Chapitre 4 Anneaux factoriels On connaı̂t l’importance dans les anneaux Z et K[X] de pouvoir décomposer (de façon essentiellement unique) un élément en produit d’irréductibles. Les anneaux factoriels sont les anneaux intègres ayant cette propriété. On verra que les anneaux principaux et plus généralement les anneaux de polynômes sur un anneau principal sont factoriels. Dans tout ce chapitre, A sera un anneau (commutatif unitaire) intègre. 4.1 4.1.1 Généralités Définitions et critères de factorialité Définition 4.1.1 Soit A un anneau commutatif intègre. Soient a, b ∈ A. On dit que a divise b (dans A) s’il existe c ∈ A tel que b = ac. On dit aussi que a est un diviseur de b (si a 6= 0), et que b est un multiple de a. Tout ceci est équivalent à dire que b ∈ aA. Définition 4.1.2 Deux éléments non-nuls a, b ∈ A sont dits associés s’il existe u ∈ A∗ tel que a = ub. Cela revient à dire que aA = bA. Un élément irréductible de A est un élément a ∈ A non-nul et non-inversible tel que ses diviseurs sont soit inversibles, soit des multiples de a par des inversibles (i.e. associés à a). On dit que a ∈ A est premier si a 6= 0 et si aA est un idéal premier de A. Les éléments premiers sont clairement irréductibles. Définition 4.1.3 Soit A un anneau intègre. Soit a ∈ A un élément non-nul. Une factorisation de a en éléments irréductibles est une écriture de la forme a = f1 ...fp , On dit que a admet une factorisation unique s’il admet une factorisation en irréductibles a = f1 ...fp et si pour toute autre factorisation en irréductibles 47 48 CHAPITRE 4. ANNEAUX FACTORIELS a = g1 ...gq , on a p = q et, quitte à renuméroter, gi associé à fi pour tout i ≤ p. Par convention, tout élément inversible est dit avoir une factorisation unique. On dit que A est factoriel si tout élément non-nul admet une factorsation unique. Exemple 4.1.4 Il est bien connu que Z et K[X], si K est un corps, sont factoriels. Remarque 4.1.5 Soit A un anneau factoriel. Soit a ∈ A non-nul. En regroupant les diviseurs irréductibles de a, on obtient une écriture a = uf1r1 ...fnrn , u ∈ A∗ , ri ≥ 1 avec les fi irréductibles et deux à deux non-associés. Cette écriture est unique dans le sens suivant : si on a une autre décomposition sm a = vg1s1 ...fm , v ∈ A∗ , gj irréductible, sj ≥ 1, alors m = n et, quitte à renuméroter, fi est associé à gi , ri = si pour tout i. Avec l’écriture ci-dessus, les fi sont les facteurs irréductibles (ou diviseurs premiers) de A, et ri est la multiplicité de a en fi . Lemme 4.1.6. (Lemme de Gauss) Soit A un anneau factoriel. Soient a, b, c ∈ A avec a irréductible et a|bc. Alors a|b ou a|c. Autrement dit, tout élément irréductible de A est premier. Preuve: Il existe x ∈ A tel que bc = xa. En écrivant les factorisations en irréductibles de b et c, on voit que a est nécessairement un facteur irréductible de b ou de c. √ √ Exemple 4.1.7 Le sous-anneau A := Z[ −5] = {a + −5b | a, b ∈ Z} de C ∗ n’est pas factoriel. En effet, : il n’est pas inversible √ √ A = {±1} ; 2 est2 irréductible 2 et si 2 = (a+ −5b)(c+ −5d), alors 4 = (a +5b2 )(c2 +5d b = d = 0 et √ ), donc √ |a| = 1√ ou |c| = 1. Mais l’idéal (2) n’est pas premier : (1 + −5)(1 − −5) ∈ (2), et 1 ± −5 ∈ / (2). Proposition 4.1.8. Un anneau intègre A est factoriel si et seulement si tout élément a une factorisation en irréductibles et si tout élément irréductible est premier. Preuve: La condition est nécessaire d’après le lemme 4.1.6. Montrons qu’elle est suffisante. Supposons que a ∈ A \ {0} admet deux factorisations en irrductibles : f1 ...fp = g1 ...gq . Puisque g1 est premier, un des fi , disons f1 appartient à g1 A, donc g1 |f1 . Comme ils sont premiers, donc irréductibles, il existe u ∈ A∗ tel que g1 = uf1 . Il suit que f2 ...fp = (ug2 )g3 ...gq . On continue ainsi de suite et on voit que la factorisation est unique. La condition que tout a ∈ A admet une factorisation en irréductibles n’est pas très restrictive : 4.1. GÉNÉRALITÉS 49 Lemme 4.1.9. Soit A un anneau noethérien intègre. Alors tout élément nonnul et non-inversible a ∈ A admet une factorisation en irréductibles. Preuve: Soit F l’ensemble des idéaux aA avec a ∈ A non-nuls, non-inversibles et tels que a n’admette pas de factorisation en irréductibles. On veut montrer que F est vide. Supposons le contraire. D’après le corollaire 2.2.4, cet ensemble a un élément maximal aA (i.e. aA n’est strictement contenu dans aucun autre idéal bA ∈ F). Comme aA ∈ F, a lui-même n’est pas irréductible. Donc a = bc avec b, c ∈ A non-inversibles. Ce qui implique que aA est strictement contenu dans bA et cA. Par suite bA, cA ∈ / F, et par définition de F, b et c ont chacun une factorisation en irréductibles. Ce qui implique facilement qu’il en est de même pour a = bc. Contradiction. Corollaire 4.1.10. Soit A un anneau noethérien intègre. Alors A est factoriel si et seulement si tout élément irréductible de A est premier. 4.1.2 Anneaux principaux, anneaux euclidiens Proposition 4.1.11. Soit A un anneau principal. Alors A est factoriel. Preuve: Comme A est noethérien, il suffit de montrer que tout irréductible a ∈ A est premier. On sait que aA est contenu dans un idéal maximal bA (proposition 2.3.14). Donc a = bc avec c ∈ A. Comme a est irréductible et que b n’est pas inversible, on a c ∈ A∗ et aA = bA est maximal, donc premier. La preuve ci-dessus montre aussi la proposition suivante : Proposition 4.1.12. Soit A un anneau principal. Soit f ∈ A non-nul. Alors f est irréductible ⇐⇒ f A est un idéal maximal ⇐⇒ f premier. On sait que les anneaux Z, K[X] (K est un corps) sont principaux. La preuve de ce fait utilise la division euclidienne dans ces anneaux. Plus généralement, on a la définition suivante : Définition 4.1.13 On dit qu’un anneau intègre A est euclidien s’il existe une application ρ : A \ {0} → N telle que (I) ρ(a) ≤ ρ(b) si a|b et b 6= 0 ; (II) (division euclidienne) pour tous a, b ∈ A avec b 6= 0, il existe q, r ∈ A tels que a = bq + r et que r = 0, ou que r 6= 0 et ρ(r) < ρ(b). Exemple 4.1.14 Dans le cas de Z, on prend ρ(k) = |k|. Dans le cas de K[X], on prend ρ(P (X)) = deg P (X) si P (X) 6= 0. Noter qu’en général la division euclidienne de a par b n’est pas unique. Par exemple dans Z, 5 = 3 × 2 + (−1) et 5 = 3 × 1 + 2 sont des divisions euclidiennes de 5 par 3. Proposition 4.1.15. Tout anneau euclidien A est principal. 50 CHAPITRE 4. ANNEAUX FACTORIELS Preuve: Soit I un idéal non-nul de A. Soit a0 ∈ I non-nul tel que ρ(a0 ) = min{ρ(a) | a ∈ I, a 6= 0}. Notons que tout sous-ensemble non-vide de N admet un minimum. Montrons que a0 engendre I. Soit a ∈ I. On effectue la division euclidienne : il existe q, r ∈ A tels que a = a0 q + r avec r = 0 ou ρ(r) < ρ(a0 ). Comme r ∈ I, la minimalité de ρ(a0 ) implique que r = 0. Donc a = a0 q ∈ a0 A. √ Exemple 4.1.16 Notons i = −1 ∈ C. Considérons le sous-anneau Z[i] := {a + ib | a, b ∈ Z} de C. Alors Z[i] est euclidien avec ρ(z) = z z̄ = |z|2 . La condition (I) est clairement vérifiée. Examinons la condition (II). Soient z1 , z2 ∈ Z[i] avec z2 6= 0. Alors z1 /z2 = r + is avec r, s ∈ Q. Soient m, n ∈ Z tels que |m − r|, |n − s| ≤ 1/2, alors |z1 /z2 −(m+in)|2 ≤ 1/4 + 1/4 < 1. Donc z1 = z2 (m+in)+r avec r ∈ Z[i] et |r|2 = |z2 (z1 /z2 − (m + in))|2 < |z2 |2 . Remarque 4.1.17 Il existe des anneaux principaux non euclidiens. On peut √ 1 + i 19 montrer que c’est le cas des anneaux Z[ ] ⊆ C, R[X, Y ]/(X 2 + Y 2 + 1) 2 par exemple. Remarque 4.1.18 Soit A un anneau noethérien intègre. Alors A est principal si et seulement si les idéaux maximaux de A sont principaux. Exercice 4.1.19 Soit A un anneau principal. Soit S une partie multiplicative dans A. Montrer que S −1 A est principal. Exercice 4.1.20 Soit A un anneau euclidien. Soit a ∈ A non-nul. Montrer que si b|a, et si on a une division euclidienne a = bq + r, alors r = 0. Fin du dixième cours, 8/11/2006 4.1. GÉNÉRALITÉS 4.1.3 51 PGCD, PPCM, Bézout Définition 4.1.21 Soit A un anneau factoriel. Soient a1 , ..., an ∈ A. Un pgcd (plus grand commun diviseur) des ai dans A est un diviseur commun des ai , multiple de tout autre diviseur commun des ai . S’il existe, il est unique à multiplication par une unité près. On le note pgcd(a1 , ..., an ). L’idéal pgcd(a1 , ..., an )A est bien défini (indépendant du choix d’un pgcd). On dit que les ai sont premiers ou (étrangers) entre eux si pgcd(a1 , ..., an ) est inversible. Un ppcm (plus petit commun multiple) des ai dans A est un multiple commun des ai , diviseur de tout autre multiple commun. Comme pour le pgcd, si un ppcm existe, il est alors unique à multiplication par une unité près. On le note ppcm(a1 , ..., an ). Définition 4.1.22 Soit f un élément irréductible de A. Pour tout a ∈ A nonnul, on note νf (a) l’entier v ≥ 0 tel que f v divise a et f v+1 ne divise pas a. Cet entier ne dépend que de l’idéal f A. Il est appelé la valuation de a en f A. On pose par convention νf (0) = +∞ et f +∞ = 0. Remarque 4.1.23 Soient a, b ∈ A. On νf (ab) = νf (a) + νf (b), νf (a + b) ≥ min{νf (a), νf (b)}. De plus, a|b si et seulement si νf (a) ≤ νf (b) pour tout irréductible f . Pour fixer les idées, on choisira un ensemble P d’éléments irréductibles de A tel que tout élément irréductible de A soit associé avec un unique élément de P. Pour A = Z, on prend pour P l’ensemble des nombres premiers. Pour A = K[X], on prend pour P l’ensemble des polynômes irréductibles unitaires. Dans le cas général, on n’a pas de choix canonique. Proposition 4.1.24. Soit A un anneau factoriel. Soient a1 , ..., an ∈ A non tous nuls avec n ≥ 2. Alors pgcd(a1 , ..., an ) et ppcm(a1 , ..., an ) existent. Preuve: Il suffit de prendre pour le pgcd, l’élément Y pgcd(a1 ..., an ) = f min{νf (ai )}1≤i≤n f ∈P et pour le ppcm, ppcm(a1 ..., an ) = Y f max{νf (ai )}1≤i≤n . f ∈P Notons que ces produits portent sur un nombre fini de f car seuls un nombre fini de f ∈ P divisent l’un des ai . Dans la suite, on prendra pour pgcd et ppcm ces produits. Ils dépendent bien sûr du choix de P. Par convention, f 0 = 1 si f ∈ P. Ainsi, si a1 , ..., an sont premiers entre eux, alors pgcd(a1 , ..., an ) = 1. 52 CHAPITRE 4. ANNEAUX FACTORIELS Remarque 4.1.25 Notons que si un des ai = 0, alors le ppcm des ai est nul. Notons aussi que pgcd(a1 , ..., an ) reste inchangé si l’on supprime les termes ai qui sont nuls. Proposition 4.1.26. Soit A un anneau factoriel, de corps de fractions K. (1) Soient a, b, c ∈ A non-nuls. On suppose que a|bc et que a est premier à b. Alors a|c. (2) Alors tout élément α ∈ K ∗ s’écrit α = a/b avec a, b ∈ A premiers entre eux. Cette écriture est unique dans le sens suivant : si a0 , b0 sont premiers entre eux et si a0 /b0 = α, alors a0 est associé à a et b0 est associé à b. Preuve: (1) Pour tout irréductible f de A tel que νf (a) ≥ 1, on a νf (a) ≤ νf (bc) = νf (b) + νf (c) = νf (c). Donc a|c. (2) À partir d’une écriture α = a/b avec a, b ∈ A non-nuls, on divise par le pgcd : α = (a/pgcd(a, b))/(b/pgcd(a, b)). Les nouveaux numérateurs et dénominateurs sont premiers entre eux. L’unicité découle aisément de (1). Theorem 4.1.27. (Identité de Bézout) Soit A un anneau principal. Soient a1 , ..., an ∈ A non tous nuls. Alors pgcd(a1 , ..., an )A = a1 A + · · · + an A. En particulier, si a, b ∈ A sont premiers entre eux, alors il existe u, v ∈ A tels que 1 = au + bv. Preuve: Comme A est principal, a1 A + · · · + an A = eA pour un certain e ∈ A. Comme ai ∈ eA, on a e divise tous les ai . Par ailleurs, si a est un diviseur commun des ai , alors ai ∈ aA pour tout i ≤ n. Donc e ∈ a1 A + · · · + an A ⊆ aA et a divise e. Par conséquent, e est un pgcd des ai et eA = pgcd(a1 , ..., an )A. Remarque 4.1.28 On verra plus loin que l’anneau Z[X] est factoriel. Cependant, les éléments 2, X sont premiers entre eux, mais 1 ∈ / 2Z[X] + XZ[X] (pas d’identité de Bézout). En fait, l’identité de Bézout caractérise les anneaux principaux parmi les anneaux factoriels (du moins ceux qui sont noethériens). Remarque 4.1.29 Dans un anneau euclidien A, la division euclidienne permet de trouver le pgcd de deux éléments a, b ∈ A \ {0} (à association près). En effet, on divise d’abord a par b : a = bq+r2 . Si r2 = 0, alors b = pgcd(a, b) à association près. Sinon, on a pgcd(a, b) = pgcd(b, r2 ). On divise b par r2 : b = r2 q2 + r3 . Si r2 = 0, alors r2 = pgcd(a, b) (toujours à association près). Posons r0 = a, r1 = b. On construit alors une suite de divisions euclidiennes rk = rk+1 qk+1 + rk+2 (4.1) à restes r2 , r3 , ... non-nuls et strictement décroissants : ρ(rk+2 ) < ρ(rk+1 ) et on a pgcd(a, b) = pgcd(rk+1 , rk+2 ). Au bout d’un nombre fini d’étapes, on arrive forcément à une division exacte : rn−1 = rn qn . On a alors pgcd(a, b) = pgcd(rn−1 , rn ) = rn à association près. De plus, en remontant dans les relations (4.1) on trouve explicitement des u, v ∈ A tels que ua + vb = pgcd(a, b). 4.1. GÉNÉRALITÉS 53 Exercice 4.1.30 Soient A factoriel et a, b ∈ A non-nuls. Montrer que abA = pgcd(a, b)ppcm(a, b)A. Montrer que pgcd(a, b, c) = pgcd(a, pgcd(b, c)). √ Exercice 4.1.31 Soient A factoriel, a ∈ A non-nul. Décrire aA et vérifier directement le théorème 2.3.25 dans ce cas-là (bien que A ne soit pas nécessairement noethérien). Exercice 4.1.32 Soit A un anneau factoriel de corps de fractions K. Soit α ∈ K. On suppose qu’il existe une relation αn + an−1 αn−1 + ... + a0 = 0 avec ai ∈ A. Montrer que α ∈ A. On dit que A est “intégralement clos”. Exercice 4.1.33 Soit A un anneau factoriel. Soient a1 , ..., an ∈ A. Montrer que ppcm(a1 , ..., an )A = ∩i ai A. Exercice 4.1.34 Soit B un anneau principal. Soient A un sous-anneau principal de B (par exemple si L est un corps, K un sous-corps de L, B = L[X] et A = K[X]) et a, b ∈ A non-nuls. Montrer que pgcd(a, b) ∈ A est égal (à association près) au pgcd de a, b calculé dans B. Exercice 4.1.35 Trouver le pgcd des polynômes X 5 +5X 4 +9X 3 +7X 2 +5X +3 et X 4 + 2X 3 + 2X 2 + X + 1 dans Q[X]. Exercice 4.1.36 Soient n, m ≥ 1. Déterminer pgcd(X n −1, X m −1) dans Q[X]. Exercice 4.1.37 Soit K un corps. Soient P (X), Q(X) ∈ K[X] deux polynômes premiers entre eux. Montrer qu’il existe U (X), V (X) ∈ K[X] avec deg U (X) < deg Q(X), deg V (X) < deg P (X) et 1 = U (X)P (X) + V (X)Q(X). 4.1.4 Décomposition en éléments simples (pas au programme) Soit A un anneau principal. Fixons un système de représentants P des éléments irréductibles de A. Corollaire 4.1.38. Tout élément α ∈ K ∗ s’écrit comme une somme finie X X af,i α = a0 + fi f ∈P i≥1 avec a0 ∈ A et af,i ∈ A premier à f . Preuve: Si a, b ∈ A \ {0} sont premiers entre eux, alors il existe u, v ∈ A tels que 1/(ab) = v/a + u/b. En effet, d’après le théorème 4.1.27, il existe u, v ∈ A tels que 1 = au + bv. Il suffit alors de diviser cette identité par ab. Soit K un corps. On prend pour système de représentants P les polynômes irréductibles unitaires. 54 CHAPITRE 4. ANNEAUX FACTORIELS Theorem 4.1.39. Soit K un corps. Alors toute fraction rationnelle h(X) ∈ K(X) s’écrit de façon unique comme une somme finie h(X) = P (X) + X X Qf,i (X) f (X)i f (X)∈P i≥1 avec P (X), Qf,i (X) ∈ K[X] et deg Qf,i < deg f (X). Remarque 4.1.40 Dans le cas particulier où K = C, on a deg f (X) = 1, donc Qf,i (X) ∈ C. Si K = R, on a deg f (X) ≤ 2, donc deg Qf,i (X) ≤ 1. 4.1.5 Quelques équations diophantiennes Exemple 4.1.41 Soient a, b, c des entiers non-nuls. On veut résoudre l’équation ax + by = c dans Z. D’abord cela implique que pgcd(a, b)|c (sinon il n’y a pas de solution). On choisit u, v ∈ Z tels que pgcd(a, b) = au + bv. Posons a0 = a/pgcd(a, b) et b0 = b/pgcd(a, b), c0 = c/pgcd(a, b). On a c0 = a0 uc0 + b0 vc0 = a0 x + b0 y. Il suit que a0 (uc0 − x) = b0 (y − vc0 ). On a alors y = vc0 + a0 t et x = uc0 − b0 t, t ∈ Z. D’où la forme générale des solutions x= uc − bt , pgcd(a, b) y= vc − at , pgcd(a, b) t ∈ Z. Fin du onzième cours, 10/11/2006 (par Ph. Cassou-Noguès) Exemple 4.1.42 On veut résoudre l’équation x2 + y 2 = z 2 dans Z. On va procéder comme suit. (a) Le cas où l’un des x, y, z est nul est facile. On suppose dans la suite que xyz 6= 0. En divisant l’équation par pgcd(x, y, z)2 , on se ramène au cas où pgcd(x, y, z) = 1. Il suit alors que x, y, z sont deux à deux premiers entre eux. (b) x, y ne sont pas de même parité : s’ils sont pairs tous les deux, alors z aussi, contradiction avec pgcd(x, y, z) = 1. S’ils sont impairs tous les deux, alors z est pair. On écrit x = 2m+1, y = 2n + 1, et z = 2k. Alors 4(m2 + n2 + m + n) + 2 = 4k2 , impossible. (c) Supposons par exemple que x est pair. Alors z − x et z + x sont premiers entre eux. On en déduit que z − x et z + x sont des carrés dans Z. (d) Les solutions de l’équation x2 + y 2 = z 2 sont {x, y} = {t(u2 − v 2 ), 2tuv}, pour tous t, u, v ∈ Z. z = t(u2 + v 2 ) 4.1. GÉNÉRALITÉS 55 Il existe une façons plus géométrique pour résoudre l’équation. Elle consiste à paramétrer, en utilisant la projection stéréographique, les points du cercle (moins le pôle nord) par la droite. Exemple 4.1.43 Considérons l’équation x3 − y 2 − 1 = 0 dans Z. On va montrer que la seule solution est x = 1 et y = 0. Pour cela, on va travailler dans l’anneau principal Z[i]. Supposons y 6= 0. On a (y − i)(y + i) = x3 et y − i, y + i ne sont pas inversibles car (Z[i])∗ = {±1, ±i}. Soit d = pgcd(y − i, y + i) ∈ Z[i], alors d divise (y + i) − (y − i) = 2i. Donc d divise 2 puisque i est inversible. D’autre part, d est stable par conjugaison complexe, donc d ∈ Z. Il suit que d = 1, 2. Comme y + i n’est clairement pas un multiple de 2, on a d = 1. Donc y − i et y + i sont premiers entre eux. Il suit que y + i = uz 3 avec u ∈ Z[i]∗ . On voit que u est toujours un cube. Donc on peut supposer u = 1. Écrivons z = u + vi ∈ Z[i]. On obtient 3u2 v − v 3 = 1, donc v = ±1 et 3u2 = 1 + v. Comme y 6= 0, on a u 6= 0, donc v = 1. Mais 3u2 = 2 n’a pas de solution dans Z. Contradiction. Donc y = 0 et alors x = 1. Exercice 4.1.44 Soit p un nombre premier. Résoudre l’équation x2 + py 2 = z 2 dans Z (les solutions sont x = ±t(v 2 − pu2 ), y = 2tuv, z = t(v 2 + pu2 ) avec t, u, v ∈ Z). √ Exercice 4.1.45 Montrer que l’anneau Z[i 2] est euclidien. Résoudre l’équation x3 − y 2 − 2 = 0 dans Z. 56 4.2 CHAPITRE 4. ANNEAUX FACTORIELS Polynômes irréductibles dans A[X] Soit A un anneau factoriel. On s’intéresse aux polynômes irréductibles dans A[X]. 4.2.1 Lemme de Gauss, factorialité de A[X] On fixe un système de représentants P des éléments irréductibles de A, ce qui fixe le choix des pgcd et ppcm. Définition 4.2.1 Soit P (X) = a0 + a1 X + ... + ad X d ∈ A[X]. On appelle le contenu de P (X) le pgcd des coefficients de P (X) : Y cont(P (X)) = f min{νf (ai ) | 0≤i≤d} . f ∈P Il dépend du choix de P. Pour un polynôme constant a ∈ A non-nul, on a cont(a) = ppcm(1, a) (donc associé à a), tandis que cont(0) = 0. On dit que P (X) est primitif si cont(P (X)) = 1. Exemple 4.2.2 Si a ∈ A, alors cont(a) = 1 si et seulement si a ∈ A∗ . Exercice 4.2.3 (Résultats admis en cours) (1) Soient a, b ∈ A, alors cont(cont(a)cont(b)) = cont(a)cont(b), cont(cont(a)) = cont(a). (2) Soit P (X) ∈ A[X]. Alors P (X) est primitif si et seulement si les coefficients de P (X) n’ont pas de diviseur commun non inversibles. En particulier, tout polynôme unitaire est primitif. Lemme 4.2.4. Soit A un anneau factoriel. Soit P (X) ∈ A[X] non-nul. (a) Pour tout a ∈ A, on a cont(aP ) = cont(a)cont(P ). (b) On a P (X) = cont(P )P0 (X) avec P0 (X) ∈ A[X] primitif. (c) Si Q(X) ∈ A[X], alors cont(P Q) = cont(P )cont(Q). Preuve: (a) Il s’agit de montrer que pgcd(aa0 , ..., aad ) = cont(a)pgcd(a0 , ..., ad ), ce qui se voit aisément en comparant νf des deux côtés : min{νf (a) + νf (ai )}i = νf (a) + min{νf (ai )}i pour tout f ∈ P. (b) On a ai = cont(P )bi avec bi ∈ A. Donc P (X) = cont(P )P0 (X) avec P0 (X) ∈ A[X]. D’après (a), on a cont(P0 ) = 1. 4.2. POLYNÔMES IRRÉDUCTIBLES DANS A[X] 57 (c) En utilisant (a) et (b), on se ramène au cas où cont(P ) = cont(Q) = 1. Soit f ∈ P. Montrons que f ne divise pas cont(P Q). Supposons le contraire. Soit s : A → A/f A la surjection canonique. Soit ϕ l’homomorphisme d’anneaux X X ϕ : A[X] → (A/f A)[X], ai X i 7→ s(ai )X i . i i Alors ϕ(P (X))ϕ(Q(X)) = ϕ(P (X)Q(X)) = 0 puisque f divise cont(P Q), donc f divise tous les coefficients de P (X)Q(X). Comme A/f A est intègre, (A/f A)[X] aussi. Donc on a par exemple ϕ(P (X)) = 0, et alors f divise tous les coefficients de P (X) et donc f |cont(P ) = 1. Impossible. Définition 4.2.5 Soit A un anneau factoriel, de corps de fractions K, alors A[X] est un sous-anneau de K[X]. Soit f (X) ∈ K[X]. Alors il existe a ∈ A nonnul tel que af (X) ∈ A[X]. Autrement dit f (X) = F (X)/a. On pose cont(f ) = cont(F )/cont(a) ∈ K. On vérifie sans peine (à l’aide du lemme précédent) que cont(f ) ne dépend pas du choix de la représentation f (X) = F (X)/a. Lemme 4.2.6. Soient A un anneau factoriel, K son corps de fractions et f (X), g(X) ∈ K[X]. (a) Il existe F0 (X) ∈ A[X] primitif tel que f (X) = cont(f )F0 (X). En particulier, f (X) ∈ A[X] si et seulement si cont(f ) ∈ A. (b) (Lemme de Gauss) On a cont(f g) = cont(f )cont(g). Preuve: (a) Ecrivons f (X) = F (X)/a avec a ∈ A non-nul et F (X) ∈ A[X]. On a F (X) = cont(F )F1 (X) avec F1 (X) ∈ A[X] primitif (lemme 4.2.4). Il suit que f (X) = cont(f )F0 (X) avec F0 (X) = (cont(a)/a)F1 (X) ∈ A[X] primitif car cont(a)/a ∈ A∗ . (b) C’est une conséquence immédiate du lemme 4.2.4(c). Proposition 4.2.7. Soit A un anneau factoriel, de corps de fractions K. Soit P (X) ∈ A[X] de degré ≥ 1. (1) Si P (X) est réductible dans K[X], alors P (X) est réductible dans A[X]. (2) Supposons P (X) primitif. Alors P (X) est irréductible dans A[X] si et seulement s’il est irréductible dans K[X]. Preuve: (1) On a P (X) = f (X)g(X) avec f (X), g(X) ∈ K[X] non-constants. On écrit f (X) = cont(f )F0 (X), g(X) = cont(g)G0 (X) avec F0 (X), G0 (X) ∈ A[X] primitifs de degré > 0. Il suit que P (X) = (cont(f )cont(g))F0 (X)G0 (X) et que cont(f )cont(g) = cont(P ) ∈ A. Par conséquent P (X) se décompose en (cont(P )F0 (X))G0 (X) dans A[X]. Comme cont(P )F0 (X) et G0 (X) sont de degré ≥ 1, donc non inversibles dans A[X], P (X) est réductible dans A[X]. 58 CHAPITRE 4. ANNEAUX FACTORIELS (2) Supposons P (X) réductible dans A[X]. Alors P (X) = F (X)G(X) avec F (X), G(X) non-inversibles dans A[X]. Comme cont(F ) = 1, on a nécessairement deg F (X) ≥ 1 car sinon F ∈ A∗ . De même deg G(X) ≥ 1. Donc P (X) est réductible dans K[X]. Remarque 4.2.8 Noter que dans la propriété (2) ci-dessus, il est important de supposer P (X) primitif. Par exemple 2X ∈ Z[X] est irréductible dans Q[X], mais ne l’est pas dans Z[X] puisque c’est le produit de deux éléments noninversibles 2 et X dans Z[X]. Exercice 4.2.9 Soit A un anneau factoriel de corps de fractions K. Soient f (X), g(X) ∈ K[X] des polynômes unitaires. Montrer que si f (X)g(X) ∈ A[X], alors f (X), g(X) ∈ A[X]. Jusqu’à présent, les seuls exemples d’anneaux factoriels rencontrés sont les anneaux principaux. Le théorème suivant va nous en fournir bien d’autres. Theorem 4.2.10. Soit A un anneau factoriel de corps de fractions K. Alors on a les propriétées suivantes : (1) Les éléments irréductibles de A[X] sont les irréductibles de A, et les polynômes F (X) ∈ A[X] primitifs qui sont irréductibles dans K[X]. (2) L’anneau A[X] est factoriel. Preuve: Les éléments de A[X] listés dans (1) sont bien irréductibles : c’évident pour les polynômes constants, et on utilise la proposition 4.2.7(b) pour les polynômes primitifs. Noter que cela ne montre pas encore que tous les irréductibles de A[X] sont de ces formes. Montrons que tout élément P (X) ∈ A[X] admet une factorisation unique (à association près) en produit d’éléments listés dans (1). Ce qui montra (1) et (2) en même temps. On a P (X) = f1 (X)...fn (X) avec fi (X) ∈ K[X] irréductibles. On écrit fi (X) = cont(fi )Fi (X) avec Fi (X) ∈ A[X] primitif. Alors Y P (X) = cont(P ) Fi (X). 1≤i≤n Comme cont(P ) est un produit d’irréductibles de A, on a P (X) comme produit d’irréductibles de A[X] listés dans (1). Montrons l’unicité de la décomposition en irréductibles. Supposons a1 ...an F1 (X)...Fm (X) = b1 ...bp G1 (X)....Gq (X) avec ai , bj ∈ A irréductibles et Fi , Gj ∈ A[X] primitifs et irréductibles dans K[X]. Le calcul des contenus des deux membres implique que a1 ...an = ub1 ...bp pour un u ∈ A∗ . Donc n = p et, quitte à renuméroter, ai est associé à bi pour tout i. Par ailleurs, F1 (X)...Fm (X) = u−1 G1 (X)...Gq (X). 4.2. POLYNÔMES IRRÉDUCTIBLES DANS A[X] 59 Comme les Fi , Gj sont irréductibles dans K[X], on a m = n, et quitte à renuméroter, Fi (X) = αi Gi (X) pour un αi ∈ K[X]. Mais cont(αi ) = 1, donc αi ∈ A∗ . Corollaire 4.2.11. Soit k un corps. Alors k[X1 , ..., Xn ] est factoriel. De même Z[X1 , ..., Xn ] est factoriel. Preuve: On procède par récurrence sur n. Remarque 4.2.12 Si A est un anneau principal qui n’est pas un corps. Alors A[X] n’est jamais principal. En effet, si f ∈ A est irréductible, alors l’idéal (f, X) de A[X] n’est pas principal. Par contre, A[X] est factoriel. La proposition suivante n’est pas traitée en cours. Proposition 4.2.13. Soit A un anneau factoriel. Soit S une partie multiplicative de A. Alors S −1 A est factoriel. Les éléments irréductibles de S −1 A sont de la forme f /s avec s ∈ S, f ∈ A irréductible et f A ∩ S = ∅. Preuve: D’abord (S −1 A)∗ = {a/s | a ∈ A∗ , s ∈ S}. Si f est irréductible et S ∩ f A = ∅, montrons que f /s est premier (donc irréductible). Une égalité (a/t)(b/u) = (g/s0 )f /s avec g, a, b ∈ A et s0 , t, u ∈ S implique que (s0 s)ab ∈ f A, donc ab ∈ f A car ss0 ∈ S donc ss0 ∈ / f A. Il suit que a/t ou b/u appartient à (f /s)S −1 A et donc que f /s est premier. Inversement, si f /s est irréductible, on voit aisément que f est irréductible. De plus S ∩ f A = ∅ car sinon il existe a ∈ A et t ∈ S tels que af = t, donc (as/t)(f /s) = 1 et f /s serait inversible dans S −1 A. Montrons maintenant que S −1 A est factoriel. Avec ce qui précède, tout irréductible est premier. Soit a/s ∈ A non-nul et non-inversible. Alors on peut écrire a = f1 ...fn avec fi ∈ A irréductibles. Il suit que a/s = (f1 /s).(f2 /1)...(fn /1). Chaque fi ou f1 /s est soit irreductible, soit inversible (ce qui revient à dire que fi A∩S est nonvide). Donc a/s est un produit fini d’irreductibles g1 , ..., gm avec un inversible u ∈ (S −1 A)∗ . Exercice 4.2.14 Soit f (X1 , ..., Xn ) ∈ Z[X1 , ..., Xn ] le déterminant de vandermonde. ¯ ¯ ¯1 X1 X12 ... X1n−1 ¯ ¯ ¯ ¯1 X2 X22 ... X n−1 ¯ 2 ¯ ¯ ¯. .. .. ¯¯ ¯ .. . ... . ¯ ¯ ¯1 Xn X 2 ... X n−1 ¯ n n (1) Montrer que Xi − Xj divise f pour tout couple i 6= j. Q (2) En déduire que D := 1≤i<j≤n (Xi − Xj ) divise f . (3) En comparant les degrés totaux de f et D, montrer qu’il existe c ∈ Z tel que f = cD. (4) En calculant f (0, X2 , ..., Xn ) et D(0, X2 , ..., Xn ), montrer par récurrence sur n que c = 1. (5) Soit K un corps. Soient a1 , ..., an ∈ K. Montrer que ¯ ¯ ¯1 a1 a21 ... an−1 ¯ 1 ¯ ¯ ¯1 a2 a22 ... an−1 ¯ Y 2 ¯ ¯ (aj − ai ). ¯. ¯= . . .. . . . .. ¯ ¯ .. ¯ ¯ 1≤i<j≤n ¯1 an a2 ... an−1 ¯ n n 60 4.2.2 CHAPITRE 4. ANNEAUX FACTORIELS Critère d’Eisenstein Le théorème suivant fournit une méthode efface pour test l’irréductiblité d’un polynôme. Theorem 4.2.15. (Critère d’Eisenstein) Soit A un anneau factoriel de corps de fractions K. Soit P (X) = ad X d + ad−1 X d−1 + ... + a0 ∈ A[X] de degré n ≥ 1. On suppose qu’il existe un élément irréductible f ∈ A avec les propriétés suivantes : (i) f ne divise pas ad ; (ii) f |ai pour 0 ≤ i ≤ d − 1 ; (iii) f 2 ne divise pas a0 . Alors P (X) est irréductible dans K[X]. Si de plus cont(P ) = 1 (par exemple si ad = 1), alors P (X) est irréductible dans A[X]. Exemple 4.2.16 Les polynômes 2X 3 + 3, X 5 + 5X + 10 ∈ Z[X] sont irréductibles dans Z[X]. Le polynôme Y n − X(X − 1)(X − λ) ∈ k[X, Y ] (λ ∈ K différent de 0, 1) est irréductible. Fin du douzième cours, 15/11/2006 4.2. POLYNÔMES IRRÉDUCTIBLES DANS A[X] 61 Preuve: Supposons que P (X) est réductible dans K[X]. Comme dans la preuve de la proposition 4.2.7(1), on a une décomposition P (X) = F (X)G(X) avec F, G ∈ A[X] de degré > 0. Soient s : A → A/f A et ϕ : A[X] → (A/f A)[X] comme dans la preuve du lemme 4.2.4. Alors on a une décomposition dans (A/f A)[X] : ϕ(P (X)) = ϕ(F (X))ϕ(G(X)). Le coefficient dominant de P , et donc ceux de F , G, sont premiers à f . Donc deg ϕ(P (X)) = d, deg ϕ(F (X)) = deg F (X) et deg ϕ(G(X)) = deg G(X). Par les conditions (i) et (ii), on a ϕ(P (X)) = s(ad )X d . Donc ϕ(F (X)) = s(bm )X m , ϕ(G(X)) = s(cn )X n avec m, n > 0 (noter que A/f A est intègre). Il suit que a0 = F (0)G(0) ∈ f 2 A. Contradiction. Remarque 4.2.17 Soit K un corps. Soit P (X) ∈ K[X] un polynôme de degré 2 ou 3 sur un corps K. Alors P (X) est irréductible si et seulement s’il n’a pas de zéro dans K. En effet, si P (X) est réductible, un des facteurs irréductible est nécessairement de degré 1. Ce qui donne une zéro dans K. La réciproque est immédiate. Attention, cet énoncé est absolument faux en degré ≥ 4. Par exemple, le polynôme X 4 + 1√∈ R[X] n’a pas de √ racine réelle, mais il n’est pas irréductible : X 4 + 1 = (X 2 − 2X + 1)(X 2 + 2X + 1). 4.2.3 Polynômes cyclotomiques Pour tout n ≥ 1, on pose ξn = e2iπ/n ∈ C. L’ensemble des racines primitives n-ième de l’unité (c’est-à-dire les racines d’ordre exactement n de 1) est alors égal à l’ensemble des ξnk avec 1 ≤ k ≤ n et pgcd(k, n) = 1. Soit Y Φn (X) = (X − ξnk ) ∈ C[X]. 1≤k≤n,(k,n)=1 On l’appelle le n-ième polynôme cyclotomique. C’est un polynôme unitaire de degré ϕ(n) = |(Z/nZ)∗ |. Exemple 4.2.18 Φn (X) pour n = 1, ..., 6 : X − 1, X + 1, X 2 + X + 1, X 2 − 1, X 4 + X 3 + X 2 + X + 1 et X 2 − X + 1. Proposition 4.2.19. Soit n ≥ 1 et soit p un nombre premier. (1) Si pgcd(p, n) = 1, alors pour tout m ≥ 1, on a m Φ pm n Φn (X p ) (X) = . Φn (X pm−1 ) (2) Si p|n, alors Φpn (X) = Φn (X p ). 62 CHAPITRE 4. ANNEAUX FACTORIELS m m−1 Preuve: (1) Les polynômes Φn (X p ) et Φpm n (X)Φn (X p ) sont unitaire du même degré pm ϕ(n). Pour montrer qu’ils sont égaux, il suffit de montrer que le second divise le premier. m−1 Les racines (complexes) de Φn (X p ) sont des racines pm−1 n-ièmes (donc m p n-ième) de l’unité, et ce sont des racines simples (cela se voit en dérivant m−1 Φn (X p ) et en utilisant le fait que, par construction, le polynôme Φn (T ) ∈ C[T ] n’a que des racines simples). On en déduit immédiatement que les ram−1 cines de Φpm n (X)Φn (X p ) sont deux à deux distinctes, et sont racines de m−1 m−1 m Φn (X p ). Il suit du corollaire 3.2.5 que Φpm n (X)Φn (X p ) divise Φn (X p ). (2) On peut écrire n = pm q avec pgcd(p, q) = 1 et appliquer (1). Exemple 4.2.20 Soit p un nombre premier. Alors Φp (X) = Xp − 1 = X p−1 + X p−2 + · · · + X + 1. X −1 Plus généralement, pour tout m ≥ 1, on a m Φpm (X) = Xp X −1 pm−1 −1 m−1 = Xp (p−1) m−1 + Xp (p−2) m−1 + · · · + Xp + 1. Remarque 4.2.21 On voit que Φp (X) ∈ Z[X]. Montrons qu’il est irréductible sur Q (ou Z ce qui est équivalent puisque Φp (X) est primitif). Si ce n’était pas le cas, on aurait une décomposition Φp (X) = F (X)G(X) dans Q[X] avec deg F (X), deg G(X) ≥ 1. En faisant le changement de variables X = Y + 1, on voit que P (Y ) := Φp (Y + 1) n’est pas irréductible. Or X “p” (Y + 1)p − 1 P (Y ) = = Y p−1 + Y p−k + p. Y k 1≤k≤p−2 On applique le critère d’Eisenstein avec A = Z et f = p. On a alors P (Y ) irréductible. Contradiction. Exercice 4.2.22 Montrer de manière analogue que Φpm (X) ∈ Z[X] et qu’il est irréductible pour tout m ≥ 1. Exercice 4.2.23 Soit n ≥ 2. Montrer que Φn (1) = p si n = pm et Φn (1) = 1 sinon. Exercice 4.2.24 Soient m, n ≥ 1. Montrer que Φnm (X)|Φn (X m ). Montrer que Φn (X) = Φr(n) (X n/r(n) ), où r(n) est la racine de n : c’est le produit des facteurs premiers de n (sans leurs exposants). Proposition 4.2.25. Soit n ≥ 1. Q (1) On a X n − 1 = d|n Φd (X). (2) Φn (X) ∈ Z[X]. Preuve: (1) L’égalité résulte du fait que l’ensemble µn des racines n-ièmes de 1 dans C est la réunion disjointe des racines primitives d-ièmes de 1, pour les diviseurs positifs d de n. (2) On procède par récurrence sur n. On a déjà Φ1 (X) =QX − 1 ∈ Z[X]. Supposons que Φm (X) ∈ Z[X] pour tout m < n. Soit Pn (X) = d|n,d6=n Φd (X). 4.2. POLYNÔMES IRRÉDUCTIBLES DANS A[X] 63 C’est alors un polynôme unitaire dans Z[X]. On effectue la division euclidienne dans Z[X] : X n − 1 = Pn (X)Q(X) + R(X), deg R(X) < deg Pn (X). Cela donne aussi la division euclidienne dans C[X]. Or Pn (X) divise X n − 1 dans C[X], donc R(X) = 0. Donc Pn (X) divise X n − 1 dans Z[X], le quotient Φn (X) appartient alors à Z[X]. Theorem 4.2.26. Pour tout n ≥ 1, Φn (X) est irréductible dans Z[X] et dans Q[X]. La preuve du théorème est un peu délicate. Montrons d’abord deux résultats préliminaires. Lemme 4.2.27. Soit f (X) ∈ Fp [X]. Alors f (X p ) = (f (X))p . Preuve: Soit a ∈ Fp . Le petit théorème de Fermat dit que ap = a (c’est trivial si a = 0, sinon, a ∈ (Z/pZ)∗ qui est un groupe d’ordre p − 1, et Legendre implique que ap−1 = 1, donc ap = a). Comme on est dans un anneau de caractéristique p, on a X X p X ( ai X i )p = ai X ip = ai X ip , i p i i p donc f (X) = f (X ). Lemme 4.2.28. Soient F (X), H(X) ∈ Z[X] avec F (X) primitif et irréductible. Si F (X) et H(X) ont une racine commune α dans C, alors F (X) divise H(X) dans Z[X]. Preuve: Montrons d’abord que F divise H dans Q[X]. Sinon, comme F est irréductible dans Q[X], on aurait une identité de Bézout 1 = a(X)H(X) + b(X)F (X), a(X), b(X) ∈ Q[X]. En remplaçant X par α, on a 1 = 0, absurde. D’où H(X) = F (X)Q(X) avec Q(X) ∈ Q[X]. Comme cont(Q) = cont(H) ∈ Z, on a Q(X) ∈ Z[X] (lemme 4.2.6(a)). Preuve du Théorème 4.2.26.(3). Comme Φn (X) est unitaire, donc primitif, son irréductibilité sur Z et sur Q sont équivalentes. Soit F (X) ∈ Z[X] un facteur irréductible de Φn (X) ∈ Z[X]. On a donc Φn (X) = F (X)G(X) avec F, G ∈ Z[X] unitaires et deg F (X) ≥ 1. On va montrer que F (X) = Φn (X), ce qui impliquera que Φn (X) est irréductible. (a) Soit ξ une racine de F (X) dans C. Soit p un nombre premier ne divisant pas n. Montrons que ξ p aussi racine de F (X). Supposons le contraire. Comme ξ p est aussi racine primitive n-ième de l’unité, elle est racine de Φn (X). Il suit que ξ p est racine de G(X). Autrement dit, ξ est racine de G(X p ). D’après le lemme ci-dessus, F (X) divise G(X p ) 64 CHAPITRE 4. ANNEAUX FACTORIELS dans Z[X]. Soit s : Z[X] → Fp [X] la surjection canonique. Soit q(X) un facteur irréductible de s(F (X)). Alors q(X) divise s(G(X p )) = s(G(X))p (lemme 4.2.27), donc q(X)|s(F (X)), et q(X)2 divise s(F (X))s(G(X)) = s(Φn (X)) qui divise X n − 1 ∈ Fp [X]. Cela implique que q(X) divise aussi la dérivée nX n−1 de X n − 1, ce qui est clairement impossible puisque n 6= 0 dans Fp . Donc ξ p est bien une racine de F (X). (b) Montrons par récurrence que pour tout entier k premier à n, ξ k est racine de F (X). C’est vrai pour k = 1. Supposons k ≥ 2 et que la propriété soit vraie pour tout entier ≤ k − 1. Soit p un diviseur premier de k. On écrit 0 k = pk 0 . Par hypothèse de récurrence ξ k est racine de F (X). On peut appliquer 0 le raisonnement précédent à ξ k et on voit que ξ k est racine de F (X). (c) Par conséquent toutes les racines primitives n-ièmes de 1 dans C sont racines de F (X). Il suit que Φn (X) = F (X) par construction de Φn (X). Fin du treizeième cours, 22/11/2006 La partie qui suit n’est pas traitée en cours. 4.2.4 Idéaux premiers de A[X] Lemme 4.2.29. Soit A un anneau factoriel. Soit p un idéal premier de A[X] tel que p ∩ A = {0}. Alors p est principal. Preuve: On peut supposer p 6= {0}. Soit F0 (X) = ad X d + ... + a0 ∈ p nonnul et de degré minimal. En remplaçant éventuellement F0 (X) par un facteur irréductible non-constant (cela est possible car p est premier et A ∩ p = {0}), on peut supposer que F0 (X) est primitif et irréductible. Montrons que F0 (X) engendre p. Soit G(X) = be X e + ... + b0 ∈ p \ F0 (X)A[X], de degré minimal parmi les éléments de p \ F0 (X)A[X]. On a e ≥ d. Considérons H(X) = ad G(X) − be X e−d F0 (X) ∈ p. On a deg H(X) < e. Donc H(X) ∈ F0 (X)A[X]. Il suit que ad G(X) ∈ F0 (X)A[X] et donc G(X) ∈ F0 (X)A[X]. Contradiction. Donc p = F0 (X)A[X]. Définition 4.2.30 Soit P (X, Y ) ∈ C[X, Y ]. On note Z(P ) = {(α, β) ∈ C2 | P (α, β) = 0}. Un tel ensemble est appelé une courbe plane (complexe) si P (X, Y ) ∈ / C. Remarque 4.2.31 Soient z = (α, β) ∈ C2 . Soit mz l’idéal de C[X, Y ] engendré par X − α et Y − β (noté habituellement par (X − α, Y − β)). C’est un idéal maximal de C[X, Y ] (exemple 3.1.8). On a z ∈ Z(P ) si et seulement si P (X, Y ) ∈ mz . Ceci résulte du développement de Taylor de P (X, Y ) en z (corollaire 3.1.7). 4.2. POLYNÔMES IRRÉDUCTIBLES DANS A[X] 65 Corollaire 4.2.32. (Théorème des zéros de Hilbert faible) Notons A2 (C) l’ensemble des idéaux maximaux de C[X, Y ]. Alors l’application ρ : C2 → A2 (C), z 7→ mz est une bijection. Preuve: (1) Montrons que ρ est injective. Si mz = mz0 , avec z = (α, β), alors X − α, Y − β ∈ mz0 , donc z 0 ∈ Z(X − α) ∩ Z(Y − β) = {(α, β)} d’après la remarque ci-dessus. Donc z 0 = z. (2) Montrons que ρ est surjective. Soit m un idéal maximal de C[X, Y ]. Montrons que m ∩ C[Y ] 6= 0. Sinon, m = F (X, Y )C[X, Y ] pour un certain F (X, Y ) = ad (Y )X d + ... + a0 (Y ) (lemme 4.2.29) avec ad (Y ) 6= 0. Soit λ ∈ C tel que ad (Y ) 6= 0. On a Y −λ ∈ / m, donc m+(Y −λ)C[X, Y ] = C[X, Y ]. Autrement dit, il existe G(X, Y ), H(X, Y ) ∈ C[X, Y ] tels que 1 = F (X, Y )G(X, Y ) + (Y − λ)H(X, Y ). En remplaçant Y par λ dans cette identité, on trouve que F (X, λ) ∈ C[X]∗ = C∗ . Impossible. Par conséquent, m ∩ C[Y ] est engendré par un polynôme irréductible, nécessairement de degré 1 par le théorème de d’Alembert-Gauss. Donc m ∩ C[Y ] = (Y − β)C[X] pour un certain β ∈ C. De même, il existe α ∈ C tel que X − α engendre m ∩ C[X]. Il suit que mz ⊆ m où z = (α, β). D’où m = mz = ρ(z). Remarque 4.2.33 La preuve ci-dessous montre que tout idéal premier nonprincipal de C[X, Y ] contient un mz et est donc maximal. Corollaire 4.2.34. Soient P (X, Y ), Q(X, Y ) ∈ C[X, Y ] des polynômes sans facteur commun. Alors l’intersection Z(P ) ∩ Z(Q) est finie. Preuve: Montrons d’abord qu’il n’existe qu’un nombre finie d’idéaux maximaux de C[X, Y ] contenant l’idéal (P, Q). Soit p un idéal premier contenant (P, Q). Alors p n’est pas principal (sinon tout générateur de p serait un facteur commun de P et Q), il est donc maximal. D’après le théorème 2.3.25, il existe p un nombre fini d’idéaux maximaux m1 , ..., mn dont l’intersection est égale à (P, Q). Soient p m un idéal maximal contenant (P, Q). Alors m contient (P, Q). Montrons que m contient (et est donc égal à) un des mi . Dans le cas contraire, p il existe ai ∈ mi \ m pour tout i ≤ n. Le produit a1 ...an est un élément de (P, Q) n’appartenant pas à m, contradiction. Soit z ∈ Z(P ) ∩ Z(Q). Alors (P, Q) ⊆ mz d’après la remarque 4.2.31. Donc mz est égal à l’un des mi . D’où le résultat. Exercice 4.2.35 Étudier Z(P ) ∩ Z(Q) lorsque Q est de degré 1. 66 CHAPITRE 4. ANNEAUX FACTORIELS Remarque 4.2.36 Ce corollaire peut aussi être prouvé en utilisant le résultant de P et Q (comme polynômes dans C[X][Y ]). En fait une forme faible du théorème de Bertini affirme même que le cardinal de Z(P ) ∩ Z(Q) est borné par le produit des degrés totaux deg P deg Q. La forme forte donne une égalité si on compte les points d’intersection avec leurs “multiplicités d’intersection” et si on prend aussi en compte les “points à l’infini”. Remarque 4.2.37 (Preuve du lemme 4.2.29 par la localisation). Considérons l’idéal pK[X] de K[X] engendré par p. Montrons que pK[X] est engendré par P un élément primitif F0 (X) ∈ p. Les éléments de pK[X] sont de la forme i Pi (X)gi (X) avec Pi (X) ∈ p et gi (X) ∈ K[X]. En mettant les coefficients des gi en commun, la somme s’écrit λP (X) avec λ ∈ K et P (X) ∈ p. Comme K[X] est un anneau principal, il existe F (X) ∈ p tel que pK[X] = F (X)K[X]. On écrit F (X) = cont(F )F0 (X) avec F0 (X) ∈ A[X] primitif. Comme A ∩ p = {0}, cont(F ) ∈ / p, donc F0 (X) ∈ p. Tout élément de p est divisible par F0 (X) dans K[X], donc dans A[X] (cf. la preuve du lemme 4.2.28). Il suit que p = F0 (X)A[X]. Proposition 4.2.38. Soit A un anneau principal. Soit p un idéal premier de A[X]. Alors on a les trois possibilités suivantes : (i) p = {0} ; (ii) p est principal. Dans ce cas-là, si A a une infinité d’irréductibles deux à deux non-associés, alors p n’est pas maximal. (iii) p est maximal et égal à (θ, F (X)) où θ est un élément irréductible de A, F (X) ∈ A[X], d’image irréductible dans (A/θA)[X]. Preuve: Soit p un idéal premier non principal. D’après le lemme précédent, p ∩ A est un idéal premier non-nul, donc engendré par un élément irréductible θ de A. On a θA[X] ⊆ p et l’image p̄ de p dans (A/θA)[X] ' A[X]/θA[X] est un idéal premier non-nul. Comme A/θA est un corps, il existe F (X) ∈ A[X] dont l’image dans (A/θA)[X] engendre p̄. Il suit que p = (θ, F (X)). Considérons maintenant le cas où p est principal, engendré par F (X) = ad X d + ... + a0 . Supposons que A a une infinité d’irréductibles et que F (X)A[X] est maximal. Soit θ ∈ A un irréductible premier à ad . On a θ ∈ / p. L’idéal p + θA[X] contient strictement p et est donc égal à A[X]. Il existe donc des polynômes G(X), H(X) ∈ A[X] tels que 1 = F (X)H(X) + θG(X). Dans le quotient (A/θA)[X], F (X) devient inversible, donc θ divise ad . Contradiction. Remarque 4.2.39 Si A n’a qu’un nombre fini d’irréductibles deux à deux non associés, soit a leur produit, alors (aX − 1)A[X] est principal et néanmoins maximal car A[X]/(aX − 1) est isomorphe au corps Frac(A).