Hottinguer n’est pas un cas isolé. Talleyrand est aussi ami avec le Neuchâtelois Jean-Frédéric
Perregaux (1744-1808), rue du Montblanc, qu’il appelle son ami dans une lettre du 14
fructidor
22
. Selon Frédéric Masson : « C’est à Perregaux que Bonaparte a dû recourir au
lendemain de Brumaire -sinon la veille- pour trouver l’argent dont il avait le plus absolu
besoin »
23
. Il fit en effet partie du groupe de banquiers qui, le 24 novembre 1799, deux
semaines après le coup d’Etat, ont apporté leur caution et soutien financiers aux nouvelles
institutions. Ils en seront grassement récompensés lors de la fondation de la Banque de
France, puisque le 13 février 1800, il occupa avec le Français Jean-Barthélémy Lecouteulx de
Canteleu (1746-1818) les premiers fauteuils de régent. Perregaux fut un des premiers
sénateurs nommés par le Consul Bonaparte le 4 nivôse an VIII/26 décembre 1799. Après
avoir précédemment avancé pour le ravitaillement une partie des fonds de la campagne
d’Italie, il soutint financièrement en 1802 l’expédition commandée par le général Leclerc en
vue de la reconquête de Saint-Domingue. A remarquer ici que, co-fondateur de la Banque de
France
24
, le Vaudois Etienne Delessert participe également au crédit de 12 millions ouvert le
19 brumaire pour permettre aux Consuls de faire démarrer le nouveau régime. Perregaux, qui
avait évité les écueils de la période révolutionnaire en finançant simultanément les opérations
des Comité de Salut public et celles des espions britanniques en France, était du genre des
hommes d’action qui plaisaient à Talleyrand. Il sera désormais le banquier des agents secrets
de la diplomatie assez particulière et cloisonnée de Talleyrand : il supervise notamment le
financement des voyages de Madame de Bonneuil en Russie et en Angleterre, du sieur
Beauvoisin, de Galon-Boyer en Pologne ou de Sandillaud du Bouchet en Allemagne.
Parallèlement Perregaux continua à servir et renseigner le gouvernement britannique jusqu'à
la rupture de la paix d'Amiens et les débuts de l'Empire. Le 23 février 1806, il créa la société
Perregaux et Cie. avec le Basque Jacques Laffite qui fut son bras droit et principal
administrateur depuis le début de la Révolution. Tenu en méfiance par l’Empereur, Perregaux
épousa la disgrâce de Talleyrand. Il passa le restant de sa vie entre Neuchâtel et Viry-
Châtillon où il mourut en 1808, avant de se retrouver au Panthéon dans le caveau no IV
25
. Le
fils de ce dernier, Alphonse Claude Charles Bernardin comte Perregaux, né le 29 mars 1785 et
mort à Paris également, le 9 juin 1841, fut lui aussi banquier, Chambellan de l’Empereur et
comte de l’Empire par lettres patentes des 28 octobre et 21 décembre 1808. Il avait épousé à
Paris, en 1813, Adèle Elisabeth Mac Donald de Tarente (1794-1822) fille du Maréchal
Alexandre Mac Donald. Un de leurs fils fut le mari de Marie Duplessis qui servit de modèle à
La Dame aux camélias. Perregaux fils jouera un rôle discret dans la chute de Napoléon en
1814. Perregaux n’était autre que le beau-frère de Marmont
26
, l’un des proches de Napoléon
Bonaparte à la fin du Directoire qui lui avait fait épousé le 22 germinal an VI (12 avril 1798),
la fille du banquier « très en faveur auprès du général »
27
. Le 31 mars 1814, Talleyrand,
membre du Conseil de régence, dévoile son « 18 Brumaire à l'envers » et organise la
convocation du Sénat pour élire un gouvernement provisoire. Perregaux est tout simplement
présent lors des négociations entre Talleyrand et Marmont à Paris, à l’hôtel Perregaux, 43
22
www-le-prince-de-talleyrand.fr/perregaud.
23
Frédéric Masson, Jadis, première série, Ollendorf, 1905, p. 248.
24
Voir à son sujet l’article de Jean-Pierre Léger, « La banque de France 1800-1802. Des débuts difficiles » in La
revue Napoléon, no 1, février 2000, janvier-février-mars 1800, p. 50-54.
25
Article de Thierry CLAEYS et A.-J. CZOUZ-TORNARE, dans Biographies Neuchâteloises. 1996, tome 1, p.
207-211. Archives de l’Etat de Neuchâtel, fonds de la famille Perregaux: dossiers 1/1 à VI, 6/VI, 35/1, 47, 48, 50
et 98 (lettre de Jean-Frédéric Perregaux, livres de comptes de la famille, brevets et notes généalogiques).
26
Anne Marie Hortense Perregaux, fille de Jean-Frédéric, épousa à Paris le 12 avril 1798, Auguste Frédéric
Louis de Viesse de Marmont, futur duc de Raguse, aide de camp de Bonaparte. Cf. Jean Lhomer, Perrégaux et
sa fille la duchesse de Raguse, Paris, 1921.
27
Georges Poisson, « Demeures des maréchaux » in Napoléon 1
er
. Le magazine du Consulat et de l’Empire,
novembre-décembre-janvier 2009, no 50, p. 71.