N° 25, mai 2010 - Centre d`histoire de la vigne et du vin

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Centre d’histoire de la vigne et du vin
Histoire économique et sociale de la filière vin – Œnologie historique
Ampélographie rétrospective - Histoire du droit viti-vinicole - Ethnologie Histoire
de la littérature du vin - Géographie viticole - Anthropologie.
Bulletin de liaison
(version électronique)
N° 25, mai 2010
ISSN 1776-2642
Appel aux rédacteurs, chercheurs…
Dans ce numéro :
Édito
Actualités de
l’Animation du
Patrimoine et des
Musées
Un nouvel
instrument pour
l’histoire de la
vigne et des
vignerons
Les dîmes des
vignes du finage
de Beaune
1
2
3
Après un bulletin de 6 pages en février, en voici un de 10… Cette
publication est la vôtre, à vous de la faire vivre en nous proposant de courts
articles ou en nous signalant toutes manifestations culturelles intéressant
l’histoire de la vigne et du vin – en tenant compte des délais de publication
d’un bulletin qui paraît trois fois par an.
Ce bulletin, même modeste, paraît néanmoins dans les délais
accoutumés et vous signale quelques initiatives locales en invitant chacun,
amateur ou chercheur confirmé, à y participer.
Nous invitons ces derniers à regarder l’appel à candidature pour le
prochain prix Vergnette de Lamotte et à le diffuser auprès de toute personne
qui pourrait susceptible d’être intéressée.
En espérant un prochain bulletin de 16 pages (ou plus !)…
5
Jean-Pierre Brelaud
Centre d’histoire de la
vigne et du vin
PRIX VERGNETTE DE LAMOTTE 2010
Section spécialisée du
Centre beaunois d’études
historiques
Le prix Alfred de Vergnette de Lamotte récompense des travaux récents
(ouvrage, ensemble de contributions…) relatifs à l’histoire de la vigne, du vin et
des vignerons en Bourgogne.
Ont participé à la
réalisation de ce numéro :
Les chercheurs souhaitant concourir sont invités à adresser leur candidature ainsi
que deux exemplaires de leurs travaux (un seul exemplaire pour les tapuscrits) à
l’adresse suivante :
Jean-Pierre Brelaud
Laure Ménétrier
Mise en page :
Jean-Pierre Brelaud
Sonia Dollinger
Centre d’histoire de la vigne et du vin
1 rue du Tribunal
21200 Beaune
Date limite de réception des candidatures : Samedi 4 septembre 2010
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CENTRE D’HISTOIRE DE LA VIGNE ET DU VIN
Bulletin de liaison
Pierre Seguin (1927-2010)
Le CHVV a perdu un de ses fidèles adhérents en la personne de Pierre Seguin, décédé le 29 avril à l’âge de
82 ans1. Celui-ci, natif de Savigny, avait géré durant de longues années la maison de négoce familiale SeguinManuel. Il suivait de près les activités et les publications de notre Centre. J’avais eu très récemment l’occasion de
converser avec lui à propos de la vie de Léonce Bocquet. Durant le long entretien téléphonique que nous avions eu, il
m’avait relaté nombre de souvenirs, que je lui avais conseillé de mettre par écrit et de recouper avec les documents
qu’il conservait. Il n’en aura hélas pas eu le temps.
Jean-Pierre Brelaud
Actualité du service de l’Animation du Patrimoine et du service des
Musées
Vous trouverez ici exceptionnellement un article commun à deux services municipaux, les Musées et
l’Animation du Patrimoine. Cet article se propose de mettre en lumière certains aspects qui seront présentés et
expliqués dans l’exposition qui a lieu du 7 mai au 9 juin 2010 dans la salle des Ambassadeurs du Musée du Vin.
Cette exposition s’inscrit dans le cadre des festivités autour des 50 ans du jumelage entre Beaune et Bensheim.
La vocation de l’exposition est de mettre en confrontation des éléments de la culture viticole bourguignonne,
à Beaune, et de celle de Bensheim, commune située dans la région viticole de la Bergstrasse, en Allemagne.
Pour la partie consacrée au vignoble de Beaune, vignoble qui nous est plus familier que celui de Bensheim et
qui est préalablement évoqué dans les collections permanentes du Musée du Vin, il a été décidé de montrer des
éléments de l’architecture viticole : celliers, cuveries, petite architecture de pierre dans les vignes… grâce à une
campagne de photographies sélective.
Il faut bien entendre par là que la campagne de photographies tout comme l’étude l’accompagnant n’ont
absolument pas un caractère exhaustif ; elles ne sont que des prémices d’une vraie recherche qui mériterait d’être
réalisée sur ces sujets. En outre, peu d’ouvrages spécialisés sur ces domaines ont été répertoriés, ce qui n’a pas
permis d’étayer suffisamment les observations faites sur place par des textes scientifiques complémentaires.
Les thèmes photographiés ont été les suivants :
les caves et entrées de caves à Beaune : une présentation globale des caves à Beaune a été entreprise, à
travers plusieurs axes d’analyse tels que la datation des caves et celliers beaunois, leur fonction, leur
agencement interne ou leur quantité ;
les maisons traditionnelles de vignerons : on évoque souvent le modèle traditionnel de la maison
vigneronne avec une montée d’escalier extérieure qui conduit à l’habitation, l’entrée des caves située audessous de cet escalier ou à proximité, une cuverie accessible souvent par une grande porte charretière…
Sur Beaune, il a été difficile de trouver des exemples probants et complets qui soient représentatifs de ce
modèle. Il faut sans doute imaginer les nombreuses transformations subies par d’anciennes maisons de
vignerons ; une recherche plus approfondie et plus exhaustive serait nécessaire, avec un appel à
contributions qui pourrait être lancé à cette occasion. Il faut enfin avoir à l’esprit les différences
architecturales qui existaient entre maisons de petits viticulteurs et maisons de plus gros propriétaires
viticoles, l’architecture de nature tant professionnelle que privée étant très souvent un élément révélateur
des disparités sociales ;
quelques exploitations viticoles emblématiques de viticulteurs-récoltants et de grandes maisons de vins :
l’idée est de montrer que la diversité des acteurs du monde du vin à Beaune se reflète dans la variété des
architectures ;
l’imbrication entre les vignes et l’espace « urbanisé » : l’exposition insistera sur les relations fortes et
anciennes entre Beaune et la culture viticole au travers notamment de photographies montrant le lien
quasi charnel entre l’espace dit « urbanisé » (habitations, constructions diverses…) et les paysages
viticoles ;
1
Le bulletin du CBEH étant déjà bouclé et imprimé, une semaine plus tôt que celui du CHVV, nous n’avons pu y annoncer le décès de Pierre
Seguin dans notre rubrique habituelle "Nos joies et nos peines".
CENTRE D’HISTOIRE DE LA VIGNE ET DU VIN
Bulletin de liaison
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l’architecture dans les vignes avec des photographies mettant en exergue quelques beaux exemples de
murets et de cabotes.
Cabote et Beaune en arrière-plan, Beaune, 2010 (photographie Ville de
Beaune)
Vignes et Beaune en arrière-plan depuis le chemin des Cras, Beaune, 2010
(photographie Ville de Beaune)
L’exposition est présentée au Musée du Vin du 7 mai au 9 juin 2010 ; elle s’accompagne d’une autre
exposition organisée par les Archives Municipales et portant sur l’histoire de ce jumelage ; en parallèle, une
exposition à la Bibliothèque Gaspard Monge centre ville a lieu du 11 mai au 10 juillet 2010 et met en avant
notamment un exceptionnel fonds allemand provenant du Contrôle Postal (censure en période de guerre) à l’issue de
la Première Guerre Mondiale.
Renseignements sur les expositions : www.beaune.fr
Bibliothèque Gaspard Monge centre ville : 03.80.24.55.71
Archives municipales : 03.80.24.56.81
Musées municipaux : 03.80.24.56.92
Laure Ménétrier,
Responsable des Musées de Beaune, avril 2010
Un nouvel instrument de travail au service de l’histoire de la vigne
et des vignerons du Moyen Âge
Nous nous permettons de signaler dans ce bulletin l’existence d’un projet collectif mené depuis neuf ans à
l’Université de Bourgogne sur l’indexation des registres du tabellionnage ducal de Dijon1.
Cette vaste opération menée sous l’impulsion du professeur Vincent Tabbagh a pour but de fournir, à terme,
les informations essentielles sur chaque acte notarié contenu dans les registres et de permettre aux chercheurs
d’accéder à ces informations à l’aide d’une base de données actuellement gérée sous Microsoft Access.
Ce projet, mené dans une démarche prosopographique, repose sur l’existence d’une imposante série
d’environ 170 registres de notaires dijonnais, datant de 1310 à 1462 et conservés aux Archives départementales de la
Côte-d’Or sous les cotes B 11221 à B 11387 bis. Il s’appuie aussi sur la bonne volonté d’étudiants de DEA puis de
M2 qui ont dépouillé chacun des centaines d’actes pour en extraire les informations utiles à l’indexation.
Actuellement, 23 registres ont été étudiés et 13 052 actes ont été analysés. Les mentions de lieux et de
personnages ont été systématiquement relevées pour chaque acte, ce qui accroît considérablement le nombre de
données disponibles. Ainsi, plus de 63 000 fiches ont déjà été créées pour les personnages. Ces fiches peuvent être
interrogées par le biais de formulaires qui permettent de les sélectionner selon des critères précis.
Ces registres de notaires livrent des quantités d’informations sur la société dijonnaise des XIV e et XVe siècles
et, bien sûr, sur le monde de la vigne et du vin.
1
Les objectifs et les grandes lignes de ce travail ont été présentées dans un article il y a quelques mois : BRELAUD (Jean-Pierre), TARBOCHEZ
(Gaëlle), « Un instrument de travail : l’indexation des registres du tabellionnage de Dijon au XV e siècle », Annales de Bourgogne, t. 80, 2008,
fasc. 1-2, p. 203-215.
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CENTRE D’HISTOIRE DE LA VIGNE ET DU VIN
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Ainsi, 881 actes, pour l’instant, contiennent des indications sur des vignes. De nombreux lieux-dits de Dijon
et des villages environnants sont cités. On apprendra ainsi l’existence d’un acte sur une vigne « en bonne Maiseau »
près de la porte Guillaume2, ou que des actes concernent des vignes à Saint-Apollinaire sur les lieux-dits en Carcaut,
Ou Champ de la Gaite, en Mont Royer, es Arbues, au Champ Saint-Jean etc. Toutefois, les informations sur les biens
fonciers n’ont pas été relevées de manière exhaustive. Il resterait en outre à harmoniser les graphies des lieux-dits,
très variables et parfois peu lisibles. Enfin, pour ne pas allonger indûment la durée de l’indexation, il a été décidé de
ne pas relever les indications de confins ni de superficie.
L’étude des vignerons peut elle aussi profiter de ce travail. 5 000 fiches de personnages renvoient à cette
profession – parfois pour un même individu cité plusieurs fois. Vu la masse de renseignements disponibles, nous
nous contenterons d’indiquer quelques pistes de recherches possibles.
Si les contrats de travail ont déjà été étudiés par Hannelore Pepke-Durix3, de nombreuses autres informations
pourraient être collectées sur le niveau de vie des vignerons. Outre de multiples baux et ventes, les registres
contiennent d’innombrables reconnaissances de dettes – plus de 1 500 – dans lesquelles des vignerons sont cités. Ils
peuvent l’être comme débiteurs ou comme créanciers. Ces reconnaissances permettent aussi d’étudier les groupes
sociaux dans lesquels les vignerons sont intégrés : qui leur prête ? auprès de qui se sont-ils engagés ? qui les
sollicite ? L’étude des réseaux dans lesquels les vignerons sont insérés peut aussi être menée en analysant la présence
des vignerons parmi les témoins des actes – qui se terminent parfois par des litanies de témoins, les mêmes d’un acte
à l’autre – ou encore dans différentes sentences d’arbitrage.
Le cadre de vie des vignerons peut être étudié, de même que l’histoire de leurs familles. Une soixantaine de
contrats de mariage peuvent ainsi être repérés4.
C’est donc un outil important pour l’étude du milieu viti-vinicole dijonnais de la fin du Moyen Âge qui est
élaboré actuellement. La richesse de ces sources documentaires est telle qu’elle permettrait de bâtir des projets
collectifs de recherche, et elle suppose en tout cas que les chercheurs s’y intéressent de manière concertée.
Les utilisateurs potentiels sont toutefois avertis du caractère incomplet et très « work in progress » de la base,
qui évolue à mesure de la création de nouvelles fiches. Le travail ne permet en outre qu’un repérage des informations
et n’offre pas une analyse en bonne et due forme de chaque acte. La consultation de la base ne se substituera pas à
l’étude des sources originales mais permettra de gagner sans doute beaucoup de temps dans l’exploitation de cellesci.
Cette base de données a été déposée aux Archives départementales de la Côte-d’Or où sont conservés les
registres originaux et leurs copies microfilmées.
Tous renseignements peuvent également être obtenus auprès du CHVV ([email protected]) ou de Jean-Pierre
Brelaud ([email protected]). Les étudiants intéressés pour indexer un – ou plusieurs ! – registres ou
relire les données déjà indexées seront accueillis avec le plus grand intérêt…
Jean-Pierre Brelaud
2
Archives départementales de la Côte-d’Or (désormais ADCO), B 11353, fol. 17. Bail du 8 novembre 1405.
PEPKE-DURIX (Hannelore), Les contacts entre la ville et la campagne aux XIVe et XVe siècles : le marché de Dijon, thèse de doctorat en histoire,
Dijon, Université de Bourgogne, 1997, p. 163-166 ; PEPKE-DURIX (Hannelore) , « Les raisins de la crise. Vignes et vin en Bourgogne aux XIV e
et XVe siècles », Cahiers d’histoire de la vigne et du vin, n° 1, 2000, p. 30.
4
Par exemple, un contrat du 13 juillet 1432 entre Jean Richon, vigneron à Dijon, et sa future femme, Simonotte, fille de feu Simonnot Molart
de Chevigny-Saint-Sauveur, sœur de Jean Molart et petite-fille d’Alix veuve de Poinssart Maul de Mer ; l’un des trois témoins est Odot
Lombart, vigneron à Dijon (ADCO B 11373, fol. 98v.).
3
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Quelques notes sur les dîmes des vignes
du finage de Beaune au Moyen Âge
La dîme est, dès les origines de l’Église, un impôt dû par tout fidèle sur un dixième de ses revenus 1. Dans une
économie médiévale fondée sur les richesses de la terre, la dîme sur le vin paraît un élément à prendre en
considération, d’une part dans nos régions viticoles, d’autre part dans une ville comme Beaune dominée au Moyen
Âge par un riche et puissant chapitre de chanoines séculiers, dont, de surcroît, les abondantes archives ont été en
grande partie conservées.
Notre étude2 se limitera aux seules dîmes portant sur les vignes du finage de Beaune. Ces dîmes sont
amodiées, affermées par le chapitre : les chanoines en confient la perception, moyennant le versement d’un loyer
annuel, payable en plusieurs termes, à un ou plusieurs individus qui devaient ensuite lever l’impôt et se rétribuer sur
les contribuables. Toutefois, les renseignements fournis sur ces amodiations nous renseignent-ils réellement sur
l’importance et l’évolution de la production des vignes beaunoises au Moyen Âge ?
Cette étude est permise par l’exploitation de trois ensembles de sources différentes mais complémentaires et
émanant du même producteur, le chapitre de la collégiale Notre-Dame de Beaune. Des documents comptables, les
comptes du cellérier, forment une longue série conservée depuis l’année 1331, malheureusement pas de manière
exhaustive3. La série ne peut être considérée comme relativement continue qu’à partir de 1375, et encore en plein
XVe siècle, des années entières ont disparu. Toutefois la période postérieure à 1401 est documentée par les registres
capitulaires4, dans lesquels ont été recopiés la plupart des contrats d’amodiation – là encore, tous n’y sont pas – tandis
que des renseignements innombrables permettent de dresser une prosopographie du clergé beaunois et donc des
amodiateurs. Enfin, quelques rares terriers dressés par les preneurs au cours de leur amodiation ont été conservés,
l’un de 1380, l’autre du milieu du XVe siècle5, les autres pour l’époque moderne.
Nous verrons tout d’abord les grands principes de cet impôt perçu par amodiation au profit du chapitre.
Cependant, cet impôt reste difficile à cerner, notamment à cause de la façon dont il est levé. En effet, à Beaune, s’il
est un impôt sur les vignes, il n’est pas forcément un impôt sur la récolte.
I)
Un impôt amodié par le chapitre
1) Un impôt ecclésiastique sur les vignes du finage de Beaune
En tant que seul curé de la ville de Beaune, le chapitre de Notre-Dame de Beaune est le destinataire attendu
des dîmes à prélever sur l’étendue du territoire paroissial. Les dîmes qui nous intéressent sont celles que les textes
appellent les ‘grandes dîmes de Beaune’, c’est-à-dire les grandes dîmes des vignes qui se trouvent sur le finage de
Beaune. Quelques sources les indiquent comme dîmes du vin – « recepta de decimis vini6 » mais la référence au
territoire de Beaune domine largement dans la documentation. Cette dîme porte donc sur les fruits de l’ensemble des
vignes se trouvant dans les limites de Beaune. L’ensemble… à l’exception des vignes appartenant à un certain
nombre d’ordres religieux qui peuvent en être exemptés. Aucune vigne appartenant aux hospitaliers de Beaune, par
exemple, n’est citée dans les terriers qui ont été conservés. Toutefois, une grande abbaye comme Cîteaux paye la
dîme sur ses vignes de Beaune, selon des modalités que nous développerons plus loin.
Quoi qu’il en soit, la superficie concernée est importante, puisque le terrier de 1380 dénombre 8 970 ouvrées,
soit environ 384 hectares, qui doivent la dîme au chapitre de Beaune7.
De ce fait, les amodiations des dîmes représentent les plus gros de tous les contrats d’affermage de biens du
chapitre. Elles s’élèvent en moyenne à 200 francs au XV e siècle, alors que la recette des cens atteint au mieux 65
francs. Le bail des dîmes des vignes de Beaune représente une transaction équivalente – même si la nature des
éléments amodiés est radicalement différente ! – à l’amodiation de l’église Saint-Pierre, seule église de la ville, la
collégiale exceptée, à être située à l’intérieur des remparts, et de ce fait centre de la plus grosse paroisse de Beaune.
1
FAVIER (Jean), « Dîme », Dictionnaire du Moyen Âge, dir. Claude Gauvard, Alain de Libera, Michel Zink, Paris, PUF, 2002, (« Quadrige »), p.
420-421 ; LEPOINTE (G.), « Dîme », Dictionnaire de droit canonique, dir. R. Naz, t. 4, Paris, Letouzey & Ané, 1949, col. 1231-1244.
2
Sur un sujet qui nous est moins familier que l’étude sociologique du clergé beaunois, cet article a profité des idées échangées avec Vincent
Tabbagh, professeur en histoire du Moyen Âge à l’Université de Bourgogne, et avec Hannelore Pepke-Durix et Thomas Labbé, docteurs en
histoire du Moyen Âge de l’Université de Bourgogne. Qu’ils soient ici remerciés pour leurs judicieuses remarques.
3
Archives départementales de la Côte-d’Or (désormais ADCO), G 2918.
4
ADCO G 2480 et suivants.
5
ADCO G 2902/107 et 108.
6
ADCO G 2918/3, fol. 31v.
7
ADCO G 2902/107. Chiffres cités dans RENAUD (Guy), Histoire de Beaune, Châtillon-sur-Chalaronne, Éditions de la Taillanderie, 2005, p. 55.
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CENTRE D’HISTOIRE DE LA VIGNE ET DU VIN
Bulletin de liaison
2) L’amodiation, un mode de levée répandu mais pas exclusif
Les dîmes des vignes du finage de Beaune sont levées par le chapitre par le biais d’une amodiation, une
pratique en effet courante à Beaune. Chaque année, un ou deux amodiateurs des dîmes, appelés aussi receveurs 8 ou
collecteurs, lèvent la dîme au nom du chapitre auquel ils ont acheté la dîme pour un nombre d’années limité et
récupèrent leur argent sur les décimables.
D’autres impôts dus à la collégiale sont affermés. Dans les comptes du cellérier, généralement dans la même
rubrique que les dîmes, apparaissent les amodiations des grands cens du chapitre. Un procédé similaire est mis en
œuvre avec les fouasses de Meursanges9. Le chapitre des chanoines met aussi en location d’une manière équivalente
les différentes églises de la ville ainsi que les quelques églises des environs unies au chapitre au XVe siècle. En effet,
simples succursales, elles ne constituent pas des paroisses à part entière et leur desservant est en fait le prêtre10 qui a
pris l’église en amodiation pour une ou plusieurs années.
À l’inverse, la levée des dîmes de vins par le biais d’une amodiation n’est, semble-t-il, pas la seule solution
retenue par le chapitre. D’autres dîmes, dans des villages environnants, sont mentionnées dans les comptes du
cellérier et versées directement par les débiteurs.
Le cas beaunois n’est pas une exception en France, de très nombreuses dîmes étant amodiées un peu
partout11. Ces amodiations font généralement l’objet d’enchères. Toutefois, aucune mention de celles-ci n’apparaît à
Beaune pour la période qui nous intéresse.
3) Une amodiation aux mains des gens du chapitre
Si le chapitre délègue la perception de cet impôt, il l’attribue toutefois à des membres de sa communauté.
L’amodiation est systématiquement confiée à des gens d’Église, membres de la communauté de Notre-Dame de
Beaune, qu’ils soient chanoines ou simples prêtres choriaux.
La perception des dîmes par les laïcs, qui a existé ailleurs, a attiré les foudres du concile de Latran IV en
121512. L’affermage à des hommes d’Église permettrait au contraire d’affirmer le caractère ecclésiastique de cet
impôt13. Surtout, l’importance des surfaces plantées en vigne laisse présager d’importantes rentrées d’argent sur
lesquelles le chapitre souhaite exercer un contrôle étroit tout en se dispensant d’effectuer lui-même les tâches
fastidieuses de perception.
Les dîmes sont affermées indifférement par des chanoines ou des prêtres choriaux. À partir de 1459, des
dîmes sont prises fréquemment par deux amodiateurs, souvent un chanoine et un prêtre, alors que de telles
associations étaient rares avant14. Le recours à deux personnes s’explique peut-être par la difficulté à réunir la somme
nécessaire ou encore par la lourdeur de la tâche. Le contrat de 1450 pour Eudes Gremelet le dispense d’assiduité à
l’église et lui permet de recevoir ses distributions pour les mois de février, mars et septembre 15. Le prêtre chorial peut
aussi suppléer un chanoine qui s’occupe de nombreuses autres tâches à la collégiale, comme l’infatigable Hugues
Chasneaul très sollicité pour la bonne gestion du chapitre. Parfois il arrive qu’une personne soit amodiateur avec
quelqu’un qui lui succédera : c’est ainsi que Jean Malard commence à s’occuper des dîmes avec Pierre Bonnefoy
avant de continuer tout seul après 1473, tandis qu’à la fin des années 1480, Jean Parigot prend à ferme les dîmes avec
Philibert Le Beaul avant de s’associer avec Humbert Vitrey, celui-ci continuant tout seul en 1494 avant le retour de
Parigot en 1501.
Ces amodiateurs sont des chanoines ou des prêtres choriaux actifs, très présents à Beaune, qui exercent de
multiples responsabilités au sein du chapitre16. La succession des contrats montre un bel exemple de complémentarité
entre les chanoines de Notre-Dame et les prêtres choriaux.
8
Ainsi Étienne Oriaul en ADCO G 2918/60, fol. 189v.
Cens dus à l’église de Beaune sur le finage de Meursanges. Par exemple, ADCO G 2482, fol. 149v., 19 décembre 1467 et G 2483, fol. 46r.,
15 novembre 1476 : amodiation à Pierre Guillemin…
10
Il peut y avoir éventuellement plusieurs prêtres, notamment à Saint-Pierre, église qui rassemble le plus grand nombre de fidèles à Beaune.
11
VIARD (Paul), Histoire de la dîme ecclésiastique dans le royaume de France aux XIIe et XIIIe siècles (1150-1313), Paris, Picard, 1912, p. 6163.
12
VIARD (Paul), Histoire de la dîme ecclésiastique dans le royaume de France au XVIe siècle, Paris, Picard, 1914, p. 13-14.
13
VIARD (Paul), op. cit. note 12, p. 102-103.
14
Quelques cas dans les années 1388-1392.
15
ADCO G 2481, fol. 238r.
16
Pour ne citer qu’un exemple, Hugues Chasneaul est à la messe Gaudri (1447-1448, 1450-1452), à la grand-messe (1449, 1457, 1461-1487),
aux Évangiles (1448-1484, 1486-1487) et aux Épîtres de celle-ci (1443-1444, 1446-1447), à la messe fondée par l’évêque d’Amiens (14631476, 1478-1479, 1482-1487), à la messe fondée par le cardinal Rolin (1470-1487) ; il exerce les offices de receveur des anniversaires (1453),
vicaire (1453-1461), organiste (1452-1463, 1465-1466, 1480-1487), cellérier (1462-1464), recteur de la fabrique (1467-1468, 1471-1472),
contrôleur du vicaire (1479), official du chapitre (1484-1487). Il prend aussi en amodiation l’église Saint-Pierre pour 5 ans en 1468 et la
seigneurie du Pasquier de Chevignerot en 1479 (BRELAUD (Jean-Pierre), Les chanoines de la collégiale Notre-Dame de Beaune au XVe siècle,
t. II, mémoire de maîtrise d’histoire sous la direction de Vincent Tabbagh, Dijon, Université de Bourgogne, 1998, notice n° 72).
9
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Toutefois, les nombreux renseignements disponibles sur les amodiateurs et leur carrière ne doivent pas faire
illusion. Malgré l’importance des sources, les dîmes en elles-mêmes restent mal connues.
II)
Un impôt difficile à cerner
1) Des sources lacunaires et contradictoires
Comme nous l’avons évoqué plus haut, trois grandes séries de documents existent sur le sujet. Il est possible
de croiser les sources à partir de 1407, date du premier contrat d’amodiation conservé. Malgré tout, pour certaines
années, comme 1457, 1465 et 1466, aucune information n’a pu être retrouvée. Les terriers sont trop peu nombreux
pour permettre d’apprécier une évolution dans le temps, d’autant qu’ils pouvaient être réutilisés pendant plusieurs
amodiations. Si le terrier de 1380 est relativement propre, le suivant est parsemé de très nombreuses corrections dans
les noms des tenanciers, d’ajouts divers, tout cela de manière peu lisible et bien sûr non datée. Les comptes du
cellérier et les contrats transcrits dans les registres capitulaires constituent donc bien les deux ensembles les plus
utiles pour notre sujet.
Toutefois, la concordance entre ces deux séries de sources n’est pas parfaite. Des divergences subsistent,
notamment en raison du décalage entre le début de l’année comptable du chapitre – tous les comptes débutent et
finissent à l’Ascension – et le début de l’amodiation qui, selon les contrats, prend effet en janvier, en décembre ou
encore aux vendanges17. D’autre part, certains contrats sont interrompus prématurement et la comptabilité peut en
être perturbée. Ainsi en 1382-1383, une liste de dîmes non perçues de l’année précédente est dressée par le nouveau
cellérier Pierre de Lerbe qui prend la suite de Stephanus de Flaigeyo, ancien cellérier et collecteur des dîmes, parti à
Besançon18. Enfin, des comptes mentionnent la moitié ou le tiers de la somme théoriquement attendue ou, à l’inverse,
le cellérier comptabilise le versement de 300 livres là où on en attend seulement 20019, pour une raison que l’on
ignore.
Ce qui suggère d’autres problèmes : d’une part, les dîmes du chapitre ne sont connues qu’à travers la
redevance versée au chapitre par le preneur, d’autre part ces amodiations tendent à se répéter dans les mêmes
conditions chaque année.
2) Un impôt réduit à un simple versement d’argent ?
Les contrats offrent somme toute peu de renseignements. Ils donnent les noms et qualités du preneur, la durée
et le prix de l’amodiation. Ils mentionnent l’obligation de mettre à jour le terrier de toutes les « vignes et plantes » se
trouvant sur le finage de Beaune ou plus souvent d’en faire un nouveau avec « les nouveaulx confins et
tenementiers ». Enfin il est rappelé au preneur de rendre au chapitre tous les papiers qui concernent les dîmes à la fin
de son amodiation.
Toutefois, dans les contrats ou les comptes, le seul chiffre disponible chaque année – et encore… – est le
montant de l’amodiation. Les sources conservées ne nous livrent pas de somme réellement perçue par l’amodiateur
mais seulement ce qu’il verse au chapitre. Les frais éventuels occasionnés par nos amodiations ne sont pas indiqués,
à l’inverse de celles des dîmes de Pommard pour lesquelles ils sont parfois minutieusement décrits20. Du moment que
le chapitre met en amodiation, seul compte pour lui le résultat final, pas les moyens engagés par l’amodiateur.
On ne peut donc pas savoir si tous les décimables s’acquittent de leur impôt et si l’amodiateur réalise un
bénéfice. Des sommes non perçues sont signalées dans les années 1330 mais difficiles à attribuer à une année ou une
autre et aucun élément ne vient expliquer les raisons de l’absence de paiement. Certaines de ces sommes de
« deffectus » sont répétées d’année en année, ainsi 39 sous 8 deniers du temps de « Girardus » qui doit correspondre
à Girardus de Choiseyo, cellérier et sans doute amodiateur des dîmes en l’année 1330. Quelques comptes du XIV e
siècle se terminent par des listes de gens qui doivent les dîmes sur leurs vignes. D’autre part, certains « deffectus » du
cellérier correspondent à des sommes finalement perçues par le chapitre. À la fin du XVe siècle, le montant des dîmes
est, presque chaque année, reporté en intégralité dans la partie « Deffectus » du compte. En fait, l’amodiateur a versé
directement le montant de son amodiation dans la caisse du chapitre et pas dans celle du cellérier qui signale ce
manque à gagner pour lui21.
17
Aux vendanges, par exemple : ADCO G 2483, fol. 162r., 212r…
ADCO G 2918/21, fol. 117r. HOURS (Henri), Fasti ecclesiae gallicanae, t. 4 : Diocèse de Besançon, Turnhout, Brepols, 1999, p. 221,
mentionne un Stephanus de Flageyo (n° 284), chanoine de Besançon entre 1375 et 1383, qui pourrait être le cellérier beaunois.
19
Exemples : ADCO G 2918/77, fol. 220v. (année 1450) ; en 1442 le compte indique 300 livres au lieu de 200 selon les termes de l’amodiation
conclue en début d’année (ADCO G 2481, fol. 106v., G 2918/69, fol. 11r.).
20
ADCO G 2918/50 fol. 40v.-41r.
21
Ainsi en 1487-1488 : « Item dixi me recepisse a magistro Philiberto Le Beau et domino Johanne Parigoti pro admodiacione decimarum
vinearum Belne IXXX X francos quos non recepi sed capitulum recepit, sic in deffectus IXXX X fr. » (ADCO G 2918/109, fol. 164v.).
18
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Les chanoines délèguent totalement la perception des dîmes à ceux qui veulent bien s’en charger, le cellérier
ne consigne dans ses comptes que le versement correspondant à l’amodiation, un versement marqué, sur le long
terme, par une certaine stabilité.
3) Des fluctuations limitées
Amodiations des dîmes des vignes du finage de Beaune (1332-1520)
350
300
Montant (livres tournois)
250
200
150
100
50
13
3
13 0
3
13 5
4
13 0
4
13 5
5
13 0
5
13 5
6
13 0
6
13 5
7
13 0
75
13
8
13 0
8
13 5
9
13 0
9
14 5
0
14 0
0
14 5
1
14 0
15
14
2
14 0
2
14 5
3
14 0
3
14 5
4
14 0
4
14 5
5
14 0
5
14 5
6
14 0
6
14 5
70
14
7
14 5
8
14 0
8
14 5
9
14 0
9
15 5
0
15 0
0
15 5
10
15
15
0
Année
Montant (livres tournois)
Moy. mobile sur 10 pér. (Montant (livres tournois))
Figure 1. Évolution du montant des amodiations des grandes dîmes des vignes du finage de Beaune (XIVe-XVIe siècles).
La rareté de la documentation limite l’intérêt et la pertinence des données antérieures à 1375.
Le relevé des sommes versées, en livres tournois, par les amodiateurs des dîmes montre, après de très
grandes irrégularités au XIVe siècle, une stabilisation progressive entre 160 et 200 francs annuels au XV e siècle avant
une lente décroissance après 1505. Dans la seconde moitié du XVe siècle, les seuls accidents proviennent d’années où
les montants sont égaux à la moitié ou au tiers du montant habituel : cela correspond à l’inscription d’un seul terme
de paiement dans les comptes, les autres ayant été visiblement oubliés. Si l’on s’en tient aux seuls contrats, des
sommes voisines se retrouvent sur près d’un siècle. Même les troubles liés à la résistance de Beaune contre Louis XI
en 147822 ne semblent pas avoir durement atteint la perception de cet impôt, même si l’amodiation de 1479 à Jean
Malard prévoit une éventuelle déduction en cas de ravages de guerre23.
La stabilité de l’amodiation des dîmes au XVe siècle contraste avec les fluctuations des autres fermes. Ainsi,
la recette des cens est baillée à un prix variant entre 16 et 65 francs au XV e siècle, le maximum étant atteint en 1419
et le montant ne cessant de décroître ensuite pour atteindre 18 francs dans un bail de 1498.
L’impression de stabilité est encore renforcée par la longueur des contrats, qui tend à augmenter au cours du
XVe siècle24. De trois ans au début du siècle, elle atteint le plus souvent six ans entre 1468 et 1501, avant un retour à
des contrats plus courts au début du XVI e siècle. On retrouve un allongement de la durée des contrats pour les
succursales du chapitre : le phénomène est très net pour l’église Saint-Martin après 1482 – deux contrats de dix ans –
pour l’église de Pommard, presque toujours amodiée à six ans après 1466, pour Saint-Aubin systématiquement
affermée à six ans à partir de 1463, après son union au chapitre25. Pour la levée des cens également, les années 14651477 voient l’adoption de baux de six ans avant un retour à trois ans. Faut-il voir un lien avec une stabilité des
22
RENAUD (Guy), op. cit. note 7, p. 45-46.
G 2483, fol. 76r., 3 mars 1479.
24
Faute de contrats pour le XIV e siècle, nous pouvons tout au plus remarquer la présence des mêmes noms sur plusieurs années – dans les rares
cas où plusieurs comptes se suivent – et parfois le retour de certains anciens amodiateurs, comme Symon Noirot d’Argilly, amodiateur entre
1377 et 1379 et à nouveau en 1388 (G 2918/17, 18, et 27).
25
Pour plus de commodité, on pourra se reporter pour ces succursales à la rubrique que leur a consacrées, pour chaque registre capitulaire,
l’archiviste Ferdinand Claudon dans son remarquable inventaire du fonds de Notre-Dame (CLAUDON (Ferdinand), Inventaire sommaire des
Archives départementales antérieures à 1790. Côte-d’Or. Archives ecclésiastiques. Série G. – Clergé séculier, t. III, Dijon, Jobard, 1926).
L’allongement de la durée des amodiations est moins net pour les autres églises, notamment dans les années qui suivent 1478 et la dévastation
des faubourgs de Beaune.
23
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revenus du chapitre et une certaine prospérité, qui permet des baux longs et sans doute avantageux pour les
preneurs ?
Ainsi, les dîmes des vignes de Beaune semblent reposer sur le versement d’une somme d’argent bien définie
au chapitre. L’incertitude des récoltes et les aléas de la conjoncture économique ou politique peuvent difficilement
être cernés. Ces risques semblent même combattus par le chapitre par divers moyens.
III)
Un impôt sur les vignes sans lien avec la récolte ?
1) Garantir les ressources
Les contrats d’amodiation permettent un lissage des revenus sur plusieurs années. Une bonne année peut
facilement en compenser une mauvaise. On peut ainsi éviter les fluctuations pour le chapitre comme pour le preneur
et le système mis en place par le chapitre est donc une façon de garantir les revenus pour tous.
La communauté s’entoure de multiples précautions pour s’assurer les versements prévus par les contrats. Le
chapitre exige à plusieurs reprises des preneurs qu’ils fournissent des cautions ou ploiges26. D’autre part, la
perception est toujours mise entre les mains de gens du chapitre qui constituent donc des gens de confiance. Elles ne
sont pas confiées à n’importe qui : par exemple, Pierre Bonnefoy, avant de s’occuper des dîmes en 1468 – et encore,
en commun avec Jean Malard – est chapelain à Notre-Dame depuis 1464, a déjà été receveur de la confrérie en 1468
et il est aussi le neveu d’Eudes Damotet, prêtre chorial très dévoué envers le chapitre. Tous ceux qui prennent les
dîmes sont déjà bien connus avant leur amodiation comme chanoines, chapelains ou simples choriaux et ont déjà
détenu des responsabilités au sein du chapitre. Certains d’entre eux, qui ont déjà eu une belle carrière, meurent
d’ailleurs avant d’avoir achevé leur contrat. Ainsi, Jean Malard, reçu à l’habit de l’église en 1462, et qui avait pris les
dîmes pour 6 ans en 1479, est remplacé dès 1482 par Hugues Chasneaul suite à son décès27.
Les preneurs sont très dévoués envers le chapitre collégial et en retour bénéficient de la confiance de celui-ci,
certains contrats étant reconduits avec les mêmes – ce qui accentue encore le sentiment de continuité. Ainsi le
chanoine Hugues Morin, amodiateur des dîmes en 1418, les prend encore en 1432 pour 3 ans, en 1445 et 1447 pour 3
ans ; le prêtre chorial Jean Malard est, seul ou avec un autre, amodiateur des dîmes entre 1469 et 1481. Le chorial
Eudes Grillot, à la charnière des XIVe et XVe siècles, ou le chanoine Hugues Chasneaul dans les années 1460, sont
aussi des amodiateurs zélés. Très rares sont ceux qui ne terminent pas leur contrat, soit qu’ils meurent en charge soit
que de rares contrats aient été annulés28.
2) Une pratique ancienne ( ?) : le forfait à l’ouvrée
La permanence relative du montant de l’amodiation soulève quelques questions. Les chiffres ne sont bien
évidemment pas liés à l’importance des produits levés, qui doivent fluctuer en fonction de la récolte ou du prix du
marché. Le montant de l’amodiation est donc le résultat d’un calcul. L’hypothèse d’un taux fixé selon une production
moyenne attendue et donc d’un gain prévisible a été évoquée. Un compte de 1387 apporte une réponse : les sommes
à payer par les preneurs sont fixées en fonction de la surface, au prix de huit deniers par ouvrée 29. On retrouve ce taux
dans le terrier du milieu du XVe siècle, où on le considère comme une pratique déjà ancienne 30. Il ne nous est pas
possible cependant de savoir à quelle époque et dans quelles circonstances il a été fixé.
Ceci peut expliquer l’absence d’enchères pour la prise du contrat : le prix a été fixé une bonne fois pour
toutes et n’est susceptible que d’ajustements marginaux. Ce forfait ne tient pas compte des récoltes ni du prix du
marché… si tant est que la production soit destinée à la vente.
Un seul forfait par ouvrée est indiqué, ce qui sous-entend qu’il est le même quelle que soit la localisation de
la vigne sur Beaune, au sommet de la Côte ou dans la plaine, et quelle que soit la qualité du vin qui y est produite. De
même, cet unique forfait ne tient pas compte des densités de plantation et des rendements différents qui devaient
exister d’une parcelle à l’autre. Tout semble suggérer une moyenne qui s’affranchirait de l’éparpillement des
parcelles sur des terres plus ou moins favorables.
26
Ainsi en 1450, Johannes Morini et Johannes Baudi se constituent ploiges d’Eudes Gremelet (ADCO G 2481, fol. 238r.).
ADCO G 2483, fol. 118r.
28
Un seul exemple recensé pour l’instant : le chanoine Alexandre Thibaudet, remplacé au bout d’un an au lieu de trois pour une raison
inconnue. L’acte est d’ailleurs biffé (ADCO G 2480, fol. 157v.).
29
« Secuuntur recepte de decimis vinearum anni millesimi trecentesimi octuagesimi septimi per dictum celerarium receptarum et
admodiatarum a dominis meis hoc anno videlicet pro qualibet operata existente in finagio Belne octo denarii monete currentis et est summa
admodia[cione] XIIXX libr… » (ADCO G 2918/26, fol. 194r., année 1387). Par un rapide calcul, on en déduit qu’en 1387, le chapitre perçoit
la dîme sur 7 200 ouvrées et on rejoint les chiffres évoqués plus haut (RENAUD (Guy), op. cit. note 7, p. 55).
30
ADCO G 2902/108, fol. 1r.
27
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3) Des accords particuliers
Une transaction similaire, prévoyant le versement d’une somme identique chaque année, au terme d’un
accord ave le chapitre, existe pour au moins deux gros décimables possédant d’appréciables surfaces en vigne sur le
territoire de Beaune.
En vertu d’un accord conclu en décembre 1287 entre le chapitre de la collégiale et l’abbé Thibault, l’abbaye
de Cîteaux reconnaît devoir au chapitre chaque année quatre muids de vin et demi et 4 livres 10 sous viennois pour la
dîme des 23 vignes qu’elle possède sur le finage de Beaune31. Le paiement de cette dîme est justifiée par la collégiale
qui réclame ces dîmes au nom de la paroisse de Beaune. Cîteaux promet également de payer la dîme sur des vignes
qu’elle acquérrait postérieurement sur le finage de Beaune. Ces 4 muids et demi et ces 4 livres 10 sous se retrouvent
bien dans différents comptes du cellérier, dans une autre rubrique que l’amodiation des grandes dîmes32.
Un accord similaire est conclu entre le chapitre et la chartreuse de Beaune le 24 janvier 1352. Les chanoines
soutiennent avoir le droit de lever la dîme sur les terres, prés, jardins et animaux des religieux se trouvant sur le
territoire paroissial de Beaune ; à l’inverse les chartreux prétendent en être exempts, par le droit commun comme en
vertu de privilèges pontificaux accordés à l’ordre et à leur maison de Beaune. Ils invoquent également un accord
ancien conclu entre le chapitre et l’établissement cistercien qui préexistait à la fondation de la chartreuse. Toujours
est-il qu’en 1352, ‘pour le bien de paix et l’évidente utilité desdites églises’ – et sans doute car la chartreuse n’est pas
en mesure de lutter contre les redoutables chanoines – les disciples de saint Bruno promettent de payer, en ce qui
concerne les vignes, 50 sous pour les 67,5 ouvrées qu’ils possèdent, à la mi-carême, « in tempore solucionis
decimarum vinorum »33. Ils promettent aussi de payer la dîme sur les biens fonciers acquis après cet accord34.
Il est possible que d’autres accords aient été négociés après 1352. En 1380, le terrier des dîmes indique que
les chartreux doivent 4 livres 12 sous 8 deniers tournois35. Dans le terrier du milieu du XVe siècle, on distingue 4
livres dues « ab antiquo » des 12 sous 8 deniers dus « postmodo pro alia composicione », à cause d’un accord
ultérieur – on remarquera dans tous les cas que les sommes ne concordent pas avec les 50 sous de l’accord de 1352…
–, tandis qu’une liste de vignes, pour un total 159 ouvrées, est indiquée à la suite, hors des accords évoqués
auparavant. Ces parcelles doivent apparemment la dîme comme les autres vignes du finage, à savoir 8 deniers par
ouvrée. Elles correspondent sans doute à des dons faits à la chartreuse ou à des achats qu’elle a réalisés au cours du
XVe siècle et qui n’ont pas été intégrés aux accords, contrairement à ce qui était prévu en 135236.
Des accords similaires pour les autres grands établissements réguliers ayant des vignes sur Beaune ont pu
exister, comme le montre une somme de 4 livres 17 sous due par l’abbaye de la Ferté et qui revient souvent dans les
comptes.
Ainsi, un ensemble de sources nous renseigne sur la perception des dîmes des vignes du finage de Beaune,
sur les contrats et les contractants et sur les liens très étroits qu’ils entretiennent avec le chapitre. Elles fournissent des
informations supplémentaires sur un petit groupe de chanoines ou de choriaux bien connu par ailleurs et très dévoué.
Cependant, estimées par rapport à la surface, les amodiations ne nous apprennent rien sur les volumes récoltés ni les
rendements ni les prix de vente ni la rentabilité de l’opération… Au contraire, tout est fait pour gommer les
fluctuations et fournir au chapitre des ressources faciles à prévoir. Cela s’accompagne de la mise en place d’accords
dont nous avons gardé quelques exemples et par lesquels le plus gros propriétaire foncier de la ville exerce une
domination sur les autres établissements religieux.
Il reste à espérer que les – rares – fluctuations observées puissent être expliquées après une étude plus
générale de l’économie beaunoise du Moyen Âge. Les pratiques d’autres communautés religieuses, séculières ou
régulières, qui auraient conservé de semblables contrats d’amodiation, pourraient fournir d’utiles comparaisons.
Enfin, si nos sources ne permettent pas d’appréhender les volumes récoltés sur le territoire de Beaune, les
terriers des dîmes fournissent d’appréciables renseignements sur la répartition, l’étendue et la propriété des vignes,
qui feront l’objet d’une prochaine étude.
31
ADCO G 2908 (cartulaire 92), fol. 257v.-258r., article 770, décembre 1287. La superficie de ces vignes n’est pas précisée.
Par exemple : ADCO G 2918/28, fol. 2r., 44r. ; G 2918/29, fol. 111r. ; G 2918/86, fol. 2r. ; G 2918/87, fol. 57r…
33
Ce qui fait quasiment 8 deniers par ouvrée.
34
ADCO G 2908 (cartulaire 92), fol. 258v.-259v., article 771, 24 janvier 1352. Ils promettent d’abandonner au chapitre le quart du prix des lits
mortuaires des paroissiens de Beaune enterrés à la chartreuse, et le quart des offrandes faites à cette occasion, sauf accord entre la famille et le
chapitre.
35
La chartreuse est indiquée dans les terriers des grandes dîmes et donc les sommes conclues par accord avec le chapitre sont retenues dans le
calcul du total de ces dîmes. L’établissement figure dans les forains en 1380 et dans la paroisse Notre-Dame au XV e siècle – alors qu’il en est
plutôt éloigné géographiquement !
36
L’étude approfondie du fonds de la chartreuse (pour l’essentiel ADCO 47 H), en particulier de ses cartulaires, permettrait peut-être d’y
répondre en proposant une reconstitution de la formation du temporel de cet établissement.
32
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