Dalmatie à la
Yougoslavie, la Galicie à la Pologne.
Le traité de Trianon signe la paix avec la Hongrie le 4 juin 1920. La
Transylvanie revient à la Roumanie, la Slovaquie et la Ruthénie vont à la
Tchécoslovaquie, tandis que la Croatie participe à la formation de la Yougoslavie.
L'Autriche et la Hongrie, séparées, sont devenues des puissances secondaires,
sans accès à la mer.
Bulgarie
Par le traité de Neuilly du 27 novembre 1919, la Bulgarie cède la Dobroudja du
sud à la Roumanie. Ses provinces occidentales vont à la Yougoslavie et son accès à la
mer Egée est abandonné à la Grèce.
Empire Ottoman
Le vieil empire ottoman éclate lui aussi en de multiples états.
Le traité de Sèvres, par les difficultés qu'il soulève, n'est signé avec une nouvelle
Turquie diminuée que le 10 août 1920. La Turquie cède une partie de la Thrace et de
la région de Smyrne à la Grèce. Ses territoires arabes sont confiés en mandat à la
France (Syrie, Liban) et au Royaume-Uni (Irak, Transjordanie, Palestine). Les détroits
du Bosphore et des Dardanelles sont neutralisés.
Le nouveau visage de l'Europe
Le traité de Brest-Litovsk, signé dès mars 1918 entre l'Allemagne et la
nouvelle Russie avait déjà modifié la carte de l'Europe de l'Est. Les traités de 19191920 ont achevé de dessiner une nouvelle Europe.
De l'éclatement des empires austro-hongrois et ottoman et de l'affaiblissement
allemand sont nées la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie tandis que la Pologne
ressuscite. L'Autriche et la Hongrie ont perdu leur statut de grandes puissances. La
diplomatie traditionnelle en ressort bouleversée.
III-Les faiblesse des traités
Lors de la signature de traité de Versailles, Clemenceau avait déclaré "la carte
du monde libéré définitivement établie". En réalité, par les contestations qu'ils
soulèvent dès leur signature, les traités présentent bien des faiblesses.
La paix, une œuvre trop ambitieuse ?
Le bel idéal de restructurer l'Europe et le Moyen-Orient apparaît bien
ambitieux. La création de nouveaux états ne supprime pas les haines et rivalités entre
les peuples. Les problèmes de nationalismes de l'Europe centrale s'avèrent plus
complexes que l'idéalisme wilsonien.
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L'Europe centrale se retrouve divisée par des questions nationales et
territoriales et les foyers de crise sont nombreux.
Les nouvelles frontières font vivre deux millions de Hongrois en Roumanie ou
en Tchécoslovaquie.
La Pologne est en conflit avec la Lituanie au sujet de Vilnius : la ville est
surtout peuplée de Polonais, mais sa province, majoritairement russe et lituanienne,
est revendiquée par la Lituanie. Au sud-est, c'est avec la Tchécoslovaquie qu'il y a un
conflit au sujet de la Silésie, riche en charbon. Les frontières avec la Russie n'ont été
fixées en 1919 que de manière provisoire et dès 1920, elles deviennent cause de
guerre.
La Grèce et la Turquie sont également en conflit. A la tête du mouvement
révolutionnaire turc, Mustapha Kemal obtient par le traité de Lausanne la révision de
celui de Sèvres. Le tracé de la nouvelle frontière conduit à un grand déplacement de
population entre la Grèce et la jeune République de Turquie.
Contrairement aux promesses de 1915, l'Italie n'a pas reçu la Dalmatie, réunie à
la Yougoslavie et s'en montre aigrie. En effet, la politique wilsonienne ignore les
accords secrets entre les Alliés. Déçus, des nationalistes diffusent le thème de "la
victoire mutilée". En réalité, elle a tout intérêt à gagner de la disparition de son vieux
rival qu'était l'Autriche-Hongrie.
La paix, œuvre fragile
L'absence des vaincus à la conférence de paix semble également une fragilité
des traités. Ils sont très vite contestés car ils apparaissent comme "la paix des
vainqueurs" et non pas comme une œuvre de conciliation.
En Allemagne, la population et la classe dirigeante n'acceptent pas le traité de
Versailles, considéré comme une paix dictée par la force, un "Diktat". A l'est, la
création du corridor de Dantzig qui sépare la Prusse orientale l'indigne. Le traité est
donc perçu comme injuste et l'Allemagne cherche par tous les moyens à en obtenir la
révision. En plus des réparations imposées à un pays lui-même très affaibli,
l'occupation de la Ruhr achève de ruiner l'Allemagne et conduit à une grave crise
économique.
Wilson se heurte à l'opposition du Congrès américain qui repousse le traité de
Versailles et n'accepte pas de n'avoir qu'une seule voix à la S.D.N. Après l'élection de
Harding en 1920, les États-Unis signent un traité séparé avec l'Allemagne et refusent
de siéger à la S.D.N. Cette abstention américaine affaiblit la S.D.N. dès sa création.
Ce refus américain, mais également chinois, de les ratifier apparaît comme la
plus grande faiblesse des traités.
Si l'Angleterre est prête à s'allier aussi bien à l'Allemagne qu'à la Russie, pour
défendre ses intérêts économiques, elle refuse d'assumer seule le système de garanties
promis à la France dont l'Amérique s'est retirée.
La France se trouve donc dans la solitude. Sa politique extérieure se fonde sur
l'application du traité de Versailles. Pourtant, de nombreux députés ne l'approuvent
pas, à l'instar de Foch qui estime que ce texte compromet la sécurité en France.
La paix, œuvre lacunaire
Parmi les lacunes des traités apparaît le fait d'avoir totalement laissé de côté le
problème de la Russie. Sous prétexte qu'elle a déjà signé avec l'Allemagne une paix
séparée des Alliés et qu'elle refuse de payer les dettes de régime tsariste, la jeune
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République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie est exclue des négociations. Le
problème bolchevique malgré de longs débats, divise les vainqueurs. Malgré le désir
d'endiguer le bolchevisme et quelques missions pour soutenir l'armée blanche, les
soldats européens, épuisés par quatre années de guerre, refusent de combattre la
République des soviets. Wilson ne croit pas à la contre-révolution et se désintéresse de
la question, tandis que l'Angleterre est prête à reconnaître le nouveau régime pour lier
des liens commerciaux.
En 1919, le communisme semble prêt à s'étendre à de nombreux pays.
L'opposition est alors beaucoup plus énergique que contre la Russie. 1920 marque au
contraire un reflux communiste, sensible jusqu'en Russie. La guerre entre la Pologne et
la République soviétique aboutit à une victoire polonaise: la Russie est refoulée à l'Est
tandis que la Finlande, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie deviennent indépendantes
par le traité de Riga en 1921. La Russie apparaît alors comme un des vaincus de la
guerre. Comme l'Allemagne face au traité de Versailles, la Russie voit dans le traité de
Riga une œuvre inique à corriger.
D'autre part l'œuvre des traités est restée inachevée : de nombreux points sont à
définir ultérieurement par des commissions spécialisées. C'est en particulier le cas de
la question des réparations ou de l'application du tracé des frontières.
Issus de longues concertations idéalistes entre les vainqueurs de la guerre qui
veulent construire l'ère de la paix organisée, mais non issus de négociations réelles
auxquelles auraient également pris part les vaincus, les traités apparaissent comme
une paix imposée par les vainqueurs et soulèvent de nombreuses contestations dès
leurs signature. Ils laissent bien des foyers de crise, et l'entreprise de la S.D.N., pour
louable qu'elle soit sera bien fragile pour y faire face
L'humiliation allemande et la déception italienne provoqueront des crises qui
conduiront à l'instauration du nazisme et du fascisme, tandis que les soviétiques
souhaitent également corriger des traités jugés inacceptables.
Déjà, des diplomates comme Cambon estiment que "ces traités sont un dépôt
d'explosifs qui éclateront sur tous les points du monde un jour ou l'autre".
Chronologie
11 novembre 1918 : armistice
8 janvier 1919
: ouverture de la conférence de paix
28 juin 1919
: traité de Versailles (Allemagne)
10 octobre 1919 : traité de Saint-Germain (Autriche)
27 novembre 1919 : traité de Neuilly (Bulgarie)
4 juin 1920
: traité de Trianon (Hongrie)
10 août 1920
: traité de Sèvres (Turquie)
1921
: traité de Riga
Bibliographie
GREGH : Histoire de 1890 à 1945 Hachette 1988
A. Bonifacio : Histoire le monde contemporain Hachette 1962
J.Sentou et Ch.O.Carbonell : Le monde contemporain Delagrave 1963
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