MAI 2006 _ PHARMACEUTIQUES
actualités 71
PRESCRIPTION
UN NOUVEAU POUVOIR
POUR LE PHARMACIEN ?
La notion de pharmacien prescripteur nest pas
inédite mais la signature de la nouvelle convention
nationale ouvre des perspectives. L’idée, aussi
prometteuse que risquée, ne convainc pas tous les
acteurs du système de santé. Les officinaux relèvent
le défi.
——————
S’il fallait encore prouver le
rôle essentiel du pharma-
cien dans le système de
soins, la convention natio-
nale a signée le 30 mars dernier avec
l’assurance-maladie l’officialise. Cet
accord met fin à plusieurs années de
lutte des officinaux, enfin reconnus
comme profession de santé, à l’instar
des médecins, dentistes, kinésithéra-
peutes et infirmières. Ils bénéficient
désormais d’un cadre juridique simi-
laire et sont confortés dans leurs mis-
sions et objectifs, que sont l’aide à
l’observance, la prévention de la ia-
trogénie, la dispensation de conseils
de prévention, l’éducation à la santé,
l’exercice en coordination avec les
autres professionnels de santé et le
soutien des campagnes de santé pu-
blique. La convention intègre l’ac-
cord générique du 6 janvier 2006 et
appelle les pharmaciens à pleine-
ment s’engager dans la maîtrise mé-
dicalisée des dépenses. Elle prévoit
ultérieurement la définition d’objec-
tifs de qualité via des accords de bon
usage du médicament dans plusieurs
domaines thérapeutiques : asthme,
diabète, hypertension artérielle,
contraception d’urgence,
vaccination antigrippale
ou encore associations
formellement contre-in-
diquées. D’autres ave-
nants fixeront notam-
ment les modalités de
participation des phar-
maciens aux réseaux de santé et de
leur formation continue. Les signa-
taires ont enfin convenu d’étudier
avec le corps médical la possibilité
pour le pharmacien de renouveler
des ordonnances en cas d’indispo-
nibilité du prescripteur dans le cadre
d’un traitement chronique. A l’heure
d’un système de santé engorgé et
d’une nécessaire réorganisation des
soins, le concept séduit. La profes-
sion le revendiquait déjà. Elle voit au-
jourd’hui dans la convention natio-
nale pharmaceutique le socle d’une
évolution. Elle se mobilise aujour-
d’hui pour élargir son champ de
compétences et adapter son statut au
développement de ses missions, ac-
tivement éperonnée par son Acadé-
mie et le Collectif des groupements
de pharmaciens, qui ont récemment
ouvert le débat.
Une évolution plutôt qu’une révolu-
tion. En octobre 2005, dans un rap-
port consacré à l’évolution des pra-
tiques professionnelles en pharmacie
d’officine, l’Académie nationale de
pharmacie évoque
pour la première fois
l’intérêt de permettre
au pharmacien de
prescrire dans des cas
précis : traitement de
la douleur et des affec-
tions bénignes, suivi
des maladies chroniques, prescrip-
tions liées à la prévention et au dé-
pistage (vaccins, home-tests, suivi
diététique…), ou facilitant la coordi-
nation à l’intérieur des réseaux de
soins, dans le cadre du maintien à
domicile (mucoviscidose, sida...).
L’institution suggère d’officialiser le
pharmacien en tant que prescripteur
complémentaire, voire d’étendre ce
rôle à la prescription initiale pour un
traitement de courte durée d’affec-
tions courantes et symptomatiques.
A ses yeux, cette « possible et même
probable évolution » s’avère indis-
pensable dans le contexte actuel. Qui
16%
22%
22%
37%
1%
1% 1%
Oui,
certainement
Oui,
probablement
Non, probablement pas
Non,
certainement pas
NSP
Ne peut pas répondre,
demande réflexion Ça dépend
PETIT RISQUE : LES GÉNÉRALISTES
RÉSERVÉS
Pourrait-on envisager dans l’avenir que le pharmacien, dans un cadre
limité, prescrive des médicaments pour le petit risque en France ?
Un atout pour
l’économie de
santé
SOURCE : ENQUÊTE HARRIS AUPRÈS DE 250 MÉDECINS
GÉNÉRALISTES EN DÉCEMBRE 2004
Prescription 27/04/06 19:51 Page 2
PRESCRIPTION actualités
MAI 2006 _ PHARMACEUTIQUES
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ne sait pas que la population vieillit et
que les techniques de soins et de dia-
gnostic progressent ? Qui n’a jamais
entendu parler des exigences de plus
en plus fortes des patients en termes
de qualité des soins et d’information
sur la santé ? Qui ne connaît pas la
pénurie latente des professionnels de
santé ?
Le Collectif des groupements de
pharmaciens a voulu dresser le por-
trait du « pharmacien de demain »
lors d’un colloque parlementaire or-
ganisé au début de mars. Pour lui
aussi, le pharmacien sera prescrip-
teur. Simple logique après l’obten-
tion du droit de substitution en 1999,
la signature du décret relatif à la
contraception d’urgence en 2002 et le
délistage des substituts nicotiniques.
Le pharmacien a déjà fait preuve
d’une implication et d’un rôle actifs
dans les politiques de santé publique.
Ses responsabilités se sont aussi étof-
fées avec la sortie de médicaments de
la réserve hospitalière. Ainsi, « dans le
prolongement du rôle de conseil qu’il
assume spontanément auprès de ses
patients et après un interrogatoire
approprié permettant d’apprécier la
gravité des symptômes de la maladie,
le pharmacien prescripteur pourrait,
soit orienter le patient vers le méde-
cin, soit délivrer, sans ordonnance
médicale, certains médicaments pris
en charge, dans certaines conditions,
par la Sécurité sociale ou les orga-
nismes complémentaires ».
Outre un avantage certain pour le
patient, traiter directement la patho-
logie légère éviterait qu’elle ne se dé-
grade, limiterait le recours systéma-
tique à la consultation médicale
et/ou à l’arrêt de travail, désencom-
brerait les cabinets médicaux et les
services d’urgences et concourrait ef-
ficacement à la diminution des dé-
penses de l’assurance-maladie.
CQFD. La prescription pharmaceu-
tique présenterait comme autres inté-
rêts de permettre aux médecins de
consacrer plus de temps à certains pa-
tients et de se concentrer sur la patho-
logie. Les laboratoires bénéficieraient
d’un meilleur suivi thérapeutique, cli-
nique et de pharmacovigilance de
leurs produits.
Un ambitieux chantier. L’Observa-
toire de la pharmacie indiquait l’an
dernier que 9 officinaux sur 10 se dé-
clarent favorables à la prise en charge
du petit risque à l’officine et 7 sur 10
au renouvellement de médicament
chez un patient chro-
nique entre deux visites
de contrôle chez le mé-
decin. Justement, qu’en
pensent les généra-
listes… et les patients ?
Selon une enquête Har-
ris réalisée en 2004, les
omnipraticiens reconnaissent au
pharmacien sa légitimité pour le
suivi de l’observance et la préven-
tion. Cependant, 60 % d’entre eux se
montrent sceptiques, voire s’oppo-
sent à une éventuelle implication
dans le dépistage des pathologies et
des facteurs de risque, à la possibilité
de renouveler des traitements même
pour des pathologies chroniques et
de prescrire en autonomie dans le
cadre du « petit risque ». Certains
perçoivent même les pharmaciens
comme des concurrents. Les assurés
adhèrent davantage à l’idée : 73 %
des Français sont favorables à une
prescription du pharmacien pour
des pathologies à petit risque*.
L’Observatoire de la pharmacie
avait également relevé quelques in-
quiétudes au sein même de la pro-
fession, telles le manque de temps,
les problèmes de responsabilité et la
subsistance d’un certain complexe
vis-à-vis des médecins. Le pharma-
cien ne dispose pas non plus des
moyens pratiques qu’exige l’acte de
prescription. A savoir un espace de
confidentialité, du temps à consacrer
à chaque patient, une rémunération
spécifique, un remboursement de la
prescription et un large accès au dos-
sier médical personnel. Sa formation
devra être adaptée et complétée par
la création de modules universitaires
spécialisés et l’instauration d’une for-
mation continue commune avec les
médecins. Le pharmacien devra
adopter une démarche qualité effec-
tive et s’intégrer à un réseau de soin.
Instaurer la prescription pharmaceu-
tique soulève en outre quelques
questions. Faudra-t-il par exemple
réserver cet acte aux pharmaciens
remplissant les condi-
tions requises préci-
tées ? La consomma-
tion de médicaments
progresse : autoriser le
pharmacien à prescrire
ne risquerait-il pas de
l’intensifier encore ?
Quelle prise en charge proposeraient
les complémentaires ? Enfin, le mar-
ché de l’automédication est sous-uti-
lisé en France et ne représente que
10 % environ du chiffre d’affaires de
l’officine : la perspective économique
que représente la prescription phar-
maceutique suscite des inquiétudes
déontologiques.
L’ouverture du débat est aussi
complexe que justifiée. Le pharma-
cien apparaît déjà prescripteur à bien
des égards, mais le cadre reste à dé-
finir, en concertation avec le corps
médical. Il s’agira de nouer des liens,
d’inventorier ensemble les patholo-
gies et les traitements pouvant être
concernés et de préciser le champ et
les moyens de l’autorisation de pres-
cription. Le partenariat avec les gé-
néralistes implique en effet une dé-
termination claire des rôles et
responsabilités de chacun, un sys-
tème organisé et coordonné, in-
cluant des niveaux et des modes de
rémunération adaptés. Seul un projet
commun, efficace et professionnel
pourra voir le jour. Avant de le pré-
senter aux pouvoirs publics, il fera
l’objet d’une expérimentation en ré-
gion dès 2007, en partenariat avec les
caisses d’assurance-maladie.
ANNE-LAURE MERCIER
- Grande-Bretagne : officialisation
du rôle de prescripteur du
pharmacien
- Québec : modification du code
des professions plaçant le
pharmacien au premier plan de
l’acte pharmaceutique
A L’ÉTRANGER
14%
21%
22%
42%
1%
Oui,
certainement
Oui,
probablement
Non, probablement pas
Non,
certainement pas
Ça dépend
RENOUVELLEMENT DE TRAITEMENTS
CHRONIQUES : C’EST PLUTÔT NON
A votre avis, pourrait-on envisager que le pharmacien joue un rôle de
prescription en France ?
Une « possible et
même probable
évolution »
* Enquête Pharmagora-Ipsos, avril 2006
SOURCE : ENQUÊTE HARRIS AUPRÈS DE 250 MÉDECINS
GÉNÉRALISTES EN DÉCEMBRE 2004
Prescription 27/04/06 19:51 Page 4
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