les entorses de la medio -tarsienne

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LES ENTORSES DE LA MEDIO -TARSIENNE
Gilles DAUBINET - Jean-Baptiste COURROY
___________________________ Les entorses du médio-pied concernent principalement l’articulation médiotarsienne de Chopart ou articulation transverse du tarse (ATT). Son interligne en forme
de S est formé par les deux articulations talo-naviculaire en dedans et calcanéo-cuboïdienne
en dehors. L’ATT forme avec l’articulation sous talienne un ensemble fonctionnel
indissociable : le couple de torsion en inversion-éversion du médio-pied assure l’orientation
du pied, son adaptation au sol et la propulsion du pas.
Il existe une nette asymétrie dans la physiologie des deux versants articulaires.
L’importante mobilité de l’os naviculaire en dedans permet une grande adaptabilité de la
colonne médiale lors des différentes contraintes. En cas de mouvement forcé, les lésions
capsulo-ligamentaires s’étendent fréquemment aux structures sous taliennes et au versant
médio tarsien latéral. Inversement, ce versant latéral présente une faible mobilité surtout lors
de la pronation, au cours de laquelle le déplacement du cuboïde vers le haut est vite limité par
le rostre calcanéen et le puissant ligament calcanéo-cuboïdien plantaire. Lors de la supination,
le déplacement plus important du cuboïde en bas et en dedans est limité par les ligaments
insérés à sa face supérieure : le ligament calcanéo-cuboïdien dorsal assez grêle est lésé en
premier puis la solide branche latérale du ligament en Y de Chopart. Contrairement aux
lésions médiales, les entorses médio-tarsiennes calcanéo-cuboïdiennes sont donc
fréquemment isolées.
ANATOMIE
L’articulation transverse du tarse se compose de deux articulations distinctes et
juxtaposées, formant un « S » italique dans le plan horizontal. Dans la partie médiale,
l’articulation talo-naviculaire est concave en arrière. Dans la partie latérale, l’articulation
calconéo-cuboïdienne est en légère concavité antérieure.
L’articulation talo-naviculaire
C’est une énartrhose, en réalité talo-calcanéo-naviculaire. La capsule articulaire est
commune aux deux articulations talo-calcanéenne antérieure et talo-naviculaire. La tête
talienne s’emboîte dans la cavité formée par la concavité de la face naviculaire postérieure, la
facette articulaire antéro-médiale du calcanéum et la face supérieure du ligament glénoïdien
(couche profonde du ligament calcanéo-naviculaire).
La stabilité articulaire est assurée par trois ligaments :
- Le ligament talo-naviculaire supérieur renforcé en dedans par des expansions du
ligament deltoïdien (collatéral médial de la talo-crurale)
- Le ligament calcanéo-naviculaire inférieur tendu de la petite apophyse antérieure
calcanéenne au bord inférieur médial naviculaire
- L’épais faisceau médial du ligament en Y de Chopart tendu verticalement de la face
dorsale de la grande apophyse du calcanéum au bord naviculaire latéral.
L’articulation calcanéo-cuboïdienne
La surface postérieure cuboïdienne est entièrement articulaire et présente une double
courbure en « selle » . Elle se prolonge parfois d’une facette interne articulée avec le bord
naviculaire latéral. La capsule articulaire est plus lâche en dehors qu’en dedans.
La stabilité articulaire est assurée par trois ligaments :
- Le ligament calcanéo-cuboïdien dorsal très mince
- Le puissant ligament calcanéo-cuboïdien plantaire dont l’insertion distale s’étend
jusqu’à la base des quatre derniers métatarsiens et limite la gouttière du canal cuboïdien dans
laquelle passe le tendon du long péronier latéral
- Le faisceau latéral du ligament en Y de Chopart tendu horizontalement jusqu’à l’angle
postéro-médial de la face dorsale du cuboïde.
L’articulation cuboïdo-naviculaire
Les deux os sont solidement unis par un système intrinsèque composé des trois ligaments :
dorsal latéral, plantaire médial et interosseux, auxquels il faut ajouter le ligament en Y
solidarisant le cuboïde et l’os naviculaire au calcanéum.
LES ELEMENTS DE BIOMECANIQUE
Le complexe articulaire de l’arrière-pied est l’association fonctionnelle des
articulations transverse du tarse et sous talienne dont les mobilités sont indissociables les unes
des autres. Cette interaction est telle qu’il est illusoire de vouloir considérer chaque article
séparément. En effet, si la mobilité de chaque articulation du complexe peut être comparée à
une rotation autour d’un axe, ce dernier n’est jamais situé dans un plan strictement vertical,
horizontal ou sagittal. Il n’existe donc pas de mouvement simple dans le couple de torsion
que réalise le complexe articulaire, mais des combinaisons associant obligatoirement du varus
ou du valgus dans le plan frontal, de l’abduction ou adduction dans le plan horizontal, et de la
flexion plantaire ou dorsale.
La mobilité globale du couple sous talien – médio-tarsien est équivalent à une rotation
simple autour de l’axe de HENKE oblique de haut en bas ( 45°), d’arrière en avant et de
dedans en dehors ; la rotation autour de cet axe définit les deux mouvements d’éversion
(flexion, pronation, abduction) et d’inversion (extension, supination, adduction).
On peut noter par ailleurs que la colonne médiale talo-naviculaire présente une plus
grande mobilité : le glissement de l’os naviculaire est facilité par l’élasticité du ligament
glénoïdien solidarisant le bloc calcanéo-pédieux sous le talus. C’est ce glissement (limité par
le ligament talo-naviculaire dorsal) qui autorise l’essentiel de la mobilité latérale. On peut
constater la disparition de cette mobilité après arthrodèse talo-naviculaire.
L’articulation calcanéo-cuboïdienne avec son intime gainage fibreux représente la
colonne stable du médio-tarse. Le déplacement du cuboïde est limité vers le haut par le rostre
de la grande apophyse du calcanéum et le grand ligament calcanéo-plantaire. Ce déplacement
s’effectue essentiellement en bas et en dedans. Les mouvements d’inversion et d’éversion sont
donc limités aux deux niveaux sous-talien et médio-tarsien.
L’inversion est limitée par :
- Le ligament talo-calcanéen en haie et le faisceau calcanéen du ligament collatéral
latéral au niveau sous-talien
- Les ligaments talo-naviculaire et calcanéo-cuboïdien dorsaux, le faisceau latéral du
ligament de Chopart, la butée cuboïdienne au niveau de l’articulation transverse.
L’éversion est limitée par :
- La butée osseuse postéro-latérale du sinus
- Les ligaments glénoïdien, deltoïdien et le faisceau médial du ligament de Chopart.
LES MECANISMES LESIONNELS
Les lésion ligamentaires pures de l’ATT sont rares, même si ce sont les plus fréquentes
des entorses survenant au niveau du pied. Elles peuvent en principe se produire à la suite de
contraintes forcées dans les trois plans :
- En adduction ou abduction pures, mécanismes rares essentiellement par choc direct
- En prono-supination : c’est le mécanisme le plus fréquent. La torsion du médio-pied
est toujours bénigne quand elle se produit en appui lors du déroulé du pas sur un sol inégal, a
fortiori avec une semelle à crampons. Il s’agit plus souvent d’une entorse latérale, car
l’attaque du sol s’effectue par le bord latéral du pied. L’articulation médio-tarsienne latérale
très rigide s’adapte moins facilement à la torsion que son homologue médiale, mais la faible
hauteur de l’arche latérale limite le risque de déplacement cuboidien en dedans. Sur le versant
articulaire opposé, le risque est accru par la hauteur de l’arche médiale, mais il est compensé
par une plus grande mobilité naviculaire. Les lésions les plus graves ne surviennent pas en
appui, mais par torsion pure du pied coincé dans un étrier ou un « full strap ».
- En flexion plantaire forcée : c’est un mécanisme rare, résultant parfois d’un choc
direct, plus souvent d’un blocage de l’avant pied au sol lors d’une chute vers l’avant. La
flexion plantaire forcée à la réception d’un saut est toujours responsable de lésions étendues.
L’inversion forcée en flexion plantaire est donc la position de vulnérabilité
maximale du médio-tarse et ce mécanisme est souvent responsable des lésions complexes les
plus graves dès que le ligament talo-naviculaire est rompu.
Les réceptions unipodales déséquilibrées déportent le plus souvent le corps
latéralement . Dans ce cas, la contrainte mécanique s’exerce en varus au niveau de la talocurale, et en inversion au niveau de l’ATT. En fonction de la zone de contact avec le sol et des
positions articulaires respectives, la lésion ligamentaire siègera sur l’une ou l’autre des deux
articulations, ou sur les deux. Dans tous les cas, l’atteinte associée souvent infra-clinique de la
sous-talienne illustre bien le partage du mécanisme lésionnel. C’est pour cette raison que bon
nombre d’entorses médio-tarsiennes sont prises pour des entorses de cheville …
Le médio-tarse représente la clé de voûte des arches longitudinales du pied, arches
fortement sollicitées lors de l’appui au sol et surtout lors de la propulsion du pied. Toute
lésion à ce niveau entraîne une impotence fonctionnelle sévère très significative à la marche.
LES LESIONS ASSOCIEES
La connaissance des structures limitant les mouvements de l’ATT justifie que l’on sépare
les entorses bénignes des entorses graves.
Les entorses graves comportent la rupture des verrous ligamentaires représentés par
- le ligament talo-naviculaire supérieur (limitant le déplacement de l’os naviculaire) ;
- le ligament en haie (la stabilisation talo-calcanéenne) ;
- le ligament en Y (assurant la stablité cuboïdo-naviculaire).
L’autre élément de gravité des entorses médio-tarsiennes est la présence fréquente de
lésions de la sous talienne, de fractures, articulaires ou non, déplacées ou non, des os
adjacents ou, encore de lésions vasculo-nerveuses.
- L’atteinte de l’articulation sous-talienne : l’intime couplage fonctionnel explique
que seules les atteintes bénignes de l’ATT épargnent l’articulation sous-talienne. Inversement,
le terme ultime des lésions graves de l’ATT est la luxation médio-tarsienne, rarement
complète mais plus souvent limitée à la talo-naviculaire. Elle reste de toute façon
exceptionnellement isolée. Elle est beaucoup plus fréquemment associée à une luxation soustalienne (médiale plus souvent que latérale). Par contre, cette dernière est toujours associée à
une luxation de l’ATT.
- Les fractures associées : il est habituel d’en distinguer différents types qui peuvent
être isolés ou associés, avec souvent un mécanisme d’arrachement d’un côté et de
compression sur l’autre côté :
- Les fractures arrachements du tubercule ou du bord supérieur naviculaire, de
l’apophyse calcanéenne antérieure, de la tubérosité cuboïdienne.
- Les fractures par compression du cuboïde, du talus distal ou de l’os naviculaire.
La variété de ces fractures justifie une palpation soigneuse, souvent difficile quand
l’œdème post-traumatique est important. Cela permet de préciser les incidences
radiographiques nécessaires à la mise en évidence toujours difficile de petits arrachements
ostéo-périostés ou de fractures corporéales qui justifient un recours fréquent à l’examen
tomodensitométrique. Si la présence de nombreux ossicules surnuméraires est habituelle à ce
niveau, la confusion est possible, notamment au niveau du bec calcanéen antérieur.
- Les lésions vasculo-nerveuses ne se rencontrent qu’après luxation-fractures sévères
du médio-tarse. Elles justifient une prise en charge et une restitution anatomique rapides. Il
n’est pas rare qu’une interposition tendineuse impose l’abord chirurgical.
LE BILAN CLINIQUE
- Les symptômes
- Les entorses bénignes surviennent lors de la marche, de la course ou après un choc
direct. Elles sont parfois assez discrètes pour ne se révéler qu’à froid, voire le lendemain au
lever par un appui au sol douloureux, une boîterie par défaut de déroulement du pied et une
gêne à la montée sur demi-pointe. Même à distance, les signes congestifs locaux restent bien
discrets et souvent masqués par le relief du muscle pédieux. Ces lésions sont quasi
exclusivement localisées à l’interligne calcanéo-cuboidien.
- Les entorses graves résultent d’un accident net en réception ou par torsion du pied.
Le craquement est habituel et l’impotence immédiate et sévère empêche tout appui. L’œdème
et l’ecchymose apparaissent rapidement et englobent volontiers les reliefs de la cheville et de
tout l’avant pied. L’atteinte peut être limitée à l’interligne latéral avec un même aspect local
qu’une entorse grave de cheville. Elle est parfois seulement médiale et intéresse quelque fois
l’ensemble de l’ATT.
- L’examen physique :
Il est toujours plus difficile si l’atteinte est sévère. Il faut rechercher en priorité, devant un
gros pied ecchymotique et très douloureux, un raccourcissement sagittal qui impose un bilan
radiographique immédiat à la recherche d’une luxation.
- Le bilan de la talo-crurale
Malgré les difficultés des prises manuelles, l’examen de la talo-crurale montre l’absence
de douleur significative à la mise en tension des ligaments latéraux et l’absence de laxité en
varus. La palpation de ces ligaments est indolore. Elle permet de réfuter le diagnostic
d’entorse de la cheville trop souvent avancé. Cette confusion diagnostique fréquente est une
source d’imageries et de traitements forcément inadaptés.
- Le bilan de la sous-talienne
Si les prises sont correctes avec un test en varus de l’arrière pied douloureux, sans laxité
perceptible, il est vraisemblable que l’articulation sous talienne également lésée.
- Le bilan tendineux
La recherche de la contraction isométrique des différents intrinsèques et extrinsèques du
pied permet de rechercher les déficits et l’apparition de douleur. Celle-ci est déclenchée
parfois par le seul effet de cisaillement articulaire. La douleur osseuse déclenchée à la
contraction résistée du muscle est en faveur d’un arrachement osseux du scaphoïde sur les
muscles jambiers postérieur et antérieur, de la base du 5ème métatarsien pour le court fibulaire
et du canal cuboïdien pour le long fibulaire.
LE BILAN D IMAGERIE
Le bilan radiographique comporte des clichés de trois quarts déroulés du médio-pied
centrés sur l’interligne calcanéocuboïdien ou talo naviculaire.
Il peut être normal ou montrer :
- des lésions significatives de l’entorse calcanéo-cuboïdienne, sous forme de petits
arrachements capsulo périostés sur l’un ou l’autre des deux versants de l’interligne articulaire
- une fracture du rostre calcanéen témoignant de l’atteinte du ligament en Y. de Chopart.
- des fractures significatives du diagnostic différentiel de l’entorse ( fracture du cuboïde,
fracture de la base du cinquième métatarsien)….
Un bilan complémentaire par scanner, voire IRM, doit être demandé au moindre doute
pour bien mettre en évidence les lésions osseuses et/ou ligamentaires lorsque les signes de
gravité existent à l’interrogatoire et à l’examen clinique.
LE TRAITEMENT
- L’immobilisation plâtrée de l’entorse grave est souvent péjorative pour la reprise
fonctionnelle rapide. Elle entraîne un enraidissement global du pied parfois long à récupérer
et favorise la survenue de troubles dystrophiques secondaires. Pour cette raison, il paraît
légitime de le limiter aux fractures corporéales et les arrachements ostéo-périostés importants.
- Le traitement fonctionnel semble préférable dans tous les cas. Il comporte :
- la suppression d’appui avec béquillage ou port d’une semelle talonnière de mise en
décharge de type Barouk ;
- la lutte contre l’œdème par une mise en position déclive, des massages de drainage, des
glacages répétés, une physiothérapie adjuvante. Un traitement antalgique ou antiinflammatoire peut être administré par voie générale après les 48 premières heures pour
laisser la phagocytose initiale se faire correctement ;
- une reprise d’appui progressive protégée par des cannes anglaises avec strict respect de
l’indolence ;
- la rééducation d’un pied traumatique fait une large part au traitement kinesthérapique
manuel qui doit être débuté précocement : massages de drainage, mobilisations manuelles
permettant de limiter les rétractions fibreuses, puis de respecter le jeu normal des différentes
pièces osseuses. La reprise rapide d’une marche indolente avec ou sans béquilles est souvent
possible. Elle peut être facilitée d’une contention circulaire de l’avant-pied.
Des douleurs persistantes gênent parfois la reprise des activités sportives lors des
impulsions et des sauts. Localisées aux interlignes articulaires, ces douleurs répondent
généralement à un simple traitement local (mésothérapie, injection intra articulaire de
corticoïdes). La prescription d’une orthèse de soutien du médio-tarse n’est pas systématique
mais elle est logique en cas de gêne diffuse et imprécise à l’effort. A distance, la persistance
ou l’aggravation de douleurs mécaniquse justifient un bilan d’imagerie secondaire à la
recherche d’une fracture passée inaperçue, voire d’une dégradation arthrosique…
CONCLUSION
L’entorse de la médio-tarsienne prend souvent le masque d’une entorse latérale de
cheville. Le mécanisme lésionnel, tout comme l’aspect local, peuvent facilement prêter à
confusion.
Le bilan clinique doit suffire à affirmer ce diagnostic et demander une imagerie
adaptée aux lésions.
Il faut privilégier le traitement fonctionnel qui fait une large part aux techniques de
rééducation.
POUR EN SAVOIR PLUS
Courroy .J.B. Entorse du Chopart latéral. In La cheville traumatique : des certitudes
en traumatologie du sport. Paris : Masson ; 2008. P.111-115.
Daum B. Patholgies du médio-pied chez le sportif. In Pathologie du médio-pied.
Paris : Masson ; 2008. P.185-192
Courroy J.B. Lésion de la médiotarsienne. In Les lésions ligamentaires récentes du
coup de pied. Paris. Masson 1996. P.209-213.
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