François Béroalde de Verville. Histoire des Vers qui filent la Soye

François Béroalde de Verville. Histoire des Vers qui filent la Soye. Éd. Michel
Renaud. Textes de la Renaissance, n° 48. Paris, H. Champion, 2001. P. 211.
Ce poème fascinant publié en 1600 consiste en 300 quatrains que Béroalde de
Verville a consacrés à l’industrie soyère afin de contribuer à la campagne de
promotion séricicole, notamment dans sa ville d’adoption, Tours. Il s’agit donc de
vers sur les vers que Verville a écrit en faveur d’une ville. Que ces jeux de mots
me soient pardonnés, car ils figurent tous dans le poème lui-même, avec quelques
autres (« verd », « Vermine » . . . ). Cette exubérance linguistique s’allie dans le
poème aux deux domaines du savoir que cet auteur réunit souvent dans ses autres
écrits : l’érudition livresque et les techniques artisanales. Michel Renaud, qui
enseigne non seulement la littérature française mais aussi les nouvelles technolo-
gies, est donc particulièrement bien placé pour faciliter la lecture de ce mélange
frappant. Mélange de genres aussi bien que de savoirs : « Traité de vulgarisation
ou ‘tract’ publicitaire, poème didactique et encomiastique, assaisonné de morale,
d’un peu de philosophie, voire de mysticisme, la recette est périlleuse » (p. 30).
Dans son Introduction, Renaud dégage chacun de ces fils conducteurs tout en
démontrant l’impossibilité de les séparer les uns des autres ou d’en négliger
certains d’entre eux, comme l’ont fait les rares érudits qui se sont déjà intéressés
à cette Sérodokimasie — pour la désigner par le néologisme qui figure dans son
sous-titre et qui est devenu le « titre consacré par l’usage bibliographique » (p. 10).
Cette édition critique est d’une haute qualité. Les principes d’établissement
du texte sont solides et clairs. L’Introduction esquisse plusieurs contextes perti-
nents : létat de lindustrie sore en France à la fin du XVIesiècle, au moment où
la politique de redressement économique conduite par Henri IV prônait « le
développement de la production nationale de soie brute » (p. 11) ; les manuels et
les brochures qui en découlaient, dont La Cueillete de la Soye d’Olivier de Serres
(1599) semble avoir été particulièrement consulté par Verville ; le corpus de
poésies néo-latines dédiées au ver à soie, notamment le Bombyx de Vida, qui eut
un extraordinaire succès de libraire à partir de sa publication en 1527. Renaud
montre toute l’importance qu’avait ce poème pour Verville : c’est l’humaniste
italien, et non pas Virgile quoiqu’en dît V.-L. Saulnier — qui fournit à Verville
son modèle dominant : « la Sérodokimasie, c’est son Bombyx, bien plus que ses
Géorgiques » (p. 25). Et cependant, l’imitation opérée par Verville consiste en un
travail de détournement : alors que Vida recourt constamment à la mythologie
ancienne, Verville la rejette presqu’entièrement, au nom de la véritéphilosophique
et biblique. L’on pourrait ajouter que ce n’était pas la première fois que Verville
avait affiché cette hostilité envers l’emploi poétique du mythe : il l’avait déjà fait
dans ses Cognoissances necessaires (1583).
Cette édition réussit à s’adresser à deux publics à la fois. D’abord aux
seiziémistes,qui pourront sefierà l’érudition sûredesnotes en bas depage,profiter
de la bibliographie utile, et consulter les documents importants qui sont présentés
en appendice : le poème de Vida (en latin seulement), le traité de Serres, et les vers
badins que Verville et ses amis publièrent dans Les Muses incognues (1604)
Book Reviews / Comptes rendus / 83
comme réponse à la calomnie suivante qui avait été divulguée à Tours : « Que dit
on du sieur de Verville / Et deson ouvrage nouveau? / Un chacun dit parmy la ville
/ Que son ver procedde d’un Veau ». Deuxièmement, cette édition facilite la lecture
de ce poème par un public moinsspécialisé,notamment en fournissant un glossaire
qui n’hésite pas à expliquer des mots ou des acceptions inhabituelles qui seront
bien connus des spécialistes.
D’un seul coup, les éditions Champion ont multiplié énormément le nombre
d’exemplaires disponibles de cet ouvrage, puisque seulement deux exemplaires de
l’unique édition ancienne, celle de 1600, semblent avoir survécu. Est-ce que cette
relance tardive vaut la peine ? Oui, certainement, pour de multiples raisons, dont
certaines se rattachent à la figure de Verville lui-même. Ce sont celles-ci que
Renaud souligne dans son interprétation, faisant ressortir les idiosyncrasies de cet
ouvrage, ses qualités spécifiquement vervilliennes : « À la fois archaïque et auda-
cieux, Béroalde de Verville se révèle tel qu’en lui-même dans ces quatrains, avec
ses tics d’écriture, son goût de la compilation, du collage et du fragment, mais aussi
son désir d’appréhender le monde dans sa totalité, d’en considérer chaque élément
comme signifiant, et chaque manifestation de la vie comme un signe de la présence
divine » (p. 32). Pour ce qui est de l’audace de l’écriture, Renaud, auteur d’un
ouvrage perspicace sur Le Moyen de parvenir de Verville, sait de quoi il parle.
Bien que la Sérodokimasie soit écrite, évidemment, sur un registre qui est loin des
grossièretés de l’ouvrage plus célèbre, ne pourrait-on pas repérer quand même tout
au long du poème de 1600 un goût du ludique et du jeu d’esprit qui s’affirme à
travers le sérieux, ou même parfois malgré lui ? Cela fournirait un autre moyen de
mesurer le ton de vers tels que « Pauvres petits mignons je voudrois vous pleindre,
/ Car vous ne vistes onc ny peres ny enfans », que Renaud juge sévèrement comme
« des mièvreries, des naïvetés qui confinent à la niaiserie, comme lorsque Béroalde
évoque — au premier degré, hélas ! — la destinée tragique des ‘tendres Vermi-
ceaux’ » (p. 31). Ne peut-on pas penser que Verville ait envisagé diverses manières
de lire cet ouvrage hétéroclite, dont certaines, « officielles », diminueraient tout le
jeu ironique alors que d’autres l’accentueraient ? Sans les recherches de Renaud,
de telles questions n’auraient même pas pu être posées. C’est le mérite de son
édition d’avoir rendu cet ouvrage lisible tout en respectant son étrangeté foncière.
NEIL KENNY, Cambridge University
Eric Thierry. Marc Lescarbot (vers 1570–1641), un homme de plume au service
de la Nouvelle-France. Paris, H. Champion, 2001. P. 441.
Grâce à des publications récentes comme L’écriture du Levant à la Renaissance
deFrédéricTinguely, Ecrire le voyage au XVIesiècleenFrance deMarie-Christine
Gomez-Géraud, Lost Shores, Forgotten People de Lawrence Feldman, ou encore
Lesouvriersdunevignestérilede Charlotte Castelnau-L’Estoile, notre connais-
sance de la littérature de voyages et de découverte ne cesse de s’enrichir de
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