CHAPITRE H1
CROISSANCE ET MONDIALISATION DEPUIS LE MILIEU DU XIXème SIECLE
Introduction
I - Quelles sont les caractéristiques majeures de la croissance économique depuis le XIXème siècle ?
A) la croissance est le résultat d’une transformation structurelle profonde de l’économie
B) la croissance est le résultat de l’action d’acteurs divers
C) la croissance se nourrit d’une succession de cycles productifs différents
II - La Croissance, un phénomène permanent et planétaire ?
A) une Croissance soumise à d’importantes fluctuations
B) un phénomène qui est rarement spatialement homogène
C) un phénomène dont les bienfaits sont remis en cause
III - Comment la croissance a-t-elle conduit à une succession de mondialisations ?
Le développement commercial lié à l’extension du monde connu par les Européens a débouché sur l’apparition d’économies-
monde dans lesquelles une série d’interactions se mettait en place entre un espace central moteur et des périphéries plus ou
moins bien reliées. Du milieu du XIXème siècle à la Première Guerre mondiale, c’est le temps de l’économie-monde
britannique fondée sur la puissance industrielle, un vaste empire colonial et la domination financière. La plus grande partie du
XXème siècle correspond à l’époque de l’économie-monde américaine (suprématie industrielle et technologique, domination
du dollar et des banques américaines, instauration d’un modèle culturel). Depuis les années 70, et surtout la fin de la guerre
froide, l’économie-monde se fonde sur la complémentarité et l’opposition entre différents pôles dispersés dans le monde ;
c’est cette situation qu’on désigne couramment « mondialisation » alors que plusieurs autres mondialisations ont pu exister
auparavant.
Contrairement à ce qu’on pense généralement, la mondialisation, définie comme un système
d’interactions nombreuses entre des territoires éloignés, n’est pas un processus récent. Ce qui est
relativement nouveau c’est le fait qu’elle concerne véritablement aujourd’hui le monde entier. Certains
historiens ont appelé économie-monde des situations passées dans lesquelles un Etat pouvait avoir une
forme d’emprise sur des territoires diversifiés du fait des nombreuses relations qu’il pouvait avoir avec
eux. Au cœur du Moyen Age, une cité comme Venise était au cœur d’une économie-monde par les
relations commerciales, financières, diplomatiques qu’elle pouvait avoir avec les trois continents alors
connus. De même, à partir du XVIème siècle, la domination espagnole sur un empire sur lequel « le
soleil ne se couche jamais » crée les conditions d’une première mondialisation avec des flux de
marchandises, de capitaux, de populations entre l’Europe, l’Amérique et l’Asie du Sud-Est. L’entrée dans
l’ère industrielle, avec son accélération des mouvements humains et commerciaux, va voir cette
situation d’économie-monde s’étendre progressivement à toute la planète.
A) le temps de l’économie-monde britannique
Pionnier de l’industrialisation (c’est que se font les premiers grands progrès techniques,
notamment la mise au point de la machine à vapeur), le Royaume-Uni de Grande-Bretagne va dominer
l’économie mondiale jusqu’à la Première Guerre mondiale. Une seule donnée suffit pour traduire cette
domination écrasante : en 1850, le Royaume-Uni réalise à lui seul la moitié de la production industrielle
mondiale. On a coutume de résumer cette situation en disant que la Grande-Bretagne est « l’atelier du
monde » car l’industrie britannique vend ses produits à de nombreux territoires dispersés dans le
monde qu’ils s’agissent de pays indépendants ou de colonies (dont le nombre ne va cesser de croître au
cours de la seconde moitié du XIXème siècle pour multiplier les débouchés à cette économie dominante).
La première exposition universelle tenue à Londres en 1851, et dont le joyau est le bâtiment de verre et
d’acier du Crystal Palace) symbolise cette puissance incontestable. Cette domination n’est pas
seulement économique, elle est aussi financière (Londres est la première bourse mondiale, la livre
sterling est la principale monnaie d’échanges, les investissements britanniques se font partout dans le
monde et représentent à la veille de 1914 près de la moitié des investissements mondiaux), culturelle (la
langue anglaise se diffuse sur tous les continents notamment du fait de l’existence de colonies de
peuplement ; le modèle libéral britannique est au cœur de leur vision économique du monde à travers
la défense du libre-échange et le refus du protectionnisme ; la diffusion des sports britanniques entre
également dans cette forme de domination culturelle). Cette domination prend évidemment des
aspects politiques puisque le souverain britannique règne sur des territoires très divers ayant des statuts
différents (colonies de la couronne, colonies commerciales, protectorats, dominions) mais le Royaume-
Uni exerce également une forte influence sur des territoires pourtant indépendant comme la Chine, les
pays d’Amérique du Sud, la Perse (certains historiens qualifient ces territoires d’ « Empire informel »).
Une telle domination suppose des moyens militaires et administratifs conséquents pour conquérir et
contrôler les territoires. Dans les faits, les Britanniques essayent de limiter les dépenses liées à ce
domaine, n’ayant que deux impératifs absolus à leurs yeux : le contrôle des Indes et de la route y
menant (ce qui les amènera ainsi à faire main basse sur le canal de Suez pourtant en grande partie
financé par la France) ; la maîtrise des mers grâce à une importante flotte commerciale et surtout une
flotte militaire, la Royal Navy, dont on décide à la fin du XIXème siècle qu’elle doit posséder plus de
navires que les deux autres plus puissantes flottes militaires mondiales (Two Power Standard).
Le tournant entre XIXème siècle et XXème siècle marque cependant un début d’essoufflement de
cette puissance britannique dont l’implantation mondiale (pourtant bien assurée grâce au premier
empire colonial) se trouve contestée par des rivaux comme les Etats-Unis, la France ou l’Allemagne. La
Première Guerre mondiale portera un coup fatal à cette suprématie du fait de l’endettement
considérable du Royaume-Uni et du fait qu’en quatre années de guerre d’autres pays se seront
implantés sur une partie des marchés qu’il contrôlait.
Protectorat : Etat théoriquement indépendant mais qui doit abandonner une partie de ses prérogatives
à une autre puissance.
Dominion : Colonie de peuplement britannique (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud)
qui obtient la possibilité de se gouverner elle-même ne conservant avec la métropole qu’un lien
symbolisé par la personne du souverain
B) le temps de l’économie-monde américaine
En 1914, les Etats-Unis sont devenus la première puissance économique de la planète mais ce
développement s’est fait à l’écart de l’Europe et, pratiquement, sans que celle-ci se rende bien compte
de l’éveil du ant américain (hormis à travers quelques tensions périodiques avec le Royaume-Uni). Si
les deux guerres mondiales, qui ne touchent pas le sol américain, vont permettre aux Etats-Unis de
prendre des positions dominantes par rapport à l’Europe (fourniture de crédits et de marchandises
diverses) et au reste du monde (conquête de nouveaux marchés), la situation américaine est différente
de celle du Royaume-Uni au sens où les Etats-Unis n’ont pas de colonies (hormis Cuba et les Philippines)
mais disposent d’un vaste territoire qu’ils ont pu mettre en valeur, condition préalable à leur accession
au rang de première puissance économique mondiale.
L’entrée des Etats-Unis dans l’industrialisation a été plus tardive qu’au Royaume-Uni (fin de la
première moitié du XIXème siècle) mais avec une main d’œuvre abondante souvent venue d’Europe, un
territoire riche et une foi absolue dans le capitalisme (on parle même de « capitalisme sauvage » pour
les Etats-Unis tant tous les coups semblent permis du fait d’une absence longue d’interventionnisme
étatique). Les Etats-Unis vont, après avoir été profondément ébranlés par la guerre de Sécession,
effectuer dans le dernier tiers du XIXème siècle une montée en puissance très rapide liée à seconde phase
d’industrialisation et à la mise en place de nouvelles façons de produire (standardisation, travail à la
chaîne) : le Nord-Est du territoire devient un grand centre industriel et New York devient
progressivement la ville dominante avec sa bourse du Stock Exchange à Wall Street. Après la Première
Guerre mondiale, les à-coups de la croissance mondiale ne se manifesteront plus d’abord en Europe
mais aux Etats-Unis (crise de 1929, ralentissement économique du début des années 70). Au sortir de la
Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis disposent des 2/3 du stock d’or mondial ce qui va conférer au
dollar le statut de principale monnaie d’échange mondiale (voire exclusive pour certaines marchandises
comme le pétrole). Ils vont se trouver à la base de la réorganisation économique du monde après la
guerre (accords de Bretton Woods en 1944) par la création d’institutions internationales comme le FMI
et le GATT qui prônent la libéralisation des échanges, en aidant à la reconstruction de l’Europe
occidentale et du Japon (dans le cadre particulier de la guerre froide), en diffusant dans le monde leurs
entreprises qui deviennent les premières grandes firmes multinationales.
Encore plus qu’avec la domination britannique, on va assister à une véritable emprise
socioculturelle américaine sur une grande partie du monde. Les Etats-Unis sont les premiers à entrer
dans la société de consommation ; des les années 1920, les produits de l’électroménager, la radio,
l’automobile commencent à entrer dans la vie quotidienne des Américains (on parle d’ailleurs
d’American way of life). La consommation de ces produits est soutenue par le recours massif à la
publicité, au crédit puis à l’instauration à partir des années 30 d’un Etat-providence (système
d’assurances sociales de protection). Ce modèle va se diffuser progressivement grâce à des vecteurs
comme le cinéma hollywoodien ou les cartoons (qu’on pense à l’équipement de la cuisine de la
« mama » dans les Tom et Jerry !). Il va surtout être apporté par les soldats américains en Europe ou au
Japon constituant ce qui sera dénoncé par certains comme un impérialisme culturel (musique jazz, rock,
disco etc.. ; western ; séries télé etc…).
C) le temps de l’économie-monde multipolaire
Au début des années 90, avec la fin de la guerre froide, les Etats-Unis apparaissent comme la
seule puissance dominante du monde entier (puisqu’il n’y a plus l’opposition d’un monde communiste
aux fondements idéologiques opposés). Le philosophe et économiste américain Francis Fukuyama
annonce « la fin de l’Histoire » puisque le monde ne peut plus, selon lui, voir d’affrontements
idéologiques (capitalisme libéral et démocratie vont s’imposer partout). C’est l’époque les Etats-Unis
se présentent comme « les gendarmes du monde » et apparaissent comme une hyperpuissance car ils
détiennent tous les attributs de la puissance et ne peuvent plus être contestés par personne.
Pourtant, dans le même temps et avant même la fin de la guerre froide, se sont mises en place
des évolutions qui vont faire basculer le monde vers une autre situation : l’âge de la globalisation (terme
traduisant mieux le mot anglo-saxon « globalization » correspondant à mondialisation). En effet, depuis
le début des années 70, les Etats-Unis ont perdu de leur superbe économique avec la concurrence de
nouveaux centres productifs situés en Asie (Japon, puis les NPIA) ; le territoire américain se
désindustrialise (notamment le Nord-Est). Si le pays demeure en pointe pour toutes les nouvelles
technologies (centre névralgique d’internet, grandes firmes de l’informatique…), il connaît une
délocalisation de beaucoup de productions industrielles vers les pays d’Asie du Sud-Est ou le Mexique ;
sa dette (alourdie en plus par les guerres extérieures) ne cesse de s’accroître et le rend dépendant des
prêts étrangers (notamment chinois).
Les données générales mondiales changent de manière très rapide et font que les Etats-Unis
cessent d’être le principal centre décisionnel. La rapidité de circulation de l’information permet le
développement de flux financiers quasi permanents à mettre en relation avec la montée en puissance
des bourses asiatiques (les cotations des valeurs, désormais interconnectées, se succèdent sur une
journée entre l’Asie, l’Europe occidentale et les Etats-Unis). Aujourd’hui, les crises sont essentiellement
financières et peuvent se déclencher un peu n’importe où mais gagner rapidement toute la planète
(crise des subprimes, crise de la dette grecque…). Les échanges de marchandises se multiplient et se font
sur de longues distances (en raison de la division internationale du travail) grâce au développement de
la conteneurisation. Si la culture mondiale reste imprégnée du modèle anglo-saxon, celui-ci se trouve
concurrencé par des productions issues d’autres régions du monde. La division internationale du travail
renforce le pouvoir des firmes multinationales (ou transnationales) dont les choix d’investissements se
révèlent essentiels pour le devenir des espaces (fermeture des sites peu rentables, délocalisation vers
des sites permettant de meilleurs bénéfices). La création de zones de libre-échange (Union européenne,
Mercosur, Alena…) augmente les échanges commerciaux internes à ces zones tandis qu’émergent des
pays, un temps appelés « puissances pauvres » car issus du Sud, dont la croissance très rapide maintient
le progrès économique mondiale (Chine {2ème puissance économique depuis 2010], Inde, Brésil… et dans
une moindre mesure Afrique du Sud, Mexique…). Cette nouvelle réalité se trouve reconnue par le
renforcement du rôle politique mondial de ces puissances au sein du G20.
Cette mondialisation multipolaire repose donc sur une multiplication des centres d’impulsion
(l’idée-même d’une Triade est aujourd’hui dépassée). Les grandes métropoles sont au cœur de cette
mondialisation, au cœur de ces échanges incessants d’informations, de capitaux, de marchandises, de
personnes, qu’elles soient issues des pays du Nord (New York, Tokyo, Londres, Paris, Moscou…) ou des
puissances émergentes (Shanghai, Sao Paulo, Bombay…). Les façades portuaires nouvelles (Northern
range, mégalopole japonaise et nord-américaine) ou récentes (littoral chinois, Singapour…) sont des
espaces-clés de ce commerce mondial. Cependant, la mondialisation demeure un phénomène
incomplet car elle laisse en marge des espaces mal ou peu raccordés aux espaces dynamiques et
centraux
NPIA : Nouveaux pays industrialisés d’Asie (aussi appelés pendant longtemps les quatre petits dragons :
Hong Kong, Singapour, Taïwan, Corée du Sud). Ces pays, en imitant le développement extraverti
japonais (production à bas coût de produits de base puis remontée progressive de filières), vont sortir
en une vingtaine d’années du non-développement.
Conteneurisation : Processus marqué par le passage d’un transport maritime où les marchandises
étaient stockées dans les cales de cargos à un transport dans lequel les marchandises voyagent dans des
conteneurs aux dimensions normalisées pouvant aller aussi bien sur un navire (porte-conteneurs), des
wagons plats ou sur la remorque d’un camion.
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