scientifique.
Une rapide analyse lexicographique montre que l’acception du terme même de
“chercheur”, dans son sens de “spécialiste le plus souvent rattaché à un institut ou à un
organisme de recherche 8” est récente. Au XIXe siècle, le terme a un sens différent. Le
“chercheur” est celui qui “cherche avec activité et persévérance des faits, des documents,
des livres ou autres pièces de collection 9.” Il n’est pas question de science, mais plutôt
d’érudition. Ainsi, “Montgolfier (…) n’était pas seulement un heureux chercheur, mais un
savant ayant un sentiment profond des sciences naturelles 10.” Le terme est même utilisé
péjorativement: “un chercheur de pointes et un faiseur d’antithèses”, “chercheur de
franches lippées” 11.
La première occurrence du terme dans le sens qui est le sien aujourd’hui date des années
1940. G. Duhamel: “Par des mesures successives, par des empiètements calculés, l’Etat
assujettit le travail des chercheurs; non seulement il en oriente l’application, mais il le
sollicite et le détermine à l’origine 12.” La définition fait place à l’Etat comme animateur de
l’activité des chercheurs. Tous les dictionnnaires contemporains consultés impliquent
d’ailleurs le CNRS dans leurs définitions 13. L’attestation tardive confirme la naissance
tardive du groupe social des chercheurs. On peut se demander alors qui, en l’absence des
chercheurs, pratique alors la recherche “étude sur quelque point de science ou de
l’érudition”. Le terme a en effet ce sens dès le début du XVIIIe siècle. Ce sont, simplement
les “savants”, comme Montgolfier: “Un véritable savant prend de l’amour pour l’objet
perpétuel de ses recherches 14.”.
Une incursion dans la langue anglaise souligne la particularité historique de la situation
française. Le Oxford English Dictionnary indique que le “researcher” est “one who devotes
himself to scientific or litterary research (especially as contrasted with one whose time is
chiefly occupied in teaching or directly remunerative work).”. L’opposition avec
l’enseignement que nous retrouverons dans notre travail est présente, mais ce qu’il
convient de souligner est la précocité de l’apparition du terme dans cette acception: la
citation qui accompagne la définition date de 1883. “Teaching here appears to be
producing an income which may support a researcher. 15”. Manifestement, le “chercheur”
Anglo-saxon, apparaît historiquement avant le Français. La différence est encore plus
manifeste si l’on considère “research”, non dans sa définition, semblable dans les deux
langues 16, mais dans la datation de son champ sémantique: “Research doctorates” (1903),
“Research degrees” (1903), “Research scholarships”(1907), “Research assistant” (1914),
“Research fellowship” (1921), “Research room” (1922), “Research student” (1924),
“Research units” (1937)… Cet ensemble de terme montre l’existence dès avant la première
guerre mondiale d’un espace anglais de la recherche scientifique sans équivalent en France.
Matériellement, dans le cas de la physique et dans la décennie 1930-1940, 230 personnes
travailleraient dans les laboratoires parisiens et peut-être 180 en province. En 1951-52, le
seul CNRS, emploie 272 physiciens; au moment de la naissance du SNCS, ils sont 386.Les
chiffres avancés par H.W. Paul pour 1934 : “…a motley army of 50’000 researchers”, qui
concernent la Confédération des Sociétés scientifiques, ne peuvent être retenus ici . En
effet, Robert Fox montre que les membres des sociétés savantes sont plutôt , tels Bouvard
et Pécuchet, des scientifiques du dimanche, guidés par un “goût bourgeois” pour les
sciences, qu’ils pratiquent en dilettantes. Cette population ne peut à notre sens être
considérée comme une “armée”, fût-elle “bigarrée”, de “chercheurs” 17.
La création du CNRS en 1939, et le gonflement des crédits élargissent l’accès au
champ de la science. Un masse de personnels, qualifiés techniquement et
scientifiquement, (il faut un titre universitaire, licence, agrégation, pour pouvoir
être mis au bénéfice d’une allocation de recherche, ou pour obtenir un contrat
d’engagement au CNRS).travaillent soit dans les laboratoires propres du CNRS,
soit dans les laboratoires facultaires (mais sans être pris en charge par
l’Enseignement supérieur).