23
La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no286 - octobre 2003
Ainsi, en 1808, le candidat doit décrire :
1. “les amygdales et l’isthme du gosier ;
2. les causes de l’angine tonsillaire ;
3. le système de la marche de cette angine ;
4. son traitement et sa terminaison par induration ;
5. la rescision des amygdales”.
En 1871, l’interne est invité à s’exprimer sur “Trachée et
bronches. Corps étrangers des voies aériennes”.
Cet oral, qui a été supprimé en 1968, était une épreuve redoutée
et traumatisante. Le Pr Jacques Trotoux, ancien chef du service
ORL de l’hôpital européen Georges-Pompidou, raconte qu’il
tenait à la fois de la “grand-messe”, car le concours se déroulait
en public, et de la “messe noire”. Le candidat ne connaissait pas
à l’avance l’heure de son passage et le premier tiré au sort restait
devant son jury tandis que ses condisciples allaient attendre leur
tour dans la “turne” où pouvait se jouer, à l’occasion, une scène
d’intimidation : “J’ai trois patrons dans le jury, vous pouvez ren-
trer chez vous”…
Le Pr André Valla, ancien chef du service d’hépato-gastroenté-
rologie du CHU de Caen, évoque toutefois l’utilité d’un oral qui
représentait une très bonne épreuve pédagogique. Le fait de devoir
résumer une maladie en 10 minutes constituait un entraînement
à l’effort de synthèse et révélait le comportement du candidat, sa
clarté d’esprit au moment de l’urgence, situation à laquelle il ne
cesserait d’être confronté dans son exercice.
À Paris, en 1802, 24 candidats sont reçus, pour 64 inscrits ; en
1889, ils sont 50 sur 386 inscrits tandis que, quatre ans plus tôt,
a été reçue la première femme, Augusta Klumpke. En 1901,
66 candidats sont reçus pour 571 inscrits et, en 1955, 116 sur
1 123 inscrits, soit un pourcentage de 11,5 % et de 10,3 %,
respectivement.
1958-2003 : LE TEMPS DES RÉFORMES
En 1958, l’ordonnance du 30 décembre crée les centres hospita-
liers universitaires. Ceux-ci sont investis d’une triple mission :
les soins aux malades, l’enseignement, la recherche. Cette ordon-
nance instaure la présence à plein temps des médecins dans les
hôpitaux. Cette dernière mesure entraîne le développement de
véritables équipes médicales. Cependant, cette réforme, pourtant
fondée sur le principe de la fusion entre l’hôpital et l’Université,
ne redéfinit pas l’institution de l’internat des villes de faculté.
Selon Robert Debré3, si l’internat est maintenu en l’état, c’est
“par manque de courage” (1969). De nouvelles fonctions appa-
raissent, celle de chef de clinique notamment, mais elles vien-
nent progressivement remplir l’espace entre l’interne et le chef
de service, rompant “l’intimité de la collaboration” dont parle
encore Henri Mondor4au début des années 1950, et qui consti-
tuait l’essence même de l’apprentissage médical. S’adaptant à
cette nouvelle donne, les internes utilisent peu à peu le méca-
nisme des stages dans les services comme une stratégie de spé-
cialisation.
La réforme du 6 juillet 1979 entérine cette évolution. Elle met en
place l’internat qualifiant, qui devient le seul accès possible aux
spécialités (une exception européenne), et crée le résidanat hos-
pitalier pour la formation des généralistes. Le concours hospita-
lier local devient un concours universitaire général. La référence
prestigieuse des hôpitaux de Paris disparaît.
En 1984, “l’internat pour tous les spécialistes” est remplacé par
“l’internat pour tous”. Cette évolution se traduit, pour le futur
médecin généraliste, par la possibilité d’accéder à une formation
pratique plus large et de qualité, mais elle est ressentie par cer-
tains comme une atteinte au prestige et à l’identité de ce corps.
C’est la Direction régionale de l’action sanitaire et sociale, et non
plus l’AP-HP, qui organise le concours de l’internat. Les concours
locaux sont supprimés ainsi que le résidanat (rétabli en 1987).
“L’internat a changé après la réforme de 1984, je crois, explique
le Dr Jean-Paul Lévy, directeur médical de l’Institut Pasteur. Il
est devenu autre chose. On est dans un monde de techniques dif-
férentes, de buts différents. Je crois qu’on aurait dû arrêter
d’appeler ça ‘l’internat des hôpitaux de Paris’. On est dans un
autre monde, c’est tout”.
La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 achève ce qui
est commencé : le concours est remplacé par un examen natio-
nal classant pour tous les étudiants. Mais le milieu des internes
semble traversé par une crise qui porte sur la définition et le
contenu de l’internat, ils l’ont d’ailleurs fait savoir en manifes-
tant à six reprises depuis 1983. Aujourd’hui, en France, le monde
du travail est aux 35 heures ; ils contestent donc les 32 heures de
travail d’affilée avec une responsabilité qui n’a pas diminué. À
la question “Qu’est-ce que vous ne voulez plus ?”, Caroline Char-
lier, interne à l’hôpital Cochin répond “trimer”. À la question
“Qu’est-ce que vous voulez ?”, elle répond par un autre cri du
cœur : “faire bien notre métier, ne pas arriver aux urgences à
trois heures du matin sans brancard, sans chaise pour examiner
les patients…”. Pour elle, l’internat reste un système de compa-
gnonnage au cours duquel le “patron” accompagne, tient la main,
3. Médecin français (1882-1978), qui est l’un des pères de la pédiatrie française
moderne. Président du Comité interministériel pour la réforme de l’enseigne-
ment médical en 1956, il est parmi les inspirateurs de la réforme de l’hospitali-
sation française.
4. Interne des hôpitaux en 1908 (1885-1962), il acquiert pendant la Première
Guerre mondiale une grande expérience de la chirurgie traumatologique et
devient à 35 ans le plus jeune chirurgien de France. Il est l’auteur, notamment,
de
Diagnostics urgents de l’abdomen.
Figure 2. Séance d’oral à
l’amphithéâtre à l’hôpital
Necker.
Caricature d’Alain Cor-
nec, extrait de Histoire
polymorphe de l’inter-
nat en médecine des
hôpitaux et hospices
civils de Paris, Jacques
Frossard, 1981.
Crédit photographique : AP-HP/Photothèque.