Le premier chapitre, intitulé « À quoi servent les
pauvres ? » s’interroge sur la signification de la pau-
vreté. Dépassant les débats sur les modalités de
mesure de la pauvreté, les sociologues se position-
nent résolument dans le sillage de Georg Simmel (1),
sur une définition relationnelle de la pauvreté :
sont pauvres les individus que la société considère
comme tels et auxquels elle apporte son soutien
pour cette raison. Au-delà du nombre de pauvres,
c’est donc la signification de cette catégorie
sociale qui intéresse S. Paugam et N. Duvoux et, à
ce titre, ils soulignent la dimension multiple de la
pauvreté, notamment les problématiques relation-
nelles. Ainsi, selon eux, la pauvreté a une utilité
dans la société. D’un point de vue économique,
l’existence de pauvres garantit la possibilité du
recours à une main-d’œuvre peu coûteuse. D’un
point de vue social, la pauvreté offre à l’ensemble
de la société un statut enviable de non-pauvres.
Constatant par ailleurs le retour d’une certaine
forme de philanthropie (via les ONG notamment),
les deux sociologues soulignent que l’assistance
permet de garantir la moralité et le sens de la cha-
rité du donateur. En somme, la société n’aurait pas
intérêt à traiter de façon trop radicale la pauvreté,
qui remplit une mission sociale.
Dans un deuxième chapitre, les auteurs soulèvent
un paradoxe : alors que, depuis les années 1970,
le nombre de pauvres diminue, le sentiment
commun pense le contraire. Plusieurs phénomènes
justifient ce mouvement contradictoire en appa-
rence. La pauvreté d’antan était celle des personnes
âgées ; une redistribution sociale efficace en
termes de retraites pouvait combler le problème.
Aujourd’hui, les formes nouvelles de la pauvreté
touchent des publics plus divers ; il semble même
qu’elle puisse concerner tout le monde ; par
ailleurs, alors qu’au-delà de la pauvreté moné-
taire, la pauvreté est aujourd’hui pluridimension-
nelle, sa solution semble moins évidente. Repre-
nant sa typologie devenue classique, S. Paugam
distingue à ce propos la pauvreté intégrée des
pays où le nombre de pauvres est important mais
où ils sont intégrés à la vie sociale, la pauvreté
marginale où le nombre de pauvres est faible et où
ils sont traités par l’assistance, formant les marges
de la société, et la pauvreté disqualifiante, où le
traitement de la pauvreté ne parvient pas à libérer
les individus du stigmate de leur position sociale.
Notre société corporatiste conduirait plutôt à ce
troisième type de pauvreté, dans un contexte
d’échec des politiques d’insertion menées depuis
vingt ans.
Le troisième chapitre aborde plus précisément
l’usure de la compassion. Sous ce vocabulaire
réside une interprétation commune croissante
de la pauvreté par des facteurs individuels (la
paresse), au détriment de facteurs causaux sociaux
(l’injustice). Les périodes de reprise économique
sont particulièrement propices à ce type d’analyse
(il suffirait de chercher du travail). Aujourd’hui, le
développement du temps partiel, qui déplace la
norme du travail à un demi-SMIC, la comparaison
financière du montant du revenu minimum d’in-
sertion avec le salaire des travailleurs précaires, la
valorisation médiatique de la fraude, tendent à
délégitimer l’action publique auprès des publics
vulnérables, dont l’hétérogénéité est très mal
retranscrite dans le débat public. Ce mouvement
de culpabilisation est si important que les béné-
ficiaires eux-mêmes intériorisent cette nouvelle
contrainte d’injonction à l’autonomie. Selon les
auteurs, la responsabilisation des bénéficiaires ne
doit toutefois pas conduire à une déresponsabili-
sation de la société vis-à-vis d’eux. Les individus
doivent pouvoir compter, de la part de la société,
sur la protection (compter sur) et sur la reconnais-
sance (compter pour). Ainsi, le développement de
la responsabilité individuelle ne peut se faire sans
que la société elle-même donne à chacun les possi-
bilités de réaliser ses projets, liberté que l’écono-
miste Amartya Sen a théorisé sous le vocable de
« capabilité » (2).
Dans un quatrième chapitre est abordée la question
des territoires de la solidarité, et du rôle de l’État.
Pour S. Paugam et N. Duvoux, si elle ne repré-
sente pas en soi un désengagement des pouvoirs
publics, la décentralisation pose trois types de
problèmes. Le premier est celui de la séparation
du traitement des pauvres de celui de l’ensemble
de la société. Selon les deux sociologues, les doc-
trines du solidarisme impliquent que la pauvreté
concerne toute la société. Par ailleurs, faisant du
département le pivot des politiques d’insertion, la
décentralisation scinde la question sociale de la
question économique, traitée par la région. Enfin,
ce mouvement provoque une certaine inégalité
sur le territoire. Parallèlement à ce mouvement,
on assiste à une individualisation du vécu de l’ex-
clusion, a priori en tension avec la nécessité
étatique d’avoir, pour objectiver le soutien public,
des catégories de bénéficiaires. De ce fait, et alors
même que c’est toujours l’État qui détermine les
catégories de la solidarité, son rôle est de plus
en plus contesté, avec la multiplication des
niveaux d’interventions (de l’Europe à la commune).
C’est pourquoi la nécessité d’organiser ce « sys-
tème multisolidaire emboîté » (p. 80) leur semble
impérative.
Dans un cinquième chapitre, est traité le lien entre
l’assistance et l’emploi. Après une critique des
dispositifs d’insertion en général et du revenu de
Politiques sociales et familiales n° 98 - décembre 2009
113 Comptes rendus de lectures
(1) Simmel G., 1998, Les pauvres, édition allemande 1907, édition française Paris, PUF, Quadrige.
(2) Sen A., 2000, Repenser l’inégalité, Paris, Seuil.