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CONNAISSANCE ET VIE D’AUJOURD’HUI
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CONNAISSANCE ET VIE D'AUJOURD'HUI Le 5 décembre 2000
ROUEN
NOUVEAUX MEDECINS, NOUVEAUX MALADES
d’après la conférence de Loïc Marpeau, professeur et chef de service de gynécologie obstétrique au
C.H.U.de Rouen.
Une révolution rampante est en cours dans le domaine du soin et de la relation médecin malade.
Quelles en sont les grandes tendances ?
QUI SONT-ILS, CES NOUVEAUX MEDECINS ?
Un petit lexique
Il y a des médecins généralistes.
Il y a des médecins spécialistes dont la formation est soit l’internat soit un certificat d’études spécialisées,
aujourd’hui disparu pour raison d’harmonisation européenne.
Il existe enfin des diplômes universitaires envisagés à titre de formation permanente qui peuvent ouvrir la
porte à certains postes.
Un interne est, après le passage du concours de l’internat, un praticien en cours de spécialisation (4 ou 5
ans) qui travaille à l’hôpital.
Un interne en médecine générale (ou résident) n’a pas passé le concours de l’internat et se destine à la
médecine générale ; il a 3 années de formation à faire en stages hospitaliers et chez le médecin généraliste.
Un chef de clinique travaille à l’hôpital. Ayant fini son internat, il est spécialiste ; son clinicat va durer 2,
3 ou 4 années maximum. Il est choisi par un chef de service et doit participer aux soins et à
l’enseignement. Que devient-il ensuite ? Soit il s’installe en médecine libérale soit il passe un concours
national pour devenir médecin des hôpitaux, appelé praticien hospitalier (ou PH).
Un médecin attaché est un médecin généraliste ou spécialiste exerçant en ville et faisant à l’hôpital des
vacations sous la forme de consultations ou d’actes techniques.
La démographie médicale
L’inertie est grande dans le domaine de la formation d’un médecin. Nous vivons actuellement les
conséquences des deux réformes :
- Concours d’entrée en seconde année de médecine avec un faible nombre de places (3576 étudiants
admis tous les ans depuis 1972-1973).
- Suppression de la possibilité de se spécialiser par une autre voie que celle de l’internat (1984).
Le temps de formation d’un médecin est important. L’âge moyen d’installation d’un médecin généraliste
est actuellement de 30 ans minimum.
Quelles sont les conséquences de ces 2 réformes ?
Il y a moins de decins généralistes et plus de médecins spécialistes. Cette nouvelle
répartition a des effets délétères sur les dépenses de santé.
Dans l’avenir, une nette diminution des médecins est à craindre, ce qui va générer des
problèmes d’organisation dans les soins. Si la population française vieillit, ses médecins aussi ! En
1994, un médecin sur cinq avait plus de 50 ans, en 2006, ce sera un sur deux.
Le corps médical se féminise. C’est un problème sérieux car ce n’est pas en s’appuyant sur le
nombre de médecins formés que l’on va évaluer correctement le nombre futur de médecins qui exercera
effectivement son travail. L’abandon du terrain, de l’urgence, de la garde sont des phénomènes qui
risquent de s’amplifier. Les choix se porteront sur l’expertise, les laboratoires, la médecine salariée ou les
médecines parallèles.
L’offre de soins devrait se répartir sur le territoire national de façon harmonieuse, tant en ce
qui concerne les généralistes que les spécialistes. Or ce n’est pas le cas, les médecins ayant la liberté
dans le choix de leur installation. L’exemple de la gynécologie obstétrique est frappant : la densité pour
100 000 femmes de médecins spécialisés en gynécologie varie de 11,8 (dans la Creuse) à 77,5 (à Paris) !
Il n’y a pas de régulation fine du nombre de spécialistes en formation pour assurer les
besoins de la population. Ce sont plutôt les besoins des hôpitaux en internes qui vont conditionner le
nombre de postes offerts et donc le nombre de spécialistes formés. Ceci ne serait qu’un moindre mal si
tous les postes étaient pourvus, ce qui n’est pas le cas. Actuellement la dermatologie, la rhumatologie, la
radiologie, l’ophtalmologie sont des spécialités plus recherchées que l’anesthésie, la gynécologie
obstétrique ou la néonatalogie.
Ces conséquences expliquent le vide médical constaté dans nos hôpitaux régionaux : 115 postes de
PH y sont vacants actuellement, les autres étant occupés par des collègues étrangers , personnel bon
marché et silencieux.
Ledecin de son temps
Le médecin change dans le choix de son mode de vie. Comme tout le monde, il va faire intervenir des
notions de qualité de vie, de temps donné aux loisirs, à la famille. La tendance est de fuir les activités
d’urgence, de s’organiser en tour de garde, à travailler en groupe. On voit apparaître des mercenaires ne
vivant que de remplacements. On parle de repos compensateur. Il est évident que la relation privilégiée
médecin malade souffre et souffrira de plus en plus de la standardisation de l’activité médicale.
Les obligations d’économie, les mesures administratives omniprésentes, les glementations d’une
complexité croissante confinent au harcèlement « textuel », chronophage et stérilisant.
En revanche, la formation et l’entretien des connaissances n’ont jamais été à ce point accessibles ; mais il
faut prendre le temps de se former et en avoir les moyens.
Un médecin qui a peur du patient !
On assiste à une multiplication des attaques en justice mais également à une modification inquiétante de
la teneur des arrêts qui sont rendus par les différents tribunaux.
Toute la pratique médicale est polluée par le souci du « médico-légalement correct ».
Plusieurs origines à cette « judiciarisation » : l’abus de pouvoir de certains médecins, l’exemple nord-
américain, la désinformation de la population à qui les médias font croire que tout est possible. Cette
médecine de l’exploit est perverse. Inévitablement s’installe l’idée que s’il y a une complication, il y a
faute ou incompétence. Les médecins sont dans une logique de résultats.
Pire, lorsque la faute directe n’est pas retrouvée, le juge va se tourner vers des notions subtiles
d’obligation de moyens, et plus récemment vers celles du défaut d’informations.
Quelles conséquences ?
L’obligation de moyens conduit à une inflation d’examens complémentaires plus ou moins inutiles mais
surtout onéreux. Se dessine une tendance non plus simplement au principe de précaution mais au principe
de garantie, tendance retrouvée dans les mairies, par exemple. Le principe d’informations nécessite la
signature avant tout geste chirurgical de listes exhaustives des complications diverses et variées qui
peuvent survenir... Les cotisations des assureurs flambent. Les spécialités à risques sont désertées. Plus
grave, la relation médecin malade se perd. Nous devenons des malades tronçonnés en de multiples
organes offerts aux spécialistes sans vision globale, sans humanité mais ....en toute sécurité !
Un médecin perdu dans les vertiges de l’éthique
Les progrès techniques dans les domaines de la procréation, du diagnostic anténatal, de la réanimation
en début et en fin de vie imposent une réflexion éthique, mais les réponses ne sont pas consensuelles
notamment quand l’opinion publique, les juges, les impératifs électoraux s’en mêlent. Que faut-il penser
de la place des parents dans une décision d’interruption de grossesse qu’elle soit volontaire ou médicale ?
Jusqu’où faut-il aller dans les soins aux personnes âgées ? Et beaucoup d’autres questions du même
ordre...
QUI SONT-ILS, CES NOUVEAUX MALADES ?
Une population qui vieillit
Ce vieillissement de la population entraîne très directement une consommation médicale accrue tant en
consultations qu’en médicaments, en examens complémentaires, en séjours hospitaliers, en cures ou en
séances de rééducation.
Un patient informé
La santé est un produit médiatique séduisant. Attention cependant à ces informations qui désinforment
! Le souci du sensationnel fait choisir des thèmes accrocheurs (greffe d’une main) qui surévaluent l’image
de la médecine. L’imprimatur médiatique est recherché par « les professionnels de la santé » et vaut
largement, aux yeux du public, les plus glorieux diplômes, les plus prestigieux travaux. Les « plateaux »
attirent, et il faut y briller...
Les sources d’information sont nombreuses. Internet a fait son apparition avec sa réputation
d’exhaustivité. Arrivent en consultation des patients équipés d’une véritable littérature à qui il faut faire
une explication de texte car la digestion de toutes ces données n’est pas facile et source de contresens.
Paradoxe des paradoxes : cette recherche boulimique d’informations, cette exigence à tout comprendre, à
tout expliquer, cette obligation de résultats, ne s’appliquent pas à d’autres façons d’exercer la médecine
l’opacité règne, érigée en technique de soins. Les médecines parallèles ont du succès et pourtant elles
sont chères et sans fondement scientifique solide (homéopathie, acupuncture, ostéopathie, iridologie,
auriculothérapie). Elles ont pour elles le mystère et l’écoute, deux vertus cardinales de la relation
médecin malade que la médecine traditionnelle a oubliées ou qu’elle n’est plus, bien malgré elle, en
position de pouvoir pratiquer.
Un patient exigeant
Aux yeux du patient, le médecin ne rend plus un service, c’est un service. Comme on est soigné « aux
petits oignons » chez son assureur ou son banquier, ou encore par son opérateur téléphonique, on admet
difficilement devoir attendre un rendez- vous, un résultat d’examens, l’efficacité différée d’un traitement.
Un exemple frappant est celui des urgences hospitalières. L’embolisation endémique de ce secteur n’est
que la résultante de plusieurs phénomènes :
- recours aux urgences pour un oui ou pour un non pour leur commodité,- confusion entre ce qui relève du
soin médical et du soin social,
- besoin de sécurité de la part du patient et de son médecin traitant.
D’ailleurs, le corps médical ne parle plus d’urgences mais de consultations non programmées, Les mots
ont leur valeur...
Un autre exemple de cet état d’esprit assez nouveau est le caractère très volatile de la clientèle ; on va
voir untel et puis ensuite untel et untel à intervalles rapprochés. Bien entendu, la consommation médicale
en est amplifiée, la relation suivie et approfondie dénaturée. De plus, il faut savoir que la moitié
seulement des prescriptions sont suivies à la lettre...
Le médecin, victime consentante, perd de sa motivation et devient un prestataire de services...
Or les médecins marchent à l’affectif. Ils ont besoin de reconnaissance, et trouvent parfois que leurs
efforts mériteraient un petit mot gentil.
Et pourtant, la médecine en France a été récemment très bien notée par l’O.M.S.
QUELQUES PISTES DE REFLEXION
Personnel politique et population doivent se poser un certain nombre de questions sur ce qu’ils souhaitent
privilégier comme système de soins. Il y a des progrès techniques, il y a des limites économiques, des
dépenses qui augmentent de façon structurelle. Il y a donc des choix collectifs à dimension éthique à
faire courageusement.
Il faut distinguer trois types d’exercice médical :
Une médecine dont le but est de soigner et espérer guérir une maladie, un malade.
Une médecine de confort sans but thérapeutique directe la liberté individuelle, la volonté personnelle
et la responsabilité individuelle de chacun puissent s’exprimer : cures, rééducation, contraception,
entretien physique personnel, prise en charge de la ménopause pourraient appartenir à ce groupe. Ce
discours sera très mal perçu car entre liberté et dépendance efficace, le choix est vite fait.
Une médecine de prévention et de dépistage. C’est une médecine utile mais répétitive. Faut-il vraiment
qu’elle soit faite par des médecins?
Reconnaître qu’il y a de plus en plus une dimension sociale dans la médecine d’aujourd’hui,
notamment hospitalière. Les consultations d’urgences, les durées de séjour, sont des variables
influencées par la solitude, la précarité. Les dotations en moyens et en personnels doivent suivre, avec des
budgets santé et sociaux capables de fongibilité.
Répartir correctement l’offre de soins, indépendamment des pressions politiques et
administratives et valoriser tel ou tel exercice si l’on juge qu’il est prioritaire.
Laisser aux médecins le temps de soigner, le temps de « perdre leur temps » et privilégier les
formations polyvalentes pratiques, de contact.
N’oublions pas que le médecin a toujours envie de soigner, d’écouter et que le patient souhaite
toujours un médecin compétent, humain, disponible.
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