auteurs contemporains (Husserl, en philosophie ; Lukács, entre philosophie et
politique) ou même plus tardifs (Thomas Bernhard).
2. Contexte. Sept vignettes introductives
1. — Soit une définition formelle du concept de crise. Appelons crise le
moment qui introduit dans l’histoire — sociale, politique, économique, épis-
témique, culturelle — une différence, la différence séparant un « déjà plus »
d’un « pas encore ». La crise, comme « rupture » et traçage d’un seuil, « vise
[alors] la pointe d’intensité dans l’histoire, […] la coupure entre deux
périodes radicalement différentes de cette histoire […], l’échéance d’un long
processus qui vient à éclater »1. Moment de transition, elle constitue pour la
pensée qui se propose de réfléchir cette histoire sous l’une ou l’autre forme
(philosophique ou littéraire, politique) un instant d’incertitude, voire de
profonde inquiétude : inconfortablement logée le cul entre deux chaises, la
pensée est alors tiraillée, partagée entre l’impression d’un proche effondre-
ment et celle d’un recommencement tout éventuel. La perte des repères, des
critères qui, habituellement, orientaient son jugement, qui le déterminaient,
lui impose désormais de s’essayer à réfléchir les signes ou les symptômes à
partir desquels décider du sens possible de ce présent détraqué ; elle l’oblige,
en somme, à tenter une opération de diagnostic. Nous trouvons dans un
roman autrichien de 1963 la formule littéraire d’un tel sentiment de la crise :
Quelque chose de neuf se tenait en attente derrière tout cela, mais je ne pou-
vais pas le voir car ma tête était remplie de vieilles images et mes yeux
incapables de changer leur façon de voir. J’avais perdu l’ancien mais je
n’avais pas encore gagné ce qui était nouveau ; ce nouveau me restait
inaccessible mais je savais qu’il existait2.
1 Michel Foucault, « La politique est la continuation de la guerre par d’autres
moyens », dans Id., Dits et écrits, t. 1, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Quarto »,
2001, p. 1571.
2 Marlen Haushofer, Le Mur, trad. fr. J. Chambon, Arles, Éditions Actes Sud, coll.
« Babel », 2009, p. 156 (nous soulignons). On pensera aussi à la préface de Hannah
Arendt, La Crise de la culture. Sa portée sociale et politique, trad. fr. P. Lévy et. al.,
Paris, Éditions Gallimard, coll. « Folio », 1972, intitulée « La brèche entre le passé et
le futur » (trad. fr. J. Bontemps et P. Lévy). S’appuyant notamment sur Kafka,
Arendt y décrit cet « intervalle dans le temps qui est entièrement déterminé par des
choses qui ne sont plus et par des choses qui ne sont pas encore » ; or ce moment où
Bull. anal. phén. XII 4 (2016)
http://popups.ulg.ac.be/1782-2041/ © 2016 ULg BAP
91