
Dreyfus et Taylor en retournant aux textes mêmes de Merleau-Ponty pour
étayer d’avantage en quoi leur approche s’inscrit dans la même lignée que
celui-ci. Merleau-Ponty propose en effet une alternative originale aux
tentatives naturaliste et « intellectualiste » de sortie du cadre médiationnel.
Affirmer la valeur d’une position comme celle défendue par Dreyfus, Taylor
et Merleau-Ponty ne peut cependant se faire qu’à la condition de bien vouloir
la mettre à l’épreuve et en interroger les présupposés. Après avoir exposé la
nature de la solution merleau-pontienne à l’impasse du médiationalisme,
nous nous attarderons donc à voir si celle-ci ne retombe pas dans une
nouvelle forme de fondationalisme. En effet, l’être-au-monde de la con-
science naïve, à partir duquel Merleau-Ponty entend dériver la conscience
réflexive propre à l’objectivité scientifique, se pose originairement dans un
rapport immédiat au monde et fonde ainsi la possibilité de la connaissance.
Or, l’abandon du cadre médiationnel exige, comme l’affirme avec force
Taylor1, le rejet de toute forme de fondationalisme. D’où l’importance de
déterminer si la solution merleau-pontienne sur laquelle s’appuient Dreyfus
conceptuelles de l’être humain que Dreyfus nomme coping (ou capacité d’adapta-
tion). Voir à ce sujet, J. C. Berendzen, « Coping Without Foundations : On Drey-
fus’s Use of Merleau-Ponty », International Journal of Philosophical Studies,
vol. 18, no. 5, 2010, p. 629-49. Berendzen rejette un tel fondationalisme se revendi-
quant de Merleau-Ponty en arguant que ce dernier considère toute expérience
humaine comme étant toujours déjà prise dans un réseau de sens culturels qui
implique à la fois des éléments linguistiques et conceptuels invalidant par le fait
même le fondationalisme phénoménologique de Dreyfus : « Phenomenology of Per-
ception does present the view that all human experience contains cultural aspects that
are characteristically marked by linguistic, and thus conceptual, elements. Because of
this, the phenomenological foundationalist view is not rightly associated with
Merleau-Ponty’s work » (ibid., p. 635). Si nous partageons la conclusion de Berend-
sen, à savoir que Merleau-Ponty n’est pas un fondationaliste, notre argument pour
arriver à cette conclusion, sera sensiblement différent, comme nous le verrons plus
loin. Par ailleurs, la critique faite par Berendzen de l’interprétation dreyfussienne de
Merleau-Ponty semble avoir été rendue caduque par celui-ci. En effet, dans ses écrits
ultérieurs, et notamment dans l’ouvrage qui nous intéressera particulièrement ici,
Retrieving Realism (2015), coécrit avec Taylor, Dreyfus semble rejeter tout
fondationalisme, y compris celui qu’il aurait pu défendre antérieurement en se
revendiquant des travaux de Merleau-Ponty. Nous reviendrons plus loin sur la
question du fondationalisme, mais il semble bien que l’entreprise de Taylor et
Dreyfus vise non pas à « refonder » une position fondationalisme, mais à en faire la
critique explicite.
1 Ch. Taylor, « Foundationalism and the Inner-Outer Distinction », in N. H. Smith
(ed.), Reading McDowell on Mind and World, London, Routledge, 2002, p. 109.
Bull. anal. phén. XII 7 (2016)
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