2.2.-. Du Temple à la Cuisine
Dans la plupart de leurs récits, les Européens qui ont visité l'Inde et l'Asie du sud-
est, ne vantent pas seulement la prestance du Paon mais également la succulence et le le
goût exquis de sa chair. Celle-ci était déjà appréciée par l'Empereur ASHOKA (273-232
avant JC) mais influencé par le Boudhisme, il en interdit la chasse dans ses édits et créa
des réserves pour le protéger. Dans les traités de droit de L'Inde ancienne, la peine était la
même pour avoir tué un paon ou pour la mort d'un « shûdra », un membre de la caste
servile. On a vu un peu plus haut dans cet article, que le Paon et ses œufs étaient un met
apprécié en Grèce antique et à Rome.
A la fin de l'Empire romain et au début du Moyen-Age, c'est revêtu de sa livrée qu'on
le consomme. Parmi les volailles et les gibiers, le paon est roi. Il conserve pourtant des
défenseurs. Ainsi MARTIAL, dans ses Épigrammes, s'élève contre ceux qui osent livrer un
oiseau aussi beau au couteau des cuisiniers (XIII, 70). Nul ne sait comment il arrive à la
cour du roi Charlemagne. Il apparaît pour la première fois sur sa table en l’an 800, le jour
même où le pape dépose sur sa tête la couronne de l’Empereur d’Occident. Il est peu
probable que ce volatile insipide et coriace ait comblé les papilles gustatives de nos aïeux.
Mais le paon et le faisan sont des oiseaux nobles par excellence et la société la plus raffinée
de cette époque se reconnait en eux au point que le serment sur ces oiseaux lui apparaîtra
bientôt comme le plus solennel, le « Serment du Paon ». Avant de s'en partager les
morceaux, les preux chevaliers prêtaient le serment prêté sur le paon, symbole
d'immortalité, assure une récompense éternelle à celui qui sacrifie sa vie au combat.
Le paon eut tous les honneurs dans les jours brillants de la Chevalerie. Plusieurs
grandes familles, parmi lesquelles celle des Montmorency, avaient placé son effigie, en
cimier, sur leur heaume. Aux cours d'amour des provinces du sud de la France, la
récompense que recevaient les poètes ayant remporté le prix était une couronne faite de
plumes de paon, qu'une dame du tribunal portait elle-même sur leur tête. Chez les anciens
romanciers, le paon est qualifié du titre de noble oiseau, et sa chair y est regardée comme
la nourriture des amants, et comme la viande des preux. Il y avait très peu de mets alors
qui fussent aussi estimés. Un de nos poètes du XIII ème siècle, voulant peindre les fripons,
dit qu'ils ont autant de goût pour le mensonge, qu'un affamé en a pour la chair de paon.
Enfin les rois, les princes et grands seigneurs, donnaient très peu de festins d'appareil où le
paon ne parût comme le plat distingué.
En 1560, Jean-Baptiste LA BRUYERE-CHAMPIER, un savant humaniste français
qui s'est particulièrement intéressé à l'alimentation et à sa fabrication à son époque,
marque beaucoup de surprise d'en avoir vu en Normandie, près de Lisieux, des troupeaux
considérables : «On les y engraisse avec du marc de pommes, dit-il, et on les vend aux
marchands de poulaillers, qui vont les vendre dans les grandes villes pour la table des gens
riches». CHAMPIER était Lyonnais, avait étudié à Orléans, et était attaché au service de
François Ier. La manière dont il parle des paons, l'étonnement que lui causèrent ceux de
Normandie, donnent à penser qu'on n'en mangeait déjà plus dans le Lyonnais, dans
l'Orléanais, ni à la Cour. Cependant de Serres écrivait encore en 1600 que « plus exquise
chair on ne peut manger». Mais rien n'indique où de Serres avait mangé du paon.
En Europe, c'est seulement après l'importation des dindes, découvertes au Mexique
par les Espagnols, à la fin du XVIème siècle, que le paon perdit son statut d'oiseau de
table pour la plupart des Européens.
Alexandre DUMAS père (1802-1870) , dans son « grand dictionnaire de cuisine »
écrit : « Je n'ai mangé du paon qu'une fois dans ma vie ; mais comme il était très jeune et
qu'il pouvait correspondre à ce qu'on appelle le poulet de grain, il me parut excellent. ».