Issu de la thèse du sociologue soutenue en 1988,
cet ouvrage est devenu un classique de la sociolo-
gie de l’exclusion, depuis sa première publication
en 1991. L’originalité de son propos, qui garde
toute son actualité, est de rompre avec la logique
qui vise à s’intéresser aux questions de pauvreté
en tentant de mesurer le phénomène et de définir
un « seuil de pauvreté ». Constat fait de la diffi-
culté, voire de la fatuité, d’un tel exercice, il s’agit,
dans cette thèse, d’étudier la pauvreté comme une
condition socialement reconnue : « ce qui est
sociologiquement pertinent, ce n’est pas la pau-
vreté en tant que telle mais les formes institution-
nelles que prend ce phénomène dans une société
ou un environnement donné » (p. 24).
Que signifie finalement mesurer la pauvreté si on
n’interroge pas les représentations sociales et les
expériences vécues de la pauvreté ? Ce qui inté-
resse Serge Paugam, ce sont les identités de ces
populations « pauvres » ou du moins désignées
comme telles par les institutions. Conduite entre
1986 et 1987 dans la commune de Saint-Brieuc
– département agricole fortement touché par le
chômage de longue durée – l’enquête repose,
d’une part, sur l’analyse des données administra-
tives et, d’autre part, sur soixante-dix entretiens.
Les données ont été fournies par la caisse d’Allo-
cations familiales, le service départemental de
l’action sanitaire et sociale ainsi que le centre
communal d’action sociale de Saint-Brieuc.
Quant aux entretiens, le choix s’est porté sur les
habitants de la cité du Point-du-Jour.
Cette thèse a permis de distinguer trois catégories
de population en fonction du rapport entretenu
avec les institutions d’action sociale :
•les fragiles : des individus connaissant une préca-
rité économique (petits boulots, chômage, etc.) et
bénéficiant ponctuellement d’une aide sociale ;
•les assistés : des personnes dont les revenus sont
uniquement issus de la protection sociale (handi-
cap physique ou mental ; difficultés liées à l’édu-
cation et entretien des enfants et qui font l’objet
d’un suivi contractuel régulier par les travailleurs
sociaux ;
•les marginaux : ils ne bénéficient d’aucun
revenu et sont plutôt stigmatisés par leur entou-
rage.
La typologie ainsi construite ne correspond pas à
des catégories administratives mais bien analy-
tiques, véritable support de l’argumentation socio-
logique. S. Paugam montre ainsi comment, pour
les individus, le sentiment d’un statut dévalorisé
participe de la construction d’une identité néga-
tive et conduit à ce qu’il nomme « la disqualifi-
cation sociale ». Cette dernière renvoie précisé-
ment aux modes de désignation des individus et à
leurs effets sur le plan identitaire.
Vingt ans après, la nouvelle préface est l’occasion,
selon S. Paugam, « d’adopter un regard plus
réflexif et critique, non pas seulement sur l’ou-
vrage lui-même, mais aussi sur le champ des
recherches sur la pauvreté » (p. I). En 1994
(préface à une réédition) déjà, le sociologue avait
actualisé son propos suite aux travaux sur les
bénéficiaires du revenu minimum d’insertion
(RMI), menés dans les années 1990 pour le compte
du Centre d’études sur les revenus et les coûts
(CERC) (*). S. Paugam était alors revenu sur sa
typologie initiale. Il précisait dans cette préface
que les trois catégories correspondent à trois phases
différentes dans le processus de disqualification
sociale. L’idée de processus lui permet de les
redéfinir :
•les « fragiles » sont plutôt des individus « en
situation de fragilité » : ils vivent l’épreuve du
déclassement social ou ont des difficultés d’inser-
tion professionnelle ;
•les « assistés » sont « en assistance » par leur
dépendance vis-à-vis des travailleurs sociaux ;
•pour les « marginaux », il serait plus juste de
parler de « rupture du lien social ».
Raisonner en terme de processus invite à prendre
en compte le parcours et non plus la situation à
un moment donné. Ainsi, une situation de fragi-
lité peut conduire à une phase de dépendance
parce que la précarité professionnelle entraîne
une baisse de revenus et la dégradation des
conditions de vie.
Politiques sociales et familiales n° 98 - décembre 2009
111 Comptes rendus de lectures
Serge Paugam
LLaaddiissqquuaalliiffiiccaattiioonnssoocciiaallee
EEssssaaiissuurrllaannoouuvveelllleeppaauuvvrreettéé
2009 (4eédition), Paris, PUF, collection Quadrige, essais débats, 256 pages.
(*) Paugam S. (avec Euvrard F. et Lion J.), Atouts et difficultés des allocataires du RMI, Paris, La Documentation française,
« Documents du CERC », 2 vol., n° 98, 1990 et n° 102, 1991 ; Paugam S., 1993, La société française et ses pauvres.
L’expérience du revenu minimum d’insertion, Paris, PUF, collection Quadrige.