Le récepteur à dépendance “Patched” régule le développement de la moelle épinière ● P. Mehlen*, N.M. Le Douarin** n dogme pour les biologistes cellulaires est de considérer la membrane cellulaire comme une zone de réception des signaux extracellulaires grâce à la présence de récepteurs qui lui sont associés et transmettent – ou transduisent – un signal à l’intérieur de la cellule uniquement lorsque leur ligand est présent. Il est ainsi classiquement admis qu’un récepteur ne devient actif qu’après son interaction avec son ligand. Au cours des dernières années, cependant, un nouveau concept a peu à peu émergé suggérant que certains récepteurs dits “à dépendance” peuvent délivrer deux messages : – en présence de ligand, ces récepteurs transduisent un signal positif classique, stimulant par exemple une voie de différenciation ; – en l’absence de leur ligand, en revanche, ils induisent la mort de la cellule par apoptose (1). À ce jour, une dizaine de récepteurs de ce type ont été identifiés : P75ntr, le récepteur de faible affinité au NGF (2), DCC (Deleted in Colorectal Cancer) (3) et UNC5H1-UNC5H2-UNC5H3 (4), des récepteurs à netrin-1, RET le récepteur du GDNF (5) et certaines intégrines (6). Curieusement, ces récepteurs sont tous impliqués dans le développement du système nerveux et aussi dans des processus tumoraux. L’idée générale qui se dégage des travaux réalisés jusqu’ici est que la capacité de ces récepteurs à induire la mort des cellules qui se développent en dehors des champs d’accessibilité de leur ligand pourrait être un mécanisme général de limitation du développement tumoral et un facteur important pour la morphogenèse au cours du développement (1). C’est pour cette raison que nous nous sommes intéressés récemment au récepteur de Sonic Hedgehog (Shh), le récepteur Patched (Ptc) (7). Ptc est une protéine à douze domaines transmembranaires qui est le récepteur spécifique de Shh, une molécule centrale lors du développement, en particulier parce qu’elle induit le programme de détermination-différenciation des neurones présents dans le tube neural, un tube s’étendant selon l’axe antéropostérieur des vertébrés à l’origine de la moelle épinière et du cerveau (8, 9). Par ailleurs, Ptc est un suppresseur de tumeur impliqué dans différents carcinomes (10). Le tube neural dépend, pendant une phase précoce et décisive de son développement, de deux structures occupant la zone médio- U * Apoptose/Différenciation, équipe labellisée “La Ligue”, centre de génétique moléculaire et cellulaire, CNRS UMR5534, Villeurbanne. ** Laboratoire d’embryologie cellulaire et moléculaire, CNRS UMR7128, Nogent-sur-Marne. 90 dorsale de l’embryon : la notocorde et la plaque du plancher (floor-plate). Cette dernière, bien qu’étant partie intégrante du tube neural, partage la même origine que la nocotocorde à partir d’une région de l’embryon appelée “organisateur” (ou nœud de Hensen). En utilisant une méthode de marquage cellulaire originale qui permet de suivre les mouvements des cellules au cours du développement, des chercheurs du laboratoire de N. Le Douarin ont pu montrer, chez l’embryon d’oiseau, que le nœud de Hensen se déplace en direction rostrocaudale au cours de l’allongement de l’embryon. Au cours de leur déplacement, les cellules formant le “nœud” déposent les deux structures, notocorde et plaque du plancher, qui demeurent superposées et produisent la molécule de signalisation Shh. L’intérêt de mener ces recherches sur l’embryon d’oiseau est qu’il est possible d’intervenir expérimentalement sur le déroulement de l’embryogenèse pendant toute la durée du développement puisqu’il se déroule entièrement dans l’œuf. On peut ainsi empêcher le recul du nœud de Hensen et obtenir des embryons, dont une grande partie de la moelle épinière future est dépourvue de plaque du plancher et privée du contact avec la notocorde. Elle est ainsi privée du morphogène Shh. Il en résulte qu’elle est soumise très rapidement à une apoptose généralisée. La preuve que celle-ci est due à l’absence du Shh est apportée lorsqu’on rétablit un développement normal si on greffe au contact du tube neural dépourvu de plaque du plancher des cellules génétiquement modifiées pour sécréter Shh (11-13). Shh agit donc essentiellement à ce stade comme un facteur de survie essentiel, sans lequel le développement de l’ébauche neurale ne peut se poursuivre. Les investigations menées en collaboration entre nos deux équipes ont pleinement confirmé ce point de vue et ont, de plus, apporté une explication claire des mécanismes moléculaires mis en œuvre. Ptc apparaît en effet comme un récepteur à dépendance qui induit la mort des cellules par un processus actif lorsque son ligand Shh n’est pas présent (14). Cette induction d’apoptose passe par un clivage du dernier domaine intracellulaire de Ptc par les protéases centrales de l’apoptose que sont les caspases. Ce clivage permet l’exposition d’un domaine masqué par la présence dans la partie C-terminale de la protéine d’une région inhibitrice de ce domaine. Ainsi, Ptc exprimé dans un contexte d’absence de Shh induit l’apoptose par un processus qui requiert son propre clivage, alors qu’en présence de Shh, et avec l’aide d’une autre molécule transmembrane Smotheness (Smo), il transduit un signal positif de différenciation. La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. VIII - mars 2004 Nous avons utilisé une forme mutante de Ptc qui agit comme un “dominant négatif” de l’activité proapoptotique de Ptc. En transfectant le cDNA codant la forme mutée de Ptc dans le tube neural du poulet dont les cellules sont destinées à mourir, car privées de toute source de Shh (c’est-à-dire la notocorde et la plaque du plancher), on observe une survie de ce tissu. Cette survie est identique à celle qui est induite par un apport exogène de Shh. Cette observation a l’intérêt de montrer que la mort qui est provoquée “expérimentalement” par l’inhibition du recul du “nœud” et l’absence de Shh qui s’en suit, n’est pas la conséquence du fait que les cellules ne peuvent se différencier. Elle relève d’un mécanisme actif qui contrôle l’apoptose induite par Ptc. Il apparaît donc qu’à la suite de l’induction neurale et avant que s’établisse la vascularisation de l’ébauche neurale, la survie de celle-ci dépend d’un facteur produit par la plaque du plancher et la notocorde. Ce même facteur aura un rôle dans la prolifération et la différenciation des cellules neurales (neurones et glie) à un stade plus avancé du développement. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Mehlen P, Bredesen DE. The dependence receptor hypothesis. Apoptosis (sous presse). Rabizadeh S et al. Induction of apoptosis by the low-affinity NGF receptor. Science 1993 ; 261 : 345-8. 2. 3. Mehlen P et al. The DCC gene product induces apoptosis by a mechanism requiring receptor proteolysis. Nature 1998 ; 395 : 801-4. 4. Llambi F, Causeret F, Bloch-Gallego E, Mehlen P. Netrin-1 acts as a survival factor via its receptors UNC5H and DCC. Embo J 2001 ; 20 : 2715-22. 5. Bordeaux MC et al. The RET proto-oncogene induces apoptosis : a novel mechanism for Hirschsprung disease. Embo J 2000 ; 19 : 4056-63. 6. Stupack DG, Puente XS, Boutsaboualoy S et al. Apoptosis of adherent cells by recruitment of caspase-8 to unligated integrins. J Cell Biol 2001 ; 155 : 459-70. 7. Marigo V, Davey RA, Zuo Y et al. Biochemical evidence that patched is the Hedgehog receptor. Nature 1996 ; 384 : 176-9. 8. Le Douarin NM, Halpern ME. Discussion point. Origin and specification of the neural tube floor plate: insights from the chick and zebrafish. Curr Opin Neurobiol 2000 ; 10 : 23-30. 9. Jessell TM. Neuronal specification in the spinal cord : inductive signals and transcriptional codes. Nat Rev Genet 2000 ; 1 : 20-9. 10. Wicking C, McGlinn E. The role of hedgehog signalling in tumorigenesis. Cancer Lett 2001 ; 173 : 1-7. 11. Teillet MA, Lapointe F, Le Douarin NM. The relationships between notochord and floor plate in vertebrate development revisited. Proc Natl Acad Sci USA 1998 ; 95 : 11733-8. 12. Charrier JB, Teillet MA, Lapointe F, Le Douarin NM. Defining subregions of Hensen’s node essential for caudalward movement, midline development and cell survival. Development 1999 ; 126 : 4771-83. 13. Charrier JB, Lapointe F, Le Douarin NM, Teillet MA. Anti-apoptotic role of sonic hedgehog protein at the early stages of nervous system organogenesis. Development 2001 ; 128 : 4011-20. 14. Thibert C et al. Inhibition of neuroepithelial patched-induced apoptosis by sonic hedgehog. Science 2003 ; 301 : 843-6. ➜ Thibert C, Teillet MA, Mehlen P et al. Inhibition of neuroepithelial patched-induced apoptosis by sonic hedgehog. Science 2003 ; 301 (5634) : 843-6. La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. VIII - mars 2004 91