Marie Maurisse
Enquête. Le rachat de Syngenta par le groupe ChemChina pourrait
représenter une opération record.
L’automne arrive à petits pas sur La Chaux-de-Fonds. Nous sommes en
septembre 2013 et, face aux vitres immaculées de la société horlogère Corum,
les feuilles des arbres commencent à pâlir légèrement. Au petit matin, les
ouvriers passent par grappes la porte de l’entreprise, enfilent leur blouse
blanche et entament leur labeur de haute précision. On entend à peine
quelques murmures dans les laboratoires. Dehors, tout est calme. Pourtant,
au-delà des apparences, la marque suisse vit l’un des plus grands
bouleversements de son histoire. Après avoir survécu à la mort de son
propriétaire en 2008, l’entreprise et ses 130 collaborateurs doivent maintenant
faire face au rachat par le groupe chinois Haidan, récemment renommé City-
champ Watch & Jewellery.
L’annonce a eu lieu en avril 2013. A peine quelques mois plus tard, en cette
paisible matinée d’automne, deux Chinois sonnent à la porte de Corum. Ils
sont expressément envoyés par le nouveau proprtaire, Hon Kwok Lung, pour
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Les Chinois à la conquête de l’économie suisse
Mis en ligne le 25.02.2016 à 06:00
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LES CHINOIS À LA CONQUÊTE DE L’ÉCONOMIE SUISSE
RACHAT Ren Jianxin, directeur de ChemChina, et Michel Demaré, président de Syngenta. Pour le patron chinois, la firme bâloise
contribuera à «nourrir la Chine». © Georgios Kefalas / Keystone
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faire comprendre aux Suisses les thodes managériales chinoises et
remettre l’horloger suisse sur les rails de la croissance. Le premier de ces
envoyés spéciaux est le beau-fils de Hon Kwok Lung. L’homme a étud à
l’étranger et parle donc anglais. Quant au second, il dirige une des sociétés
du groupe en Chine et ne connaît absolument rien à la Suisse, ni ses langues,
ni ses coutumes. A La Chaux-de-Fonds, l’ambiance est tendue.
Un ancien employé de Corum se souvient comme si c’était hier de l’arrivée de
cet étrange binôme. «Nous ne nous comprenions pas, explique-t-il. Dans les
séances, ils donnaient leur avis sans nous écouter, notre expérience ne les
intéressait absolument pas. L’honneur est une valeur très importante dans leur
culture et, lors des discussions, il était impensable pour eux de perdre la face.
Ils ont raison quoi qu’il arrive, et cela rendait la communication impossible.»
Pour ce cadre, ce n’est que le début des problèmes. Contrairement aux autres
acquéreurs dans les secteurs horlogers ou du luxe qui s’étaient montrés un
temps intéressés par un rachat, les Chinois ne semblent pas avoir de projet
concret ni même de vision d’avenir. L’apport de liquidités promis pour investir
dans le développement de Corum se fait attendre, les budgets publicitaires
sont coupés à la hache et les fournisseurs sont payés de plus en plus tard.
Malg ses années d’ancienneté, ce Suisse décide alors de partir. encore,
ses nouveaux patrons ne lui facilitent pas la tâche en ne respectant pas les
indemnités auxquelles il a droit. Avec plusieurs autres collègues
démissionnaires, il est encore aujourd’hui en procédure contre Citychamp
Watch & Jewellery.
La conquête ne fait que commencer
L’aventure de Corum n’est pas un cas isolé. En effet, la conquête de la Suisse
par les conglomérats d’Etat et les milliardaires chinois ne fait que commencer.
Certes, en volume, les investissements directs chinois en Suisse restent
tellement minuscules qu’ils n’apparaissent même pas dans les statistiques de
la Banque nationale suisse (voir l’infographie en page suivante). Selon José
Mata, professeur de stratégie internationale à la HEC de Lausanne, les
apports chinois ont représenté environ 2% des investissements étrangers en
Suisse ces quatre dernières années. Mais leur augmentation est forte dans la
mesure où s’opère un effet de rattrapage, relève Gérald Béroud, spécialiste de
la Chine et fondateur du site sinoptic.ch. «La Chine est désormais la deuxme
puissance économique mondiale et, comme les autres, elle veut avoir droit à
sa part du gâteau. Le gouvernement incite fortement les entreprises à se
développer à l’international.»
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Et le pays en a largement les moyens: en 2015, il affichait un excédent
commercial de 600milliards de dollars. Autre raison invoquée par les experts,
la légère surévaluation du yuan, qui pousse les détenteurs de capitaux à
vouloir réaliser des achats en monnaie étrangère afin de réaliser une marge
intéressante.
Selon Gérald Béroud, la Suisse compterait aujourd’hui entre 60 et
70 entreprises chinoises. L’Hebdo a répertorié les rachats les plus importants
depuis 2008. Au total, les grands patrons chinois ont effectué 24 acquisitions
ou importantes prises de participation dans notre pays. La dernière en date est
celle du groupe Syngenta, un des leaders mondiaux de l’agrochimie, par le
mastodonte ChemChina. Celui avait déjà acheté le spécialiste des machines
Netstal Maschinen AG en début d’année et possède aussi 12% de Mercuria,
groupe genevois actif dans les matières premières. Mais avec Syngenta, le
patron de ChemChina, Ren Jianxin, réalise son plus beau coup. Si elle est
acceptée par les autorités américaines, qui devraient se prononcer d’ici à trois
mois, cette acquisition serait la plus grosse jamais effectuée par un groupe
chinois.
A Monthey, la plus grande usine de Syngenta en Suisse, le syndicaliste d’Unia
Blaise Carron est inquiet. «Chinois ou Aricains, peu importe! Leur objectif
est toujours le me, dégager des bénéfices. Bien r, nous craignons que
cela ne se fasse au détriment des 900 employés du site Une rencontre est
prévue avec la direction dans les semaines à venir, afin d’obtenir des garanties
sur ce point.
S’il observe les exemples de rachat chinois en Suisse, Blaise Carron a de quoi
se faire du souci. Chez Swissmetal, repris fin 2012 par Baoshida, les Chinois
ont d’abord licencié 20 personnes sur 250 à Reconvilier (Jura bernois) et à
Dornach (SO). La semaine dernière, la RTS a révélé que la sociéemployait
six ouvriers chinois non déclarés sur sol suisse. Chez Addax Petroleum,
société genevoise rachetée en 2009 par Sinopec pour 8milliards de francs,
70 licenciements ont eu lieu à la fin de l’année dernière, soit le tiers des
effectifs. La chute des prix du pétrole est-elle seule responsable de cette
saignée? Les méthodes quelque peu radicales de la direction avaient déjà été
pointées du doigt deux ans auparavant, alors que plusieurs employés avaient
été forcés à partir dans des conditions conflictuelles. Plusieurs avaient porté
plainte aux prud’hommes, relevait Le Temps.
Stratégie balbutiante
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Avant de reprendre Corum, le groupe Haidan dépensait 23millions de francs
pour acquérir une autre entreprise horlogère suisse, Eterna, à Granges, en
2011. non plus, l’idylle n’a pas eu lieu: plusieurs membres clés du
personnel ont été remplacés, la stratégie était pour le moins balbutiante.
L’opération n’a pas été un succès commercial pour les Chinois, qui ont perdu
21millions de francs en 2013 avec Eterna. A leur décharge, ni Eterna ni
Corum n’étaient en bonne santé avant la reprise. Un ancien employé de
Corum, qui a assisaux négociations en vue du rachat, utilise une métaphore
pour le moins explicite. «La mariée était moins jolie quand on soulevait la jupe,
dit-il.
La direction avait bien tenté d’enjoliver la situation de Corum avant la vente,
notamment en créant de toutes pces un poste de directeur du
développement, pour donner l’impression que nous avions de fantastiques
projets innovants, mais une fois l’opération faite les Chinois n’ont pas été
dupes, ils ont compris que les résultats de l’entreprise n’étaient pas bons, que
les stocks étaient pleins et que les techniques utilisées étaient bien trop
complexes par rapport aux ventes réalisées Désavoué, le directeur, Antonio
Calce, est mis à la porte au printemps 2014. Pour son successeur, Davide
Traxler, qui travaille en bonne entente avec Pékin, ce sont les Chinois qui sont
victimes de discrimination en Suisse, et pas l’inverse...
Il est vrai que tous les rachats ne sont pas aussi cauchemardesques. Chez
Swissport, repris par HNA Group Co. Ltd. à l’é 2015, les premiers retours
sont très positifs. Dans l’horlogerie aussi, certaines synergies réussissent: cité
par le mensuel PME Magazine en mai dernier, le fondateur de la marque
Emile Chouriet, Jean Depéry, affirme que «la présence managériale chinoise
est très discrète. On ressent davantage la volonté d’apprendre que
d’imposer.» Le groupe Fiyta est devenu actionnaire majoritaire en 2010.
Même si la priorides grands patrons chinois reste de s’implanter au sein de
l’Union européenne, la liste des conquêtes chinoises en terre suisse n’est pas
près de se terminer. Selon le site Business Montres et Joaillerie, la maison
Maurice Lacroix serait sur le point d’être rachetée par un groupe chinois. Les
hommes d’affaires de l’Empire du Milieu aiment la Suisse pour plusieurs
raisons: outre sa situation centrale, elle abrite de très belles marques dans le
secteur du luxe, qu’il est chic, au même titre qu’un domaine bordelais, d’avoir
dans son portefeuille. Elle héberge aussi des entreprises très pointues dans
les secteurs de la chimie ou des machines, dont les technologies sont de vrais
trésors, que leurs nouveaux proprtaires peuvent transférer chez eux.
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Philippe Monnier est l’ex-directeur du Greater Geneva Berne area (GGBa),
l’organe de promotion économique de Suisse occidentale. Il est aujourd’hui
administrateur de plusieurs entreprises internationales et consultant; à ce titre,
il reçoit régulrement des entrepreneurs chinois souhaitant faire des affaires
en Suisse. Pour lui, les grands patrons venus de Pékin ou de Shanghai ont
bien la volonté de «conquérir le mond, mais ils ont plusieurs handicaps.
Contrairement aux Américains ou aux Français, les Chinois n’ont pas encore
de grande expérience de la mondialisation. Créer de toutes pièces une filiale
ou un siège européen en Suisse est plus long et compliqué, car ils n’en ont
simplement pas l’habitude.
C’est pourquoi ils préfèrent souvent racheter des sociétés ou des marques
existantes. Le problème, c’est que leurs codes culturels sont à rebours des
nôtres. «Même si un Chinois vous parle anglais et que vous compreniez
chacun de ces mots, cela ne veut pas du tout dire que vous avez compris ce
qu’il veut vous communiquer, relève Philippe Monnier. Les différences sont
plus fortes qu’avec un Russe ou un Indien.»
Conseils culturels
Pour ce spécialiste, «le plus important, dans une acquisition, c’est de réussir à
gagner le cœur des futurs employés et clients. Cela commence par une
attitude de respect sincère. Mais si l’acheteur est un nouveau riche qui n’a pas
bâti sa socié pierre après pierre et qui ne sait pas respecter les autres, cela
fait généralement des ravages lors d’une acquisition.» Selon Philippe Monnier,
la plupart des reprises par des Chinois se passent mal. «Par exemple, lorsque
j’étais au GGBa, je n’ai jamais hésité à glisser des conseils culturels de
comportement voire sur la manière de s’habiller ou de manger à nos
investisseurs chinois potentiels avant leurs rendez-vous dans les cantons.»
Installé à Shanghai, Nicolas Musy a créé deux entreprises ainsi que China
Integrated, qui aide les sociétés désirant faire des affaires au sein de l’Empire
du Milieu. «La Chine est un pays qui rattrape, donc tout doit aller très vite, et
les décisions se prennent du haut vers le bas.» Des méthodes qui heurtent
souvent les mœurs helvètes.
C’est pourquoi en Suisse nombre de Chinois préfèrent investir dans une
entreprise qui fonctionne, afin d’avoir à y intervenir le moins souvent possible.
Ils ne sont pas des redresseurs dans l’âme, sans compter que, malg leur
fortune, ils ne sont pas prêts à dépenser plus que de raison. Cela pourrait
expliquer l’échec des Chinois dans le redressement de firmes à la peine
comme Corum ou Eterna. Et en ce sens, le rachat de Syngenta n’augure
peut-être pas de mauvaises nouvelles: dans la mesure la multinationale a
don la preuve de son efficacité, les dirigeants de ChemChina ne devraient
pas apporter beaucoup de changements.
Encore faut-il l’espérer, parce que si ce n’est pas le cas, Berne n’aura pas
vraiment de marge de manœuvre. L’accord sino-suisse de libre-échange signé
il y a deux ans comprend certes un renforcement de la propriété intellectuelle
et protège la confidentialité des données pendant six ans dans le milieu
agrochimique. Mais une fois que les Chinois seront les seuls à la barre, il sera
difficile d’influer sur leurs choix stratégiques.
Sauveurs de banques?
Deux poids, deux mesures. Si l’emprise des Chinois est mal perçue dans les
secteurs à succès de la Suisse comme l’industrie de pointe ou l’horlogerie de
luxe, il est un domaine dans lequel le pays les courtise sans relâche, c’est
celui de son industrie bancaire, pour le moins fragilisée. Pourtant, les relations
bancaires sino-helvétiques sont parties sur un mauvais pied. En 2008, l’arrivée
de la Bank of China à Genève avait été saluée par des hourras. Première
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