La chirurgie de sauvetage pour cancer de l’anus

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La chirurgie de sauvetage pour cancer de l’anus
● Y. Panis*
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■ L’amputation abdominopérinéale avec colostomie définitive est indiquée essentiellement en cas d’échec de l’association radiochimiothérapie, soit chez environ 15 à 30 % des
patients.
■ Le diagnostic de maladie résiduelle ou de récidive locale
après radiothérapie est difficile et doit s’aider d’échoendoscopies répétées et de biopsies qui sont risquées sur des tissus irradiés (risque de nécrose).
■ La cicatrisation périnéale après amputation abdominopérinéale est souvent longue et difficile du fait de l’irradiation des tissus.
■ Après chirurgie de rattrapage, une survie à 5 ans de l’ordre
de 30 à 40 % est observée dans les séries récentes.
e traitement de référence du carcinome épidermoïde
de l’anus est représenté aujourd’hui par l’association
radiothérapie-chimiothérapie (1). Ainsi, la chirurgie
était auparavant indiquée en première intention, puis, plus récemment, devait être associée à la radiothérapie et la chimiothérapie,
notamment après le travail de Nigro et al., en 1974 (2).
Aujourd’hui, la grande majorité des équipes considère que la chirurgie, dite de rattrapage, doit être réservée aux échecs de la radiothérapie et/ou de la chimiothérapie, c’est-à-dire en cas de maladie résiduelle ou de récidive locale après traitement.
Plus rarement, elle est proposée dans les cas d’une mauvaise tolérance de l’association radiochimiothérapie (notamment en cas
d’incontinence postradique) ou à une impossibilité de réalisation
(3). Enfin, elle peut aussi être discutée pour certains de manière
systématique après radiochimiothérapie pour les très volumineuses tumeurs.
L
* Service de chirurgie digestive, hôpital Lariboisière, Paris.
La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 5 - vol. III - octobre 2000
MOYENS ET INDICATIONS DU TRAITEMENT CHIRURGICAL
L’amputation abdominopérinéale (AAP)
Certains auteurs ont proposé chez des patients très sélectionnés,
en cas de récidives très localisées après radiochimiothérapie, des
excisions locales évitant le sacrifice sphinctérien. Néanmoins,
pour la plupart des auteurs, l’AAP représente la technique chirurgicale de référence dans le cancer de l’anus (4-11).
Le principe de l’intervention, qui est identique à celle indiquée
pour l’adénocarcinome du bas rectum, est de réaliser une proctectomie avec ablation de l’anus jusqu’à la peau périnéale
et de l’ensemble de l’appareil sphinctérien. Une colostomie
iliaque gauche sous-péritonéale définitive est faite en fin d’intervention.
Le périnée peut être laissé ouvert (en cicatrisation dirigée) ou
fermé primitivement. Le plus souvent néanmoins, et ce du fait de
la résection cutanée, plus large que celle faite pour un adénocarcinome du bas rectum, le périnée est fermé partiellement, la peau
étant laissée ouverte. Toutefois, la radiothérapie altère la cicatrisation périnéale après AAP.
Afin d’améliorer la fermeture périnéale, la plupart des auteurs
réalise une épiplooplastie qui est descendue dans le pelvis.
D’autres ont proposé des gestes associés de plastie musculaire,
véritables transplants pédiculisés musculo-aponévrotiques
(muscles gracilis ou grand droit le plus souvent) permettant
d’apporter des tissus bien vascularisés, afin de combler la cavité
d’exérèse rectale et anale (12). Néanmoins, sur des tissus irradiés à 50-60 Gy, et ce quel que soit le procédé choisi (fermeture
primitive ou non du périnée), la fermeture périnéale complète
demande souvent 2 à 3 mois (7).
Du fait de l’extension, notamment vers l’avant, il est parfois
nécessaire de réaliser une résection vaginale postérieure ou plus
rarement prostatique.
Pour la plupart des auteurs, le curage ganglionnaire inguinal ne
doit pas être réalisé de manière systématique lors de l’AAP.
En effet, les relais ganglionnaires (inguinaux, iliaques externes
et primitifs) sont irradiés dans le même temps que le cancer
anal. De plus, il n’a jamais été démontré que l’adjonction d’un
curage (notamment iliaque) à l’AAP améliorait le résultat carcinologique. En revanche, la persistance d’un reliquat tumoral
inguinal impose un curage inguinal complémentaire, mais
expose le patient à un risque élevé de lymphœdème du membre
inférieur (3).
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Les indications du traitement chirurgical
Tableau. Résultats carcinologiques des séries récentes d’amputations abdominopérinéales après
échec de la radiothérapie (± chimiothérapie) pour cancer de l’anus.
● La maladie résiduelle après radiochimiothérapie : il s’agit de l’indication principale
Auteurs
(Réf)
Année
Nombre
Suivi médian Vivants
Survie
de la chirurgie dans le carcinome épiderde patients
(mois)
(%)
à 5 ans (%)
moïde de l’anus. On considère aujourd’hui
que l’échec du traitement médical, c’est-àZelnik et al. (5)
1992
9
20
< 10
–
dire la persistance d’une maladie résiduelle
Tanum
(6)
1993
9
36
67
–
après traitement est observée chez environ
Lasser
(8)
1993
14
36
50
–
15 à 30 % des patients suivant les séries (4Ellenhorn
(9)
1994
38
47
–
44
11). La fréquence de la maladie résiduelle
Longo et al. (4)
1994
14
18
57
–
après radiothérapie augmente avec le stade
Hill et al.
(11)
1996
11
25
18
–
de la tumeur initiale.
Pocard et al. (7)
1998
21
40
48
33
Le diagnostic de maladie résiduelle après traitement est souvent difficile du fait de la sclérose postradique et du danger de multiplier sur ces tissus des biopsies pouvant entraîner des nécroses locales. Des échoendoscopies
répétées sont souvent nécessaires lors du suivi pour affirmer cette
chimiothérapie pour les plus volumineuses tumeurs, ou d’emblée,
maladie résiduelle. De plus, il est inutile et dangereux de vouloir évaune amputation abdominopérinéale.
luer la réponse locale au traitement avant au moins 2 mois (13), et ce
du fait de la cinétique d’efficacité qui est retardée après radiochimiothérapie.
RÉSULTATS CARCINOLOGIQUES
● La récidive après traitement médical : elle peut être définie par
l’existence d’un intervalle libre d’au moins 6 mois entre la fin de
Les résultats des principales séries d’amputations abdominola radiothérapie et le diagnostic de récidive tumorale. Elle est parpérinéales après échec du traitement médical sont représentées
fois très tardive après radiochimiothérapie, jusqu’à 40 mois dans
dans le tableau.
certaines séries (7) justifiant une surveillance prolongée de ces
Pocard et al. ont analysé les facteurs pouvant influencer la surpatients, notamment par échoendoscopies répétées.
vie à long terme à partir d’une série de 21 patients. Ainsi, dans
L’existence d’une récidive locale après radiochimiothérapie assoleur série, la survie brute de 52 %, après un suivi moyen de
ciée à un envahissement ganglionnaire inguinal est pour la plu40 mois, était identique chez les patients ayant ou non un envapart des auteurs une contre-indication à l’AAP, du fait de la préhissement du sphincter interne. Toutefois, l’indication de l’AAP
sence d’une maladie générale pour laquelle l’AAP serait trop
modifiait le résultat à long terme. Ainsi, en cas d’AAP pour malaagressive et inefficace.
die résiduelle après radiothérapie, la survie à 3 ans et à 5 ans était
● La chirurgie systématique après radiothérapie pour les volurespectivement de 72 % et 60 % (survie médiane 40 mois) contre
mineuses tumeurs : cette attitude, qui ne fait pas l’unanimité, est
seulement 29 % et 0 % (survie médiane 20 mois) en cas d’AAP
proposée en cas de tumeurs T3 ou T4, du fait du risque élevé chez
pour récidive après traitement médical.
ces patients d’une maladie résiduelle ou d’une récidive locale
Les facteurs prédictifs de mauvais pronostic après AAP réalisée
après traitement. Néanmoins, la plupart des auteurs soulignent
pour échec du traitement médical sont l’existence d’un envahisque même en cas de tumeurs T3 et T4, des stérilisations comsement ganglionnaire inguinal synchrone, une fixation de la
plètes sont observées sur les pièces opératoires, faisant alors
tumeur à la paroi pelvienne, et une extension de la tumeur à la
regretter le sacrifice sphinctérien systématique (14). Enfin, l’exisgraisse périrectale (5, 9).
tence d’une fistule rectovaginale est aussi pour beaucoup une
indication à la chirurgie programmée après radiothérapie, car
CONCLUSION
l’espoir de fermeture spontanée après traitement radiothérapique
Les progrès du traitement médical, et tout particulièrement de
est alors très faible (3).
● Le mauvais résultat fonctionnel après radiochimiothérapie :
l’association radiochimiothérapie font aujourd’hui de la chirurgie
l’incontinence postradique est souvent très mal tolérée et doit
du cancer de l’anus une intervention réservée aux échecs du traidonc faire discuter l’amputation abdominopérinéale qui, malgré
tement médical, c’est-à-dire essentiellement à la maladie résiduelle
la mutilation et la colostomie définitive, est sûrement une soluou à la récidive locale, qui reste de diagnostic souvent difficile.
tion qui apporte à long terme une meilleure qualité de vie pour
L’intervention de référence est l’amputation abdomino-périnéale
le patient que la persistance d’une incontinence totale.
avec colostomie iliaque gauche définitive, dont la morbidité
● L’impossibilité de réalisation de la radiothérapie : il s’agit
demeure significative, surtout du fait du retard à la cicatrisation
aujourd’hui d’une situation relativement rare, concernant essenpérinéale. Sur le plan carcinologique, une survie à 5 ans allant de
tiellement des personnes très âgées, grabataires…
30 à 40 % est observée dans les séries récentes.
■
Une autre situation est celle des patients ayant déjà eu dans leurs
antécédents une irradiation pelvienne, notamment pour cancer
Mots clés. Cancer de l’anus – Carcinome épidermoïde –
du col utérin. Dans ces situations, il est préférable de faire, après
Amputation abdominopérinéale.
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La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 5 - vol. III - octobre 2000
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7. Pocard M, Tiret E, Nugent K et al. Results of salvage abdominoperineal
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La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 5 - vol. III - octobre 2000
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