Le très très grand marché
Les Sept de l’Association européenne de libre-échange (AELE) se rapprochent des Douze de la
Communauté. Une étape sur le chemin de l’adhésion, marquée par la constitution de l’Espace
économique européen (EEE), où se réalise près de 40 % du commerce mondial.
Signe des temps: à peine l’Espace économique européen (EEE) vient-il de publier son acte de naissance
qu’il paraît déjà suranné aux yeux mêmes de ceux qui ont le plus ardemment souhaité sa venue. Imaginée à
l’origine comme une alternative à l’adhésion à la CEE, cette structure d’accueil non politique pour les pays
membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE) est aujourd’hui considérée par la plupart
d’entre eux comme une simple étape sur le chemin de la Communauté.
Et pourtant, l’accord qui vient d’être conclu, la semaine dernière, entre les Douze et les sept de l’AELE
(Autriche, Suisse, Finlande, Norvège, Islande, Suède et Liechtenstein) est loin de n’être qu’un pis-aller.
Grâce à lui, voici spectaculairement repoussées jusqu’au cercle polaire les frontières extérieures du Marché
unique européen, qui pourra s’enorgueillir, dès janvier 1993, de compter quelque 380 millions de personnes.
Et de réaliser à lui seul près de 40 % du commerce mondial! Autre atout: les sept nouveaux venus figurent
parmi les nations les plus prospères d’Europe occidentale.
C’est en janvier 1989 que Jacques Delors lança l’idée de mieux associer les pays de l’AELE à la CEE en
dépassant les accords bilatéraux de libre-échange conclus entre eux et cette dernière. Créée trente ans plus
tôt, au lendemain de la naissance de la CEE, l’AELE comptait à l’origine parmi ses membres la Grande-
Bretagne et le Danemark, alors farouchement hostiles au caractère politique de la Communauté. Mais, peu à
peu, l’AELE allait se réduire comme une peau de chagrin, avec les départs successifs des Britanniques, des
Danois et des Portugais, irrésistiblement attirés par le Marché commun. Aujourd’hui, au terme de près de
deux ans d’âpres discussions, les deux grands ensembles commerciaux que sont la CEE et l’AELE vont
pouvoir, à compter du 1er janvier 1993, permettre entre eux la libre circulation des personnes, des capitaux,
des biens et des services. Pour ce faire, près de 1 500 textes et règlements en vigueur dans les sept pays de
l’AELE devront être modifiés. Dans le domaine des transports, par exemple, les négociations ont buté
jusqu’à la dernière minute contre le fait de savoir si les poids lourds appartenant à l’un des pays de la CEE
seraient autorisés à utiliser les réseaux suisse et autrichien sans remettre en question la réglementation
locale, particulièrement stricte en matière de pollution.
Intervenant dans un contexte de mondialisation de l’économie, l’annonce de la constitution prochaine de
l’EEE a été très favorablement accueillie dans les milieux d’affaires internationaux. Ainsi, les chefs
d’entreprise américains et japonais espèrent que ce nouveau grand marché européen « attirera vers lui, tel un
aimant, les capitaux étrangers ». D’autres, voyant encore plus loin, pressentent que l’EEE pourrait s’étendre
un jour à tous les pays d’Europe de l’Est et d’Europe centrale…
Si les signataires de l’accord CEE-AELE attribuent à une « forte volonté politique » l’heureuse conclusion
de leurs négociations, il ne faut cependant pas s’y tromper: pas question pour les nouveaux venus de
devenir, du même coup, membres de plein droit de la CEE, en passe de se transformer en union politique. Ils
seront certes consultés en cette phase de récriture du traité de Rome, mais ne pourront en aucun cas
s’opposer à une décision des Douze, fût-ce en matière de politique économique. D’où le souci de certains
pays, comme l’Autriche, la Suisse ou la Suède, de préciser, au jour même de la signature de cet accord,
qu’ils considèrent l’EEE comme un simple préalable à l’adhésion.
Une sorte de purgatoire qui leur permettra d’ajuster leur économie dans l’espoir d’accéder un jour au paradis
des Douze.
Alain Louyot