Les gènes n`expliquent pas tout le vivant - Site SVT - Aix

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Andràs Paldi : «Imaginez qu’on essaie de comprendre le fonctionnement de la
fusée Ariane en lisant le catalogue de ses pièces détachées. Et pourtant la fusée
est d’une simplicité étonnante par rapport à une cellule vivante !»
(Photo Paul Delort/Le Figaro.)
«Les gènes n’expliquent pas tout le
vivant»
Andras Paldi, chercheur d’origine hongroise remet en question la
théorie actuellement dominante du déterminisme génétique...
Par Yves MISEREY
[18 juillet 2002]
LE FIGARO. Deux ans après le décryptage du génome, peut-on déjà dire que la
génétique ne tient pas toutes les promesses que l’on avait annoncées ?
Andràs PALDI. Les non-spécialistes peuvent en effet s’interroger. En ce qui
concerne les généticiens, cela fait longtemps que la question s’est posée. Le
séquençage du génome humain a été très médiatisé mais on connaît aussi la
séquence du génome d’autres organismes, beaucoup plus simples que celui de
l’homme : des dizaines de bactéries, un grand nombre de virus, des organismes plus
complexes comme la drosophile ou l’Arabidopsis. Mais même après dix ans d’études
des séquences génomiques, on ne sait toujours pas comment ces organismes
fonctionnent.
On connaît les gènes mais on ne sait pas ce qu’ils font. Est-ce que c’est là la
difficulté ?
Exactement. Beaucoup de chercheurs pensent qu’il suffit de séquencer le génome
d’un organisme pour comprendre son fonctionnement. Force est de constater que ce
n’est pas vrai. La séquence génomique des organismes simples, comme le virus du
sida ou de l’hépatite, est connue depuis longtemps, mais on ne comprend toujours
pas comment ils se reproduisent dans la cellule infectée. Pour le génome humain,
c’est la même chose en plus compliqué. On connaît depuis longtemps des gènes
dont la mutation est considérée comme la cause principale des pathologies
héréditaires. Sauf les cas les plus simples, on ne sait toujours pas comment ces
maladies se développent.
Est-ce pour cette raison qu’on se tourne maintenant vers les protéines à défaut
de pouvoir arriver à des résultats par le gène ?
Oui, c’est l’étape suivante. Les gènes ne codent que la structure primaire des
protéines. Leur structure définitive se forme par l’interaction avec les autres protéines
et les autres composants de la cellule. En dressant un catalogue des protéines, on
risque de repousser le problème un peu plus loin. On peut les lister comme on a fait
pour les gènes. Mais ce n’est pas avec une description des composants de la cellule
vivante qu’on va arriver plus près de l’explication de son fonctionnement. Pour savoir
comment le vivant fonctionne, il faut arriver à comprendre les types d’interactions
entre les différents composants et les lois qui dirigent ces interactions. Ces lois ne
sont pas codées dans le génome. Imaginez qu’on essaie de comprendre le
fonctionnement de la fusée Ariane en lisant le catalogue de ses pièces détachées. Et
pourtant la fusée est d’une simplicité étonnante par rapport à une cellule vivante !
Est-on à la veille d’une révolution scientifique ?
Effectivement, je crois qu’on arrive à la fin d’une période de développement de la
génétique. Elle a débuté au début du XXe siècle et se caractérise par la notion clé du
gène « tout-puissant », selon laquelle les gènes contiennent l’information nécessaire
et suffisante pour le développement d’un organisme vivant. On arrive à la fin de cette
période et l’on s’aperçoit que ce schéma explicatif a de plus en plus de mal à rendre
compte de la variété des phénomènes héréditaires qu’on observe.
Qu’est-ce qui va suivre ?
C’est difficile à dire. On voit l’émergence de théories concurrentes qu’on regroupe le
plus souvent sous le qualificatif d’« épigénétiques », mais il est trop tôt pour dire
laquelle sera acceptée par la communauté scientifique. Il s’agit de voir le vivant dans
sa globalité plutôt que de s’en remettre à quelques éléments statiques comme la
molécule d’ADN. Malgré tout, la théorie du déterminisme génétique reste pour
l’instant dominante, même si les problèmes conceptuels commencent à être discutés
dans les plus grandes revues scientifiques. L’année dernière par exemple, la revue
Science a consacré un numéro spécial à l’épigénétique.
Est-ce que cela revient à dire que les gènes n’ont qu’un rôle limité ?
L’épigénétique actuelle essaie d’incorporer dans son schéma explicatif les gènes qui
codent la structure primaire des protéines mais en ajoutant à cela un mode de
fonctionnement qui permettrait d’expliquer la grande liberté de la matière vivante à
s’autoorganiser. L’information codée par le génome est essentielle, mais elle est loin
d’être suffisante.
Quand vous dites que l’ADN n’est pas un programme génétique mais une
banque de données, c’est ce que vous voulez dire aussi.
Oui. En reprenant une analogie empruntée à l’informatique, il est possible de
comparer le génome à une base de données. Selon la génétique classique,
l’expression de ces gènes, c’est-à-dire l’utilisation de ces données, est déterminée
par le programme génétique qui est lui-même inscrit dans la même base de
données. Les mutations qui entraînent une maladie héréditaire, par exemple, sont
les bogues de ce programme. Traditionellement en biologie, on applique une vision
déterministe selon laquelle le vivant est ordonné comme le mécanisme d’une
horloge. Or, en physique, on a abandonné la vision déterministe, newtonienne de
l’horloge en faveur de la mécanique statistique. Selon l’expression de Schrödinger,
dans la nature, « l’ordre se fait à partir du désordre ». Ce sont les mêmes lois
physiques qui agissent dans une cellule vivante. Pour les théories épigénétiques,
l’expression des gènes fait partie des milliards de réactions biochimiques qui se
déroulent dans une cellule vivante. A cause de leur grand nombre, ces réactions
obéissent à des lois statistiques.
La génétique n’a-t-elle pas sorti l’ADN du vivant comme si c’était elle qui le
gouvernait ?
Tout à fait. Ce sera justement l’enjeu de la prochaine révolution génétique : redonner
sa place à l’ADN dans l’énorme complexité d’interactions biochimiques du vivant. On
ne la met plus sur un piédestal comme un dictateur qui dirige le déroulement de la
vie.
Comment expliquez-vous qu’encore aujourd’hui cette image continue à être
véhiculée par nombre de scientifiques ?
Ça devrait durer encore pas mal de temps. Il y a une tradition très profonde de la
vision hiérarchisée dans la génétique. Il faut bien voir aussi qu’il y a maintenant une
industrie très puissante qui fonctionne autour du « tout-génétique » ou du « tout-ADN
». Les intérêts vont désormais bien au-delà de la science.
Cela va avoir de multiples conséquences, notamment sur la thérapie génique,
le clonage thérapeutique sans parler du clonage reproductif. Dans tous ces
domaines on a en effet beaucoup misé sur la toute-puissance des gènes et de
l’ADN. Est-ce que ces recherches vont être remises en question ?
La thérapie génique est basée sur l’idée du vivant fonctionnant comme une horloge.
Il suffit de remplacer le gène mutant pour rétablir une situation normale. Cela ne peut
arriver qu’exceptionnellement. La plupart du temps, on s’aperçoit qu’il ne suffit pas de
remplacer le morceau défectueux dans le mécanisme parce qu’il manque la
dimension du temps. Le gène doit être là depuis le début pour que l’organisme
fonctionne correctement. Si on ne tient pas compte de cet aspect, la plupart des
essais de thérapie génique ne marcheront pas.
Et pour le clonage, d’où vient la faille ?
On transporte un génome entier d’une cellule à l’autre en pensant que toute
l’information se trouvant dans l’ADN suffira pour recréer un individu identique à
l’original. L’erreur est là : il ne suffit pas de transplanter le génome entier parce qu’il
manque le reste de l’information qui n’est pas contenue dans les gènes. Même si,
dans certains cas, avec une efficacité de plus en plus grande, on arrive à recréer un
être vivant à partir d’un ovocyte et un noyau d’une cellule somatique, cet individu ne
sera jamais identique ni au donneur du noyau ni à celui de l’ovocyte. C’est pour cela
que le clonage restera un outil de recherche des mécanismes épigénétiques mais
son utilisation pratique sera limitée à des cas particuliers.
Est-ce que c’est la même chose pour le clonage thérapeutique ?
Oui. De toute façon, parler de clonage thérapeutique est extrêmement prématuré car
ni la thérapie génique ni la thérapie cellulaire ne marchent. Ce n’est encore qu’une
possibilité théorique.
Mais alors pourquoi nous parle-t-on de toutes ses possibilités comme si elles
étaient pour demain ?
L’optimisme attire plus d’attention. L’opinion de la communauté scientifique n’est pas
homogène. Il y a des débats parfois très violents sur toutes ces questions. L’extrême
diversité des opinions est le signe précurseur d’une révolution scientifique. Les
divergences émergent quand le consensus sur les principes de base est brisé. Ce
n’est pas encore le cas, mais on n’en est pas très loin.
Alors pourquoi n’entend-on toujours que les mêmes spécialistes, tenants du
tout-génétique ?
Les gens préfèrent entendre des prédictions positives et optimistes que des
réflexions sur l’incertitude de nos connaissances. Les intérêts économiques
représentent une pression supplémentaire sur les scientifiques aussi bien dans le
choix de l’orientation des recherches que dans la façon de présenter et d’expliquer
ces choix. Une bonne partie du soutien de la recherche vient de l’industrie. La
distance entre la recherche fondamentale et appliquée diminue et la pression de
produire rapidement des résultats directement applicables augmente. Dans ces
conditions, la tentation de faire des promesses optimistes est grande. Il suffit de
regarder l’évolution des cours d’actions de certaines firmes biotechnologiques quand
elles annoncent par exemple qu’elles vont se lancer dans le clonage thérapeutique
ou reproductif ; on voit que leurs motivations ne sont pas toujours scientifiques. La
Bourse elle-même commence d’ailleurs à s’interroger.
Quel est le bilan de la génétique actuelle ?
Difficile à dire. Le développement technologique a rendu possible un progrès
considérable dans la description du vivant. Le séquencage des génomes, par
exemple, en fait partie. Je comparerais ce progrès aux grandes découvertes
géographiques du XVIe siècle. Sans ce travail, on ne serait pas en mesure de voir
les limites de la génétique actuelle. Sur le plan pratique, le bilan est plus mitigé. Par
exemple, les tests génétiques de certaines maladies dites monogéniques sont très
utiles. Mais dans la majorité des cas, on n’observe qu’une corrélation statistique
entre la fréquence d’une mutation dans une population de personnes atteintes. Dans
ces cas, on parle souvent de « prédisposition ». Une observation statistique au
niveau d’une population ne permet pas de faire des prédictions ou de proposer une
prévention au niveau individuelle. On ne peut pas savoir si le porteur d’une telle
mutation vivra cent ans sans maladie ou si celle-ci va se déclencher dans les quinze
jours.
Pourquoi ? Est-ce parce qu’on est incapable de prendre en compte toute cette
loterie ?
Exactement.
Après le tout-ADN, vers quoi va-t-on se tourner ?
L’ADN est un composant essentiel mais on a eu tort de croire qu’il est le plus
important. Nous sommes tellement aveuglés par une découverte que nous avons
oublié ce qui échappe à l’explication. Les choses sont en train de changer.
http://www.lefigaro.fr/dos_20/20020718.FIG_D0262.html
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