Serge Paugam La disqualification sociale Essai sur la nouvelle pauvreté e 2009 (4 édition), Paris, PUF, collection Quadrige, essais débats, 256 pages. Issu de la thèse du sociologue soutenue en 1988, cet ouvrage est devenu un classique de la sociologie de l’exclusion, depuis sa première publication en 1991. L’originalité de son propos, qui garde toute son actualité, est de rompre avec la logique qui vise à s’intéresser aux questions de pauvreté en tentant de mesurer le phénomène et de définir un « seuil de pauvreté ». Constat fait de la difficulté, voire de la fatuité, d’un tel exercice, il s’agit, dans cette thèse, d’étudier la pauvreté comme une condition socialement reconnue : « ce qui est sociologiquement pertinent, ce n’est pas la pauvreté en tant que telle mais les formes institutionnelles que prend ce phénomène dans une société ou un environnement donné » (p. 24). Que signifie finalement mesurer la pauvreté si on n’interroge pas les représentations sociales et les expériences vécues de la pauvreté ? Ce qui intéresse Serge Paugam, ce sont les identités de ces populations « pauvres » ou du moins désignées comme telles par les institutions. Conduite entre 1986 et 1987 dans la commune de Saint-Brieuc – département agricole fortement touché par le chômage de longue durée – l’enquête repose, d’une part, sur l’analyse des données administratives et, d’autre part, sur soixante-dix entretiens. Les données ont été fournies par la caisse d’Allocations familiales, le service départemental de l’action sanitaire et sociale ainsi que le centre communal d’action sociale de Saint-Brieuc. Quant aux entretiens, le choix s’est porté sur les habitants de la cité du Point-du-Jour. Cette thèse a permis de distinguer trois catégories de population en fonction du rapport entretenu avec les institutions d’action sociale : • les fragiles : des individus connaissant une précarité économique (petits boulots, chômage, etc.) et bénéficiant ponctuellement d’une aide sociale ; • les assistés : des personnes dont les revenus sont uniquement issus de la protection sociale (handicap physique ou mental ; difficultés liées à l’éducation et entretien des enfants et qui font l’objet d’un suivi contractuel régulier par les travailleurs sociaux ; • les marginaux : ils ne bénéficient d’aucun revenu et sont plutôt stigmatisés par leur entourage. La typologie ainsi construite ne correspond pas à des catégories administratives mais bien analytiques, véritable support de l’argumentation sociologique. S. Paugam montre ainsi comment, pour les individus, le sentiment d’un statut dévalorisé participe de la construction d’une identité négative et conduit à ce qu’il nomme « la disqualification sociale ». Cette dernière renvoie précisément aux modes de désignation des individus et à leurs effets sur le plan identitaire. Vingt ans après, la nouvelle préface est l’occasion, selon S. Paugam, « d’adopter un regard plus réflexif et critique, non pas seulement sur l’ouvrage lui-même, mais aussi sur le champ des recherches sur la pauvreté » (p. I). En 1994 (préface à une réédition) déjà, le sociologue avait actualisé son propos suite aux travaux sur les bénéficiaires du revenu minimum d’insertion (RMI), menés dans les années 1990 pour le compte du Centre d’études sur les revenus et les coûts (CERC) (*). S. Paugam était alors revenu sur sa typologie initiale. Il précisait dans cette préface que les trois catégories correspondent à trois phases différentes dans le processus de disqualification sociale. L’idée de processus lui permet de les redéfinir : • les « fragiles » sont plutôt des individus « en situation de fragilité » : ils vivent l’épreuve du déclassement social ou ont des difficultés d’insertion professionnelle ; • les « assistés » sont « en assistance » par leur dépendance vis-à-vis des travailleurs sociaux ; • pour les « marginaux », il serait plus juste de parler de « rupture du lien social ». Raisonner en terme de processus invite à prendre en compte le parcours et non plus la situation à un moment donné. Ainsi, une situation de fragilité peut conduire à une phase de dépendance parce que la précarité professionnelle entraîne une baisse de revenus et la dégradation des conditions de vie. (*) Paugam S. (avec Euvrard F. et Lion J.), Atouts et difficultés des allocataires du RMI, Paris, La Documentation française, « Documents du CERC », 2 vol., n° 98, 1990 et n° 102, 1991 ; Paugam S., 1993, La société française et ses pauvres. L’expérience du revenu minimum d’insertion, Paris, PUF, collection Quadrige. Politiques sociales et familiales 111 n° 98 - décembre 2009 Comptes rendus de lectures Lorsque les aides cessent, les personnes sont alors confrontées à un cumul de handicaps, à une série d’échecs pouvant conduire à rompre le lien social. Par l’inscription dans la notion de « parcours » qui permet de prendre en compte l’ensemble des éléments constitutifs de la vie des individus, le rapport à l’emploi prend une place centrale dans la réflexion de S. Paugam. Dans sa nouvelle préface, il insiste sur le fait que la pauvreté n’est plus une pauvreté strictement monétaire mais que sa « particularité », en quelque sorte, est d’être liée à la question de la stabilité de l’emploi. En outre, cette pauvreté est également relationnelle et cumule bien souvent des problèmes de santé et des difficultés d’accès au logement. La disqualification sociale ne concerne plus seulement les individus « privés » d’emploi mais désormais aussi les salariés précaires. Ainsi, le sociologue critique-t-il le terme « Rmiste » qui installe l’individu qui le perçoit dans un certain statut venant s’opposer en quelque sorte au type idéal de l’intégration, défini « comme la double assurance de la reconnaissance matérielle et symbolique du travail et de la protection sociale qui découle de l’emploi » (p. XVI). Aujourd’hui, S. Paugam propose trois types de déviation face à ce modèle idéal d’intégration : • l’intégration incertaine : satisfaction au travail et instabilité de l’emploi ; • l’intégration laborieuse : insatisfaction au travail et stabilité de l’emploi ; • l’intégration disqualifiante : insatisfaction au travail et instabilité de l’emploi. Selon S. Paugam, la pauvreté disqualifiante est désormais devenue une configuration sociale durable encouragée par les dispositifs publics reposant sur une « fausse » solidarité. Le sociologue dénonce les logiques qui visent à mettre les « pauvres » à tout prix sur le marché du travail en les incitant à accepter n’importe quel emploi ; ils occupent alors, le plus souvent, des emplois peu attractifs en termes de salaire et de conditions de travail. Une perspective basée sur les analyses économiques ou une dimension comparative aurait sans doute mérité d’être articulée au propos. Quoiqu’il en soit, cette nouvelle préface offre ainsi au sociologue l’opportunité de vives critiques du revenu de solidarité active (RSA). Avec le RSA, S. Paugam considère que l’on a créé le statut de travailleur précaire assisté et craint que ce revenu ne participe à un mode généralisé de mise au travail des plus pauvres dans les segments les plus dégradés du marché de l’emploi. Le risque est de créer du précariat, c’est-à-dire une installation durable dans la précarité qui amène à interroger les différents modèles d’intégration. Au-delà de la critique, le RSA méritera sans doute de réinterroger ce qui est au cœur de la thèse du chercheur, à savoir la relation d’interdépendance entre la catégorie des pauvres et les services sociaux susceptibles de leur apporter une aide (p. XII). Sandrine Dauphin Rédactrice en chef Serge Paugam et Nicolas Duvoux La régulation des pauvres Du RMI au RSA 2008, Paris, PUF, collection Quadrige – essais débats, 114 pages. Le format utilisé dans cet ouvrage est plutôt inhabituel : il s’agit d’un dialogue entre deux sociologues spécialistes de l’exclusion. Sous-titré « Du RMI au RSA », il prend appui sur les thèses de Serge Paugam et Nicolas Duvoux réalisées à vingt ans d’écart lors, précisément, de la mise en place de ces deux prestations. Ces deux travaux, dont le premier traite du statut et de l’identité des pauvres à Saint-Brieuc et le second des politiques d’insertion à Paris, comportent de grandes similitudes : portant sur les relations Politiques sociales et familiales 112 entre les pauvres et les dispositifs d’insertion qui leur sont adressés, les auteurs s’appuient sur un corpus d’entretiens auprès de bénéficiaires. Au-delà d’un rapport maître-disciple – S. Paugam est le directeur de thèse de N. Duvoux –, l’ouvrage comporte une mise en perspective des résultats respectifs des deux chercheurs, une discussion sur l’actualité des politiques d’insertion et une réflexion sur la place du sociologue dans la société. Il est composé, de façon didactique, autour de cinq chapitres. n° 98 - décembre 2009 Comptes rendus de lectures