Le tore non commutatif et sa K

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Le tore non commutatif et sa K-théorie
Antoine J ULIEN
sous la direction de Saad BAAJ
30 novembre 2005
Ce rapport a été rédigé lors d’un stage de fin de M1 dans le cadre du magistère de l’ÉNS de Lyon. Ce
stage, effectué à Clermont-Ferrand sous la direction de Saad Baaj, et portait sur Le tore non commutatif et
sa K-théorie.
Cet exposé est principalement basé sur le livre de Niels Wegge-Olsen : [1] : K-theory and C ∗ -algebras.
Il est constitué de trois parties et d’appendices. Tout a été fait pour que les trois parties principales forment
un tout cohérent : la lecture des appendices est facultative pour leur comprehension. Notamment, la partie
sur la K-théorie est aussi succinte que possible, et se limite à donner les idées et les résultats utiles dans
l’étude du tore non commutatif. Une approche un peu plus détaillée à l’intention du lecteur curieux se
trouve en appendice.
Table des matières
1 L’algèbre Aθ : construction et premiers résultats
1.1 Définition et construction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.2 Simplicité de Aθ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1.3 Projecteurs de Aθ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2
2
4
6
2 Un bref aperçu de la K-théorie des C ∗ -algèbres
2.1 Idée de la K-théorie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.2 Le groupe K0 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
7
7
8
3 La suite exacte de Pimsner–Voiculescu en K-théorie ; applications à Aθ
3.1 Aθ comme produit croisé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.2 Enoncé du théorème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3.3 La K-théorie de Aθ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
9
9
9
9
A Quelques résultats supplémentaires de K-théorie, description du groupe K1 ,
dice, périodicité de Bott
A.1 Définition de K1 , et propriétés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
A.2 Application indice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
A.3 Périodicité de Bott . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
B Lien entre K-théorie et théorie classique de l’indice
1
application in. . . . . . . .
. . . . . . . .
. . . . . . . .
11
11
12
13
14
Introduction
Nous allons exposer dans ce court rapport quelques résultats sur une C ∗ -algèbre particulière : l’algèbre
de rotation Aθ ou tore non commutatif. Il s’agit de la C ∗ -algèbre universelle engendrée par deux unitaires
qui ne commutent pas, mais sont liés par une relation dépendant de θ. Dans le cas où ils commutent, cette
algèbre n’est rien d’autre que l’algèbre des fonctions continues sur le tore, d’où le nom donné à A θ . Cette
algèbre est remarquable sur plusieurs points : elle est simple, possède une trace unique. Historiquement,
on avait pensé qu’elle pourrait fournir un exemple de C ∗ -algèbre simple et sans projecteurs, mais Rieffel a
construit pour Aθ des projecteurs non triviaux, cf. [4]. L’étude de cette algèbre sera l’occasion d’explorer
la K-théorie des C ∗ -algèbres, et notamment les traveaux de Pimsner et Voiculescu sur la K-théorie des
produits croisés, que nous appliquerons à Aθ .
Remarque 0.1. Rappelons qu’une C ∗ -algèbre est une algèbre de Banach involutive, dont la norme vérifie
kx∗ xk = kxk2 . On peut de manière équivalente considérer qu’il s’agit d’une sous-algèbre involutive fermée
(pour la norme) de l’espace B (H) des opérateurs bornés sur un certain espace de Hilbert H. La théorie
générale des C ∗ -algèbres – que nous ne développerons pas ici – garantit que ces deux définitions sont
équivalentes (via la représentation GNS), et autorise le calcul fonctionnel continu sur les éléments normaux
– i.e. commutant à leur adjoint. On pourra se référer aux premiers chapitres de Dixmier ([2]) pour les
questions concernant la théorie générale des C ∗ -algèbres, ou à [3] pour un aperçu plus succint, mais aussi
plus rapide et plus accessible.
1 L’algèbre Aθ : construction et premiers résultats
Objectif
Nous allons construire une C ∗ -algèbre particulière : l’algèbre de rotation Aθ , où θ ∈ R. Cette algèbre
sera particulièrement intéressante lorsque θ est irrationnel : nous prouverons que dans ce cas, elle est simple
et possède une trace unique. Nous montrerons aussi l’existence d’une classe de projecteurs : les projecteurs
de Rieffel.
1.1 Définition et construction
Aθ est fondamentalement la C ∗ -algèbre universelle engendrée par deux éléments u et v vérifiant :
uu∗ = u∗ u = 1
vv∗ = v∗ v = 1
vu = e2iπθ uv
(1.1.1)
On peut se limiter au cas où θ ∈ [0, 1].
Nous décrirons la construction de Aθ comme C∗ -algèbre universelle, mais tout d’abord, donnons un
exemple d’algèbre vérifiant les relations ci-dessus.
Un premier exemple de réalisation d’une telle algèbre
Donnons une représentation de Aθ , pour s’en faire une idée. Cette représentation ne sera fidèle que
lorsque θ sera irrationnel, comme nous le démontrerons par la suite.
On considère C(S1 ) l’algèbre des fonctions continues sur le cercle, à valeurs dans C, munies de la
norme infinie, et on définit H := L2 (S1 ), l’espace de Hilbert des fonctions de carré intégrable sur le cercle.
On représente fidèlement les fonctions continues via l’opération de multiplication d’une fonction L 2 par
une fonction continue :
π : C(S1 ) −→ B (H)
f
7−→ M f : g 7→ f g
2
On appelle A l’image fermée de C(S1 ) par π. Soit ϕ la fonction définie sur le cercle par ϕ(z) = e2iπθ z.
On définit alors l’opérateur de rotation :
Rθ : H
f
−→ H
7−→ f ◦ ϕ
Il s’agit d’un opérateur unitaire sur H (il est bien défini modulo l’égalité presque partout), et son d’adjoint est R−θ .
On considère la sous-*-algèbre B fermée dans B (H) engendrée par A et l’unitaire R θ . On a l’égalité
suivante, qui traduit la structure de produit croisé de cette algèbre (voir 3) :
Rθ M f R∗θ = M f ◦ϕ
(1.1.2)
En particulier, pour f = id, on a Mid Rθ = e−2iπθ Rθ Mid . De plus, comme les polynômes trigonometriques
∗ =
sont denses dans les fonctions continues sur S 1 , B est engendrée par Mid et Rθ , qui sont unitaires (Mid
Mid ). L’algèbre B vérifie alors les conditions définissant Aθ avec u = Mid et v = Rθ . Voyons de quelle forme
sont les éléments de B.
Proposition 1.1. Tout élément de B peut s’écrire comme limite d’une somme finie d’éléments de la forme
M f Rnθ , où f ∈ C(S1 ) et n ∈ Z.
Démonstration. Soit B0 l’ensemble des éléments de la forme donnée ci-dessus. Montrons que B 0 est une
algèbre involutive, comme elle contient Mid et Rθ , elle sera dense dans B. B0 est de manière évidente un
espace vectoriel (car λM f = Mλ f ), il suffit donc de vérifier que l’adjoint (resp. le produit) de deux éléments
de B0 reste dans B0 , mais par linéarité (resp. par distributivité), il suffit de le vérifier pour des éléments de
la forme M f Rnθ . Le résultat est alors donné par (1.1.2) et le fait que (Rnθ )∗ = R−n
θ .
Construction en tant que C ∗ -algèbre universelle
On veut construire la C ∗ -algèbre universelle à élément unité engendrée par deux éléments u et v vérifiant
les relations (1.1.1). Par universelle, on entend qui soit la solution d’un certain problème universel, qu’on
précisera par la suite. Construisons cette algèbre.
On considère l’algèbre involutive à élément unité Chu, v, u∗ , v∗ i des polynômes à quatre variables non
commutatives. On note Aθ0 l’algèbre obtenue par passage au quotient par l’idéal bilatère involutif engendré
par les éléments :

 uu∗ − 1 ; u∗ u − 1
vv∗ − 1 ; v∗ v − 1

vu − e2iπθuv
Alors Aθ0 est une ∗-algèbre à élément unité vérifiant la propriété universelle suivante :
Proposition 1.2. Soit C0 une algèbre involutive à élément unité contenant deux unitaires u 0 et v0 , tels que
v0 u0 = e2iπθ u0 v0 . Alors on a un morphisme :
Φ0 : Aθ0
u
v
−→ C0
7−→ u0
7−→ v0
Pour obtenir une C ∗ -algèbre, il faut munir Aθ0 d’une C∗ -semi-norme, la séparer et la compléter pour
cette norme, tout en faisant attention à ce que la propriété universelle soit préservée. Pour celà, on considère
l’ensemble Γ des couples (H, π) tels que π est une représentation de A θ0 dans l’espace de Hilbert H. On
munit alors Aθ0 de la semi-norme :
kxk := sup kπ(x)kL (H) ; (H, π) ∈ Γ
Cette quantité est bien définie, car on a exhibé une représentation, donc Γ est non vide d’une part,
et d’autre part, π(u) et π(v) étant des unitaires pour toute représentation π, ils sont de norme 1, donc la
3
quantité kxk est finie pour tout x. De plus, on a clairement kx∗ xk = kxk2 . On quotiente maintenant A0θ par
le sous-espace suivant, pour obtenir une norme :
N := x ∈ Aθ0 ; ∀(H, π) ∈ Γ π(x) = 0
On note Aθ le séparé-complété pour la semi-norme définie ci-dessus du quotient A θ0 /N . Cet espace est
une C∗ -algèbre à élément unité, non triviale (puisqu’on a exhibé une représentation non triviale ci-dessus),
qui vérifie la propriété universelle suivante :
Proposition 1.3. Soit C une C ∗ -algèbre à unité contentant deux unitaires u0 et v0 vérifiant les relations
(1.1.1). Alors il existe un unique morphisme de C ∗ -algèbres unifère ϕ : Aθ → C, tel que ϕ(u) = u0 et
ϕ(v) = v0 .
Démonstration. Soit π une représentation isométrique de C dans B (H), où H est un espace de Hilbert.
0
Une telle représentation existe toujours, par la théorie générale desC ∗ -algèbres.
Alors
0 π ◦ Φ est une re0
0
présentation de Aθ , et par définition de la norme sur Aθ , on a kxk ≥ π ◦ Φ (x) = Φ (x) . Donc on peut
prolonger Φ0 par continuité.
On en conclut que toute C ∗ -algèbre vérifiant cette propriété universelle est isomorphe à Aθ , et donc
l’unicité à isomorphisme près de Aθ .
1.2 Simplicité de Aθ
A partir de maintenant, θ sera un nombre irrationnel. On peut supposer que θ ∈ [0, 1].
Action du tore sur Aθ
Soit (λ, µ) ∈ S1 × S1. On a (λu)(µv) = e2iπθ (µv)(λu), donc par propriété universelle, il existe un morphisme continu de C ∗ -algèbres :
αλ,µ : Aθ −→ Aθ
u 7−→ λu
v 7−→ λv
On a immédiatement que αλ,µ ◦ αλ0 ,µ0 = αλλ0 ,µµ0 . En particulier, αλ,µ ◦ αλ,µ = αλ,µ ◦ αλ,µ = idAθ , donc pour
tout (λ, µ), αλ,µ ∈ Aut(Aθ ). De plus, αλ,µ est une isométrie pour tout (λ, µ).
Proposition 1.4. Pour tout x ∈ Aθ , l’application (λ, µ) 7→ αλ,µ (x) est continue.
Démonstration. Il suffit de montrer que l’application est continue en (1, 1). Montrons qu’il suffit aussi de
le montrer pour x dans un sous-ensemble total S de Aθ . En effet, par linéarité, on peut supposer que S est
dense. Mais alors soit x ∈ Aθ , soit x0 ∈ S tel que x − x0 ≤ ε, on a :
x − αλ,µ (x) = (x − x0 ) − αλ,µ(x − x0 ) + x0 − αλ,µ (x0 ) ≤ ε + ε + ε
dès que (λ, µ) est assez proche de (1, 1), par hypothèse, et car α λ,µ est isométrique.
Reste donc à prouver la continuité pour un ensemble total. Mais en calquant la démonstration de la
proposition (1.1), on montre que tout élément de Aθ0 est une somme finie d’éléments de la forme un vm ,
pour n, m ∈ Z, donc ces éléments forment un système total dans A θ . Mais la continuité de αλ,µ sur ces
éléments est exactement la continuité de la multiplication par un scalaire dans A θ , donc la preuve est
finie.
Proposition 1.5 (Remarque fondamentale). Si (λ, µ) est de la forme (e2inπθ , e2imπθ ), où n, m ∈ Z, alors
αλ,µ est un automorphisme intérieur, plus précisément :
∗
αλ,µ (x) = u−m vn x u−m vn
Notons que comme on a supposé θ irrationnel, αλ,µ est intérieur pour (λ, µ) dense dans S1 × S1.
Démonstration. On vérifie pour x = u et x = v, puis comme αλ,µ est un morphisme d’algèbre, on a la
propriété pour x ∈ Aθ0 , et par densité, pour tout x ∈ Aθ .
4
Trace sur Aθ
On définit l’application linéaire suivante :
E(x) :=
ZZ
S1 ×S1
αλ,µ (x)dλdµ
dλdµ désigne la mesure de Lebesgue normalisée sur le tore S 1 × S1.
Proposition 1.6. E est une application bien définie, continue de A θ dans Aθ . De plus, E est à valeurs dans
C.1Aθ .
Démonstration. E est bien définie, l’intégrale est en effet absolument convergente, car :
ZZ
S1 ×S1
ZZ
αλ,µ (x) dλdµ =
S1 ×S1
kxk dλdµ = kxk
L’égalité ci-dessus montre même que E est bornée, donc continue (étant linéaire). Montrons que E a pour
image C.1 : il suffit de le montrer pour un ensemble total, car E −1 (C.1) est un sous-espace vectoriel fermé
de Aθ . Mais pour les éléments de la forme un vm , c’est immédiat, cela vaut même δ(m,n),(0,0) .
Définition 1.7. On définit τθ par :
E(x) = τθ (x).1
Proposition 1.8. τθ est une trace positive, fidèle (i.e. τθ (x∗ x) = 0 ⇒ x = 0), normalisée (i.e. τθ (1) = 1 =
kτθ k). De plus, c’est l’unique trace continue normalisée sur Aθ .
Démonstration. τθ est une forme linéaire continue, de norme inférieure à 1, et de norme 1, puisque τ θ (1) =
1.
2
Montrons que τθ est positive : soit y ∈ Aθ0 , on peut écrire y = ∑ yi, j ui v j , on a τθ (y∗ y) = ∑ yi, j ≥ 0.
Par densité, τθ est positive. On prouve de même que τθ est une trace : on vérifie sur les éléments de Aθ0 , et
on conclut par densité.
Montrons que τθ est fidèle : on considère x 6= 0, f une f.l.c. positive sur Aθ telle que f (1) = 1 et
f (x∗ x) > 0. Alors on a :
τθ (x∗ x) = τθ (x∗ x) f (1) = f (E(x∗ x)) =
ZZ
S1 ×S1
f (αλ,µ (x∗ x))dλdµ > 0
Cela implique alors τθ (x∗ x) > 0.
Montrons qu’on a unicité de τθ : soit τ une autre trace normalisée, on a τ(x) = τ(axa−1 ) pour tout
a ∈ Aθ . Donc, par (1.5), on a :
τ(x) = τ(αλ,µ (x))
(1.2.3)
pour (λ, µ) dans un sous-ensemble dense de S 1 × S1 (rappelons qu’on suppose θ irrationnel). Par continuité
de (λ, µ) 7→ αλ,µ (x), (1.2.3) est vrai pour tout (λ, µ) ∈ S 1 × S1. On a donc, comme on a normalisé la mesure
sur S1 × S1 :
τ(x) = τ(αλ,µ (x)) = τ(E(x)) = τ(τθ (x)1) = τθ (x)
On peut donc arriver aux deux résultats "forts" sur Aθ :
T HÉORÈME 1.9. Si θ est irrationnel, Aθ est simple.
Démonstration. Soit I ⊂ Aθ est un ∗-idéal bilatère fermé non nul, et soit x ∈ I − {0}. Alors ax∗ xa−1 ∈ I
pour tout a ∈ Aθ inversible, donc αλ,µ (x) ∈ I pour (λ, µ) dense dans S1 × S1 , par (1.5), donc pour tout
(λ, µ) ∈ S1 × S1 car I est fermé, donc E(x∗ x) ∈ I et est non nul, car τθ est fidèle. On a donc 1 ∈ I, donc
I = Aθ , et Aθ est simple.
5
Corollaire 1.10. Si θ est irrationnel, toute C ∗ -algèbre à élément unité A engendrée par deux unitaires
vérifiant les relations (1.1.1) est isomorphe en tant que C ∗ -algèbre à Aθ (cela implique que l’isomorphisme
est isométrique).
En particulier, la représentation de Aθ qu’on a construite précédemment est fidèle, lorsque θ est irrationnel.
Démonstration. Soit Φ : Aθ → A l’application donnée par la propriété universelle. Ker Φ est un idéal
bilatère fermé distinct de Aθ , donc nul, donc Φ est injective. De plus, elle est clairement surjective, donc Φ
est un ∗-isomorphisme entre C ∗ -algèbres, donc une isométrie.
1.3 Projecteurs de Aθ
Nous allons dans cette partie construire une classe de projecteurs non triviaux dans A θ . Plus précisément, nous allons faire la preuve du théorème suivant, dû à Rieffel [4]. Dans toute la suite, nous aurons à
l’esprit la réalisation de Aθ donnée plus haut, ce qui n’est pas contraignant, par le corollaire (1.10). Nous
noterons simplement f (u) pour M f et v pour Rθ .
T HÉORÈME 1.11 (R IEFFEL ). Pour tout t ∈ (Z + θZ) ∩ [0, 1], il existe un projecteur dans A θ dont la trace
est t.
Démonstration. Tout d’abord, quitte à échanger u et v (ce qui change θ en 1 − θ), on peut supposer que
0 < θ < 1/2. En effet, dans Aθ , on a vu = e2iπθ uv donc uv = e2iπ(1−θ) vu. Donc par (1.10) Aθ est ∗-isomorphe
à A1−θ via l’application qui envoie u sur v et réciproquement. Nous allons chercher à construire des projecteurs de la forme suivante, où f et g sont des fonctions continues sur S 1 (le spectre de u) :
p = v∗ g(u) + f (u) + g(u)v
Les relations p = p∗ et p = p2 donnent quasi-immédiatement que p est un projecteur si et seulement si f
est à valeurs réelles, et on a les relations suivantes sur f et g :
2
(i) f 2 + |g|2 + g ◦ ϕ−1 = f
(ii) g.( f + ( f ◦ ϕ)) = g
(iii) g.(g ◦ ϕ) = 0
On peut alors donner des f et g convenables explicitement : soit δ ∈]0, θ[. On définit f (e 2iπt ) comme la fonction 1-périodique, affine par morceaux, valant 1 si δ ≤ t ≤ θ, et 0 si θ + δ ≤ t ≤
q1, et complétée en une fonc2iπt
tion continue, affine pour 0 ≤ t ≤ δ et pour θ ≤ t ≤ θ+δ. On définit g(e ) = f (e2iπt ) 1 − f (e2iπt ) 110<t<δ (t).
On vérifie que f et g vérifient bien les conditions ci-dessus, et que p est bien un projecteur. La trace de
p est alors l’intégrale de f , c’est à dire exactement θ.
Pour construire les autres projecteurs, on se donne β = n + mθ ∈]0, 1[, n, m ∈ Z. On remarque que
vum = e2iπβ um v. Le corollaire 1.10 donne alors un ∗-morphisme Aβ → Aθ , u 7→ um , v 7→ v. On voit alors
Aβ comme une sous-C ∗ -algèbre de Aθ . La trace sur Aθ induit donc par restriction une trace sur Aβ , mais
par unicité, c’est en fait la même ! Donc si pβ est le projecteur de Rieffel construit ci-dessus pour Aβ , alors
τθ (pβ ) = τθ |Aβ (pβ ) = τβ (pβ ) = β, et on a le projecteur désiré.
La construction de ces projecteurs est en soi un résultat important, mais plus encore, il permet de mettre
un évidence un invariant d’isomorphisme. C’est l’occasion de faire un détour par la K-théorie qui, mise en
relation avec le travail que nous venons d’accomplir, nous donnera une condition nécessaire et suffisante
sur θ pour que deux algèbres de rotation soient isomorphes.
2 Un bref aperçu de la K-théorie des C ∗ -algèbres
La K-théorie un foncteur, issu originellement de la topologie algébrique (le cas commutatif). Ce foncteur a ensuite été étendue à d’autres objets, donc les C ∗ -algèbres (le cas non commutatif), c’est le cas qui
nous intéressera ici. Il conserve beaucoup des propriétés du cas commutatif, dont la périodicité de Bott.
Nous tâcherons surtout de donner l’idée générale de la K-théorie, ainsi que les résultats importants.
Nous donnerons aussi une description du groupe K0 , qui aura en effet une certaine importance dans l’étude
6
de Aθ , puisqu’il est construit à partir des projecteurs. La définition de l’application indice, ses propriétés,
et le lien avec la théorie classique de l’indice sont laissés en appendice. Leur lecture est facultative pour la
comprehension de l’ensemble.
2.1 Idée de la K-théorie
Le but de la K-théorie est de traduire certaines propriétés sur les C ∗ -algèbres par des propriétés sur
des groupes. Formellement, la K-théorie consiste en des foncteurs covariants Kn , n ≥ 0 de la catégorie des
C∗ -algèbres dans la catégorie des groupes abéliens. La K-théorie est une théorie d’invariants : il existe une
notion d’homotopie de morphismes entre C ∗ -algèbres, et deux morphismes homotopes définiront le même
morphisme entre groupes de K-théorie.
Définition 2.1. Soit α, β deux morphismes de A dans B (A et B sont des C ∗ -algèbres). On dit que α et β
sont homotopes, et on note α ∼h β s’il existe (γt )t∈[0,1] , un chemin de morphismes de A dans B, tel que pour
tout a ∈ A, le chemin dans B t 7→ γt (a) est continu pour la norme, et tel que γ0 = α, et γ1 = β.
α : A → B est appelé une équivalence s’il existe β : B → A tel que α ◦ β ∼h idB et β ◦ α ∼h idA . Si
α ◦ β = idB et β ◦ α ∼h idA , on dit que α est une rétraction par déformation. B est alors le rétracté par
déformation de A. Une C ∗ -algèbre est dite contractile si l’identité est homotope à la fonction nulle.
Comment définit-on les groupes de K-théorie ? On peut choisir de définir seulement le foncteur K0 (on
le fera par la suite, on aura notamment K0 (C) = Z), puis de définir ensuite les autres groupes via l’opération
de suspension :
Définition 2.2. Soit A une C ∗ -algèbre, on définit le cône CA et la suspension SA de A par :
CA := { f : [0, 1] −→ A ; f (0) = 0}
SA := { f ∈ CA ; f (1) = 0}
Remarquons que le cône d’une C ∗ -algèbre est toujours contractile, via l’homotopie γt ( f )(x) = f (tx),t ∈
[0, 1]. La suspension d’une C ∗ -algèbre A est contractile lorsque A l’est.
Propriété 2.3. Soit A une C ∗ -algèbre, la suite suivante est exacte :
0 −→ SA −→ CA −→ A −→ 0
Définition 2.4. Soit A une C ∗ -algèbre. On pose pour tout n > 0, Kn (A) = K0 (Sn A).
Les groupes de K-théorie vont être reliés dans une suite exacte qui aura la particularité d’être cyclique :
c’est dans cette suite exacte que se cachent deux résultats fondamentaux en K-théorie : l’application indice
d’une part (qui assure l’existence d’une suite exacte longue), et la périodicité de Bott.
T HÉORÈME 2.5. A est une C ∗ -algèbre. Pour tout i ∈ N, on a Ki+2 (A) ∼
= Ki (A). Il n’existe donc
que deux groupes de K-théorie pour l’algèbre A : K0 et K1 . De plus, ces deux groupes sont mis
en relation par une suite exacte cyclique à six termes : si 0 → J → A → A/J → 0 est exacte,
alors la suite ci-dessous est exacte partout.
K1 (J)
−→ K1 (A) −→ K1 (A/J)
δ↑
↓δ
K0 (A/J) ←− K0 (A) ←−
K0 (J)
Cette suite exacte est un outil majeur de la K-théorie, mais ne nous sera pas suffisante pour déduire la
K-théorie de Aθ : nous aurons besoin de la suite-exacte de Pimsner–Voiculescu, spécifique aux produits
croisés, que l’on énonce dans la section (3).
7
2.2 Le groupe K0
Dans la suite, A désigne une C ∗ -algèbre, non obigatoirement unitaire. On désigne par A+ la C∗ -algèbre
obtenue en ajoutant une unité à A si A n’est pas unitaire, et A ⊕ C sinon. On fait remarquer qu’il existe une
suite exacte courte :
πC
0 −→ A −→ A+ −→
C −→ 0
(2.2.4)
Le groupe K0 (A) est construit à partir des projecteurs de A. Cependant, dans A, on ne peut ajouter que
des projecteurs orthogonaux, celà ne permet pas d’obtenir de loi sur les projecteurs : on n’a "pas assez
de place" pour les ajouter de manière confortable. C’est pourquoi on se place dans M ∞ (A), l’espace des
matrices de taille arbitraire (mais finie) à coefficients dans A. Un élément x est dans M ∞ (A) si et seulement
s’il existe un n tel que x ∈ Mn (A), et x est un projecteur ssi x = x∗ = x2 .
Définition 2.6. Deux projecteurs p, q ∈ M∞ (A) sont dits équivalents si et seulement s’il existe v ∈ M∞ (A)
tel que p = v∗ v et q = vv∗ .
On voit qu’il est plus facile pour deux projecteurs de A d’être équivalents dans M ∞ (A) que dans A.
Définition 2.7. On définit V (A) comme étant l’ensemble de toutes les classes d’équivalence de projecteurs
dans M∞ (A).
V (A) = [p] ; p ∈ M∞ (A), p2 = p∗ = p
On munit V (A) d’une loi d’addition définie par [p] + [q] = [diag(p, q)], qui en fait un monoïde abélien.
Notons que V est un foncteur covariant : si α : A → B, on peut définir α∗ : V (A) → V (B) de manière
évidente (coefficient par coefficient).
Définition 2.8. On définit le groupe K00 (A) comme le groupe de Groethendick de V (A). Il s’agit d’un
foncteur covariant.
Définition 2.9. La suite exacte (2.2.4) donne une application π ∗ : K00 (A+ ) → K00 (C) = Z. On définit le
groupe K0 (A) = ker π∗ . K0 est un foncteur covariant de la catégorie des C ∗ -algèbres dans celle des groupes
abéliens.
Propriétés 2.10.
(i) Le foncteur K0 est stable, c’est à dire que K0 (A ⊗ K ) = K0 (A).
(ii) Le foncteur K0 est additif, i.e. K0 (A ⊕ B) = K0 (A) ⊕ K0 (B).
(iii) Le foncteur K0 est semi-exact, i.e. si 0 → J → A → A/J → 0 est une suite exacte, alors K0 (J) →
K0 (A) → K0 (A/J) est exacte.
(ii) implique que si A a un élément unité, K0 (A) = K00 (A). La semi-exactitude de (iii) est vraie aussi
pour K1 , et c’est en collant bout à bout ces suites exactes que l’on obtient la suite exacte cyclique à six
termes donnée précédemment.
Dressons un portrait des éléments de K0 : en pratique, on n’a pas besoin de connaître précisément
comment K0 (A) est construit si on sait manipuler la caractérisation ci-dessous.
T HÉORÈME 2.11. K0 est un groupe abélien et on a :
– Un élément x ∈ K0 (A) est une différence formelle x = [p] − [q] où p, q ∈ Mk (A+ ), p − q ∈ Mk (A).
– On peut écrire x ∈ K0 sous la forme x = [p] − [pn], où p ∈ Mk (A+ ), k ≥ n, et pn ∈ Mk (A+ ) est le
projecteur sur les n premières coordonnées, et p − pn ∈ Mk (A).
– Soient p, q ∈ Mk (A). Alors [p] − [q] = 0 dans K0 (A) si et seulement s’il existe m et n (m ≤ n), tels
que diag(p, pm ) et diag(q, pm ) sont équivalents dans Mk+n (A+ ).
3 La suite exacte de Pimsner–Voiculescu en K-théorie ; applications
à Aθ
La suite exacte à six termes donnée ci-dessus ne sera malheureusement assez puissante pour nous donner la K-théorie de Aθ . Nous aurons besoin de la suite exacte de Pimsner–Voiculescu, propre aux produits
8
croisés d’une C ∗ -algèbre par Z. Tout d’abord, nous donnons une définition sommaire du produit croisé
d’une C∗ -algèbre par Z, et nous verrons pourquoi Aθ est un produit croisé. Puis nous énoncerons le théorème de Pimsner–Voiculescu, et nous décrirons les flèches de cette suite exacte. Enfin, nous appliquerons
ce résultat pour calculer la K-théorie de Aθ , et nous donnerons une CNS sur θ pour que deux algèbres de
rotation soient isomorphes.
3.1 Aθ comme produit croisé
Dans cette partie, nous donnons la définition du produit croisé par Z d’une C ∗ -algèbre, et nous constaterons alors que Aθ est le produit croisé C(S1 ) o Z.
Définition 3.1. Soit A une C ∗ -algèbre, et α un automorphisme de A. Alors on définit A oα Z comme la
C∗ -algèbre universelle engendrée par A et par un unitaire u vérifiant :
∀a ∈ A
uau∗ = α(a)
Ainsi, on construit A oα Z comme suit : on considère l’espace vectoriel A[Z] des sommes formelles
finies ∑ ai ei , ai ∈ A, muni du produit (sur les monômes) : (aen )(bem ) = aαn (b)en+m et de l’involution
(aen )∗ = α−n (a∗ )e−n , et on le munit d’une C ∗ -semi-norme comme on l’avait fait en (1.1), on le sépare et
on le complète. Remarquons que u = 1e1 .
Ainsi, on voit tout de suite que Aθ est le produit croisé C(S1 ) oα Z, avec α( f ) = f ◦ ϕ (on rappelle que
ϕ(z) = e2iπθ z).
3.2 Enoncé du théorème
T HÉORÈME 3.2. Soit A une C ∗ -algèbre, α ∈ Aut(A). Alors on a la suite exacte suivante relative
à la K-théorie de l’algèbre produit croisé A oα Z :
K0 (A)
↑
K1 (A oα Z)
id∗ −α−1
∗
−→
K0 (A)
←−
K1 (A)
−→
id∗ −α−1
∗
←−
K0 (A oα Z)
↓
K1 (A)
Les fleches verticales sont des applications de connexion δ issues de la suite exacte à six termes
appliquée à une suite exacte de C ∗ -algèbres, faisant intervenir une certaine extension de A (extention de Toeplitz), et les flèches horizontales non légendées sont induites par l’inclusion.
3.3 La K-théorie de Aθ
Ainsi, connaissant la K-théorie de C(S1 ), nous allons en déduire celle de Aθ .
Proposition 3.3. On a K0 (C(S1 )) = K1 (C(S1 )) = Z.
Démonstration. Pour montrer le théorème, on remarque que C(S 1 ) = SC⊕C, donc Ki (C(S1 )) = Ki+1 (C)⊕
Ki (C), par additivité de Ki , et où K2 = K0 , par périodicité de Bott. On a donc K1 (C(S1 )) = K0 (C(S1 )).
Reste à montrer que K0 (C(S1 )) = Z. Soit [p] ∈ V (C(S1 )), alors p ∈ Mn (C(S1 )) est autoadjoint, donc est
équivalent à un projecteur diagonal q. Montrons que q ∈ Mn (C) : en effet, le spectre de q est l’union des
images de ses éléments diagonaux, et d’autre part vaut {0, 1}. Donc les coefficients de q sont la fonction
nulle ou la fonction unité. Donc les éléments de V (C(S 1 )) sont issus de matrices à coefficients dans C, i.e.
K0 (C(S1 )) = K0 (C), et dans M∞ (C), les projections sont caractérisées par leur rang (arbitrairement grand,
mais néamoins fini), donc V (C) = N, et K0 (C) = Z = K0 (C(S1 )) = K1 (C(S1 )).
Proposition 3.4. La K-théorie de Aθ est donnée par K0 (Aθ ) = K1 (Aθ ) = Z ⊕ Z.
9
Démonstration. Dans notre cas, α est homotope en l’identité, donc dans la suite exacte de Pimsner et
Voiculescu, deux des flèches sont nulles. Cette suite exacte se casse alors en deux suites exactes courtes :
0 −→ K0 (C(S1 ) −→ K0 (Aθ ) −→ K1 (C(S1 )) −→ 0
0 −→ K1 (C(S1 ) −→ K1 (Aθ ) −→ K0 (C(S1 )) −→ 0
Une fois faites les identifications, on a (i = 0, 1) :
0 −→ Z −→ Ki (Aθ ) −→ Z −→ 0
Ce dont on déduit Ki (Aθ ) = Z ⊕ Z.
Nous allons mettre à profit ce résultat pour donner une application entre K0 (Aθ ) et Z + θZ ⊂ R. En
admettant que cette application a pour image exactement Z + θZ, nous montrerons que cet ensemble est
un invariant d’isomorphisme, et par conséquent, si θ, θ0 ∈ [0, 1], Aθ ∼
= Aθ0 si et seulement si θ = θ0 ou
0
θ = 1−θ .
Proposition 3.5. On considère τθ la trace sur Aθ , et tr la trace sur les matrices. Alors τθ ⊗ tr est une trace
sur M∞ (Aθ ), qui est constante sur les classes d’équivalence de projecteurs, et induit donc un morphisme
de K0 (Aθ ) dans C, on l’appelle τ∗ .
Il est clair que τ∗ (1) = 1, et de plus, si pθ désigne le projecteur de Rieffel construit en (1.3), on a
τ∗ (pθ ) = θ. On a donc Z + θZ ⊆ Imτ∗ . On admet l’inclusion inverse, qui fut obtenue par Pimsner et
Voiculescu précédemment à [5]. Ainsi, comme on a établi que K0 (Aθ ) est un groupe abélien libre à deux
générateurs, on a que [1] et [pθ ] engendrent K0 (Aθ ), ce qui donne un isomorphisme entre K0 (Aθ ) et Z + θZ.
Par conséquent, Z + θZ est un invariant d’isomorphie pour les algèbres A θ . On obtient donc le résultat
suivant, obtenu par Rieffel dans [4] en s’appuyant sur les traveaux de Pimsner et Voiculescu :
T HÉORÈME 3.6. Soit θ, θ0 ∈ R − Q. Alors Aθ est isomorphe à Aθ0 si et seulement si {θ} = {θ0 }
ou {θ} = {1 − θ0} (où {θ} désigne la partie fractionnaire de θ).
10
A
Quelques résultats supplémentaires de K-théorie, description du
groupe K1 , application indice, périodicité de Bott
A.1 Définition de K1 , et propriétés
On donné le résultat de périodicité de Bott, qui assure qu’on n’a que deux groupes de K-théorie. Celà
rend abordable la description directe de K1 , ce que nous allons faire.
Nous allons définir le groupe K1 (A) non pas à partir de projecteurs, mais à partir d’unitaires. Nous
n’aurons pas besoin d’avoir recours à une ruse de construction comme le groupe de Groethendick. On
introduit tout d’abord une définition parfois utile pour manipuler des C ∗ -algèbres non unitaires : la notion
de matrice normalisée.
Définition A.1. On définit l’ensemble des matrices inversibles normalisées :
GL+
n (A) = M ∈ GLn (A) ; πC∗ (A) = id
où πC est la projection sur C définie en (2.2.4)
+
On définit de même Un+ (A) pour les matrices unitaires de rang n. On définit aussi GL+
∞ (A) et U∞ (A),
comme limite inductive des groupes ci-dessus.
Nous pouvons maintenant donner quatre définitions équivalentes du groupe K1 (A) pour une C ∗ -algèbre
A.
Définition A.2. Soit A une C ∗ -algèbre. On définit :
K1 (A)
+
= GL+
∞ (A)/ GL∞ (A) 0 = GL∞ (A+ )/ GL∞ (A+ ) 0
= U∞+ (A)/ U∞+ (A) 0 = U∞ (A+ )/ U∞ (A+ ) 0
où l’indice zéro désigne la composante connexe par arcs contenant l’identité.
Propriétés A.3. Les quatre définitions ci-dessus sont équivalentes. K1 (A) est un groupe commutatif lorsqu’on le munit (et c’est ce qu’on fait) de la loi suivante :
[u][v] = [uv] = [diag(u, v)]
A noter que si deux éléments sont homotopes (i.e. reliés par un chemin continu) dans GL +
∞ (A), on n’a
(A) 0 →
(A)/ GL+
pas d’indication sur la taille des matrices impliquées dans l’homotopie. Ainsi, l’application GL +
n
n
+
de matrices, on
GL+
∞ (A)/ GL∞ (A) 0 n’est pas forcément une injection. Cependant, si on a une homotopie
+
(A)
,
comme
l’indique la
(A)/
GL
pourra tout de même se ramener à l’étudier dans un certain GL+
n
n
0
proposition suivante :
Proposition A.4. Soit [x], [y] ∈ K1 (A). [x] = [y] si et seulement s’il exite un n tel que x ∼h y dans GL+
n (A).
Même énoncé pour les autres caractérisations de K1 (A).
Proposition A.5. K1 est un foncteur covariant, invariant par homotopie, stable (i.e. K0 (A) = K0 (A ⊗ K )).
De plus, K1 est semi-exact, c’est à dire que toute suite exacte :
0 −→ J −→ A −→ A/J −→ 0
induit une suite exacte des K1 -groupes :
K1 (J) −→ K1 (A) −→ K1 (A/J)
Dans la suite, on considère que cela constitue la définition de K1 . Nous montrerons au paragraphe
suivant que K1 = K0 S.
11
A.2 Application indice
Dans les deux sections précédentes, nous avons vu qu’à toute suite exacte de C ∗ -algèbres 0 → J → A →
A/J → 0, on peut associer deux suites exactes de leurs K-groupes :
K0 (J) −→ K0 (A) −→ K0 (A/J)
K1 (J) −→ K1 (A) −→ K1 (A/J)
L’idée est de définir une application δ : K1 (A/J) → K0 (J) de manière à prolonger les suites exactes cidessus en une suite exacte longue :
δ
K1 (J) −→ K1 (A) −→ K1 (A/J) −→ K0 (J) −→ K0 (A) −→ K0 (A/J)
(A.2.5)
Définissons l’application indice :
Définition A.6. Soit A une C ∗ -algèbre, J un idéal de A, et x ∈ K1 (A/J). On veut obtenir un élément de
K0 (J) à partir de x. Soit u ∈ Un+ (A/J) un représentant de x, et soit v ∈ Uk+ (A/J), tel que diag(u, v) ∼h 1n+k
+
+
dans Un+k
(A/J). Soit w ∈ Un+k
(A) un relevé unitaire de diag(u, v). Alors on définit δ : K1 (A/J) → K0 (J)
par :
δ(x) := [wpn w∗ ] − [pn]
Les objets dont il est question dans la définition existent : on peut prendre pour v, v = u ∗ , et le relevé
unitaire existe lui aussi (on peut relever un unitaire homotope à l’identité en unitaire par un morphisme
surjectif). De plus, on a bien δ(x) ∈ K0 (J) : en effet, δ(x) ∈ K0 (A), et si πJ désigne la projection canonique
A → A/J, on a :
πJ∗ ([wpn w∗ ] − [pn]) = diag(u, v)pn diag(u∗ , v∗ ) − pn = 0
car u est de taille n, donc commute à pn , et donc δ(x) ∈ K0 (J).
Remarque A.7. On a wpn w∗ unitairement équivalent à pn dans Mn+k (A+ ), mais celà ne veut pas dire que
[wpn w∗ ] − [pn] = 0 dans K0 (J).
Proposition A.8. δ est un homomorphisme de groupes, bien défini.
Il s’agit de vérifier que la définition ne dépend pas du représentant u, ni de v, ni de la taille des matrices
impliquées (n et k), ni du relevé w.
T HÉORÈME A.9. La suite (A.2.5) est exacte partout.
Proposition A.10. δ est une transformation naturelle.
Maintenant que nous avons l’indice à notre disposition, nous pouvons montrer deux applications : le fait
que le foncteur K0 soit exact scindé (i.e. transforme une suite exacte scindée en une suite exacte scindée),
et le fait que pour toute C ∗ -algèbre A, on ait K1 (A) = K0 (SA).
Proposition A.11. K0 est exact scindé, c’est à dire qu’à toute suite exacte courte scindée par un morphisme
de C∗ -algèbres, correspond une suite exacte courte en K-théorie, avec des 0 aux extrémités.
Démonstration. On suppose qu’on a une suite exacte scindée :
0 −→ J −→i A ←→πη A/J −→ 0
Alors π∗ ◦ η∗ = idA/J , donc π est surjective. On a donc une suite exacte :
K1 (A) ←→πη∗∗ K1 (A/J) −→δ K0 (J) −→i∗ K0 (A) ←→πη∗∗ K0 (A/J) −→ 0
De plus, par le même raisonnement, π∗ : K1 (A) → K1 (A/J) est surjective, donc δ est l’application nulle, ce
qui montre qu’on a :
0 −→ K0 (J) −→i∗ K0 (A) ←→πη∗∗ K0 (A/J) −→ 0
12
T HÉORÈME A.12. On a un isomorphisme θA : K1 (A) −→ K0 (SA).
Démonstration. Appliquons la suite exacte entre groupes de K-théorie à la suite exacte suivante :
0 −→ SA −→ CA −→ A −→ 0
On a alors, en prenant en compte que CA est contractile, donc a une K-théorie nulle :
K1 (SA) −→ 0 −→ K1 (A) −→ K0 (SA) −→ 0 −→ K0 (A)
D’où l’isomorphisme.
A.3 Périodicité de Bott
Nous allons énoncer le résultat fondamental de la K-théorie : l’existence d’un isomorphisme, l’isomorphisme de Bott, K1 (SA) → K0 (A). Le terme périodicité fait référence au résultat qu’on en déduit immédiatement : l’isomorphisme entre Ki (S2k A) et Ki (A).
On pourra, grâce à l’application de Bott, prouver que la suite exacte obtenue précédemment se referme
en une suite exacte cyclique de six termes.
Nous allons définir l’application de Bott, mais pour cela, nous allons d’abord donner une caractérisation
plus pratique de K1 (SA).
Proposition A.13. K1 (SA) est l’ensemble des classes d’homotopie uniformes de lacets f à valeurs dans
+
GL+
n (A)0 , n ∈ N. Autrement dit, si f 0 et f 1 sont des lacets à valeurs dans GLn (A)0 , on a [ f 0 ] = [ f 1 ] si et
1
+
seulement si ∃ ft : S → GLn (A)0 , t ∈ [0, 1], tels que (t, z) 7→ ft (z) est continue.
i
η
Démonstration. La suite exacte 0 → SA → C(S1 , A) → A → 0 est scindée (où i est l’injection naturelle, et
η est l’évaluation en 1), donc i∗ est injective, et Imi∗ = ker η∗ , ce que l’on voulait.
Définition A.14. On définit un lacet associé à une projection par f p (z) = zp + (1n − p), où z ∈ S1 . f p (z)
est un unitaire dans Mn (A+ ), et f p (1) = 1n , donc [ f p ] ∈ K1 (SA), et les applications p 7→ f p et f p 7→ p sont
continues (elles sont 1-lipschitziennes). On définit l’application de Bott par :
fp
= K0 (A) −→ K1 (SA)
[p] − [q] 7−→ [ f p fq∗ ]
T HÉORÈME A.15. L’application βA est un isomorphisme. De plus, c’est une transformation
naturelle.
Schéma de la démonstration. Cette démonstration s’appuie sur la mise en place de toute une machinerie
d’approximation par des lacets de plus en plus réguliers. Le fait que β A soit un morphisme est évident, il
s’agit de montrer l’injectivité et la surjectivité.
∗
Pour la surjectivité, on considère f un lacet dans GL+
n (A), et on veut écrire [ f ] = [ f p f pN ] pour un certain
projecteur p et un certain N. Pour cela, on approxime f par des lacets qui lui sont homotopes, mais de plus
en plus réguliers, quitte à augmenter la taille des matrices impliquées : on approxime d’abord f par une
boucle s’écrivant comme une somme de Laurent, puis on se ramène à une boucle polynomiale, puis en
augmentant à chaque fois la taille des matrices, on réduit le degré du polynôme impliqué, pour se ramener
finalement à une boucle linéaire, puis enfin, une boucle issue d’une projection.
Montrer l’injectivité revient à transformer une homotopie de lacets de f p fq∗ à 1 dans GLn (A+ ) (i.e. de
f p à fq ) en une homotopie dans l’espace des lacets de la forme f pt , car alors on aura une homotopie de
projecteurs pt entre p et q, ce qui impliquera l’équivalence des projecteurs. Là encore, on augmente la taille
des matrices impliquées : on va chercher un chemin de plus en plus régulier entre f p⊕pN et fq⊕pN pour N
assez grand.
13
B Lien entre K-théorie et théorie classique de l’indice
Nous allons voir comment l’application indice de la K-théorie permet de retrouver certains résultats de
la théorie classique de l’indice pour les opérateurs de Fredholm. Tout d’abord, nous aurons besoin d’une
caractérisation des opérateurs de Fredholm.
Définition B.1. Soit H un espace de Hilbert. On rappelle qu’un opérateur F ∈ B (H) est de Fredholm s’il
est d’image fermée, et ker F et kerF ∗ sont de dimension finie. L’indice de F est alors :
δ(F) = dim(ker(F)) − dim(ker(F ∗ ))
Proposition B.2. Soit H un espace de Hilbert, B (H) l’espace des opérateurs bornés sur H, et K (H)
l’espace des opérateurs compacts, et F ∈ B (H). Alors les propositions suivantes sont équivalentes :
– F est un opérateur de Fredholm ;
– L’image de F dans B /K est inversible.
Cette proposition prouve au passage que les opérateurs de Fredholm sont stables par perturbation compacte.
Démonstration. Supposons F de Fredholm. Alors F|(ker F)⊥ est bijectif sur son image, donc par théorème
de l’application ouverte, on peut définir son inverse Ĝ (car ImF est fermée). On prolonge Ĝ en G par 0 sur
(ImF)⊥ . Alors I − GF est la projection orthogonale sur kerF, donc est de rang fini, et de même, I − FG est
la projection orthogonale sur (ImF)⊥ , donc est de rang fini. Ce sont donc des opérateurs compacts, donc
dans B /K , [G] = [F]−1 .
Réciproquement, soit G tel que K = GF −I soit compact. Supposons que ker F ne soit pas de dimension
finie. Alors on s’en donne une base hilbertienne (xn )n∈N . On a alors K(xn ) = −xn , et alors 1 = kK(xn )k → 0,
car xn tend faiblement vers zéro : c’est une contradiction. De même, K 0 = FG − I est compact, et K 0∗ =
G∗ F ∗ − I, et on montre que ker F ∗ est de dimension finie.
Montrons que ImF est fermée : pour cela, montrons qu’on peut écrire F(H) = X +Y où X = F(ker K0 ),
Y = F(K0∗ H), et K0 est un opérateur de rang fini tel que kK − K0 k ≤ 1/2. Soit x ∈ kerK0 . Alors k(K − K0 )xk ≤
1/2 kxk, donc kKxk ≤ 1/2 kxk, soit 0 ≤ kxk/2 − kKxk. On a donc :
1
kxk ≤ kxk − kKxk ≤ k(I − K)xk = kGFxk ≤ kGk kFxk
2
kxk
. Donc si (yn ) est de Cauchy dans X, yn = F(xn ), alors (xn ) est de Cauchy, donc
Donc kF(x)k ≥ 2kGk
xn → x ∈ kerK0 , et y := F(x) est la limite des yn , donc X est fermé. Donc ImF est fermée, donc F est de
Fredholm.
Donnons maintenant une définition équivalente de l’indice d’un élément [u] ∈ K1 (A/J) lorsqu’on peut
relever u en une isométrie partielle a ∈ Mn (A+ ) (a est une isométrie partielle si a∗ a et aa∗ sont des projections).
+
Proposition B.3. Soit 0 → J → A → A/J → 0 une suite
exacte, [u] ∈ K1 (A/J), et a ∈ Mn (A ) une isométrie
a
1 − aa∗
partielle relevant u. Alors w :=
est un unitaire qui relève diag(u, u∗ ). On a alors :
1 − a∗ a
a∗
δ([u]) = [wpn w∗ ] − [pn] = [1 − a∗a] − [1 − aa∗]
Démonstration. Toutes ces vérifications sont immédiates.
Nous sommes prêts à faire le lien entre indice en K-théorie, et indice des opérateurs de Fredholm. Dans
πK
la suite, on considère la suite exacte : 0 → K → B → B /K → 0.
Soit F un opérateur de Fredholm. On écrit la décomposition polaire : F = V |F|, où V est une isométrie
partielle. πK (F) est inversible, donc πK (|F|)2 = πK (F)∗ πK (F) est inversible, donc πK (|F|) est inversible,
14
donc πK (V ) est inversible. Donc πK (V ) est un unitaire, et par conséquent, [πK (V )] ∈ K1 (B /K ). On calcule
alors l’indice de πK (V ) :
δ([πK (V )]) = [1 −V ∗V ] − [1 −VV ∗ ] = dim(kerF) − dim(kerF ∗ )
Donc l’indice classique de F coïncide avec l’indice de la K-théorie de sa partie polaire. Si on applique
la suite exacte de la K-théorie, on retrouve les propriétés usuelles de l’indice :
δ
K1 (B ) −→ K1 (B /K ) −→ K0 (K ) −→ K0 (B)
Mais K0 (K ) = K0 (C) = Z par stabilité, et V (B ) = N ∪ {∞}, donc K0 (B ) = 0. On a donc :
δ
0 −→ K1 (B /K ) −→ Z −→ 0
Donc l’indice est un morphisme de groupes à valeurs dans Z, invariant par perturbation compacte, constant
sur les composantes connexes.
Références
[1] N.E. Wegge-Olsen : K-theory and C ∗ -algebras, Oxford univ. press 1993.
[2] J. Dixmier : Les C ∗ -algèbres et leurs représentations, Gauthiers-Villars, Paris 1964.
[3] P. Lévy-Bruhl : Introduction à la théorie spectrale, Dunod, Paris, 2003.
[4] M. Rieffel : C ∗ -algebras associated with irrational rotations, Pacific J. of Math. 93 (1981), pp. 415-429.
[5] M. Pimsner et D. Voiculescu : Exact sequences for K-groups and Ext-groups of certain cross-products of C ∗ algebras, Journal of Op. theory 4 (1980), pp. 93-118.
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