Hétérophories - Paul JEAN

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HÉTÉROPHORIES
1 Généralités
1.1 Définition
Nous reprendrons la définition donnée par le Dr Hugonnier :
« Une hétérophorie est une déviation des axes visuels maintenue latente par le
réflexe de fusion »
Conséquence 1 : En vision binoculaire, une hétérophorie ne peut être décelée. Le couple
oculaire fixant un point M, le réflexe de fusion est présent, les deux yeux vont donc s’aligner de
façon telle que les images rétiniennes du point M se forment sur les deux fovéas.
Q'D
M'D fD
M
Q'G
M' G fG
Conséquence 2 : Pour mettre en évidence une hétérophorie, il faut disposer d’un dispositif qui
supprime le réflexe de fusion.
1.2 Mise en évidence
Une méthode radicale pour supprimer la fusion est le masquage d’un œil. Pendant environ une
seconde on place devant l’OD un cache en demandant au sujet de fixer un point lumineux M. On
enlève alors le cache en observant l’œil qui était caché lors de ce démasquage.
Deux cas peuvent se présenter :
· soit cet œil ne fait aucun mouvement, l'équilibre musculaire du couple est parfait et celui-ci
est dit orthophorique.
· soit on perçoit un déplacement dans le plan horizontal, dans le plan vertical ou les deux à la
fois, le couple oculaire présente une hétérophorie.
Analysons le cas où on détecte un mouvement de l’œil droit dans le plan horizontal, vers le
nez, au moment où l'on ôte l'écran.
ligne de regard dissocié O.D
Q'D
Rotation lors du rétablis sement de la fusion
fD
en position
dissociée
M
Q'G
M' G fG
©Paul JEAN
M:\Mes documents\VAE\HÉTÉROPHORIES2.doc
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En l'absence de fusion, le couple prend la position passive ou position dissociée correspondant
au moindre effort musculaire.
Avec le cache, l’œil droit occupait une position telle que sa ligne de regard ne passe pas par M
(pas de fusion). Lors du rétablissement de la fusion, pour éviter une diplopie, le couple oculaire
retrouve la position de vision binoculaire normale par une rotation de l’œil droit.
Cet effort supplémentaire fait pour réaligner l’œil droit est du au réflexe de fusion. Il est
indispensable car l'équilibre musculaire du couple n'est pas parfait.
En optométrie, il existe diverses méthodes permettant de supprimer plus ou moins le désir de
fusion. Nous y reviendrons dans un paragraphe suivant.
1.3 Fréquence
C'est une anomalie extrêmement fréquente ( 75% de la population). Peu de sujets présentent
des gênes car dans la grande majorité des cas l'effort fusionnel à accomplir se fait sans
difficulté. Le sujet compense son hétérophorie.
Les gênes n'apparaissent que lorsque cet effort devient trop important. Dans certains cas, le
sujet ne peut plus le fournir par exemple lorsqu'il est fatigué ; son couple oculaire prend une
position passive qui entraîne une diplopie passagère (le sujet se met alors à loucher et il voit
double). Il y a alors décompensation de l'hétérophorie.
2 Catégories
Les hétérophories sont classées à partir de la déviation du couple oculaire constatée dans la
position dissociée. Toute déviation est la combinaison de déviations dans le plan horizontal et
vertical. On recherchera donc l’hétérophorie dans ces deux plans pour déterminer complétement
l’hétérophorie du sujet. Il existe un cas plus rare qui sort du domaine de l’opticien et qui
concerne une déviation par rotation de l’œil autour de son axe antéro-postérieur.
2.1 Hétérophories horizontales
Elles sont les plus fréquentes.
dissociateur
Q'D
En bleu, ligne de regard de l'œil
droit en position dissociée
M
Q'G
Orthophorie
position dissociée
Q'D
Q'D
M
M
Q'G
Esophorie
position dissociée
©Paul JEAN
M:\Mes documents\VAE\HÉTÉROPHORIES2.doc
Q'G
Exophorie
position dissociée
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Le couple oculaire Esophore (symbole S ou E) converge trop en vision dissociée par rapport à
la position requise en vision binoculaire. Les lignes de regard se coupent en avant du point de
fixation.
Le couple oculaire Exophore (symbole X) ne converge pas assez en position passive par
rapport à la position requise. Les lignes de regard se coupent au delà du point de fixation.
2.2 Hétérophories verticales
Si l'on représente le couple oculaire regardant un point de fixation à 5 m, les deux lignes de
regard sont pratiquement parallèles (à 40' près dans le plan horizontal).
Q'
Position active
Le point de fixation étant à
5 m droit devant, les deux
lignes de regard sont dans
le même plan horizontal
point de
fixation à 5 m
Q'
Plan
horizontal
Q'
Plan
Q'
Position dissociée
Hyperphorie G/D
Q'
Plan
Position dissociée
Hyperphorie D/G
Q'G
Après rupture de la fusion (position dissociée), les deux lignes de regard n'appartiennent plus
au même plan horizontal. Pratiquement, on ne mesure l'hétérophorie verticale que par l'angle que
font entre elles les deux lignes du regard. On utilise presque uniquement le terme d'hyperphorie
en précisant D/G si la ligne du regard de l’œil droit en position dissociée est au dessus du plan
horizontal contenant la ligne de base et la ligne du regard de l’œil gauche et G/D dans le cas
contraire.
2.3 Cyclophorie
C'est la tendance pour l'un ou les deux yeux à effectuer une giration autour de la ligne de
regard dans la position passive. On parle d'incyclophorie lorsque cette giration s'effectue en
dedans et d'excyclophorie lorsque cette giration se fait au dehors.
3 Signes fonctionnels
3.1 Hétérophories bien compensées
C'est le cas le plus fréquent. La déviation, détectée en position dissociée, est maintenue
latente sans fatigue en position active. Le sujet ne sait pas qu’il a une hétérophorie, il n’éprouve
aucune gêne.
La phorie est compensée par la convergence fusionnelle: effort de convergence qui permet de
passer de la position dissociée à la position active. La convergence requise correspond à la
convergence que doit mettre en jeu le couple pour avoir une vision binoculaire normale.
Si la convergence fusionnelle est faible par rapport aux capacités du sujet, il n’y aura aucun
problème. Quand ce rapport entre convergence fusionnelle et capacités diminue, l’hétérophorie
va devenir mal compensée et les problèmes visuels vont se manifester.
©Paul JEAN
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L.Regard Dissocié O.D
Q'D
Convergence
fusionnelle
M
Convergence
requise
point de
fixation
Q'G
3.2 Hétérophories mal compensées ou décompensées
Le sujet peut ressentir des gênes parce que cet effort de convergence fusionnelle est trop
important pour être soutenu sur une durée longue. Ces gênes apparaîtront presque toujours lors
de tâches nécessitant une vision précise: lecture, conduite automobile. Les symptômes sont très
variables suivant le type de phorie et suivant les sujets: "maux de tête", "douleurs derrière les
yeux", "yeux qui tirent". Très souvent l'acuité binoculaire est inférieure à l'acuité monoculaire la
meilleure et la stéréopsie n'est pas bonne. La lecture est souvent difficile, le sujet a du mal à se
souvenir de ce qu'il lit: le rendement lexical est mauvais.
Dans les cas les plus graves, par moments il ne peut plus maintenir l’effort fusionnel : il
décompense. En position active les deux lignes du regard ne convergent plus vers le point de
fixation, la déviation devient manifeste. Le sujet voit alors double s'il ne parvient pas à
suspendre l'une des images. Il doit cesser son travail demandant une vision précise pour
retrouver une situation de vision simple.
Dans beaucoup de cas, les symptômes d'une hétérophorie mal compensée ne sont pas typiques
et peuvent être dus à d’autres causes. Dans les cas où le sujet décompense, le problème moteur
est manifeste.
4 Mesure des phories
4.1 Que mesure-t-on ?
Pour mettre en évidence une phorie, il faudra mettre le couple oculaire en position dissociée.
Il faudra donc placer devant un œil un dissociateur.
Les dissociateurs peuvent être classés à partir de l’origine de la dissociation créée :
· dissociateur moteur : le dissociateur induit une déviation du faisceau que le système
oculomoteur ne peut compenser, le sujet voit double. (prismes de Von Graefe)
· dissociateur sensoriel : le dissociateur induit une différence entre les images
rétiniennes droite et gauche. (Maddox, filtres polarisés, filtres rouge-vert)
Les dissociateurs sont aussi classés suivant l’importance des différences qu’ils induisent
entre les images rétiniennes :
· dissociateur profond : tout l’espace est dissocié (il n’y a aucun point semblable qui
permettrait un désir de fusion entre l’image rétinienne droite et l’image rétinienne
gauche)
· dissociateurs partiels : les images rétiniennes ont des éléments communs soit en
vision périphérique soit en vision centrale qui maintiennent un désir plus ou moins
important de fusion.
©Paul JEAN
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Ces différents dissociateurs permettent d’effectuer diverses mesures qui permettront
d’envisager les mesures à prendre si nécessaire dans le cas étudié.
· Phorie dissociée : On utilise un dissociateur profond (masquage, Maddox rouge,
prismes de Von Graefe). La phorie dissociée est la mesure du prisme qui permet le
réalignement.
· Phorie associée : Le dissociateur laisse des éléments de fusion soit périphériques soit
centraux. La phorie associée est la mesure du prisme qui permet le réalignement. Elle
dépend du dissociateur choisi. Elle est toujours plus petite que la phorie dissociée.
· On peut aussi citer la mesure de la disparité de fixation qui se fait avec le test de
Mallet.
Pour une description des tests : http://p.jean2.pagespersoorange.fr/vae/Groupes/Dissocia.pdf
Pour leur utilisation se reporter au cours d’optométrie : http://p.jean2.pagespersoorange.fr/Optome/hetero/opt_hete.htm
4.2 Mesure
La seule méthode objective de mise en évidence d’une phorie est l’occlusion. Elle ne permet
pas une mesure simple de celle-ci. C’est pourquoi en optométrie on utilisera le plus souvent un
test subjectif pour mesurer l’hétérophorie dissociée.
Dans la majorité des cas, le choix de l’œil devant lequel on place le dissociateur n’a pas
d’importance. Les cas où le résultat est différent sort du domaine de l’opticien.
4.3 Influence de la compensation portée
4.3.1 Valeur de la compensation
Si la compensation portée est trop concave, le sujet va mettre en jeu l'accommodation
nécessaire pour voir net, accommodation plus grande que celle qu'il aurait mise en jeu avec sa
compensation théorique. Du fait de la synergie accommodation convergence, cette augmentation
de l'accommodation va entraîner un supplément de convergence du couple oculaire (ce point sera
étudié dans le chapitre suivant). Un sujet orthophore avec sa compensation exacte, peut devenir
ésophore si l'écart de compensation est important.
Le risque d'une compensation trop convexe est plus rare car alors le sujet serait gêné en
vision de loin.
Avant de mesurer les phories du patient, il faut donc s'assurer que la compensation portée
est exacte.
4.3.2 Centrage des verres
Lorsque la puissance des verres du sujet devient importante, une légère erreur de centrage
des verres du patient va introduire un effet prismatique qui va fausser la mesure de la phorie (on
mesurera alors la phorie apparente avec la compensation et non la phorie du couple oculaire).
Pour illustrer ceci prenons le cas d'un myope de - 8,00 d avec une erreur de centrage de 3
mm vers le nez qui affecte l’œil droit. En vision de loin, l'effet prismatique induit est donc de
8,00 ´ 0,3 = 2,4 D base temporale (règle de Prentice).
En position active, pour voir simple, le couple oculaire mettra en jeu, s’il le peut, une
convergence de 2,4 D (convergence fusionnelle).
©Paul JEAN
M:\Mes documents\VAE\HÉTÉROPHORIES2.doc
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M'D
f
Q'
ligne regard droit
point de fixation M à 5 m
Q'
ligne
de
M' G fG
regard
Position active
Si nous voulons mesurer la phorie, nous allons dissocier le regard par exemple en utilisant le
Maddox. Le couple oculaire va alors prendre la position dissociée. Le sujet nous indique qu’il voit
la droite rouge à 12 cm à gauche du point blanc.. Nous pouvons réaliser le schéma de l’œil cyclope
correspondant à notre couple compensé en position dissociée :
M'D
Ext G
fD fG
M' G
2,4D
Ext
Sur le schéma du couple oculaire, du fait de la déviation prismatique du verre droit, on en
déduit la position de la fovéa droite. On constate alors que les deux lignes de regard dissocié
sont parallèles. Ce couple oculaire est orthophore.
dissociateur
LRD(OD)
Q'D
2,4D
M'D
fD
point de fixation M à 5 m
Q'G
LRD (OG)
M' G
fG
Position dissociée
Du fait du mauvais centrage de la compensation, ce couple orthophore a répondu comme un
exophore.
On constate la nécessité d’un bon centrage des verres surtout quand les puissances sont
importantes. Ceci est d’autant plus important dans le plan vertical car, en moyenne, un couple
oculaire ne peut compenser une hyperphorie dès qu’elle dépasse 1 D.
5 Valeur prédictive des mesures effectuées
Il n’y a pas de test spécifique permettant de mettre en évidence que les gênes visuelles
décrites par le patient aient pour origine une hétérophorie. Le diagnostic se fait en tenant
compte des symptômes et en intégrant l’ensemble des résultats aux tests. C’est pourquoi, il est
©Paul JEAN
M:\Mes documents\VAE\HÉTÉROPHORIES2.doc
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nécessaire de vérifier soigneusement la compensation portée afin d’éliminer toute cause de la
perturbation binoculaire pouvant avoir pour origine une mauvais emmétropisation du couple. De
nombreuses études ont été faites pour tenter de tester les valeurs prédictives des différents
tests.
La mesure des phories dissociées a une faible valeur prédictive dans l’évaluation de la VB
sauf dans le cas ou cette phorie est très supérieure à la norme. Vous constaterez que beaucoup
de sujets ayant des phories dissociées hors normes ne présentent aucune gêne alors que d’autres
avec de faibles écarts à la norme présentent des symptômes.
Un sujet compensant facilement son hétérophorie dissociée lors d'un test avec fusion
périphérique ne présente en règle générale aucun problème. S'il existe une phorie associée à la
vision périphérique, sa mesure ne présente pas d'intérêt prédictif.
La présence d’une disparité de fixation n’implique pas que le sujet soit gêné. Celui-ci peut
avoir de faibles besoins visuels, une petite suppression et/ou un fonctionnement visuel lâche. La
mesure d’une phorie associée à la disparité de fixation a une valeur prédictive qui augmente si
celle-ci est trouvée supérieure à 2 D avec le test de Mallett.
La mesure des phories ne permet pas à elle seule de porter un diagnostic sauf dans les cas où
elles s'éloignent très fortement des moyennes statistiques. Nous verrons dans les chapitres
suivants que d'autres mesures sont nécessaires avant de conclure.
©Paul JEAN
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