Fiche n°276 - Octobre 2007 © IRD/Anna Cohuet Dresser la carte d’identité génétique des populations de Plasmodium pour mieux les combattre © IRD/Vincent Robert D’ après l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), plus d’1 million de personnes meurent chaque année des suites du paludisme. Alors qu’il devient de plus en plus illusoire d’éradiquer définitivement ce fléau , le contrôle des populations de Plasmodium falciparum est une piste de recherche prometteuse pour limiter la propagation de la maladie. Dans cette perspective, une équipe de l’IRD et du CNRS s’est intéressée à la structuration génétique du parasite au cours de la phase diploïde de son cycle biologique (1). Pour cela les scientifiques ont travaillé sur le génome des oocystes de Plasmodium. Ces œufs fécondés ont été recueillis parmi diverses populations de deux espèces de moustiques vecteurs prélevées au Kenya et au Cameroun. Les chercheurs ont ainsi pu démontrer pour la première fois que le taux de consanguinité des parasites était beaucoup plus élevé que celui estimé jusqu’à présent. Or la consanguinité au sein des populations de Plasmodium peut faciliter la diffusion des antipaludéens et donc les phénomènes de résistance. En effet, plus le taux d’exposition d’un organisme à une molécule pharmaceutique est important, plus celui-ci a de chance de développer une résistance. Une meilleure compréhension de la structuration génétique des populations de Plasmodium pourrait alors permettre d’optimiser les méthodes actuelles de lutte contre le paludisme. Gîtes larvaires d’Anopheles funestus l’un des vecteurs du Paludisme Selon l’OMS, le paludisme affecte actuellement entre 300 et 600 millions de personnes à travers le monde. Dans plusieurs régions du globe impaludées, la maladie est actuellement en progression à cause d’une résistance accrue des parasites à la plupart des antipaludéens. Pour accroître l’efficacité des traitements médicamenteux, tout en limitant le plus possible les cas de résistance, les scientifiques doivent encore appréhender les stratégies évolutives de l’ennemi qu’ils combattent. L’une des pistes de recherche consiste à déterminer l’organisation génétique des populations de Plasmodium falciparum. Ce travail préliminaire vient d’être accompli par une équipe de chercheurs de l’IRD et du CNRS (2) qui a disséqué plus de 10 000 moustiques des espèces Anopheles gambiae et Anopheles funestus, deux des principaux vecteurs du paludisme en Afrique subsaharienne. Oocystes de Plasmodium dans l’estomac d’un moustique vecteur Ces travaux ont été menés simultanément sur deux sites camerounais et un site kenyan, tous trois fortement impaludés. Grâce à cette investigation de grande envergure, les chercheurs sont parvenus à isoler 746 oocystes de Plasmodium falciparum provenant du tube digestif de 183 moustiques infectés. Il y a deux ans, une première étude menée au Kenya par la même équipe et portant uniquement sur A. gambiae, avait permis de récolter plus de 600 oocystes parmi 145 moustiques infectés et capturés dans 11 localités différentes. En travaillant à partir de l’oocyste du parasite, les chercheurs ont pu avoir accès à la phase diploïde du microorganisme, c'est-à-dire à l’ensemble de son information génétique. Jusqu’alors, presque toutes les études destinées à déterminer la structuration génétique des foyers de Plasmodium étaient construites à partir d’échantillons parasitaires prélevés Institut de recherche pour le développement - 213, rue La Fayette - F-75480 Paris cedex 10 - France - www.ird.fr >> Fiche n°276 - Octobre 2007 Pour en savoir plus CONTACTS : FRANÇOIS RENAUD Laboratoire de génétique et évolution des maladies infectieuses (Unité mixte IRD/CNRS) IRD MONTPELLIER BP 64501 34394 MONTPELLIER CEDEX 5 +33 (0)4 67 41 62 53 [email protected] DIDIER FONTENILLE Unité de recherche Caractérisation et contrôle des populations de vecteurs +33 (0)4 67 04 32 22 [email protected] RELATIONS AVEC LES MÉDIAS +33 (0)1 48 03 75 19 [email protected] INDIGO, PHOTOTHÈQUE DE L’IRD +33 (0)1 48 03 78 99 [email protected] www.ird.fr/indigo IRD AUDIOVISUEL +33 (0)1 48 02 56 24 [email protected] www.audiovisuel.ird.fr/ RÉFÉRENCES : Annan Zeinab, Durand Patrick, Ayala Fancisco J., Arnathau Céline, Awono Ambene Parfait, Simard Frédéric, Razakandrainibe Fabien. G., Koella Jacob C., Fontenille Didier, Renaud François. Population genetic structure of Plasmodium falciparum in the two main African vectors, Anopheles gambiae and Anopheles funestus. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 2007, 104 (19), p. 7987-7992. doi:10.1073/pnas.0702715104 Razakandrainibe Fabien. G., Durand Patrick, Koella Jacob C., de Meeus Thierry, Rousset François, Ayala Francisco J., Renaud François. « Clonal » population structure of the malaria agent Plasmodium falciparum in high-infection regions. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 2005, 102 (48), p. 17388-17393. doi:10.1073/pnas.0508871102 MOTS-CLEFS : PLASMODIUM, PALUDISME, INSECTES VECTEURS, STRUCTURATION GÉNÉTIQUE, CONSANGUINITÉ chez l’homme. Or ce type d’analyse génétique présente plusieurs biais. Avec les échantillons recueillis chez l’espèce humaine, les scientifiques travaillent uniquement sur la phase haploïde du cycle parasitaire au cours de laquelle un seul exemplaire de chaque chromosome est présent. Ils ne peuvent donc pas mesurer les taux d’association et d’organisation entre gènes au sein des populations. Par ailleurs, dans les zones d’endémie palustre, les individus infectés sont régulièrement piqués par les moustiques vecteurs. Pour cette raison, il est très fréquent qu’ils soient infectés par plusieurs Plasmodium falciparum dont les génotypes sont différents. Les patients monoinfectés, les seuls à pouvoir être retenus pour une analyse génétique pertinente, sont donc trop rares pour permettre aux scientifiques d’obtenir des résultats représentatifs. Grâce à l’analyse de courtes séquences d’ADN localisées sur les 14 paires de chromosomes du génome parasitaire, les scientifiques de l’IRD et du CNRS ont pu établir une carte d’identité génétique relativement précise des différentes populations étudiées. Les résultats mettent en évidence un taux de variabilité génétique très important mais aussi un taux global de consanguinité avoisinant les 50%. Cette consanguinité très élevée s’explique par l’existence d’un processus d’autofécondation (3) combiné à une répartition non aléatoire des oocystes du parasite au sein des moustiques vecteurs. L’ensemble de ces données est en accord avec celles acquises en 2005 au Kenya. Elles confirment une forte structuration génétique du Plasmodium entre moustiques vecteurs, associée à un régime de reproduction combinant brassage génétique et autofécondation. Etablir une carte d’identité génétique des populations de Plasmodium falciparum peut permettre d’améliorer la lutte contre le paludisme. A l’aide de modèles mathématiques prenant en compte les informations de nature génétique des foyers parasitaires, il serait alors envisageable de prédire les modifications intervenant au niveau des gènes de résistance aux médicaments. Les traitements médicamenteux pourraient alors être ciblés selon la dynamique d’évolution des populations de Plasmodium dans le but de limiter la démographie des parasites tout en minimisant les phénomènes de résistance. Cette étude prouve également que la stratégie globale de reproduction du parasite est la même chez les deux espèces de vecteurs étudiées. Or l’une des pistes envisagées par la communauté scientifique internationale pour limiter la morbidité du paludisme consisterait à éradiquer progressivement son principal vecteur Anopheles gambiae. Pour cela certaines équipes de chercheurs envisagent d’introduire dans le milieu naturel des moustiques génétiquement modifiés pour qu’ils ne puissent plus transmettre le parasite à l’homme. Mais comme le Plasmodium dispose de nombreux vecteurs, neutraliser l’un des plus redoutables d’entre eux risque de ne diminuer que très faiblement l’efficacité de sa stratégie de reproduction qui pourrait alors se reporter sur les autres vecteurs disponibles. Rédaction DIC -Grégory Fléchet (1) Le cycle biologique du Plasmodium s'enclenche dès lors qu'un moustique femelle du genre anophèle dont les glandes salivaires contiennent une forme du parasite appelée sporozoïte pique un être humain. Une fois dans la circulation sanguine, certains de ces parasites peuvent évoluer vers une forme sexuellement prédéterminée : les gamétocytes mâles et femelles. Ingérés par l’anophèle lors d’un deuxième repas de sang, ces gamétocytes migrent ensuite dans son tube digestif pour donner naissance à des gamètes mâles et femelles. S'ensuit un processus de fécondation qui donne naissance à l’oocyste. (2) Ce programme de recherche a été mené avec l’aide de l’Institut de recherche médical du Kenya, l’Organisation de lutte contre les endémies en Afrique Centrale, le Ministère français de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’Institut de l’évolution et l’université de Californie. (3) L’autofécondation résulte de la fusion d’un gamète femelle et d’un gamète mâle issus d’un même génotype parasite et donc d’un même individu. Grégory Fléchet, coordinateur Délégation à l’information et à la communication Tél. : +33(0)1 48 03 76 07 - fax : +33(0)1 40 36 24 55 - [email protected]