Philippe Monnier est l’ex-directeur du Greater Geneva Berne area (GGBa),
l’organe de promotion économique de Suisse occidentale. Il est aujourd’hui
administrateur de plusieurs entreprises internationales et consultant; à ce titre,
il reçoit régulièrement des entrepreneurs chinois souhaitant faire des affaires
en Suisse. Pour lui, les grands patrons venus de Pékin ou de Shanghai ont
bien la volonté de «conquérir le monde», mais ils ont plusieurs handicaps.
Contrairement aux Américains ou aux Français, les Chinois n’ont pas encore
de grande expérience de la mondialisation. Créer de toutes pièces une filiale
ou un siège européen en Suisse est plus long et compliqué, car ils n’en ont
simplement pas l’habitude.
C’est pourquoi ils préfèrent souvent racheter des sociétés ou des marques
existantes. Le problème, c’est que leurs codes culturels sont à rebours des
nôtres. «Même si un Chinois vous parle anglais et que vous compreniez
chacun de ces mots, cela ne veut pas du tout dire que vous avez compris ce
qu’il veut vous communiquer, relève Philippe Monnier. Les différences sont
plus fortes qu’avec un Russe ou un Indien.»
Conseils culturels
Pour ce spécialiste, «le plus important, dans une acquisition, c’est de réussir à
gagner le cœur des futurs employés et clients. Cela commence par une
attitude de respect sincère. Mais si l’acheteur est un nouveau riche qui n’a pas
bâti sa société pierre après pierre et qui ne sait pas respecter les autres, cela
fait généralement des ravages lors d’une acquisition.» Selon Philippe Monnier,
la plupart des reprises par des Chinois se passent mal. «Par exemple, lorsque
j’étais au GGBa, je n’ai jamais hésité à glisser des conseils culturels de
comportement – voire sur la manière de s’habiller ou de manger – à nos
investisseurs chinois potentiels avant leurs rendez-vous dans les cantons.»
Installé à Shanghai, Nicolas Musy a créé deux entreprises ainsi que China
Integrated, qui aide les sociétés désirant faire des affaires au sein de l’Empire
du Milieu. «La Chine est un pays qui rattrape, donc tout doit aller très vite, et
les décisions se prennent du haut vers le bas.» Des méthodes qui heurtent
souvent les mœurs helvètes.
C’est pourquoi en Suisse nombre de Chinois préfèrent investir dans une
entreprise qui fonctionne, afin d’avoir à y intervenir le moins souvent possible.
Ils ne sont pas des redresseurs dans l’âme, sans compter que, malgré leur
fortune, ils ne sont pas prêts à dépenser plus que de raison. Cela pourrait
expliquer l’échec des Chinois dans le redressement de firmes à la peine
comme Corum ou Eterna. Et en ce sens, le rachat de Syngenta n’augure
peut-être pas de mauvaises nouvelles: dans la mesure où la multinationale a
donné la preuve de son efficacité, les dirigeants de ChemChina ne devraient
pas apporter beaucoup de changements.
Encore faut-il l’espérer, parce que si ce n’est pas le cas, Berne n’aura pas
vraiment de marge de manœuvre. L’accord sino-suisse de libre-échange signé
il y a deux ans comprend certes un renforcement de la propriété intellectuelle
et protège la confidentialité des données pendant six ans dans le milieu
agrochimique. Mais une fois que les Chinois seront les seuls à la barre, il sera
difficile d’influer sur leurs choix stratégiques.
Sauveurs de banques?
Deux poids, deux mesures. Si l’emprise des Chinois est mal perçue dans les
secteurs à succès de la Suisse comme l’industrie de pointe ou l’horlogerie de
luxe, il est un domaine dans lequel le pays les courtise sans relâche, c’est
celui de son industrie bancaire, pour le moins fragilisée. Pourtant, les relations
bancaires sino-helvétiques sont parties sur un mauvais pied. En 2008, l’arrivée
de la Bank of China à Genève avait été saluée par des hourras. Première
Les Chinois à la conquête de l’économie suisse | L'Hebdo
http://www.hebdo.ch/hebdo/cadrages/detail/les-chinois-à-la-conquête-d...
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