L
e traitement de référence du carcinome épidermoïde
de l’anus est représenté aujourd’hui par l’association
radiothérapie-chimiothérapie (1). Ainsi, la chirurgie
était auparavant indiquée en première intention, puis, plus récem-
ment, devait être associée à la radiothérapie et la chimiothérapie,
notamment après le travail de Nigro et al., en 1974 (2).
Aujourd’hui, la grande majorité des équipes considère que la chi-
rurgie, dite de rattrapage, doit être réservée aux échecs de la radio-
thérapie et/ou de la chimiothérapie, c’est-à-dire en cas de mala-
die résiduelle ou de récidive locale après traitement.
Plus rarement, elle est proposée dans les cas d’une mauvaise tolé-
rance de l’association radiochimiothérapie (notamment en cas
d’incontinence postradique) ou à une impossibilité de réalisation
(3). Enfin, elle peut aussi être discutée pour certains de manière
systématique après radiochimiothérapie pour les très volumi-
neuses tumeurs.
MOYENS ET INDICATIONS DU TRAITEMENT CHIRURGICAL
L’amputation abdominopérinéale (AAP)
Certains auteurs ont proposé chez des patients très sélectionnés,
en cas de récidives très localisées après radiochimiothérapie, des
excisions locales évitant le sacrifice sphinctérien. Néanmoins,
pour la plupart des auteurs, l’AAP représente la technique chi-
rurgicale de référence dans le cancer de l’anus (4-11).
Le principe de l’intervention, qui est identique à celle indiquée
pour l’adénocarcinome du bas rectum, est de réaliser une proc-
tectomie avec ablation de l’anus jusqu’à la peau périnéale
et de l’ensemble de l’appareil sphinctérien. Une colostomie
iliaque gauche sous-péritonéale définitive est faite en fin d’inter-
vention.
Le périnée peut être laissé ouvert (en cicatrisation dirigée) ou
fermé primitivement. Le plus souvent néanmoins, et ce du fait de
la résection cutanée, plus large que celle faite pour un adénocar-
cinome du bas rectum, le périnée est fermé partiellement, la peau
étant laissée ouverte. Toutefois, la radiothérapie altère la cicatri-
sation périnéale après AAP.
Afin d’améliorer la fermeture périnéale, la plupart des auteurs
réalise une épiplooplastie qui est descendue dans le pelvis.
D’autres ont proposé des gestes associés de plastie musculaire,
véritables transplants pédiculisés musculo-aponévrotiques
(muscles gracilis ou grand droit le plus souvent) permettant
d’apporter des tissus bien vascularisés, afin de combler la cavité
d’exérèse rectale et anale (12). Néanmoins, sur des tissus irra-
diés à 50-60 Gy, et ce quel que soit le procédé choisi (fermeture
primitive ou non du périnée), la fermeture périnéale complète
demande souvent 2 à 3 mois (7).
Du fait de l’extension, notamment vers l’avant, il est parfois
nécessaire de réaliser une résection vaginale postérieure ou plus
rarement prostatique.
Pour la plupart des auteurs, le curage ganglionnaire inguinal ne
doit pas être réalisé de manière systématique lors de l’AAP.
En effet, les relais ganglionnaires (inguinaux, iliaques externes
et primitifs) sont irradiés dans le même temps que le cancer
anal. De plus, il n’a jamais été démontré que l’adjonction d’un
curage (notamment iliaque) à l’AAP améliorait le résultat car-
cinologique. En revanche, la persistance d’un reliquat tumoral
inguinal impose un curage inguinal complémentaire, mais
expose le patient à un risque élevé de lymphœdème du membre
inférieur (3).
La chirurgie de sauvetage pour cancer de l’anus
Y. Panis*
253
La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - no5 - vol. III - octobre 2000
* Service de chirurgie digestive, hôpital Lariboisière, Paris.
POINTS FORTS
POINTS FORTS
L’amputation abdominopérinéale avec colostomie défi-
nitive est indiquée essentiellement en cas d’échec de l’asso-
ciation radiochimiothérapie, soit chez environ 15 à 30 % des
patients.
Le diagnostic de maladie résiduelle ou de récidive locale
après radiothérapie est difficile et doit s’aider d’échoendo-
scopies répétées et de biopsies qui sont risquées sur des tis-
sus irradiés (risque de nécrose).
La cicatrisation périnéale après amputation abdomino-
périnéale est souvent longue et difficile du fait de l’irradia-
tion des tissus.
Après chirurgie de rattrapage, une survie à 5 ans de l’ordre
de 30 à 40 % est observée dans les séries récentes.
254
La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - no5 - vol. III - octobre 2000
DOSSIER THÉMATIQUE
Les indications du traitement chirurgical
La maladie résiduelle après radiochimio-
thérapie : il s’agit de l’indication principale
de la chirurgie dans le carcinome épider-
moïde de l’anus. On considère aujourd’hui
que l’échec du traitement médical, c’est-à-
dire la persistance d’une maladie résiduelle
après traitement est observée chez environ
15 à 30 % des patients suivant les séries (4-
11). La fréquence de la maladie résiduelle
après radiothérapie augmente avec le stade
de la tumeur initiale.
Le diagnostic de maladie résiduelle après trai-
tement est souvent difficile du fait de la sclé-
rose postradique et du danger de multiplier sur ces tissus des biop-
sies pouvant entraîner des nécroses locales. Des échoendoscopies
répétées sont souvent nécessaires lors du suivi pour affirmer cette
maladie résiduelle. De plus, il est inutile et dangereux de vouloir éva-
luer la réponse locale au traitement avant au moins 2 mois (13), et ce
du fait de la cinétique d’efficacité qui est retardée après radiochi-
miothérapie.
La récidive après traitement médical : elle peut être définie par
l’existence d’un intervalle libre d’au moins 6 mois entre la fin de
la radiothérapie et le diagnostic de récidive tumorale. Elle est par-
fois très tardive après radiochimiothérapie, jusqu’à 40 mois dans
certaines séries (7) justifiant une surveillance prolongée de ces
patients, notamment par échoendoscopies répétées.
L’existence d’une récidive locale après radiochimiothérapie asso-
ciée à un envahissement ganglionnaire inguinal est pour la plu-
part des auteurs une contre-indication à l’AAP, du fait de la pré-
sence d’une maladie générale pour laquelle l’AAP serait trop
agressive et inefficace.
La chirurgie systématique après radiothérapie pour les volu-
mineuses tumeurs : cette attitude, qui ne fait pas l’unanimité, est
proposée en cas de tumeurs T3 ou T4, du fait du risque élevé chez
ces patients d’une maladie résiduelle ou d’une récidive locale
après traitement. Néanmoins, la plupart des auteurs soulignent
que même en cas de tumeurs T3 et T4, des stérilisations com-
plètes sont observées sur les pièces opératoires, faisant alors
regretter le sacrifice sphinctérien systématique (14). Enfin, l’exis-
tence d’une fistule rectovaginale est aussi pour beaucoup une
indication à la chirurgie programmée après radiothérapie, car
l’espoir de fermeture spontanée après traitement radiothérapique
est alors très faible (3).
Le mauvais résultat fonctionnel après radiochimiothérapie :
l’incontinence postradique est souvent très mal tolérée et doit
donc faire discuter l’amputation abdominopérinéale qui, malgré
la mutilation et la colostomie définitive, est sûrement une solu-
tion qui apporte à long terme une meilleure qualité de vie pour
le patient que la persistance d’une incontinence totale.
L’impossibilité de réalisation de la radiothérapie : il s’agit
aujourd’hui d’une situation relativement rare, concernant essen-
tiellement des personnes très âgées, grabataires…
Une autre situation est celle des patients ayant déjà eu dans leurs
antécédents une irradiation pelvienne, notamment pour cancer
du col utérin. Dans ces situations, il est préférable de faire, après
chimiothérapie pour les plus volumineuses tumeurs, ou d’emblée,
une amputation abdominopérinéale.
RÉSULTATS CARCINOLOGIQUES
Les résultats des principales séries d’amputations abdomino-
périnéales après échec du traitement médical sont représentées
dans le tableau.
Pocard et al. ont analysé les facteurs pouvant influencer la sur-
vie à long terme à partir d’une série de 21 patients. Ainsi, dans
leur série, la survie brute de 52 %, après un suivi moyen de
40 mois, était identique chez les patients ayant ou non un enva-
hissement du sphincter interne. Toutefois, l’indication de l’AAP
modifiait le résultat à long terme. Ainsi, en cas d’AAP pour mala-
die résiduelle après radiothérapie, la survie à 3 ans et à 5 ans était
respectivement de 72 % et 60 % (survie médiane 40 mois) contre
seulement 29 % et 0 % (survie médiane 20 mois) en cas d’AAP
pour récidive après traitement médical.
Les facteurs prédictifs de mauvais pronostic après AAP réalisée
pour échec du traitement médical sont l’existence d’un envahis-
sement ganglionnaire inguinal synchrone, une fixation de la
tumeur à la paroi pelvienne, et une extension de la tumeur à la
graisse périrectale (5, 9).
CONCLUSION
Les progrès du traitement médical, et tout particulièrement de
l’association radiochimiothérapie font aujourd’hui de la chirurgie
du cancer de l’anus une intervention réservée aux échecs du trai-
tement médical, c’est-à-dire essentiellement à la maladie résiduelle
ou à la récidive locale, qui reste de diagnostic souvent difficile.
L’intervention de référence est l’amputation abdomino-périnéale
avec colostomie iliaque gauche définitive, dont la morbidité
demeure significative, surtout du fait du retard à la cicatrisation
périnéale. Sur le plan carcinologique, une survie à 5 ans allant de
30 à 40 % est observée dans les séries récentes.
Mots clés. Cancer de l’anus – Carcinome épidermoïde –
Amputation abdominopérinéale.
Auteurs (Réf) Année Nombre Suivi médian Vivants Survie
de patients (mois) (%) à 5 ans (%)
Zelnik et al. (5) 1992 9 20 < 10
Tanum (6) 1993 9 36 67
Lasser (8) 1993 14 36 50
Ellenhorn (9) 1994 38 47 44
Longo et al. (4) 1994 14 18 57
Hill et al. (11) 1996 11 25 18
Pocard et al. (7) 1998 21 40 48 33
Tableau. Résultats carcinologiques des séries récentes d’amputations abdominopérinéales après
échec de la radiothérapie (± chimiothérapie) pour cancer de l’anus.
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255
La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - no5 - vol. III - octobre 2000
Zeffix®,
premier traitement oral de l’hépatite B
chronique
La lamivudine (Zeffix®) est un analogue nucléosidique qui inhibe la
transcriptase inverse et l’ADN polymérase du virus de l’hépatite B et
bloque sa réplication.
L’objectif du traitement par Zeffix® est la suppression
durable de la réplication dont témoigne la disparition de
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séroconversion HBe augmente avec la durée du traitement (22 % à
1 an, 47 % à 4 ans). Les traitements prolongés entraînent l’émergence
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