– Thomas Bolmain : « Politique, savoir, subjectivation. Recherche sur la question du
sujet dans la philosophie politique française contemporaine » – p. 9
production, définit comme « production des sujets producteurs […]
et
des moyens de
production4 ».
Le sujet du savoir ne pourra pas donc être pensé comme isolé ou monadique. Il ne
sera pas confondu avec la forme d’une conscience identique à elle-même posée au
départ ou au fondement de la possibilité de la connaissance. Le sujet doit être conçu
comme rapport, relation à – et, d’abord, comme relation à autre chose que soi, et mise
en rapport d’éléments qui l’excèdent. En toute rigueur, il n’y a de sujet qu’en rapport
avec des « moyens de production » qui lui préexistent et qui sont eux-mêmes reliés à
un mode (restreint) de production. Mieux, le sujet assume ce rôle considérable de
mettre en rapport économie restreinte et économie générale, de leur servir d’entremise
ou de point d’articulation : c’est « par le biais des formes d’assujettissement, des
fonctions-sujets suscitées à leur entrecroisement5 » qu’elles s’épousent. L’instance
subjective n’est pensable qu’en relation de dérivation à l’égard de conditions
matérielles sous lesquelles, par lesquelles, pour lesquelles elle existe. Il y a, dans tout
processus de connaissance de l’objet, constitution d’un lieu du subjectif, dans un
certain champ pratique et théorique matériellement déterminé : ce lieu ne préexiste
pas au savoir, il est un événement de son procès.
Contre l’anthropologie philosophique, l’humanisme classique et la pensée essentialiste
ou substantialiste du sujet, c’est simplement rappeler, avec Marx, que l’essence de
l’homme est ce qui passe entre les individus (soit « l’ensemble des rapports sociaux6 »)
et que, selon ce cadre de pensée, le sujet n’est jamais que le support ou le porteur
(
Träger
) de structures [matérielles (sociales) et symboliques (idéologiques)] qui le
dépassent, dont il endosse les masques7, auxquelles il fonctionne (« comme le moteur
fonctionne à l’essence8 »), et dont il résulte du fait qu’il vient se loger à la place qui lui
est comme par avance réservée : ce pourquoi on ne parlera que d’« effet-sujet » ou de
« fonction-sujet ». Or, si le sujet du savoir ne peut être pensé comme isolé, on va aussi
voir qu’il ne peut pas davantage être dit figé, fixe, donné une fois pour toutes : relation
4
Ibid.
, p. 25.
5
Ibid.
, p. 27.
6«
Das menschliche Wesen ist kein dem einzelnen Individuum inwohnendes Abstractum. In seiner
Wirklichkeit ist es das ensemble der gesellschaftlichen Verhältnisse
», K. Marx, «
Thesen über
Feuerbach
» (1845), dans
Philosophische und ökonomische Schriften
, Stuttgart, Reclam, 2008, p. 48.
Lire le commentaire de É. Balibar,
La philosophie de Marx
(1993), Paris, La Découverte, 2001, p. 17
sq., spécialement p. 30-31, et la notion de « transindividuel » : « Il s’agit […] de penser l’humanité
comme une réalité transindividuelle […] ce qui existe
entre les individus
, du fait de leurs multiples
interactions ».
7Voir É. Balibar, « Sur les concepts fondamentaux du matérialisme historique », dans L. Althusser
et al.
,
Lire
Le Capital (1965), Paris, PUF, 2008, p. 513.
8Selon l’image fameuse de L. Althusser, « Idéologie et appareils idéologiques d’État » (1970), dans
Positions
, Paris, Éd. Sociales, 1982.