Prosélytisme culturel – « LA » culture est source d`exclusion

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Prosélytisme culturel – « LA » culture est source d’exclusion !
La récente étude, commanditée par le ministère de la culture et intitulée Les
représentations de la culture dans la population française, conduit à un triste
constat : « LA » culture est source de profondes divisions au sein de la population
française. Pire encore, apparaît aujourd’hui une nouvelle forme de prosélytisme
culturel susceptible d’accentuer les divisions au sein de la population française.
Ce texte participe du vaste débat que nous ouvrons, à l’approche des présidentielles,
sur l’acception et le sens du terme « culture » aujourd’hui.
La culture est-elle encore capable de nous rassembler, de favoriser ce « vivre-ensemble »,
partout proclamé, mais si peu vécu concrètement ? On voudrait le croire, à l’image de cette
rencontre nationale organisée par Libération, le lundi 19 septembre dernier, à l’université
catholique de Lyon. Jamais la France n’aura organisé autant de débats, de rencontres,
d’études, etc., sur le sujet. Jamais non plus elle n’aura autant souffert d’une fracture
culturelle qui ne cesse de s’étendre.
La culture renforce une fracture préexistante
Jean-Michel Guy, chercheur au Deps et auteur de l’étude sur Les représentations de la
culture dans la population française, constate qu’une majorité des Français ont « une
conception ouverte et éclectique de la culture », qui s’inspire et dépasse la vision
traditionnelle qu’un tel vocable revêt. À regarder les différentes statistiques de plus près, on
constate néanmoins des fractures de taille.
Les plus diplômés défendent un « libéralisme culturel », qui s’appuie sur une acception plus
étendue des champs culturels, tout en refusant des activités qui constituent le quotidien de
bien des Français, notamment les plus pauvres, telles que la chasse, le sport, le jardinage ou
encore la cuisine. À contrario, un groupe « contestataire » – selon l’expression de JeanMichel Guy – rejette la plupart des activités proposées par l’étude : musique classique,
cinéma, théâtre, romans… Cette catégorie rassemble près de 10 % de la population (tout de
même !), la plupart du temps des hommes non diplômés et ouvriers, c’est-à-dire des
personnes qui n’ont pas accès aux activités traditionnellement associées à la culture en
France. Si l’on en croit le témoignage de Raphaël Cruyt, directeur du Millium Iconoclast
Museum of Art (MIMA) de Molenbeek, cette dernière catégorie pourrait être élargie aux
banlieues pauvres en général, qui se désintéressent de l’art : « Ils sont venus, ils
regardaient, mais on s’est rendu compte qu’ils n’en avaient rien à faire ! », explique-t-il à
propos des enfants de ce quartier pauvre de Bruxelles, invités à visiter une exposition en
cours.
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Prosélytisme culturel – « LA » culture est source d’exclusion !
Ces deux exemples nous invitent à ne pas sous-estimer la fracture qui, certes précède la
question culturelle, mais semble comme renforcée par elle : elle souligne la division entre
les mondes.
Sans fondement anthropologique, pas d’unité à la culture !
C’est que ces « représentations de la culture », pour homogènes qu’elles apparaissent
parfois dans l’étude, ne trouvent à la source aucune vision profonde pour les unifier. C’est
bien beau de parler – à grand renfort de chiffres et de graphiques – du savoir, des domaines
et activités que recouvre la culture, des représentations que chacun s’en fait… S’il n’existe
rien qui fasse l’unité à la base, cette étude n’est qu’un vaste et triste constat d’impuissance.
Il faut une unité – qui n’est évidemment pas uniformité – favorisant la diversité des
perceptions. Cette affirmation que je pose s’explique par le fait que j’appartiendrais, du
moins selon les critères de l’étude, à la petite minorité (19 %) qui pense d’abord la culture
« dans son approche anthropologique » ; de cette approche découlerait mon appartenance à
la catégorie de l’« éclectisme critique » (32 % de la population), qui considère que « tout est
potentiellement culturel, à certaines conditions ».
Tout est potentiellement culturel, y compris la cuisine, la tenue vestimentaire et la religion –
en témoigne l’approche d’Altaïr au dernier festival d’Avignon. Mais il faut s’entendre sur le
vocable « culture »… Ce dernier a longtemps désigné l’effort, propre à l’homme, pour porter
sa nature vers plus d’humanité : la culture était l’achèvement, par l’homme, de sa nature
humaine. En ce sens, Jean-Claude Carrière, dans la rencontre organisée par Libération, a
raison de rappeler que la culture suppose une anthropologie « La culture, au sens
anthropologique, c’est la connaissance de toutes les habitudes et de toutes les pratiques
d’un peuple ». Mais il réduit ici – à défaut d’avoir entendu l’intégralité de son intervention –
l’anthropologie à la seule sociologie, quand il faudrait également y voir un fondement plus
profond, métaphysique.
« LA » culture n’existe plus…
Toutefois, notamment au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et plus encore avec
l’arrivée de la Gauche au pouvoir, la culture est progressivement devenue un concept
abstrait, sorte de valeur républicaine décapitée, sans principe ni corps. « Notre culture
occidentale a toujours été très conquérante, poursuit Jean-Claude Carrière. Alors qu’il faut
aussi faire le chemin inverse. » L’écrivain et cinéaste préconise ainsi de repartir de la
donnée anthropologique, c’est-à-dire du quotidien réel – et non fantasmé – des Français. Je
le rejoins en partie.
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Prosélytisme culturel – « LA » culture est source d’exclusion !
Reste que « LA » culture n’existe jamais a priori : elle est le fruit d’une histoire. De même
qu’il y a, en France, des populations (d’origines) étrangères, des religions, des conceptions
anthropologiques… de même il existe des cultures. Sont-elles encore réconciliables ?
J’aimerais le penser. Sans certitude. Faute d’une vision française qui sache unifier la
diversité.
Le « constructivisme culturel » de la Gauche et de la Droite
Au risque de caricaturer la situation : la Gauche élargit – sans unification – avec un
idéalisme abstrait et béat ; la Droite retranche – sans diversité – avec un rigorisme concret
et jacobin. Jusque dans cette fracture, la plus fondamentale peut-être en ce qu’elle touche
l’Histoire de France – passée, présente et future –, deux visions culturelles s’opposent
frontalement : une culture de Gauche, apophatique et en quête d’un perpétuel boucémissaire (les religions, l’extrême-droite, etc.), dont le principe abstrait est une tolérance
par juxtaposition indifférenciée et mondialiste des cultures ; une culture de Droite,
pragmatique et fantasmée, dont le principe abstrait est une assimilation par exclusion de
tout ce qui ne répond pas à leur norme culturelle.
Le non-positionnement universaliste de la Gauche et l’ultra-positionnement enraciné de la
Droite ne sont finalement que les deux versants d’une même souche intellectuelle : « le
constructivisme culturel », pour reprendre la formule si juste de Pauline Angot.
Enracinement et universalité, ces deux frères ennemis de notre temps, sont précisément les
deux dimensions nécessaires à l’équilibre culturel d’un peuple.
La dangereuse impasse du prosélytisme culturel
Parler de « LA » culture, non pour évoquer une anthropologie commune, ni le fruit d’une
histoire, mais pour désigner les manifestations présentes, c’est accentuer la division entre
les Français ; il faut avoir l’humilité de reconnaître que le problème est à repenser de fond
en comble, à partir « des » manifestations culturelles existant sur notre territoire. « La »
exclut quand « des » permet de rouvrir le débat ; l’unité n’est que l’horizon d’une diversité
en action.
Parmi les phrases malheureuses qui absolutise « LA » culture, il y a cette sentence de
Raphaël Cruyt : « La culture, c’est une Église. Il faut des missionnaires qui font du porte-àporte, des projets qui viennent de la base, pas d’en haut. » Si l’intention peut sembler
bonne, je regrette personnellement cette parole promouvant le prosélytisme culturel,
renforcé par la nuance apportée par Jean-Claude Carrière : « Une Église à laquelle il ne faut
pas faire de chapelle. » Penser ainsi la culture, c’est nier l’histoire : le négationnisme
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Prosélytisme culturel – « LA » culture est source d’exclusion !
culturel nous fait oublier que le nazisme – et bien d’autres régimes totalitaires – est un
esthétisme.
Penser « LA » culture comme « une Église sans chapelle » consiste à générer un amalgame
terrifiant, de l’ordre d’une vérité imposée à tous – et l’étude nous montre qu’il s’agit d’une
pure projection. C’est comme parler de « LA » religion qui serait par essence violente et
meurtrière, sans distinguer islamistes, musulmans, catholiques, hindous… La tentation
d’une néo-religion n’est pas nouvelle : il y eut le temps des juristes avec LA loi, celui des
scientifiques avec LE progrès, celui des philosophes avec LA sagesse.
Et si, face à l’absolutisme culturel, on en revenait à la question du sens ?
Il y a bel et bien une tentation de la part de certains milieux culturels d’absolutiser une
réalité qui, au creux de la nature, prend des expressions différentes, pour le meilleur et
pour le pire. Il n’est pas impossible de penser que « LA » culture sera ainsi dénoncée
comme source de violences, au même titre que la religion. Et l’amalgame se retournera
contre ses partisans.
La question essentielle demeure quant à elle dans l’ombre de ces grands discours
théoriques : quelle vision culturelle voulons-nous défendre ? Sur quelle anthropologie
désirons-nous fonder nos expressions culturelles ? Nous aimerions que cette interrogation
soit portée lors des prochaines élections présidentielles ; au lendemain des attentats, elle
serait la possibilité d’un renouvellement et d’une croissance de notre humanité. Mais ne
nous leurrons pas. Il semble qu’il faille encore attendre quelques années (quelques siècles ?)
pour oser repenser la question du sens.
Pierre MONASTIER
Sur le même sujet
Jacques Guilloux, « Pour vous, la culture c’est quoi ? », publié le jeudi 22 septembre
2016.
En téléchargement (pdf)
Jean-Michel Guy, Les représentations de la culture dans la population française, Étude
complète, 2016, 17 p.
Jean-Michel Guy, Les représentations de la culture dans la population française,
Synthèse, 2016, 2 p.
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