De nouvelles modifications génétiques ravivent le débat sur les OGM

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Terre
15 SEPTEMBRE 2016
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AGRONOMIE
De nouvelles modifications génétiques
ravivent le débat sur les OGM
Les progrès technologiques permettent
aujourd’hui
de nouvelles
manipulations
génétiques sur les
végétaux qui rendent
floue la frontière
entre variétés OGM
et conventionnelles.
Les avis divergent
quant à leur future
réglementation.
Le site de
Reckenholz, près
de Zurich, accueille les plantes
génétiquement
modifiées actuellement évaluées
par Agroscope.
À gauche, le champ
de pommes de
terre résistantes
au mildiou. En
haut à droite, les
plants en laboratoire. Ci-dessous à
droite, l’entrée du
site, protégé contre
le vandalisme.
Des OGM cachés?
Un des points les plus troublants des NTSV
réside dans la possibilité de modiier génétiquement une plante pour obtenir une variété dont le fruit ne porte aucune trace
© PHOTOS CLÉMENT GRANDJEAN
L
a distance entre OGM et non-OGM
ne cesse de se réduire sous la pression
des progrès technologiques. Dans les
laboratoires, de récentes formes de modiications génétiques remettent en question
la législation en ouvrant la porte à des variétés végétales d’un genre nouveau. Ces
NTSV, pour «nouvelles techniques de sélection végétales», permettent de produire
des fruits, légumes ou céréales qui ont déjà
fait leur entrée sur les marchés, notamment aux États-Unis. En Suisse, le débat
porte actuellement sur la réglementation
de ces techniques.
Pour l’heure, la loi suisse sur le génie génétique (LGG) distingue clairement les variétés OGM, strictement réglementées et
évaluées, et les non-OGM, dites conventionnelles. Il suit qu’une plante soit liée de
près ou de loin à une modiication génétique
pour être classée comme telle. Cette distinction n’est plus si simple aujourd’hui.
«Contrairement aux techniques classiques,
les NTSV permettent de cibler beaucoup
plus précisément dans le génome l’endroit
où l’on désire modiier l’ADN. Il est ainsi
possible d’insérer un nouveau gène (on parle
alors de transgénèse), de changer la séquence
d’un gène (on parle de mutagenèse) ou encore de désactiver un gène. Pour cela, on utilise des protéines capables de couper l’ADN,
de véritables ciseaux moléculaires», explique Jean-David Rochaix, professeur au
département de botanique et biologie végétale de l’Université de Genève.
d’OGM. «Par exemple, on insère par transgénèse le gène de résistance d’un pommier
sauvage dans un autre pommier, puis on
élimine les traces du gène de résistance
ajouté. On a pour inir un pommier qui ne
contient plus d’éléments génétiques étrangers», détaille le professeur. On appelle
cette méthode la cisgénèse. C’est celle-ci
qu’Agroscope teste actuellement en plein
champ. (Voir encadré ci-dessous.)
Mi-août, le Forum recherche génétique de
l’Académie suisse des sciences publiait un
document réclamant une modiication de la
LGG pour ne pas rater l’occasion «de proiter des avantages oferts par ces nouvelles
technologies» qu’il estime «sûres» et «précises». Il entrevoit ainsi un gros potentiel
pour l’agriculture suisse. Le forum propose
notamment que la réglementation des
OGM prenne en considération la variété ou
le fruit et non plus la méthode ayant servi à
la produire. Dans ce cas, le pommier précité
serait considéré comme conventionnel
malgré les modiications génétiques qu’il a
subies, car le fruit n’en contiendrait plus
les traces. Une proposition inconcevable
aux yeux la Commission fédérale d’éthique
BON À SAVOIR
Plusieurs essais sont déjà en cours à Agroscope
Certaines plantes, produites avec les nouvelles techniques de modiications génétiques par
des partenaires comme l’EPFZ ou l’Université de Wageningen, aux Pays-Bas, sont déjà en
test sur le site protégé d’Agroscope, près de Zurich. «Agroscope, étudie en laboratoire et
sous serre des plantes cisgéniques et transgéniques», indique Robert Baur, responsable de
la division de recherche sur la protection des végétaux, l’extension en arboriculture et les
cultures maraîchères. En plein champ, les essais se concentrent sur des pommiers, des
pommes de terre et le blé (essai de l’Université de Zurich). Les pommes, de la variété gala
galaxy, ont été modiiées pour être résistantes au feu bactérien, alors que les pommes de
terre ont reçu un gène de résistance au mildiou. Le but est d’évaluer les chances et les
risques que peuvent engendrer les cultures de variétés génétiquement modiiées. «Nous
étudions ces nouvelles techniques et analysons comment elles pourraient contribuer à
une agriculture plus durable en Suisse. Un objectif de nos recherches est également de créer
une base de discussion pour le débat social et politique quant à l’avenir de ces plantes en
Suisse», ajoute encore Robert Baur.
pour la biotechnologie dans le domaine non
humain. Dans son rapport publié en mars,
elle concluait «qu’il était inadmissible de
cantonner l’évaluation du risque au seul
produit, sans tenir compte du procédé par
lequel il a été obtenu».
«Tout n’est pas bien compris»
Selon l’Alliance suisse pour une agriculture
sans OGM, le Forum exagère le degré de
précision atteint avec ces nouvelles techniques. «Le fonctionnement de l’objet à
modiier (l’ADN, le génome) n’est aujourd’hui pas encore bien compris. Il s’ensuit donc une fausse impression de précision. C’est comme si vous aviez un
correcteur d’orthographe qui vous permet
d’être précis au niveau des lettres à modiier, mais que vous ne connaissiez pas la
grammaire de la langue», estime son secrétaire, Luigi D’Andrea. «Des efets non désirés ou non contrôlés peuvent survenir, c’est
pourquoi une évaluation est nécessaire»,
ajoute-t-il. Selon lui, il est indispensable
que ces nouvelles techniques demeurent
aussi contrôlées que les OGM le sont actuellement. Un argument que soutient également la Fédération romande des consommateurs, membre de l’Alliance. Elle estime
ainsi que «le risque principal est qu’il n’y
ait pas de débat ni d’évaluation, et que ces
techniques ne soient pas réglementées par
la LGG. Si c’était le cas, les produits ne seraient plus contrôlés ni étiquetés», s’inquiète sa spécialiste Laurianne Altwegg.
Du côté des professionnels de l’agriculture,
enin, la problématique des OGM demeure
sensible. À la base plutôt réticents, et
conscients que la majorité de la population
suisse ne souhaite pas d’OGM dans son
assiette, ils attendent de voir comment le
débat sera mené avant de prendre position.
Quelle réglementation?
Reste donc au Conseil fédéral à plancher
sur la réglementation de ces nouvelles
technologies. Fin juin, il a proposé de prolonger de cinq ans le moratoire sur les
OGM tout en déposant au Parlement un
projet de loi pour préparer l’après-moratoire
en 2021. Le projet porte surtout sur la
coexistence entre cultures conventionnelles et transgéniques et n’aborde pas les
NTSV. «La problématique du statut juridique des NTSV est apparue consécutivement au développement fulgurant des biotechnologies dans le domaine de la sélection
végétale. La question qui se pose maintenant est de savoir si oui ou non les cultures
issues de ces NTSV pourront coexister avec
les variétés conventionnelles», explique
Anne-Gabrielle Wust Saucy, chefe de la
section biotechnologie à l’Oice fédéral de
l’environnement (OFEV). Dans le but de
clariier la situation, l’OFEV et l’Oice fédéral de l’agriculture ont reçu du Conseil
fédéral le mandat d’évaluer nouvelles techniques, et de déterminer quels impacts
elles peuvent avoir sur la biodiversité et
l’environnement. ««Si les risques liés à
l’utilisation de certaines de ces techniques
s’avèrent similaires à ceux du génie génétique, elles seront probablement également
soumises à certaines obligations comme le
sont les OGM classiques selon le droit actuellement en vigueur», indique AnneGabrielle Wust Saucy.
En attente des choix européens
Dans leur message relatif à la modiication
de la LGG, les sept Sages jugent toutefois
ces nouvelles techniques «particulièrement
prometteuses», tout en estimant qu’elles
«ne sont pas totalement iables» et qu’il
n’y a pas encore assez de recul quant à leur
utilisation. Les autorités fédérales sont
aussi dans l’attente d’un rapport de l’Union
européenne sur le sujet, qui tarde à être
publié. En raison des accords commerciaux
qui lient la Suisse et l’Europe, son inluence
sera considérable. «Les standards qui déinissent ce qui est OGM et ce qui ne l’est
pas sont importants. Donc nous suivons de
près les développements au niveau européen», précise Anne-Gabrielle Wust Saucy.
Guillaume Chillier n
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