Consultation polydisciplinaire pour douleur anopérinéale : chacun son tour ! ■ Ph. Denis* a douleur anopérinéale est au carrefour de la proctologie, de l’urologie, de la gynécologie, de la neurologie et de la rhumatologie au plan étiologique. Sa prise en charge nécessite la participation de chirurgiens, d’anesthésistes, de psychologues, de thérapeutes comportementalistes, de radiologues et, dans certains centres, d’ostéopathes et d’acupuncteurs. Tant de compétences requises amènent, bien sûr, à proposer une consultation polydisciplinaire. Il s’agit en effet de répondre à un besoin de santé des malades en transcendant le découpage disciplinaire des médecins, évitant ainsi aux patients le nomadisme d’un spécialiste à l’autre. Le but est donc de permettre aux malades de bénéficier de toutes les compétences requises pour soigner leurs douleurs dans un même lieu et dans un même temps. Le sujet de la controverse est de savoir si les spécialistes ainsi réunis vont voir les patients successivement (consultations successives) ou simultanément (consultations simultanées). Les critères de choix entre ces deux options étant les suivants. L FAISABILITÉ Elle dépend de la disponibilité des médecins et la gestion du temps est donc à prendre en considération. La consultation simultanée représente une économie de temps car elle permet de discuter du dossier en même temps qu’on voit le patient, dispensant ainsi d’un staff pour mettre en commun les points de vue. RASSURER LE PATIENT * CHU de Rouen, 76031 Rouen Cedex. e-mail : [email protected] Le plus souvent, ce type de consultation est proposé à des douloureux chroniques, non améliorés par une prise en charge antérieure, et qui désespèrent de ne pas se sentir crus dans leur souffrance par leur entourage, souvent faute d’un diagnostic précis, parfois en raison d’un Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2, vol. III - avril/mai/juin 2003 diagnostic banal qui n’impose pas la compassion. Leur offrir une consultation qui réunit de nombreux spécialistes crédibilise en quelque sorte leur douleur aux yeux de leur environnement puisque des spécialistes ont créé une consultation spécifique pour leur cas. Ce but est atteint par la notion d’un lieu commun où se réunissent les spécialistes, que la consultation soit simultanée ou successive. DOULEUR RESSENTIE VERSUS DOULEUR MILLIMÉTRÉE S’agissant d’une consultation de la douleur, il est essentiel que les consultants puissent apprécier cette douleur avant de confronter leurs points de vue. De gros efforts ont été faits pour tenter d’homogénéiser les douleurs grâce à l’utilisation de questionnaires systématiques, validés, aboutissant à des scores de douleurs. Il s’agit là d’une aide précieuse pour évaluer les thérapeutiques. Mais tous les consultants savent bien qu’il ne s’agit que d’une aide. Le ressenti du consultant en écoutant le malade joue un rôle au moins aussi important que ces scores. L’écoute en commun au cours d’une consultation simultanée occulte ce ressenti individuel. La confrontation des points de vue au cours d’une consultation simultanée risque donc de se faire à partir d’une douleur “normalisée”, “millimétrée” au moyen d’échelles visuelles analogiques, alors que la discussion au cours d’un staff qui suit des consultations successives permet de tenir compte aussi du ressenti de chaque consultant. CONFRONTER OU AFFRONTER SES POINTS DE VUE ? Une consultation simultanée semble offrir, à première vue, les meilleures garanties d’une information éclairée pour le patient puisque les médecins discutent son dossier devant lui pendant la 41 E x p é r i e n c e Figure. Consultation polydisciplinaire. Le malade est représenté sous forme d’un ballon. La partie supérieure de la figure illustre la consultation individuelle, et la part inférieure, une consultation simultanée (la flèche indique la position du ballon). consultation. Au contraire, en cas de consultations successives suivies d’un staff, le dossier est discuté en l’absence du malade. Pourtant, cette discussion “en privé” au cours du staff semble donner les meilleures garanties d’objectivité aux patients car il est facile de faire part de ses désaccords, sans la retenue qu’impose la présence du malade, qui autorise de “confronter” ses points de vue, mais pas de “s’affronter” en cas de désaccord. Une lettre commune après le staff fournit au patient l’information nécessaire. Afin que le malade n’ait pas le sentiment de ne pas être tenu au courant de ce qui se dit entre les différents consultants qu’il voit successivement, nous lui donnons son dossier entre chaque consultation. Il peut ainsi lire tout ce qu’écrivent à son sujet les différents médecins qu’il rencontre. tiques, émotionnelles, psychologiques, symboliques, et s’accordent à souligner la nécessité de prendre en compte toutes ces composantes dans l’appréciation de la prise en charge du patient. Bien entendu, les médecins qui participent à des consultations simultanées connaissent parfaitement ces données fondamentales de la prise en charge de la douleur. Mais parce qu’il est extrêmement difficile d’envisager ces différentes composantes au cours d’une consultation simultanée, son objectif est réduit à la composante somatique de la douleur. Au pire, les examens complémentaires du malade donneraient presque l’impression d’être au centre de cette consultation pour ceux qui viendraient là en observateurs non informés des difficultés de ce type d’exercice médical ! DIALOGUE VERSUS INTERROGATOIRE CONCLUSION La consultation qui réunit un médecin et un patient aboutit à un dialogue entre les deux acteurs, ciblé sur la demande exprimée par le patient au début de la consultation. La communication avec le patient au cours d’une consultation simultanée est parasitée par un phénomène de dynamique de groupe qui transforme le dialogue médecin-malade en un interrogatoire. Sauf à laisser s’installer un dysfonctionnement dans ce groupe formé par les consultants et le malade, qui consisterait à laisser s’établir une discussion entre l’un des médecins et le malade (mais alors, pourquoi une consultation simultanée ?), la dynamique de groupe ne permet pas un véritable dialogue. La dynamique de ce petit groupe : – vise à atteindre un objectif qui n’a pas été fixé par le patient mais par le consultant qui lui a proposé ce rendez-vous ; – limite la discussion avec le malade à un interrogatoire par chaque consultant qui cherche à obtenir les éclaircissements nécessaires pour atteindre l’objectif formulé par l’un de ses collègues ; – conduit le patient à un rôle de spectateur des échanges entre les médecins. ❒ La douleur anopérinéale chronique nécessite souvent une prise en charge multidisciplinaire. De ce fait, la mise en œuvre de consultations polydisciplinaires est à encourager, qu’elles soient simultanées ou successives. LE “TOUT SOMATIQUE” Tous les consultants sont d’accord sur les différentes composantes de la douleur – soma- 42 ❒ Seules des raisons de faisabilité justifient que le malade rencontre simultanément tous les consultants dans une même salle de consultation. ❒ Mais : – pour éviter le “tout somatique” ; – pour privilégier le dialogue plutôt que l’interrogatoire ; – pour permettre d’affronter ses points de vue et ne pas se limiter à les confronter au cours d’un échange courtois de points de vue, “policés” en raison de la présence du patient ; – pour tenir compte du ressenti de la douleur du malade par chaque consultant ; – pour ne pas se contenter d’une prestation de service de nature technique en donnant son interprétation d’un examen (sinon, pourquoi déranger le patient ?) ; ❒ une seule solution peut être envisagée, qui consiste à offrir aux patients la possibilité de rencontrer individuellement tous les spécialistes dont ils ont besoin dans un même lieu et dans une même plage horaire. ■ Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2, vol. III - avril/mai/juin 2003