Terre
15 SEPTEMBRE 2016 19
AGRONOMIE
De nouvelles modifications génétiques
ravivent le débat sur les OGM
La distance entre OGM et non-OGM
ne cesse de se réduire sous la pression
des progrès technologiques. Dans les
laboratoires, de récentes formes de modifi-
cations génétiques remettent en question
la législation en ouvrant la porte à des va-
riétés végétales d’un genre nouveau. Ces
NTSV, pour «nouvelles techniques de sé-
lection végétales», permettent de produire
des fruits, légumes ou céréales qui ont déjà
fait leur entrée sur les marchés, notam-
ment aux États-Unis. En Suisse, le débat
porte actuellement sur la réglementation
de ces techniques.
Pour l’heure, la loi suisse sur le génie géné-
tique (LGG) distingue clairement les varié-
tés OGM, strictement réglementées et
évaluées, et les non-OGM, dites conven-
tionnelles. Il sut qu’une plante soit liée de
près ou de loin à une modification génétique
pour être classée comme telle. Cette dis-
tinction n’est plus si simple aujourd’hui.
«Contrairement aux techniques classiques,
les NTSV permettent de cibler beaucoup
plus précisément dans le génome l’endroit
où l’on désire modifier l’ADN. Il est ainsi
possible d’insérer un nouveau gène (on parle
alors de transgénèse), de changer la séquence
d’un gène (on parle de mutagenèse) ou en-
core de désactiver un gène. Pour cela, on uti-
lise des protéines capables de couper l’ADN,
de véritables ciseaux moléculaires», ex-
plique Jean-David Rochaix, professeur au
département de botanique et biologie végé-
tale de l’Université de Genève.
Des OGM cachés?
Un des points les plus troublants des NTSV
réside dans la possibilité de modifier géné-
tiquement une plante pour obtenir une va-
riété dont le fruit ne porte aucune trace
d’OGM. «Par exemple, on insère par trans-
génèse le gène de résistance d’un pommier
sauvage dans un autre pommier, puis on
élimine les traces du gène de résistance
ajouté. On a pour finir un pommier qui ne
contient plus d’éléments génétiques étran-
gers», détaille le professeur. On appelle
cette méthode la cisgénèse. C’est celle-ci
qu’Agroscope teste actuellement en plein
champ. (Voir encadré ci-dessous.)
Mi-août, le Forum recherche génétique de
l’Académie suisse des sciences publiait un
document réclamant une modification de la
LGG pour ne pas rater l’occasion «de profi-
ter des avantages oerts par ces nouvelles
technologies» qu’il estime «sûres» et «pré-
cises». Il entrevoit ainsi un gros potentiel
pour l’agriculture suisse. Le forum propose
notamment que la réglementation des
OGM prenne en considération la variété ou
le fruit et non plus la méthode ayant servi à
la produire. Dans ce cas, le pommier précité
serait considéré comme conventionnel
malgré les modifications génétiques qu’il a
subies, car le fruit n’en contiendrait plus
les traces. Une proposition inconcevable
aux yeux la Commission fédérale d’éthique
pour la biotechnologie dans le domaine non
humain. Dans son rapport publié en mars,
elle concluait «qu’il était inadmissible de
cantonner l’évaluation du risque au seul
produit, sans tenir compte du procédé par
lequel il a été obtenu».
«Tout n’est pas bien compris»
Selon l’Alliance suisse pour une agriculture
sans OGM, le Forum exagère le degré de
précision atteint avec ces nouvelles tech-
niques. «Le fonctionnement de l’objet à
modifier (l’ADN, le génome) n’est au-
jourd’hui pas encore bien compris. Il s’en-
suit donc une fausse impression de préci-
sion. C’est comme si vous aviez un
correcteur d’orthographe qui vous permet
d’être précis au niveau des lettres à modi-
fier, mais que vous ne connaissiez pas la
grammaire de la langue», estime son secré-
taire, Luigi D’Andrea. «Des eets non dési-
rés ou non contrôlés peuvent survenir, c’est
pourquoi une évaluation est nécessaire»,
ajoute-t-il. Selon lui, il est indispensable
que ces nouvelles techniques demeurent
aussi contrôlées que les OGM le sont ac-
tuellement. Un argument que soutient éga-
lement la Fédération romande des consom-
mateurs, membre de l’Alliance. Elle estime
ainsi que «le risque principal est qu’il n’y
ait pas de débat ni d’évaluation, et que ces
techniques ne soient pas réglementées par
la LGG. Si c’était le cas, les produits ne se-
raient plus contrôlés ni étiquetés», s’in-
quiète sa spécialiste Laurianne Altwegg.
Du côté des professionnels de l’agriculture,
enfin, la problématique des OGM demeure
sensible. À la base plutôt réticents, et
conscients que la majorité de la population
suisse ne souhaite pas d’OGM dans son
assiette, ils attendent de voir comment le
débat sera mené avant de prendre position.
Quelle réglementation?
Reste donc au Conseil fédéral à plancher
sur la réglementation de ces nouvelles
technologies. Fin juin, il a proposé de pro-
longer de cinq ans le moratoire sur les
OGM tout en déposant au Parlement un
projet de loi pour préparer l’après- moratoire
en 2021. Le projet porte surtout sur la
coexistence entre cultures convention-
nelles et transgéniques et n’aborde pas les
NTSV. «La problématique du statut juri-
dique des NTSV est apparue consécutive-
ment au développement fulgurant des bio-
technologies dans le domaine de la sélection
végétale. La question qui se pose mainte-
nant est de savoir si oui ou non les cultures
issues de ces NTSV pourront coexister avec
les variétés conventionnelles», explique
Anne-Gabrielle Wust Saucy, chee de la
section biotechnologie à l’Oce fédéral de
l’environnement (OFEV). Dans le but de
clarifier la situation, l’OFEV et l’Oce fé-
déral de l’agriculture ont reçu du Conseil
fédéral le mandat d’évaluer nouvelles tech-
niques, et de déterminer quels impacts
elles peuvent avoir sur la biodiversité et
l’environnement. ««Si les risques liés à
l’utilisation de certaines de ces techniques
s’avèrent similaires à ceux du génie géné-
tique, elles seront probablement également
soumises à certaines obligations comme le
sont les OGM classiques selon le droit ac-
tuellement en vigueur», indique Anne-
Gabrielle Wust Saucy.
En attente des choix européens
Dans leur message relatif à la modification
de la LGG, les sept Sages jugent toutefois
ces nouvelles techniques «particulièrement
prometteuses», tout en estimant qu’elles
«ne sont pas totalement fiables» et qu’il
n’y a pas encore assez de recul quant à leur
utilisation. Les autorités fédérales sont
aussi dans l’attente d’un rapport de l’Union
européenne sur le sujet, qui tarde à être
publié. En raison des accords commerciaux
qui lient la Suisse et l’Europe, son influence
sera considérable. «Les standards qui défi-
nissent ce qui est OGM et ce qui ne l’est
pas sont importants. Donc nous suivons de
près les développements au niveau euro-
péen», précise Anne-Gabrielle Wust Saucy.
Guillaume Chillier n
Les progrès techno-
logiques permettent
aujourd’hui
de nouvelles
manipulations
génétiques sur les
végétaux qui rendent
floue la frontière
entre variétés OGM
et conventionnelles.
Les avis divergent
quant à leur future
réglementation.
© PHOTOS CLÉMENT GRANDJEAN
BON À SAVOIR
Plusieurs essais sont déjà en cours à Agroscope
Certaines plantes, produites avec les nouvelles techniques de modifications génétiques par
des partenaires comme l’EPFZ ou l’Université de Wageningen, aux Pays-Bas, sont déjà en
test sur le site protégé d’Agroscope, près de Zurich. «Agroscope, étudie en laboratoire et
sous serre des plantes cisgéniques et transgéniques», indique Robert Baur, responsable de
la division de recherche sur la protection des végétaux, l’extension en arboriculture et les
cultures maraîchères. En plein champ, les essais se concentrent sur des pommiers, des
pommes de terre et le blé (essai de l’Université de Zurich). Les pommes, de la variété gala
galaxy, ont été modifiées pour être résistantes au feu bactérien, alors que les pommes de
terre ont reçu un gène de résistance au mildiou. Le but est d’évaluer les chances et les
risques que peuvent engendrer les cultures de variétés génétiquement modifiées. «Nous
étudions ces nouvelles techniques et analysons comment elles pourraient contribuer à
une agriculture plus durable en Suisse. Un objectif de nos recherches est également de créer
une base de discussion pour le débat social et politique quant à l’avenir de ces plantes en
Suisse», ajoute encore Robert Baur.
Le site de
Reckenholz, près
de Zurich, ac-
cueille les plantes
génétiquement
modifiées actuel-
lement évaluées
par Agroscope.
À gauche, le champ
de pommes de
terre résistantes
au mildiou. En
haut à droite, les
plants en labora-
toire. Ci-dessous à
droite, l’entrée du
site, protégé contre
le vandalisme.