Cours 6
La quantit´e optimale de monnaie
St´ephane Gauthier
7 novembre 2009
1 Introduction
Jusqu’`a pr´esent, la monnaie n’a pas ´et´e prise en compte. Le transfert de
richesse au cours du temps s’effectuait par l’interm´ediaire de la production ou
de la dette publique : renoncer `a consommer `a un instant donn´e correspondait
`a une offre de facteurs de production ult´erieure, et pour cette raison donnait
lieu `a r´emun´eration une fois le processus de production achev´e. On pourrait
voir ce cadre comme r´esumant une situation dans laquelle il n’y aurait qu’un
seul bien, le bl´e, qui serait soit consomm´e soit conserv´e pour ˆetre sem´e et
donner lieu `a production lors de la saison suivante.
Dans ce cours, nous allons introduire la monnaie et d´ecrire certains de ses
effets dans le long terme.
Les cons´equences de la monnaie sur l’´economie r´eelle figurent parmi les
th`emes les plus anciens de la th´eorie ´economique. Selon Blaug (1985), la
th´eorie mon´etaire s’est organis´ee autour d’une forme de th´eorie quantitative
de la monnaie . Cet ensemble de th´eories cherche `a lier la monnaie au revenu
et au niveau g´en´eral des prix ; et, selon Friedman et Schwartz (1963), il n’y
a aucune autre relation empirique en ´economie dont on ait pu observer la
r´ep´etition si r´eguli`erement . Elle pr´edit qu’une hausse de la quantit´e de
monnaie, si elle peut avoir un effet de relance sur l’activit´e `a court terme,
se traduit `a plus long terme par une hausse du niveau g´en´eral des prix qui
affaiblit, voire annule la relance r´eelle initiale. La Figure 1, tir´ee de Walsh
(2003) reporte la corr´elation entre le produit agr´eg´e `a un instant donn´e et
la quantit´e de monnaie durant les deux ann´ees qui la pr´ec`edent et les deux
ann´ees qui la suivent, aux Etats-Unis, entre 1967 et 2000. On constate que
1
le produit courant est li´e positivement `a la quantit´e de monnaie courante,
mais qu’il d´epend de moins en moins, voire n´egativement de la quantit´e de
monnaie.
Figure 1 – Corr´elation entre le PIB et la masse mon´etaire au cours du temps
Ce type de relation s’accorde avec les pr´edictions de la th´eorie quantita-
tive. Mark Blaug distingue deux m´ecanismes principaux au travers desquels
la monnaie est susceptible d’influencer les prix. Selon le premier, le m´eca-
nisme direct , qu’il attribue `a Richard Cantillon 1, une hausse de la quantit´e
de monnaie s’accompagne `a court terme d’une hausse du pouvoir d’achat des
m´enages, d’une hausse de la demande et finalement d’une hausse des prix.
Selon le second, le m´ecanisme indirect , qu’il attribue `a Henry Thornton 2
et qui aurait inspir´e Keynes, une hausse de la quantit´e de monnaie conduit `a
une baisse du taux d’inerˆet qui incite les entreprises `a investir, la hausse de
la demande agr´eg´ee qui en r´esulte se soldant finalement par une hausse des
prix. Dans les deux cas, la hausse de prix implique `a moyen terme une baisse
de la demande et de la production.
Dans ce cours, nous allons commencer par d´ecrire les trois principales
mani`eres d’introduire la monnaie employ´ees aujourd’hui dans les mod`eles de
1. Essai sur la Nature du Commerce, 1755.
2. Inquiry Into the Nature of the Paper Credit of Great Britain, 1802.
2
la macro´economie dynamique. Chacune s’appuie sur l’une des trois fonctions
classiques de la monnaie : la monnaie est une unie de compte, un instrument
d’´echange et une r´eserve de valeur au cours du temps. Bien qu’elles soient
assez ´eloign´ees les unes des autres, elles font toutes les trois jouer un rˆole
particulier `a l’´egalit´e entre le taux d’int´erˆet r´eel et le taux de d´eflation. L’un
des objectifs de ce cours est de cerner le sens de cette ´egalit´e, la r`egle
de Friedman , et notamment de la rapprocher d’une th´eorie de la quantit´e
optimale de monnaie.
Une telle r`egle pr´esuppose que la monnaie coexiste avec un autre actif,
par exemple le capital. Il est donc naturel de se demander si, `a long terme, les
agents continueront `a utiliser la monnaie, plutˆot que de d´etenir uniquement
du capital. Lorsque tel est le cas, les ´economistes parlent de bulle dans
laquelle un actif sans valeur intrins`eque (le papier-monnaie) reste d´etenu dans
le long terme. Ce cours sugg`ere que l’obtention d’un ´equilibre mon´etaire reste
fragile `a long terme, parce qu’il d´epend avant tout de la confiance accord´ee
au maintien du pouvoir d’achat de la monnaie 3.
Enfin, le chapitre concluera en revenant sur le rˆole de la monnaie comme
source de financement de la politique budg´etaire, au travers du seigneuriage.
2 Introduire la monnaie
L’un des principaux rˆoles de la monnaie est de servir d’interm´ediaire uni-
versellement accept´e dans les ´echanges de biens. La monnaie permet en effet
de r´esoudre le probl`eme de la double co¨
ıncidence des d´esirs ecessaire pour
qu’un ´echange de biens se r´ealise : en l’absence de monnaie, je peux obtenir
un bien que je n’ai pas uniquement si je trouve un autre agent qui le pos-
s`ede et qui accepte de me le c´eder en contrepartie d’un bien que je poss`ede ;
l’intervention de tiers peut rendre plus complexe l’acquisition, par exemple
lorsque la personne qui poss`ede le bien que je d´esire n’accepte pas le bien
dont je dispose, mais que je peux ´echanger ce dernier contre un troisi`eme
bien poss´ed´e par un tiers, ce troisi`eme bien ´etant d´esir´e par la personne qui
poss`ede le bien que je d´esire. Confronee au troc, la monnaie, accept´ee par
tous, facilite clairement les ´echanges de biens.
Il y a trois fa¸cons principales d’introduire la monnaie dans un mod`ele
macro´economique. Chacune cherche `a se positionner face `a cette intuition,
3. Nous reviendrons sur ce point, pour le nuancer, dans le Cours 8.
3
mˆeme si elle en reste toujours un peu ´eloign´ee 4.
La premi`ere consiste `a partir d’une ´economie dans laquelle certains ´echanges
mutuellement avantageux sont irr´ealisables en l’absence de monnaie et o`u
l’introduction de la monnaie est socialement b´en´efique. Une telle situation
a ´et´e illustr´ee par Samuelson (1958) dans une version simple et c´el`ebre du
mod`ele `a g´en´erations imbriqu´ees. La monnaie y remplit les trois fonctions :
elle sert de num´eraire, ouvre la possibilit´e de nouveaux ´echanges, et permet
de transf´erer de la richesse au cours du temps.
La deuxi`eme pr´esuppose que la monnaie doit servir d’interm´ediaire dans
les ´echanges : il est donc n´ecessaire que certains individus au moins dis-
posent d’un stock de monnaie en d´ebut de p´eriode, avant que des ´echanges
de biens aient lieu. Une telle contrainte est appel´ee contrainte d’encaisses
pr´ealables ou contrainte de liquidit´e . Elle est associ´ee aux travaux men´es
par Robert Clower et Axel Leijonhufvud `a la fin des ann´ees 60.
La derni`ere fa¸con d’introduire la monnaie semble `a premi`ere vue assez
cavali`ere : elle consiste simplement `a attribuer aux agents un goˆut pour la
monnaie. Il serait en fait possible de justifier ces pr´ef´erences en pr´esence de
contraintes de liquit´e. Une telle approche pr´esente n´eanmoins un avantage
certain : puisque les m´enages appr´ecient la monnaie, il est possible d’examiner
s’il existe une quantit´e optimale de monnaie dont on devrait les doter et
d’´evaluer les coˆuts associ´es `a une d´eviation de cette politique avec les outils
traditionnels de la micro´economie.
2.1 Le mod`ele de Samuelson
Samuelson (1958) a introduit une variante du mod`ele `a g´en´erations im-
briqu´ees du Chapitre 2 dans laquelle l’introduction de la monnaie peut per-
mettre des ´echanges mutuellement avantageux qui n’auraient pas eu lieu en
l’absence de monnaie 5.
2.1.1 Le cadre
La structure de ce mod`ele est tr`es voisine de celle de Diamond (1965)
mais elle se r´esume, dans sa version de base, `a une ´economie d’´echange (il
n’y a pas de production). Cf. Remarque 2 et Section 3 pour une extension
4. Cf. Kiyotaki et Wright (1989) pour un mod`ele plus proche de cette intuition.
5. Ce mod`ele a ´et´e introduit et utilis´e par Maurice Allais, dans Economie et Inerˆet,
publi´e en fran¸cais en 1947.
4
`a une ´economie avec production. A la date tnaissent les Ntindividus de la
g´en´eration t; ils sont en vie durant deux p´eriodes cons´ecutives, t(ils sont
alors jeunes) et t+ 1 (ils sont vieux). La population croˆıt au taux constant
n(on a donc Nt+1 = (1 + n)Nt) ; lors de la p´eriode initiale, t= 0, coexistent
une g´en´eration initiale de N1individus vieux (et n´es vieux en 0) et de N0
individus jeunes (n´es eux aussi en 0).
Les pr´ef´erences d’un individu de la g´en´eration tsont encore repr´esent´ees
par la fonction d’utilit´e
u(c1t) + βu(c2t+1). (1)
On supposera que la fonction usatisfait les conditions habituelles suivantes :
u0(·)>0, u00(·)<0, u0(0) = +et u0() = 0.
L’utilit´e marginale de la consommation ´etant arbitrairement grande si le
m´enage ne consomme rien durant sa seconde p´eriode de vie, il est ´evident
que les agents jeunes souhaiteront transf´erer une partie de leur dotation de
premi`ere p´eriode vers la seconde si leur dotation est suffisamment faible lors-
qu’ils sont vieux. Ici rentre en jeu une hypoth`ese importante du mod`ele. Elle
concerne la distribution des revenus au cours du temps. Chaque jeune re¸coit
une dotation de e1=e > 0 biens p´erissables, tandis que les vieux ne dis-
posent d’aucun revenu a priori, c’est-`a-dire s’ils ne peuvent pas transf´erer
leur richesse au cours du temps, e2= 0.
2.1.2 L’optimum social
Aucun ´echange n’est possible dans cette ´economie. Pour r´epartir sa ri-
chesse sur ses deux p´eriodes de vie, un individu doit c´eder une partie de sa do-
tation individuelle edurant sa jeunesse pour consommer durant sa vieillesse.
Tous les agents d’une mˆeme g´en´eration sont identiques, de sorte que seuls
sont envisageables des ´echanges interg´en´erationnels : tous les agents jeunes
voudraient ´epargner pour leurs vieux jours, aucun jeune ne souhaite se porter
prˆeteur. Les seuls individus avec lesquels un jeune est aujourd’hui en pr´esence
sont les vieux de la g´en´eration pr´ec´edente, qui auront disparu lors de la p´e-
riode suivante ; les individus susceptibles de lui fournir des biens demain ne
sont pas encore n´es ! Il est clair que les vieux de la p´eriode courante seraient
tr`es contents de r´ecup´erer l’´epargne des jeunes pour la consommer, mais que
les jeunes refuseront de leur prˆeter quoique ce soit puisque ces vieux emprun-
teurs ne pourront pas assurer le remboursement ni du principal ni de l’int´erˆet,
lorsque les jeunes seront devenus vieux. Il faudrait qu’un jeune aujourd’hui
puisse prˆeter aujourd’hui `a une personne qui lui procurera en contrepartie un
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