NATURE ET CREATION
(Textes du Laboratoire philo-théo-sciences de l’UCL 1997-2001)
De la génération spontanée à l’évolution biologique
Jean-Marie Exbrayat
Les êtres vivants sont caractérisés par une existence transitoire : ils naissent, se
développent et meurent. Ils naissent à partir d’autres êtres vivants qui leur sont semblables et
ils peuvent, à leur tour, donner naissance à de nouveaux êtres vivants qui seront leur
continuité. Ces nouveaux êtres, par le jeu des mutations et de la sélection naturelle,
engendreront de nouveaux êtres vivants, différents des premiers et, au fur et à mesure que le
temps passera, de multiples formes apparaîtront, variables selon les âges géologiques, qui
coloniseront peu à peu toute la surface de la Terre dans une biodiversité riche de plusieurs
milliers d’espèces animales, végétales, bactériennes ou virales.
L’origine même des êtres vivants pose problème. Il apparaît de nos jours que la
constitution de la première cellule vivante est issu de l’assemblage au hasard de molécules
complexes elles-mêmes issues de molécules plus simples appartenant à l’atmosphère terrestre
primitive ou provenant de l’espace.
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ”. La connaissance actuelle du
vivant représente une preuve de ce qu'exprime cette phrase attribuée à Lavoisier. Que ce soit
au moment de la combinaison de molécules simples en molécules complexes, de l’association
de ces dernières en organismes de plus en plus complexes, de l’utilisation par ces derniers
d’autres molécules issues d’organismes à travers les chaînes trophiques, il est certain que la
matière vivante et la matière minérale sont incluses dans un cycle de renouvellement constant
le jeu de la vie et de la mort représente une nécessité souvent cruelle. Cette matière
vivante, a priori instable, en perpétuelle évolution, s’adapte à travers les niveaux, à un
environnement changeant dont elle est à la fois l’acteur et le spectateur passif.
Dans les quelques pages qui suivent nous allons, au cours de cet essai, tenter de
montrer la nature du vivant à la surface de notre planète.
2
I - Aspect historique1
1) La génération spontanée.
Pour les Hommes de l’Antiquité, déjà, la structure même de la matière vivante posait
problème. La vie trouvait en permanence son origine dans l’inanimé, les êtres vivants
comportaient du feu, de la terre, de l’eau et de l’air ou une partie de ces éléments, chaque
organe étant plus ou moins riche en certains d’entre eux. Pour Démocrite (460 av. J.- C.), par
exemple, le monde était constitué d’agrégats d’atomes indestructibles et impénétrables. Les
atomes de feu étaient l’âme végétative qui vivifiait les autres atomes et l’ensemble devenait le
corps vivant. Des atomes particuliers disposés dans la poitrine des Hommes représentaient
l’esprit, la conscience. Une fois mort, les atomes de feu se séparaient du corps, ce dernier
refroidissait. Les semences permettant la reproduction étaient formées de particules
empruntées à tout le corps, aussi bien chez l’Homme que chez la Femme.
Pour Platon (428-347 av. J.-C.), l’être vivant était formé d’éléments inertes vivifiés par
une âme immatérielle liée à des éléments corporels dont la forme est apte à la recevoir. Platon
pensait également que des échanges permanents existaient entre le corps et le milieu extérieur
et entre le sang et les organes. Le sang transformé devenait sperme aussi bien chez l’Homme
que la Femme.
Aristote (384-322 av. J.-C.) avait remarqué que les animaux étaient issus d’animaux
identiques mais ils pouvaient également naître de la matière inerte, par exemple naissance
d’insectes à partir de boue ou de fumier. Pour Aristote, toute chose comporte un principe
passif, la matière et un principe actif, la forme. La conjonction des deux, si les conditions sont
favorables, donne l’existant, ou encore la capacité à organiser la matière vivante. Ces idées
ont présidé la pensée jusqu’au XVIIème siècle. Au Moyen-Âge, Saint-Augustin adapte l’idée
aistotélicienne à la pensée chrétienne. Pour Saint Thomas d’Aquin, l’explication du vivant par
la science d’une part et la théologie d’autre part, appartiennent à deux domaines différents.
Malgré les bouleversements de la cosmogonie après les prises de position de Copernic et de
Galilée, malgré les découvertes concernant la science du vivant, la pensée d’Aristote est
acceptée sans discussion avec, notamment, l’acceptation de la génération spontanée qui reste
une théorie officielle.
C’est au XVIIIème siècle que, le premier, Francesco Redi (1626-1698) pense que la
Terre, après avoir engendré au commencement les animaux et les plantes, sur l’ordre du
Créateur suprême et omnipotent, n’a plus donné naissance depuis à aucune sorte de plante ou
d’animal parfait ou imparfait. ” Le vivant ne peut provenir que du vivant. Les corps en
décomposition, le fumier servent de nid à des animaux qui pondent leurs œufs et il le
démontre par une expérience simple. Cependant, il est encore possible à ses yeux que
certaines générations soient spontanées. C’est toujours au XVIIème siècle que Van
Leeuwenhoek (1632-1723) construit un des premiers microscopes et découvre le monde de la
vie invisible : levures, infusoires, bactéries. Mais personne n’admet que de tels êtres
microscopiques puissent naître par reproduction sexuée, ils ne pouvaient se former qu’à partir
du milieu dans lequel on les observait.
1 Pour une histoire de la biologie voir De Wit, H.C.D., 1992, Histoire du développement de la biologie, Presses
polytechniques et universitaires romandes, 3 vol. ; voir aussi Buican, D., 1994, Histoire de la biologie,
Hérédité Evolution, coll. Sciences 128, Nathan éd.
3
A la fin du XVIIIème siècle, une controverse oppose l’abbé Needham, partisan de la
génération spontanée et l’abbé Spallanzani qui ne partage pas ses opinions. Des
expérimentations sont effectuées par l’un et l’autre savants sans parvenir à faire abandonner le
paradigme de la génération spontanée. Il faut attendre le XIXème siècle et Louis Pasteur
(1822-1895) pour mettre un point final à l’ère de la génération spontanée par une
démonstration célèbre de 1862, consécutive à la publication par Pouchet en 1859, d’un traité
de 700 pages sur les “ preuves ” de la génération spontanée. Parallèlement à cette controverse,
une nouvelle révolution scientifique se préparait : la théorie de l’évolution.
2) La théorie de l’Evolution
Le premier à énoncer l’idée d’évolution des espèces est certainement Lamarck (1744-
1859) dont le nom est attaché à la théorie des caractères acquis. Il faut cependant attendre
Darwin (1809-1882) et la théorie de la sélection naturelle pour que la compréhension du
phénomène de l’évolution prenne ses lettres de noblesse. Après le darwinisme initial, la
théorie est enrichie par la découverte de la génétique par Mendel et Hugo de Vries puis par les
travaux de Morgan en génétique des populations. A partir de 1940, la théorie synthétique de
l’évolution voit le jour avec Huxley qui lui donne ce nom mais aussi avec Mayr, Simpson,
Stebbins. Cette théorie reste à l’heure actuelle la théorie de référence concernant l’explication
des mécanismes de l’évolution malgré quelques essais épisodiques de renouveau. Basée sur la
sélection naturelle, elle utilise conjointement les données de la paléontologie, de l’anatomie
comparée de la génétique, de la biostratigraphie, de l’écologie. En bref, elle explique que des
variations génétiques de petite taille et aléatoires, les mutations, fournissent à l’espèce ne
variabilité inépuisable que la sélection naturelle ajoute constamment aux conditions de
l’environnement. Donc une adaptation constante de l’espèce conduit à des progrès continus et
graduels. Cette sélection ne joue pas le rôle d’un simple tamis , mais elle possède un pouvoir
sélectif de suscitation et d’organisation des potentialités du génome. Les progrès techniques
actuels et la connaissance moléculaire du génome, notamment des gènes du développement
laissent entrevoir cependant de nouveaux mécanismes explicatifs2. Par ailleurs, la théorie de
l’évolution préside également l’explication des origines de la vie, soumise à la sélection de
certains types moléculaires. Dans le paragraphe consacré à l’évolution biologique, nous
tenterons de donner les jalons des théories explicatives des origines de la vie et de l’évolution
biologique.
3) Les origines de la vie
A partir des années 1920, la notion d’évolution biologique est étendue à la matière
inanimée et c’est alors que prend forme le début d’une explication scientifique de l’origine de
la vie3. En1922, Oparin expose quelques hypothèses sur la manière dont les premières
cellules vivantes auraient pu se former à la surface de la Terre. Son ouvrage publié en 1924 ne
connaît aucun succès. En 1929, le Britannique Haldane publie indépendamment un ouvrage
exposant à peu près les mêmes principes mais il n’a pas plus de succès. Globalement, il était
2 Voir Chaline, J., 1999. Les Horloges du Vivant, Hachette Ed.
3 Auparavant, la question de l'origine de la vie n'est que rarement abordée par les scientifiques, même si Darwin
y fait allusion en 1871, lorsqu’il écrit “ .On dit fréquemment que toutes les conditions pour la primo
production d’un organisme vivant existent encore aujourd’hui et qu’elles ont toujours existé. Mais si
(attention, c’est un très grand si !) dans quelque mare chaude contenant toutes sortes de sels ammoniaqués et
phosphorés il pouvait se former, grâce entre autres, à la lumière, à la chaleur ou à l’électricité, etc., une
protéine prête à subir d’autres modification plus complexes, cette protéine serait de nos jours, instantanément
dévorée ou absorbée, ce qui n’aurait aucunement été le cas avant la formation es êtres vivants. ”(cité par
Leroy, F., 1993, L’origine de la vie, Biocosmos Centre éd.)
4
nécessaire que l’environnement primitif de la Terre soit riche en matériaux pouvant constituer
les organismes biologiques, permettant la formation de molécules organiques qui
s’accumulaient dans les Océans, formant ainsi la soupe primitive ”. Les premiers
organismes, hétérotrophes, puisaient alors leur énergie dans cette soupe ”. Ces organismes
simples auraient ensuite été soumis à la sélection naturelle pendant des millions d’années.
Puis ces êtres primitifs se seraient développés grâce à des mécanismes suivant en cela la
complexification chère à Teilhard de Chardin (1933) et auraient conduit au cours de
l’évolution à ce que nous connaissons. Parallèlement à cette hypothèse, des expérimentations
visant à reconstituer les conditions de l’atmosphère primitive, à reconstruire les premières
cellules, ont permis d’avancer dans la compréhension des phénomènes qui ont présidé aux
origines de la vie.
Depuis quelques années apparaît une nouvelle théorie concernant la colonisation de la
Terre par des molécules provenant de l’Univers ; ceci est étayé par la connaissance de plus en
plus précise de l’atmosphère et parfois- de la composition chimique d’autres planètes du
système solaire.
En quelques 2500 ans, la connaissance humaine et l’évolution des idées, aidées en cela
par la mise à disposition de moyens techniques de plus en plus importants a permis de passer
d’une vision statique et fixée de ce qu’est la vie à des explications plausibles des origines de
la vie et de l’évolution des êtres organisés jusqu’à l’Homme. L’idée de création fixe des êtres
vivants a été remplacée par l’idée d’évolution des êtres vivants soumis, par mutation-sélection
aux variations des conditions physico-chimiques du milieu environnant, et ceci dès les
premières molécules les plus simples de l’atmosphère terrestre ou provenant de l’Univers-
jusqu’à l’apparition de l’Homme.
II - La nature biologique des êtres vivants
La théorie cellulaire (Schleiden et Schwann, 1839) nous explique que "la cellule
représente la plus petite unité de matière vivante et que tous les êtres vivants sont formés de
cellules4. En effet, tous les corps vivants sont bien constitués de cellules. Les êtres les plus
simples (hormis les virus, mais les virus sont-ils des êtres vivants?5) sont formés d'une seule
et unique cellule à la structure très simple: ce sont les procaryotes, dépourvus d'un "vrai"
noyau mais contenant déjà tous les éléments nécessaires au stockage et à la transmission de
l'information. Ce sont les mycoplasmes et les bactéries que je me contenterai de signaler. Les
êtres un peu plus complexes sont des êtres unicellulaires appartenant au groupe des eucaryotes
(avec un "bon" noyau). Leur matériel génétique (ADN) est situé dans un espace entouré d'une
enveloppe, le noyau qui est ainsi séparé du reste de la cellule, le cytoplasme. Les autres êtres
vivants, métazoaires et métaphytes, sont constitués de nombreuses cellules. Chez un être
humain on en compte plusieurs centaines de millions.
Tous les organismes sont donc constitués d’une ou de plusieurs cellules à l'aspect
souvent très particulier. Mais toutes ces cellules sont construites sur un plan général commun,
l'archétype, à partir duquel elles présentent leurs propres particularités, leur propres aspects
fonctionnels. Tous les éléments présents dans une cellule participent à la vie cellulaire.
4 Cette phrase célèbre a été énoncée en réalité en 1858 par le pathologiste allemand Virchow.
5 Cette question reste posée. Les virus sont des vivants si on considère que le vivant est un être doué
d'autoréplication. Mais est-ce un vivant selon l'autre définition pour laquelle un être vivant est un système
isolé du milieu externe dans lequel s'effectuent les réactions chimiques d'un métabolisme, même si un virus
peut se résumer à un acide nucléique entouré d'une capside protéique ?
5
Chaque cellule élabore des substances, en particulier ses propres constituants, à partir
d'éléments qui lui sont fournis; elle en dégrade ou en transforme d'autres; elle est enfin
capable de se diviser en deux cellules-filles.
1) La structure cellulaire
La structure cellulaire est liée à son activité. Pour comprendre la complexité de ce
système, quelques mots concernant la structure générale des cellules s'imposent.
Si on observe une cellule au microscope électronique, on aperçoit diverses cavités limitées par des
membranes. La biochimie nous indique que c'est dans ces cavités que s'effectuent les synthèses et les autres
réactions chimiques. Toutes ces cavités, depuis l'enveloppe nucléaire jusqu'aux dictyosomes (formant l'appareil
de Golgi), en passant par le réticulum endoplasmique, sont en relation entre elles et avec la membrane plasmique
limitant la cellule. Les communications peuvent être directes (enveloppe nucléaire - réticulum) ou peuvent se
faire par l'intermédiaire de vésicules qui se tachent d'un système puis fusionnent avec un autre. Des substances
peuvent donc être transférées d'un point à l'autre de la cellule, sans contact avec le cytoplasme. Ces échanges
transmembranaires sont rendus possibles grâce à la structure moléculaire des membranes, toutes bâties sur le
même modèle sauf chez les archaebactéries : une bicouche de phospholipides dans laquelle flottent des
protéines. L'ensemble est plus ou moins fluide selon les besoins : c'est le modèle de la "mosaïque fluide" (ou
membrane semi-fluide).
Voyons le cas particulier de la membrane plasmique. Celle-ci limite la cellule et assure
un rôle de protection et d'échanges avec le milieu extracellulaire. Lorsqu'une vésicule issue du
Golgi, par exemple, approche de la membrane plasmique, les deux systèmes membranaires
fusionnent et la substance contenue dans la vésicule est rejetée à l'extérieur: il y a exocytose.
Inversement, la membrane plasmique peut s'invaginer localement, formant ainsi une vésicule
qui capte un élément extérieur reconnu par la surface membranaire grâce à des molécules
réceptrices. Cet élément sera ensuite introduit dans la cellule: c'est l'endocytose.
Tous les systèmes membranaires sont dynamiques, sans cesse détruits et reconstruit,
en fonction des besoins de la cellule.
2) L'énergie
Cette rapide vue d'ensemble montre que la cellule est le siège d'une activité intense qui
nécessite de la matière. Elle nécessite également de l'énergie. L'apport de cette dernière est
assurée par la respiration cellulaire. Le combustible, sucre, graisse ou protéine, est apporté par
l'alimentation. Il est dégradé en petites molécules dans le cytoplasme. Ces petites molécules
sont ensuite stockées dans les mitochondries sous forme d'acétyl-coenzyme A, une molécule
particulière qui peut être oxydée ce qui permet de libérer de l'énergie. Cette dernière est
ensuite stockée à son tour dans des réservoirs chimiques. Ces derniers sont des molécules
telles que l'Adénosine Di Phosphate (ADP) qui, sous l'effet de l'énergie libérée, captent une
molécule de phosphate et deviennent ainsi Adénosine TriPhosphate (ATP). Cette réaction qui
peut être écrite
ADP + P + Energie ------> ATP
est réversible. Lorsque la molécule a besoin d'énergie, l'ATP se dégrade et libère
l'énergie qui peut ainsi être utilisée. Du CO2, produit de déchet, est alors rejeté.
3) L'information
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