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La notion de spécificité peut alors être décelée dans la dépendance, non pas
bilatérale mais unilatérale, du patient envers son médecin. Cette dépendance ne fait
que traduire la connaissance du corps et des réactions aux traitements de celui-là
par celui-ci, via un effet d’apprentissage. Cette connaissance est synonyme de
création d’une quasi-rente : l’utilité retirée par le patient de cette relation est plus
importante que celle pouvant être obtenue ailleurs. La fidélité au médecin rend
souvent la relation médicale plus performante, du point de vue du patient. Ce
dernier retire une certaine aisance de l’habitude de consulter le même médecin. Un
traitement similaire appliqué par un autre médecin aurait des résultats sanitaires
moins satisfaisants. Dans ces conditions, l’instauration de garde-fous ex post
pourrait être valorisée par le patient, afin de se prémunir d’une altération de la
relation, se traduisant, par exemple, par des durées de consultation plus courtes,
une moindre prévenance du médecin ou une augmentation brutale des honoraires.
Cette intuition est renforcée par la prise en compte de l’incertitude. Ainsi, la
prégnance de cette incertitude en matière de production sanitaire et de décision
thérapeutique est un phénomène largement souligné en économie de la santé. Cette
incertitude peut coûter cher, particulièrement ex post en coûts de renégociation de
manière à éviter une rupture de contrat en cas d’imprévu. Une structure de
gouvernance favorisant une certaine souplesse, tout en donnant de la lisibilité à la
relation, constituera un dispositif efficace : elle permettra une adaptation continue
de la relation, évitant par la même une séparation à la première occasion. Le patient
a besoin d’être rassuré quant à l’inscription de la relation médicale dans la durée
(aussi loin qu’il le souhaite) et dans le niveau de qualité des soins (indépendant des
aléas de morbidité).
En résumé, la transaction sous-jacente à l’activité médicale nécessite une
structure de gouvernance particulière : elle engage des actifs (humains)
relativement spécifiques, en situation globalement incertaine, et est appelée à se
répéter dans le temps. L’application de la logique williamsonienne (1985, chapitre
3) conduit, dans ce cas de figure, à prédire l’établissement d’une structure de
gouvernance bilatérale. L’objectif de cette structure, au niveau d’intégration
intermédiaire, est d’établir une relation de confiance entre les parties. En cas
d’imprévus, cette confiance doit permettre un ajustement concerté ; si un désaccord
persiste, elle favorise un règlement local sur la base de principes communément
acceptés. Elle évite donc le recours à une tierce partie, difficilement mobilisable
lorsque la transaction se répète. Bref, c’est une structure qui doit permettre le bon
déroulement d’une relation complexe (car incertaine, spécifique et fréquente), tout
en garantissant l’indépendance des parties (il n’y a pas, à proprement parler,
“ intégration ”). Pour Williamson, cette structure a pour pendant dans le domaine
juridique le “ contrat relationnel ” mis à jour par Macneil (1978)6.
Existe-t-il en médecine une telle structure de gouvernance ? Ou bien cette
activité échappe-t-elle à la logique williamsonienne ? Non, si l’on remarque que
l’éthique peut aisément être identifiée à une structure bilatérale. Elle se donne bien
6 Williamson (1985, p.72) définit ainsi le contrat relationnel : “ By contrast with the
neoclassical system, where the reference point for effecting adaptation remains the original
agreement, the reference point under a truly relational approach is the entire relation as it
as developed through time ”