L'EUROPE ET L'UNION EUROPÉENNE DANS LE DISCOURS DES PARTIS POLITIQUES MOLDAVES : Enjeux et stratégies politiques

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Université Paris I Panthéon-Sorbonne
UFR 11 Science politique
Master 2 professionnel
Communication politique et sociale
L’EUROPE ET L’UNION
EUROPEENNE DANS LE DISCOURS
DES PARTIS POLITIQUES
MOLDAVES
Enjeux et stratégies politiques
Mémoire de Master
Réalisé par Nicoleta Chirita
Sous la direction de M. Mathieu BRUGIDOU
Année universitaire 2008-2009
SOMMAIRE
INTRODUCTION…………………………………………………………………………………………..
3
6
Problématique…………………………………………………………………………………….
Sources et
méthodologie………………………………………………………………………8
Prémisses
théoriques…………………………………………………………………………..9
1. L’européanisation – l’usage d’une notion
disputée………………………………..9
2. Le processus de cadrage de l’Europe et de
l’UE………………………………….11
Structure de la
recherche…………………………………………………………………..12
PREMIÈRE PARTIE. Les partis politiques moldaves entre l’Ouest et l’Est :
l’exemple d’ « européanisation » du Parti des
Communistes……………………..13
1. Les premiers promoteurs d’un rapprochement de l’UE
……………………….15
2. Les élections de 2001 – acteurs, enjeux et discours sur l’Europe et
l’UE..17
2.1. Le Parti des Communistes de la République de Moldavie
(PCRM)………18
2.2.
Le
Parti
Populaire
Chrétien
Démocrate
(PPCD)……………………………….21
2.3.
Le
Bloc
Electoral
« l’Alliance
Braghis
»…………………………………………..23
2.4
Le
Parti
Démocratique
de
Moldavie
(PDM)………………………………………23
2.5.
Le
pôle
des
partis
libéraux
et
chrétiendémocrates………………………….24
3.
Le
retour
« survivants »…………………………………………………………….24
des
3.1
Facteurs
économiques
et
politiques……………………………………………25
3.2 Enjeux et messages électoraux – quelle place pour l’Europe et l’UE
?.....26
4.
Les
communistes
au
pouvoir
–
le
double
langage……………………………….29
5.
L’heure
du
pragmatisme
–
la
volte-face
du
PCRM………………………………..32
5.1 Le contexte
Européenne……….34
international
–
entre
la
Russie
et
l’Union
2
5.2
Les
internes……………………………………………………………………35
5.3
Légitimer
changement………………………………………………………………36
6.
provisoires………………………………………………………………………..37
facteurs
le
Conclusions
DEUXIÈME PARTIE. Les limites de l’européanisation : le processus de
cadrage de l’Europe et de
l’UE…………………………………………………………………………38
1.
2005
–
L’année
européenne
de
la
Moldavie………………………………………39
2. Penser l’Europe et l’UE – l’identification des cadres……………………………
43
2.1. UE facteur géostratégique ou vecteur de politique
intérieure ?...........44
2.2.
UE
–
remède
économique
universel……………………………………………….49
2.3. UE – le retour en Europe de la
Moldavie…………………………………………52
2.4. UE – la chance de réunification avec la
Roumanie…………………………53
2.5. L’UE et le règlement du conflit transnistrien…………………………………
56
2.6. UE – ressource dans la compétition
politique…………………………………58
CONCLUSIONS……………………………………………………………………………………6
2
SOURCES………………………………………………………………………………………….6
4
BIBLIOGHRAPHIE……………………………………………………………………………….6
6
3
INTRODUCTION
« Les députés utilisent le bâtiment du Parlement pour des
réunions où ils discutent d’idées délirantes [de l’intégration dans
1
l’Union Européenne] » Vladimir Voronine, mai 2000.
« La promotion et le maintien du vecteur de l’intégration européenne
[…] constitue la priorité absolue et le trajet politique irréversible de
l’actuel gouvernement.» 2 Vladimir Voronine, janvier 2004.
Qu’est qui change entre mai 2000 et janvier 2004 à tel point que Vladimir Voronine,
leader du principal parti politique moldave et président de la République entre 2001 et 2009,
passe d’un discours antioccidental agressif où l’Union Européenne est considérée « une idée
délirante » à une direction pro-européenne déterminée et « irréversible » ? Avant d’entrer
dans le vif du sujet et répondre à une question qui se pose de soi par l’évidente dissonance
entre ces deux types de positionnements, il est nécessaire de faire une courte digression sur la
particularité de la République de Moldavie en termes de politique extérieure. Une parenthèse
qui s’avère utile pour comprendre pourquoi en 2000, quand la majorité de pays de l’Europe
Centrale et Orientale avait fait un choix clair pro-occidental, les acteurs politiques moldaves
oscillaient encore entre l’Est et l’Ouest et le Parti des Communistes de la République de
Moldavie (PCRM) gagnait du terrain par rapport aux forces pro-démocratiques.
Quant on parle de la République de Moldavie, on a souvent la tendance de la décrire
comme un pays « à la croisée des chemins » ou « entre deux mondes » 3 pour mettre en
exergue son positionnement géographique, son histoire troublée et la composition
ethnolinguistique qui en est résulté. 4 Après l’éclatement de l’Union Soviétique, beaucoup de
1
Commentaire de Vladimir Voronine, leader du Parti des Communistes, à l’occasion de l’adoption de la
« Déclaration sur l’intégration européenne » le 5 mai 2000 par de 20 partis politiques moldaves, « Liderul
comunistilor considera declaratia de integrare in Uniunea Europeana drept o aiureala », Ziua, 11 mai 2000,
disponible à http://old.azi.md/news?ID=8939
2
« Presedintele Voronin considera integrarea europeana prioritatea absoluta si cursul politic ireversibil al
actualei guvernari », Ziua, 28 janvier 2004, disponible à http://old.azi.md/news?ID=27609
3
L’expression est utilisée par exemple par Florent PARMENTIER, La Moldavie à la croisée des chemins,
Universitoo, 2003 ou par Jean-Michel DE WAELE & Catalina ZGUREANU-GURAGATA, « la Moldavie : un
cas exemplaire des difficultés de la transition postsoviétique ? », dans Jean-Michel DE WAELE, Catalina
ZGUREANU-GURAGATA (coordonné par), «La Moldavie entre deux mondes» (dossier), Transitions, vol. 45,
n° 2, 2006, pp. 11-224.
4
En effet, la Moldavie d’aujourd’hui, un petit territoire enclavé entre la Roumanie et l’Ukraine, a fait partie de la
principauté médiévale « Moldova » qui s’étendait jusqu’à Carpates avant de tomber, après le XVème siècle, sous
le joug de l’Empire Ottoman et, entre 1812 et 1918, sous la domination de l’Empire russe. A l’issue de la
première Guerre mondiale, la Moldavie regagnera son indépendance et votera la même année le rattachement à
4
ses anciens Etas-membres de l’Europe Orientale – les pays baltes, l’Ukraine ou la Biélorussie
- se sont retrouvés comme la République de Moldavie déchirés entre l’Ouest et l’Est, avec des
populations mixtes ethniquement et linguistiquement. Leur situation géostratégique et
culturelle était beaucoup plus complexe que celle de la plupart des pays de l’Europe Centrale
pour lesquels la transition postcommuniste s’est posée uniquement en termes économiques et
politiques et qui ont adopté dans la politique extérieure une orientation pro-occidentale
manifeste dès le début. 5
Dans le cas de la République de Moldavie, pour des raisons liées à son histoire
complexe et à sa structure ethnique 6 , la transition a été marquée par son aspect culturel et
identitaire. Florent Parmentier distingue trois volets de ces conflits ethnoculturels : l’identité
du groupe majoritaire roumanophone qui reste à définir – roumaine ou moldave 7 , les
revendications du groupe russophone qui souhaite voir la langue russe reconnue au statut de
langue nationale et finalement les demandes de fédéralisation de la Moldavie faites par la
Transnistrie et la Gagaouzie, territoires peuplées majoritairement par les minorités.8 La
politique extérieure de l’Etat moldave et les relations avec les pays voisins ont été ainsi le
reflet de ces tensions intérieures d’ordre ethnolinguistique et culturel qui ont dominé les
années postindépendance. Déchirée entre la Roumanie et la Russie, entre les tendances
unionistes et celles pro-russes, la Moldavie a eu des difficultés à trouver un consensus à
l’égard de son positionnement sur la scène internationale. On pourrait dire que la spécificité
de sa politique extérieure réside dans cette oscillation continuelle entre l’Ouest et l’Est, dans
son incapacité de choisir l’un ou l’autre de deux camps. A la différence des pays baltes par
exemple, qui par une politique pro-occidentale résolue ont réussi leur intégration euroatlantique 9 ou à la différence de la Biélorussie qui a choisi de renforcer ses liens avec la
la Grande Roumanie, dont elle fera partie jusqu’à la Seconde Guerre mondiale où elle sera intégrée à l’Union
soviétique. Pour une courte histoire de la Moldavie, voir Wanda DRESSLER, « Entre empires et Europe le
destin tragique de la Moldavie », Presses Universitaires de France, Diogène, 2005/2 - N° 210, p. 35-40.
5
Maarten BEKS & Olga GRAUR, « Cultural politics in Moldova, undermining the transition? », dans JeanMichel DE WAELE, Catalina ZGUREANU-GURAGATA (coordonné par), op. cit., p. 17.
6
Selon le recensement de 1989, 64,5 % de la population était roumanophone tandis qu’un tiers était composée
des minorités : Ukrainiens (13,8 %), Russes (13 %), Gagaouzes (3,5 %) et autres (Bulgares, juifs, Tsiganes, etc.)
En 2004, la composition ethnique était la suivante : Moldaves - 78.2%; Ukrainiens- 8.4%; Russes -5.8%;
Gagaouzes - 4.4%; Bulgares - 1.9%; autres -1.3%, voir http://www.europa.md/
7
L’Union soviétique a fait la promotion d’une identité moldave artificielle pour éviter les tendances de
réunification avec la Roumanie, voir Florent PARMENTIER, « État, politique et cultures en Moldavie », La
revue internationale et stratégique, n° 54, été 2004, p. 156.
8
Florent PARMENTIER, « État, politique et cultures en Moldavie », p. 154.
9
Les pays baltes ont fait partie de la vague de 10 pays qui ont été admises dans l’Union Européenne en 2004 et
la même année dans l’OTAN.
5
Russie 10 , la République de Moldavie a évité de faire un choix clair, essayant de concilier dans
la plupart du temps l’appartenance à la Communauté des Etats Indépendants (CEI) 11 et le
rapprochement de Russie avec une orientation pro-européenne. La présence des troupes
armées russes en Transnistrie et la nécessité d’une coopération moldo-russe pour une
réglementation du différend, la dépendance économique et énergétique importante envers
Moscou à laquelle s’ajoute la présence des minorités russophones oblige la République de
Moldavie de rester toujours en étroite relation avec son ex-centre 12 . En même temps,
l’élargissement de l’Union Européenne à l’Est en 2004 et dernièrement en 2007 avec
l’acceptation de la Bulgarie et de la Roumanie a transformé la Moldavie dans le voisin direct
de l’Union Européenne. Pour revenir à notre question de départ, ce qui change principalement
entre mai 2000 et janvier 2004 à tel point que le principal parti politique moldave fait un
virage de l’Est à l’Ouest, est justement le contexte stratégique international. L’attention de
l’Union Européenne, focalisée sur les pays qui devaient recevoir le statut de membres en
2004, respectivement en 2007, commence à se diriger vers les Etats de ses nouvelles
frontières orientales. La Moldavie, en dépit de ses dimensions, a commencé à intéresser de
plus en plus l’Union Européenne principalement à cause des risques sécuritaires que
l’existence de la Transnistrie entraînait à ses frontières et dû aux problèmes économiques
sévères auxquels le pays se confrontait. Les premiers signes de cet intérêt croissant que l’UE
portait à cette région ont été visibles lors des révolutions « colorées » de Géorgie et Ukraine
de 2003/2004 et par l’élaboration d’une nouvelle approche envers ses nouveaux voisins
orientaux – la Politique Européenne de Voisinage (PEV) – lancée en mars 2003 et suivie d’un
document de stratégie en mai 2004. 13 L’objectif de la PEV était de créer un espace de sécurité
et de prospérité à la périphérie de l’Union par une collaboration étroite avec les pays
intéressés au niveau politique et économique. La Moldavie a été parmi les premiers
signataires du Plan d’Action 14 dans le cadre de la PEV et, avec l’Ukraine, le pays qui a
montré en outre son désir d’aller plus loin jusqu’à l’intégration dans l’Union Européenne,
déclarée « objectif stratégique ». Pourrait-on affirmer que l’oscillation symptomatique de la
10
Le Traité de l'Union de la Biélorussie et la Russie a été signé le 2 avril 1997, voir le document en ligne
http://www.soyuz.by/ru/?guid=10443
11
La CEI rassemble l’essentiel des Etats issus de l’ex-Union soviétique, à l’exception des Etats Baltes et de la
Géorgie, voir http://www.diploweb.com/-CEI-.html
12
Jean-Michel DE WAELE & Catalina ZGUREANU-GURAGATA, « la Moldavie : un cas exemplaire des
difficultés de la transition postsoviétique ? », p. 13.
13
Informations sur la Politique Européenne de Voisinage disponibles sur le site de la Commission Européenne à
http://ec.europa.eu/world/enp/policy_fr.htm
14
Les Plans d’Actions bilatéraux sont les instruments de la politique de voisinage,
http://ec.europa.eu/world/enp/documents_fr.htm
6
politique extérieure moldave a été dépassée par cette aspiration vers l’Europe ou que la
Moldavie a fait ainsi un choix clair entre l’Est et l’Ouest ? Cette question ouvre la voie à
d’autres interrogations et nous amène à analyser en profondeur l’étendue de cette orientation
pro-européenne de la classe politique moldave. Pour cette analyse, nous avons décidé de nous
pencher sur les discours officiels des partis politiques et cela pour plusieurs raisons. D’un
côté, les partis sont parmi les acteurs qui doivent gérer l’ensemble des questions sociétales,
économiques et de politique extérieure et qui doivent proposer des solutions et les
partis moldaves n’y font pas exception. De l’autre côté, nous considérons les discours
politiques indispensables pour la légitimation des choix en termes de politiques publiques et
pour le maintien de la démocratie. Selon G. March et J. P. Olsen, les discours politiques sont
en fait « le support principal de la gouvernance démocratique, aidant à consolider l’identité
politique, à définir l’action politique et à interpréter les événements politiques ». 15 Ceci-dit
nous nous proposons de voir comment se construit le discours des partis politiques moldaves
sur l’Europe et l’intégration dans l’Union Européenne16 , quels sont les facteurs contextuels ou
stratégiques qui puissent expliciter leurs positionnements respectifs et qui rendent compte
aussi de leur inconstance discursive dans le temps. En même temps, nous essaierons de voir
quel est l’usage que les partis font de la thématique européenne et comment l’Europe et
l’Union Européenne sont représentées dans leurs discours.
Problématique
Un bref rappel de faits est indispensable pour comprendre nos questionnements et
hypothèses de départ et la manière dont le thème européen est monté en puissance dans un
court laps de temps dans la République de Moldavie.
Si dans le cadre de la campagne électorale de mars 1998, aucun parti, formation
politique ou bloc électoral n’avait un slogan lié à l’intégration dans l’Union Européenne 17 ,
lors des élections de 2001, les partis pro-démocratiques moldaves ont progressivement
commencé à introduire la thématique européenne dans leurs discours. L’exception notable à
cette tendance était celle du Parti des Communistes qui affichait une attitude antioccidentale
15
J.G. MARCH, J.P. OLSEN, Democratic Governance, New York, Free Press, 1995, p. 46, cité dans Vivien A.
SCHMIDT, « Le discours politique et la légitimation des changements de politique économique et sociale en
Europe », in Jacques GERSTLE, Les effets d’information en politique, L’Harmattan, 2001, p. 271.
16
Une clarification est nécessaire quant à l’utilisation de « l’Europe » et de l’ « Union Européenne » dans notre
analyse. Les partis politiques moldaves utilisent les deux notions soit de façon interchangeable soit
complémentaire. Nous avons gardé ce même esprit pendant la rédaction de notre travail en dépit des différences
manifestes entre les deux entités.
17
Igor KLIPII, « Evoluţia cadrului politic al problemei integrării europene », disponible sur le site de l’Institut
de Politiques Publiques, www.ipp.md, p. 19.
7
véhémente et qui avait étiqueté, par la voix de son leader Vladimir Voronine, l’intégration
dans l’Union Européenne comme « une idée délirante ». Arrivé au pouvoir aux élections
parlementaires anticipées de 2001, le PCRM commence au fur et à mesure à renoncer à la
virulence de son discours, voire à opter pour une direction pro-européenne simultanée à celle
pro-russe. Cette évolution culmine lors des élections législatives de 2005 quand le PCRM
concurrence l’opposition sur le terrain de l’intégration de la Moldavie dans l’Union
Européenne. D’un discours antioccidental agressif avec des velléités marxistes-léninistes, le
Parti des Communistes se transforme dans le plus fervent défenseur du choix pro-européen
pour la Moldavie. Toute la campagne électorale de 2005 est organisée autour de l’enjeu
européen et, à l’exception des formations de l’extrême gauche pro-russe, il n’y a pas de voix
critique notable à l’adresse de la direction pro-UE. Par leurs programmes, plateformes
électorales et déclarations de leurs leaders, les partis politiques moldaves démontrent que le
thème européen a dépassé son statut de sujet de politique extérieure, technique et propre à la
diplomatie moldave pour passer dans l’arène de la compétition politique et électorale. Deux
observations peuvent être faites par rapport à cette évolution. D’un côté, nous assistons à une
politisation de l’intégration dans l’Union Européenne, exploitée par les partis politiques dans
la compétition électorale, et de l’autre côté à une européanisation des débats électoraux et des
discours des partis politiques. Nous y reviendrons pour expliquer pourquoi l’utilisation du
concept d’européanisation dans le cas de la Moldavie est possible en dépit de ses perspectives
très éloignées d’adhésion à l’Union Européenne.
En revenant à notre premier constat sur la montée en puissance et la politisation de la
thématique européenne, nous nous proposons de rendre compte de cette évolution visible dans
la politique moldave depuis les années 2002/2003. Notre attention se concentrera sur le Parti
des Communistes, non seulement parce qu’il est l’acteur politique le plus important depuis sa
victoire écrasante aux élections de 2001 mais primordialement parce qu’il connaît un
changement radical de discours qui commence progressivement après sa prise du pouvoir et
qui culmine aux élections législatives de 2005. Pour expliquer cette transformation, nous
partons de l’hypothèse que les facteurs extérieurs, l’impact de l’élargissement de l’Union à
l’Est mais aussi les relations avec la Russie, pèsent sur la manière dont le PCRM construit son
discours sur l’Europe et l’intégration européenne. L’hypothèse est valable en égale mesure
pour les partis pro-démocratiques qui se voient encouragées dans leurs positions proeuropéennes par l’intérêt croissant manifesté par l’Union pour les Etats de ses frontières
orientales. Une seconde hypothèse peut être formulée pour expliquer la conversion proeuropéenne du PCRM, en termes de stratégie politique et électorale : pour préserver le
8
pouvoir, les communistes se rendent compte qu’ils doivent modérer leur discours, profiter des
bénéfices économiques que le rapprochement de l’UE apporterait et gagner une autre partie de
l’électorat, plus jeune et éduquée. La thématique européenne est ainsi instrumentalisée par le
PCRM dans son essai de garder le pouvoir suite aux différends avec Moscou.
Si pour la première partie nous essaierons de voir quel a été le contexte qui a conduit à
une européanisation au niveau des discours des partis politiques, pour la deuxième nous allons
tracer ses limites. A partir de 2005 la direction pro-européenne remporte l’assentiment de
presque toute la classe politique moldave, pourtant la manière dont les partis perçoivent
l’Europe et l’intégration dans l’UE fait éclater ce consensus. Nous partons de la prémisse
qu’en dépit d’une européanisation au niveau des discours et malgré le consensus obtenu en
2005, les partis politiques imaginent l’Europe différemment en fonction de leurs idées,
normes, valeurs, aspirations et intérêts concurrents. Nous essaierons ainsi de voir dans la
seconde partie de notre travail quels sens attribuent les partis politiques à l’Europe et à
l’intégration européenne par une identification des cadres le plus souvent usités.
Sources et méthodologie
Pour la première partie de notre travail qui se concentre sur la période 2001-2003 mais
qui fait aussi un survol de la période antérieure, nous avons fait appel à des références de la
littérature de spécialité sur la vie politique moldave et notamment sur l’évolution et le
changement de discours du Parti des Communistes depuis sa prise de pouvoir de 2001. Nous
avons consulté également des rapports sur les élections législatives de 2001, des articles des
journaux moldaves, roumains ou étrangers qui ont abordé le sujet du retour au pouvoir des
communistes et aussi une série de sources directes, principalement programmes et
plateformes des partis et interviews parues dans la presse locale ou étrangère.
Le second chapitre, dédié à une analyse plus approfondie des discours des acteurs
politiques, mobilise principalement des sources directes qui s’étendent sur la période des
deux mandats du PCRM (2001-2009). Il s’agit de déclarations et interviews avec les
principaux leaders politiques parues dans la presse, publiée sur les sites web des partis, de la
présidence ou du Parlement moldave et des documents programmatiques des partis disponible
d’habitude sur leur site web ou sur celui de l’Association pour une Démocratie Participative
de Moldavie. Pour les deux parties nous avons consulté de sondages d’opinion réalisés
principalement par l’Institut de Politiques Publiques de Chişinău. Nous pouvons noter à ce
point le manque de sondages plus élaborés sur la perception que les citoyens moldaves ont du
9
processus d’intégration européenne ou des partis qu’ils considèrent le plus en mesure de
mener la Moldavie sur cette voie. En outre, l’absence des sténogrammes des séances
ordinaires sur le site du législatif nous a empêchés de suivre les débats parlementaires vis-àvis de l’intégration dans l’Union Européenne, en nous limitant par conséquent à l’étude des
documents programmatiques des partis et des déclarations et interviews de leurs leaders.
Prémisses théoriques
Outre les sources directes et la littérature de spécialité, nous avons fait appel à des
théories de la science politique ou des études européennes qui nous ont fourni l’outillage
conceptuel nécessaire pour la compréhension des phénomènes étudiés. Nous allons expliciter
dans les pages qui suivent les notions d’ « européanisation » et de « cadres » qui ont eu une
valeur explicative importante pour notre recherche.
1. L’européanisation – l’usage d’une notion disputée 18
Les définitions proposées dans la littérature sont à la fois nombreuses et variées,
chaque chercheur définissant l’européanisation en fonction des objectifs de sa recherche ou
des résultats obtenus. Utilisé au départ pour analyser une série de transformations observées
dans les anciens Etats membres, dans des recherches qui marquent une nouvelle phase
d’études sur l’intégration européenne, le concept a été repris à la fin des années 1990 par les
chercheurs analysant les changements à l’œuvre dans les démocraties postcommunistes. 19 La
notion d’européanisation a été utilisée alors pour décrire et expliquer une variété de
phénomènes et de changements dans le cas des pays en voie d’adhésion à l’Union
Européenne.
La plus complète et utilisée définition du concept d’européanisation est celle formulée
par Claudio Radaelli. Elle est suffisamment large pour couvrir la diversité de phénomènes liés
à l’intégration européenne, en visant les structures et politiques publiques et à la fois les
18
La littérature de spécialité sur l’européanisation est foisonnante. On peut mentionner ici quelques titres
importants : CAPORASO J., GREEN COWLES M., RISSE T. (dir.), Transforming Europe. Europeanization
and Domestic Change, Ithaca, Cornell University Press, 2001; FEATHERSTONE K., RADAELLI C. (dir.), The
Politics of Europeanization, Oxford, Oxford University Press, 2003; P. GRAZIANO & M. VINK (dirs.),
Europeanization: a handbook for a new research agenda, Houndsmill, Palgrave, 2007; OLSEN, J., 2002, “The
many faces of Europeanization”, Journal of Common Market Studies, 40 (5), pp. 921-95; BÖRZELL T., “Deep
Impact? Europeanisation and Eastern Enlargement”, in KUTTER A., TRAPMANN V. (eds), Das Erbe des
Beitritts, Nomos Verlag, 2006 ; NEUMAYER, L., L'enjeu européen dans les transformations postcommunistes Hongrie, Pologne, République Tchèque 1989-2004, Belin, Europes Centrales, 2006 etc.
19
Cette hypothèse a été explicitée dans Ramona COMAN, « Les défis de l’européanisation dans la réforme du
système judiciaire post-communiste. Entre inertie et transformation », dans Revue française de science politique,
Vol. 56, n° 6, 2006, pp. 999-1027.
10
identités et la dimension cognitive des politiques nationales. Pour Radaelli l’européanisation
se présente comme « un processus de construction, de diffusion, d’institutionnalisation des
règles formelles et informelles, des procédures et des paradigmes, des styles, des façons de
faire, des croyances et des normes partagées, qui sont définies et consolidées tout d’abord
dans le processus décisionnel de l’Union européenne pour être incorporées par la suite dans
la logique des discours, des identités, des structures et des politiques publiques
nationales ». 20 Cette définition couvre des éléments comme les règles, les normes, les
procédures mais aussi la dimension cognitive du processus de changement - idées, croyances,
manières de faire les choses, règles informelles.
Selon Radaelli, on peut parler d’européanisation quand la logique des acteurs
politiques nationaux change. Cela se passe quand les éléments de policy-making de l’UE
deviennent « un cadre de référence cognitif et normatif » et quand la logique d’action et la
logique de signification sont guidées par l’Europe. L’Europe devient ainsi la « grammaire de
l’action politique nationale ». 21 Selon Radaelli, le changement que l’européanisation suppose
est double : il y a changement comme réponse aux pressions de l’Union Européenne mais
aussi suite aux usages de l’Europe qui n’impliquent pas la pression. 22
Cette définition plus vaste de l’européanisation comme processus qui englobe aussi la
dimension cognitive des politiques nationales nous paraît plus appropriée pour expliquer
pourquoi il y a des transformations liées au niveau des identités et des discours des acteurs
politiques dans le contexte de l’intégration dans l’UE. Nous considérons utile en outre
d’étendre ce concept d’européanisation au delà des pays qui sont membres de l’UE ou en
processus de préadhésion. La plupart des recherches se sont penchées en effet sur le processus
d’européanisation des Etats membres de l’UE ou des pays candidats. Pourtant, nous
considérons que les pays en dehors du processus d’adhésion et qui ne bénéficient pas de statut
de candidat, comme c’est le cas de la Moldavie, ont connu l’impact de l’UE et de ses
politiques, notamment de la politique de voisinage. Ion Osoian, dans une analyse comparative
de la Moldavie et de l’Ukraine, explique les changements que les perspectives même
éloignées d’intégration dans l’Union produisent au niveau de ces deux pays.
23
Il se penche
sur les adaptations des structures politico-administratives de deux pays mentionnés qui, sans
20
Claudio RADAELLI, « Whither Europeanization? Concept stretching and substantive change », European
Integration online Papers (EIoP), Vol. 4 (2000) N° 8, p. 4, http://eiop.or.at/eiop/texte/2000-008a.htm
21
Claudio RADAELLI, « Europeanisation: Solution or problem? », European Integration online Papers, (EIoP),
Vol. 8 (2004) N° 16, p.10, http://eiop.or.at/eiop/texte/2004-016a.htm
22
Ibid.
23
Voir l’analyse de Ion OSOIAN, “The Europeanization of Executive Governance in Moldova and Ukraine: The
Weakness of Political Conditionality?”, Kent, 2007, en ligne sur le site de l’Institut de Politiques Publiques
http://www.ipp.md/files/Publicatii/2008/Ion_Osoian_Europeanisation.pdf
11
perspective d’adhésion claire, sont impliqués dans l’implémentation des Plans d’Actions dans
le cadre des la PEV. Nous considérons que, outre les adaptions institutionnelles et les
réformes politico-administratives déclenchées par la pression exercée par l’UE, des
changements au niveau de la compétition partisane, des discours et des identités politiques se
sont produits. En revenant au deuxième volet de la définition de Claudio Radaelli, nous
estimons qu’il s’agit d’une transformation de la dimension cognitive et qu’il faut nous
pencher aussi sur la manière dont les acteurs politiques des pays concernés imaginent,
attribuent du sens, font usage et instrumentalisent l’Europe et le processus d’intégration dans
l’UE. Pour ce faire, nous allons identifier les interprétations concurrentes que les partis
politiques moldaves attribuent à l’Europe et à l’UE à l’aide de concept de « cadres ».
2. Le processus de cadrage de l’Europe et de l’UE
Les concepts de « cadre » et de « cadrage » élaborés par Erving Goffman 24 pour
expliquer la manière dont l’individu se rapporte à son environnement sont développés ensuite
et appliqués par plusieurs auteurs dans d’autres domaines comme les mouvements sociaux,
l’analyse des discours politiques et médiatiques. 25 La plus utilisée définition est celle de
Robert Entman qui considère que la construction des cadres implique « sélectionner certains
aspects de la réalité perçue et leur accorder une attention particulière dans le texte
communiqué de telle manière qu’ils soutiennent une définition du problème, une
interprétation causale, une évaluation morale et/ou une recommandation ». 26 Les cadres se
manifestent selon Entman par « la présence ou l’absence de mots-clés, de certaines phrasestypes, d’images stéréotypes et propositions qui impliquent un certain type de jugement ». 27
La théorie des cadres a été utilisée par Juan Díez Medrano 28 dans une étude de 2005
pour expliquer les différences d’attitude vis-à-vis de l’intégration européenne dans trois pays
membres, l’Allemagne, l’Espagne et la Grande Bretagne. Dans l’acception de Medrano « les
cadres lient les attitudes envers un problème à leurs causes structurelles et culturelles, et
24
Les concepts ont été élaborés principalement dans l’ouvrage d’Erving GOFFMAN, Frame analysis. New
York: Harper & Row Publishers, 1974.
25
Voir l’application des concepts dans l’arène des mouvements sociaux dans Daniel CEFAЇ, Danny TROM,
(sous la direction de), Les formes de l’action collective. Mobilisations dans les arènes publiques, Editions de
l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, 2001 ; la perspective linguistique développée par Teun
VAN DIJK, Handbook of Discourse Analysis. New York: Academic Press, 1995 ; S. REESE, O.GANDY, A.
GRANT, Framing public life, Lawrence Erlbaum Associates: New Jersey, 2001.
26
R. M. ENTMAN, « Framing: Toward Clarification of a Fractured Paradigm », Journal of Communication, 43
(4), 1993, p. 53.
27
Ibidem, p. 52.
28
Juan Díez MEDRANO, Framing Europe: Attitudes to European Integration in Germany, Spain, and the
United Kingdom, Princeton: Princeton University Press, 2003.
12
contiennent des informations cryptées sur les causes ». 29 Les cadres existantes sur l’Europe et
l’intégration européenne sont mis en relations avec les cultures nationales des pays étudiés et
avec leur histoire particulière, Medrano expliquant comment le passé fasciste et nazi de
l’Espagne, respectivement de l’Allemagne, détermine les attitudes pro-européennes en tant
que l’euroscepticisme britannique est dû au nationalisme et au sens de l’unicité des citoyens
britanniques. 30 Nous considérons, dans la ligne de pensée de Medrano, que certains éléments
liés au passé et aux réalités culturelles peuvent rendre compte des cadres que les partis
politiques moldaves utilisent pour imaginer l’Europe et l’intégration dans l’Union
Européenne. Par rapport à l’analyse de Medrano, la difficulté à laquelle on s’est heurtée en
étudiant les discours, les déclarations et les programmes électoraux des partis moldaves est
liée au manque de substance à l’égard de l’Europe. L’Union Européenne, omniprésente dans
les discours des acteurs politiques moldaves depuis 2004/2005, est simultanément absente.
Les discours se concentrent primordialement sur la politique de la Moldavie et sur la manière
dont l’intégration européenne pourrait s’ériger en solution aux problèmes économiques,
sociaux et géostratégiques du pays.
Structure de la recherche
Nous avons structuré notre travail sur deux paliers : le premier chapitre, abordant une
perspective plutôt chronologique, essaie d’expliquer dans quel contexte les partis politiques
moldaves commencent à introduire la thématique européenne dans leurs discours. Une partie
importante sera dédiée au cas du Parti des Communistes pour mettre en exergue deux types de
discours antinomiques vis-à-vis de l’Europe et pour expliquer le virage pro-européen du
principal parti politique moldave après 2002/2003.
La deuxième partie de notre travail reprend et clarifie quelques prémisses théoriques
exposées dans la présente introduction pour poursuivre avec l’identification des cadres que les
partis politiques utilisent pour parler de l’Europe et de l’Union Européenne. Nous avons
essayé de montrer dans cette partie qu’en dépit du fait que la thématique européenne est
devenue un élément omniprésent dans les discours des partis, la manière différente dont les
acteurs politiques pensent l’Europe et l’UE est due à des interprétations concurrentes du
passé, du présent et de l’avenir de la Moldavie.
29
Ibidem, p.7.
Mathieu DEFLEM, compte-rendu de Juan Díez Medrano, op. cit., Nationalism and Ethnic Politics, 11(2):291294, disponible à http://www.cas.sc.edu/socy/faculty/deflem/zframingeurope.html
30
13
PREMIÈRE PARTIE
Les partis politiques moldaves entre l’Ouest et l’Est :
l’exemple d’ « européanisation » du Parti des
Communistes
« Le slogan "nous voulons en Europe!" n’a pas eu d’échos dans
les places publiques de Chişinău dans les années de grâce '89'91, il y a eu peu de Moldaves à y avoir pensé. » 31
Vitalie Ciobanu, écrivain et publiciste moldave, 2005.
Le discours des partis politiques moldaves sur l’Europe et l’intégration de la Moldavie
dans l’Union Européenne ne peut être compris et ne fait sens que dans un cadre plus large
d’analyse de la vie politique moldave, du système de partis et du clivage autour duquel il
prend forme après l’indépendance de la République de 1991.
A la différence des pays de l’Europe Centrale et Orientale où le vecteur d’orientation
pro-ouest (OTAN et UE) a dominé la scène politique après 1989 en coalisant les partis
d’opposition contre les néo-communistes, l’héritage historique, la situation géostratégique et
les enjeux ethnoculturels et linguistiques 32 ont monopolisé la vie politique de la Moldavie
dans les années postindépendance. Il n’est pas surprenant de voir que « l’Europe » est absente
du discours des partis politiques dans les années où le jeune Etat se voit confronté à un conflit
ethnique suite auquel il perd de facto une partie de son territoire – la Transnistrie 33 , peuplée
majoritairement par des russophones - et doit apaiser les mêmes tendances sécessionnistes des
Gagaouzes - population d’origine turque concentrée dans le centre-sud du pays - en leur
accordant une large autonomie. La lutte politique a été menée par conséquent sur le terrain
31
Vitalie CIOBANU, « Europa si ideea integrarii europene in imaginarul public si intelectual din Republica
Moldova », Ziua, no. 3490, 26 novembre 2005.
32
Selon le recensement soviétique de 1989, sur une population totale de 4 300 000 personnes, les Moldaves
comptaient à l’époque pour 64,3 %, les Ukrainiens pour 13,8, les Russes pour 13, les Gagaouzes pour 3,5, les
Bulgares pour 2, les Juifs pour 1,5 et les Rroms pour 0,02, sur une centaine de nationalités recensées. Voir :
Zaporojan-Pirgari A., « Minority Rights in Moldova : Consolidating a Multiethnic Society », in : LEWIS, A.,
ed., The EU and Moldova. On a Fault-Line of Europe, The Federal Trust, London, 2004, pp.64-65.
33
La Transnistrie représente un petit territoire de 4 000 km² environ, soit 11% de la superficie totale de la
Moldavie, pour 17% de la population en 1989 et plus du tiers du PIB. La région a été le centre de la politique de
russification menée par l’URSS, la grande partie de l’élite politique était issue de Tiraspol, et n’a jamais fait
partie de la Grande Roumanie, pour ces propos voir Florent PARMENTIER, « Construction étatique et
capitalisme de contrebande en Transnistrie » dans Jean-Michel DE WAELE, Catalina ZGUREANUGURAGATA (coordonné par), «La Moldavie entre deux mondes» (dossier), Transitions, vol. 45, n° 2, 2006, pp.
136-137.
14
des questions identitaires par les partis unionistes qui visaient la réunification avec la
Roumanie et les formations politiques pro-russes qui défendaient les droits des minorités
ethniques et le maintien dans la sphère d’influence de la Russie. Entre ces extrêmes, un centre
pro-moldave commence à prendre contour prônant la doctrine de «Deux-Etats », qui consiste
à affirmer que bien que les populations de Moldavie et de Roumanie ne forment qu’une entité
ethnique uniforme, les aléas de l’histoire ont fait que cette nation se voit aujourd’hui répartie
dans deux Etats distincts. Après le cessez-feu de Transnistrie de 1992 et le référendum de
mars 1994 lors duquel 95,4% des Moldaves présents aux urnes votent pour l’indépendance du
pays 34 , les élites politiques au pouvoir récupèrent cette doctrine et en font depuis une stratégie
électorale gagnante.
Les questions ethniques et linguistiques, l’indépendance et l’intégrité territoriale de
l’Etat ont constitué par conséquent les principaux enjeux qui ont façonné la vie politique
moldave dans les années ‘90. La thématique européenne vient s’ajouter par la suite à un
système partisan déjà structuré autour d’un clivage ethnoculturel, qui va d’une gauche prorusse à une droite pro-roumaine, en passant par un centre pro-moldave. Cette ligne de fracture
partisane peut prédéterminer dans certains cas les attitudes envers l’Europe et l’intégration
dans l’Union Européenne surtout quand il s’agit des partis situés aux extrémités de l’échiquier
politique. Pourtant, le cas du Parti des Communistes de la République de Moldavie (PCRM)
qu’on analysera plus loin en détail peut nous prouver le contraire. On pourra dire à ce sujet
que « les acteurs ne sont pas définis à l’avance; ils se constituent au cours même de leurs
interventions publiques » 35 , leur identité étant par conséquent le résultat d’une production de
discours et de prises de positions à l’égard des thèmes publiques.
Nous nous proposons d’analyser dans ce premier chapitre, d’une manière plutôt
chronologique, comment, dans quel contexte et avec quel succès, les partis politiques
moldaves commencent à s’approprier la thématique européenne. Une attention particulière
sera accordée au discours du Parti des Communistes avant et durant la campagne électorale de
2001 afin de mieux comprendre l’importance de leur changement de direction après
2002/2003 et du contexte dans lequel cette volte-face se produit. Nous considérons que
l’impact des nouvelles politiques conçues par Bruxelles – comme la Politique Européenne de
34
Le référendum contient en fait 6 questions et a été durement critiqué par les sociologues pour sa formulation :
« Etes-vous pour que la République de Moldavie se développe comme un Etat indépendant et unitaire, dans le
cadre des frontières reconnues le jour de la proclamation de la souveraineté de la Moldavie (23.06.1990), pour
qu’elle promeuve une politique de neutralité et maintienne des relations économiques réciproquement
bénéfiques avec tous les pays du monde et pour qu’elle garantisse à ses citoyens des droits égaux en conformité
avec les normes du droit international ? », voir http://www.curaj.net/?p=1296
35
Daniel CEFAI, Danny TROM (sous la direction de), Les formes de l’action collective. Mobilisations dans les
arènes publiques, Editions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, 2001, p.18.
15
Voisinage – joue un rôle significatif dans l’explication de cette transformation du PCRM une
fois arrivée au pouvoir. Pourtant, l’intérêt croissant manifesté par l’UE pour les pays de
l’ancienne URSSS ne peut pas expliquer à lui seul cette réorientation, d’autres variables
seront mises en évidence - les contraintes internes et la relation avec la Russie – pour rendre
compte de cette transformation pro-européenne du PCRM. Dans le second chapitre, nous
allons essayer de mettre en analyse l’étendue de cette européanisation au niveau des discours
du Parti des Communistes et des principaux partis de l’opposition moldave, par une analyse
du processus du cadrage sur l’Europe et l’intégration européenne.
1. Les premiers promoteurs d’un rapprochement de l’UE
Si on regarde les évolutions des années ’90, on constate que l’orientation proeuropéenne de la Moldavie prend contour dans le cadre de l’administration et non pas au sein
des partis politiques. Les promoteurs d’un rapprochement de l’UE ont été primordialement les
présidents de la République Mircea Snegur 36 et Petru Lucinschi 37 qui ont fait du lobby auprès
des institutions européennes pour que la Moldavie soit incluse dans la nouvelle approche
régionale élaborée par l’UE en 1992 : les Accords de Partenariat et Coopération (APC). Des
négociations ont débutés cette année-là avec plusieurs Etats de l’ancien URSS sauf avec la
Moldavie. Le 1er novembre 1993 et, à plusieurs reprises, le 28 janvier 1994, le Président
moldave Mircea Snegur a adressé des lettres aux Présidents du Conseil européen et de la
Commission européenne pour exprimer le regret que la Moldavie soit le seul pays en Europe
Orientale et Centrale qui n'ait pas de relations définies avec l'Union Européenne. 38
Suite à ces efforts diplomatiques de la part des autorités moldaves, l’Accord de
Partenariat et Coopération entre l’UE et la Moldavie a été négocié et signé en novembre 1994.
Avant l’entrée en vigueur de l’APC en juillet 1998, des démarches similaires à celles du
président Snegur ont été entreprises par le deuxième président de la République de Moldavie,
Petru Lucinschi, visant l’ouverture d’une nouvelle étape dans les relations avec l’UE. Le 13
décembre 1996, dans sa lettre adressée au président de la Commission Européenne, Petru
Lucinschi exprimait le souhait que la Moldavie devienne membre associé de l’UE jusqu’en
2000. Faute de réponses, en octobre 1997, le président de la Moldavie réitère la volonté de
36
Président de la République entre le 8 décembre 1991 et le 1er décembre 1996, il a été membre du Parti
démocrate agraire.
37
Le deuxième président de la Moldavie du 1er décembre 1996 au 7 avril 2001.
38
Victor CHIRILĂ, « Relaţiile Republicii Moldova cu Uniunea Europeană ». Moldova şi integrarea europeană,
Chişinău, Prut Internaţional Publishing Company, 2001, pages 36-65, cité dans Valeriu GHEORGHIU, Moldova
on the way to the European Union: distance covered and next steps to be done, Institute for Public Policy,
Chişinău, 2005, p 1, disponible à http://www.ipp.md/public/biblioteca/83/en/MoldovaWayEU.pdf
16
son pays d’obtenir le statut de membre associé et propose d’entamer les négociations sur
l’accord d’association. Des lettres ayant un contenu similaire et qui ont été envoyées deux
mois plus tard à tous les chefs d’Etats des pays membres de l’UE sont restées sans réponse ou
ont reçu des réponses négatives. 39
Après l’arrivée au pouvoir en 1998 des forces pro-démocratiques, l’intégration
européenne devient un thème de plus en plus abordé par les partis politiques, cela en dépit de
la réticence rencontrée à Bruxelles concernant le statut de membre associé de la Moldavie.
L’Alliance pour la Démocratie et Réformes (ADR) 40 , majoritaire dans le Parlement, vote une
décision qui stipulait que l’orientation pro-européenne devient « objectif stratégique majeur
du pays ». 41 Des propositions ont été faites par certains parlementaires qui visaient la création
d’un département ou d’un ministère pour l’intégration européenne et la sortie du pays de la
Communauté des Etats Indépendants (CEI) ; le rapport de forces dans le législatif n’était pas
pourtant assez favorable à la coalition démocrate pour que telles mesures soient adoptées. 42
En novembre 1999, le gouvernement réformiste Sturza est démis suite à une motion de
censure votée par l’opposition - le Parti des Communistes - et une partie du Front Populaire
Chrétien Démocrate qui quitte ainsi l’Alliance pour la Démocratie et Réformes. A court
terme, cela a déclenché l’annulation de l’aide financière que le Fond Monétaire International
(FMI) devrait accorder à la Moldavie. A long terme, selon le leader du Parti de la Démocratie
et de la Réforme, Alexandru Mocanu, « la chute de ce gouvernement réformiste rend
impossible la participation de notre pays au processus d’intégration européenne ». 43 Pour
Vitalie Ciobanu, rédacteur-en-chef de la revue « Contrafort » de Chişinău, ce moment
équivaut à « un glissement vers une restauration communiste, unique parmi les anciens pays
du Traité de Varsovie » 44 . On ne saurait pas dire dans quelle mesure la chute du
gouvernement Sturza a influé sur les décisions de l’Union Européenne, mais en effet, un mois
après, en décembre 1999, le Conseil européen d’Helsinki décide d'élargir la procédure de
négociation d'adhésion avec six pays candidats (Malte, Roumanie, Bulgarie, Slovaquie,
39
Ibidem, p. 2.
L’ADR était une coalition des forces démocratiques, constituée en 1998, composée de la Convention
Démocratique de Mircea Snegur, le Mouvement pour une Moldavie Démocrate de Dumitru Diacov, le Parti des
Forces Démocratiques de Valeriu Matei et le Front Populaire Chrétien Démocrate de Iurie Roşca, voir
http://www.jurnal.md/article/19142/
41
Stefan GORDA, Partidele politice şi integrarea europeană, 7 juillet 2003, disponible en ligne à http://www.edemocracy.md/comments/political/20030707/
42
Ibid.
43
Cristian STEFANESCU, « Guvernul Sturza a fost demis », Ziua, No. 1635, mercredi, 10 novembre 1999, en
ligne à http://www.ziua.net/display.php?id=34059&data=1999-11-10
44
Vitalie CIOBANU, op. cit.
40
17
Lettonie et Lituanie) et accorde à la Turquie le statut de « pays candidat ». 45 La Moldavie est
ainsi exclue de la vague d’élargissement à l’Est de l’Union Européenne. En outre, le retour au
pouvoir du Parti des Communistes aux élections anticipées de 2001 avec un discours
antioccidental et anticapitaliste rendait la poursuite d’une direction pro-européenne de la
Moldavie improbable. Pourtant, comme on verra plus loin, le Parti des Communistes, une fois
arrivé au gouvernement, sera forcé d’agir sous contraintes et dans un contexte de plus en plus
pro- européen.
Pendant une décennie de relations Moldavie-UE, les présidents de la République sont
apparus souvent comme les principaux initiateurs et promoteurs de la politique d’intégration
européenne, étant donné les prérogatives présidentielles dans le domaine des affaires
étrangères. Au fur et à mesure que le regard de l’UE s’est dirigé vers l’Est et des politiques
comme l’APC ont été adoptées, les présidents et l’administration moldaves ont réagi et ont
compris le besoin d’institutionnaliser les relations avec l’Union. A partir de 1998, avec
l’arrivée au pouvoir des forces démocratiques, l’intégration dans l’Union Européenne
commence à devenir un discours dominant au sein du gouvernement Sturza et de la coalition
parlementaire du moins en matière d’orientation extérieure du pays.
A partir des années 2000, la majorité de partis politiques pro-démocratiques
introduisent la thématique européenne dans leurs discours et plateformes électorales. On
pourrait dire que l’Europe et la question de l’intégration européenne sont descendues peu à
peu de l’administration de l’Etat dans l’arène de la compétition politique. Les partis politiques
ont commencé à saisir l’enjeu européen et à se positionner face à cette nouvelle
problématique. Les élections de 2001, soldées avec la victoire écrasante des communistes, ont
montré néanmoins que la question de l’Europe et de l’intégration dans l’Union Européenne ne
comptait pas parmi les priorités de la majorité de l’électorat moldave.
2. Les élections de 2001 – acteurs, enjeux et discours sur l’Europe et
l’UE
En 2001, le Parlement moldave devait choisir le président de la République
conformément aux amendements constitutionnels de juillet 2000 qui avait transformé la
Moldavie en régime parlementaire. 46 Suite à l’échec de l’assemblée législative de trouver un
45
http://www.consilium.europa.eu/ueDocs/cms_Data/docs/pressData/fr/ec/00300-r1.f9.htm
La République de Moldavie devient, suite aux amendements constitutionnels de juillet 2000, un régime
parlementaire. Les amendements étaient vus comme des garanties antiautoritaires puisqu’elles changeaient la
manière dont était élu le président (du suffrage universel à l’élection par le Parlement) et réduisaient les
46
18
consensus sur la nomination du chef d’Etat, celle-ci est dissoute et des élections
parlementaires anticipées sont organisées le 25 février 2001. Le PCRM gagne ces élections de
manière écrasante ; en obtenant 50 % des voix et 71 sur 101 mandats de députés, les
communistes jouissaient d’une majorité qui leur permettait d’élire le nouveau président et
d’amender la Constitution sans avoir besoin de recourir aux votes de l’opposition. Ainsi, la
Moldavie devient le premier pays de l’ancienne URSS où un parti se réclamant ouvertement
du communisme accède au pouvoir par des élections démocratiques.47
Comment pourrait-on expliquer ce succès électoral des communistes et la
marginalisation des forces pro-démocratiques et pro-européennes sur la scène politique
moldave ? Quels ont été les enjeux de la campagne électorale et quel a été le poids de la
thématique européenne dans les discours officiels des partis politiques – dans leurs
programmes, plateformes et messages électoraux ? Ce sont les questions auxquelles nous
essaierons de répondre dans les pages qui suivent.
2.1. Le Parti des Communistes de la République de Moldavie (PCRM)
Déclaré hors la loi en août 1991, le Parti Communiste revient officiellement sur la
scène politique moldave en avril 1994 comme le « successeur de droit de l’idéologie du Parti
Communiste de l’Union Soviétique et du Parti Communiste de la Moldavie. » 48 Suite aux
élections législatives de 1998, il obtient 30% des votes de l’électorat (40 mandats de député)
et fait partie de l’opposition parlementaire contre l’Alliance pour la Démocratie et Réformes à
l’éclatement de laquelle il prend part en novembre 1999.
Le parti, étiqueté souvent par ses opposants comme autoritaire, voire totalitaire, fait
partie selon Luke March 49 de la catégorie des partis « semi-loyaux » plutôt que ouvertement
anti-démocratiques, déloyaux ou antisystème. Outre les éléments démocratiques comme le
respect du constitutionnalisme, des procédures électorales et du principe de non-violence, un
parti semi-loyal fait preuve de pratiques et d’engagements ambigus (engagements publics
démocratiques versus pratiques clandestines, aspiration pour des objectifs non-démocratiques
à long terme qui mine les engagements à court terme). 50 Cette ambigüité et décalage entre
discours et pratiques mais aussi dans les discours même à long terme des communistes est le
prérogatives du président, voir Alla SKVORTOVA, Country Report Moldova, 2003, disponible en ligne
http://www.cap.uni-muenchen.de/download/2003/2003_Skvartova.pdf
47
Stela SUHAN, op.cit., p 111.
48
Déclaration faite lors de la première conférence du parti après la période d’illégalité, voir http://www.edemocracy.md/parties/pcrm/
49
Luke MARCH, “The Moldovan Communists: from Leninism to Democracy?”, Eurojournal.org, septembre
2005, http://eurojournal.org/more.php?id=192_0_1_6_M6
50
Idem, p 4.
19
« talon d’Achille » du PCRM et le cheval de bataille de l’opposition. Les premières nonconcordances et hésitations seront visibles par exemple entre l’idéologie et les principes
prônés – marxisme-léninisme, anticapitalisme, anti-occidentalisme - et la pratique du pouvoir
des communistes qui révèle le pragmatisme du parti.
Selon le programme des communistes de 2001, le PCRM, « le parti de la classe
ouvrière, des paysans et de l’intellectualité » se donne comme but « l’instauration du
socialisme dans la République, ayant comme objectif final l’édification du communisme » en
s’appuyant sur les idées marxistes-léninistes. Le capitalisme est accusé de tous les maux,
écologiques, démographiques, ethno-sociaux, d’avoir provoqué la stratification sociale et
l’exploitation de la main d’œuvre. Le programme souligne « la tendance des Etats
occidentaux d’assujettir l’économie moldave, de s’imposer sur notre marché, d’entrer en
possession des propriétés publiques, de nous obliger d’accepter des contrats inéquitables, de
nous accorder des crédits très contraignantes et humiliantes et d’accentuer ainsi la
dépendance de notre Etat face aux créditeurs externes ». Pour sortir de la crise économique
que la « dictature du capital » a provoquée en Moldavie, le PCRM plaide dans un premier
temps « pour liquider les conséquences des réformes, pour mettre fin à la privatisation illicite
de la propriété collective, la réanimation du potentiel économique et technico-scientifiques du
pays et pour le retour aux relations sociales précédentes ». Le secteur privé continuera à
exister « dans les domaines de la production, des produits de consommation en masse et des
services ». Dans l’étape suivante, le PCRM assurera « la participation directe de la classe
ouvrière au gouvernement de l’Etat ».
Le programme n’exprime pas de manière ouverte l’engagement démocratique du parti,
pourtant il y a un rejet du « dogmatisme, des erreurs théoriques et pratiques qui ont détourné
le processus de constitution d’une nouvelle société vers une direction non-démocratique et
inhumaine », un rejet du « totalitarisme », du « monopole idéologique » et du « culte de la
personnalité ». Le PCRM se déclare ainsi le parti qui utilise « les aspects positifs de
l’expérience du PCUS ».
En ce qui concerne les questions ethnoculturels, le PCRM soutient le moldovénisme 51
- une vision particulière sur la nation, plus avancée que la doctrine de Deux-Etats, qui
considère que les Roumains et les Moldaves sont deux peuples distincts parlant deux langues
différentes. Cette identité pro-moldave que les communistes se construisent leur permet
51
Une définition complète du « moldovénisme » dans Argentina GRIBINCEA, Moldovenism: the State
Ideology of the Republic of Moldova, December 06, 2006, http://politicom.moldova.org/news/moldovenism-thestate-ideology-of-the-republic-of-moldova-21091-eng.html
20
d’élargir considérablement leur bassin électoral au-delà des populations minoritaires
russophones. La doctrine de Deux Etats et ensuite le « moldovénisme » se sont révélés en
outre la clef d’un discours électoral gagnant après le référendum de 1994 quand la population
a voté presque en unanimité pour la consolidation d’un Etat moldave indépendant. Les
communistes l’ont compris et depuis 2001, ils se sont érigés dans les plus grands défenseurs
de cette vision particulière de la nation, s’attachant à bâtir une nation moldave sur les bases de
leurs prédécesseurs. Une des priorités exposée dans leur plateforme électorale de 2001 a été
par exemple « le renforcement de la souveraineté et de l’Etat moldave » et « l’entente
interethnique dans la société ». 52
Quant à l’Europe, le programme du PCRM de 2001 y fait référence une seule fois dans
la section « Les voies de sortie de la crise » de manière lapidaire : « Le PCRM va assurer la
participation active de la Moldavie dans le cadre des processus intégrationnistes de la CEI et
européen et dans le cadre des structures économiques internationales ». 53 En dépit de cette
manière lacunaire d’aborder l’orientation du pays sur la scène internationale, les positions du
PCRM sur ce sujet était suffisamment connues du grand public. Son orientation pro-est et son
aversion pour les réformes visant à instaurer une économie de marché n’en faisait pas un
partisan de l’agenda européen. 54 Il a été par exemple le seul parti parlementaire à refuser de
rejoindre une plateforme pour l’intégration européenne, créée en mai 2000, regroupant 20 des
29 partis moldaves. Les partis exprimaient à travers cette déclaration commune leur aspiration
à participer à l’élaboration d’une stratégie nationale d’intégration européenne vue par les
signataires comme « une chance historique pour la population de la République de Moldavie
pour promouvoir ses idéaux et ses intérêts fondamentaux, son identité et ses traditions dans
un contexte de large ouverture internationale ». 55 Un mois avant ce refus, le leader du
PCRM, Vladimir Voronine, avait déclaré que l’intégration dans l’Union Européenne était
« une idée délirante » et que le parti ne soutiendrait pas cette orientation. 56
52
Mari PEPPER, Returning to the Past?: The Political Implications of Communist Electoral Victory in Postsoviet Moldova”, p. 55, disponible en ligne à :
http://www.dtic.mil/cgibin/GetTRDoc?AD=ADA401640&Location=U2&doc=GetTRDoc.pdf
53
Le Programme du Parti des Communistes de la République de Moldavie de 2001, disponible à l’adresse
http://www.geocities.com/scinteia/partide-pcrm_program.htm
54
Wim VAN MEURS, La Moldavie ante portas : les agendas européens de gestion des conflits et l’initiative «
Europe élargie », Revue internationale et stratégique 2004/2, n° 54, p. 147.
55
Vasile ANDRIES, Dimensiuni politice ale procesului de integrare europeană - cazul Republicii Moldova,
thèse de doctorat en sciences politiques, Chisinau, 2009, en ligne à http://www.cnaa.md/thesis/13852/
56
Mari PEPPER, Returning to the Past?: The Political Implications of Communist Electoral Victory in Postsoviet Moldova”, p. 48, disponible en ligne à :
http://www.dtic.mil/cgibin/GetTRDoc?AD=ADA401640&Location=U2&doc=GetTRDoc.pdf
21
En outre, les communistes promettent pendant la campagne électorale le renforcement
des relations de la Moldavie avec les pays de la CEI et propagent l’idée de deux langues
officielles (le moldave et le russe) et de l’intégration de la République de Moldavie dans
l’alliance « Russie – Biélorussie » (sans avoir l’accord des membres de l’Union). 57 Une
orientation pro-est qui attirait par conséquent les votes de son électorat de base, les minorités
russophones 58 et qui donnait aux communistes des espoirs quant à l’amélioration des relations
avec la Transnistrie et l’obtention d’un régime préférentiel de commerce avec la Russie. 59
Le slogan du PCRM – « Les communistes au pouvoir – Ordre dans le pays, bien être
dans les ménages » et les objectifs de sa plateforme électorale touchaient en échange aux
questions perçues comme prioritaires par une très grande partie des Moldaves - la corruption
et la pauvreté – et élargissait ainsi la base de son électorat au-delà des minorités russophones.
Les communistes se proposaient par exemple d’améliorer les conditions de vie de la
population, d’augmenter les salaires et les pensions de retraite, de réinstaurer le système
d’assurances médicales soviétique et de mettre en place le contrôle des prix pour les produits
de première nécessité. 60
Face à ce discours des communistes, les partis libéraux, chrétiens-démocrates et
sociale-démocrates ont essayé de gagner les voix de l’électorat avec des promesses de
renaissance nationale, de réformes et d’intégration européenne. 61 Seulement deux formations
ont réussi pourtant à dépasser le seuil électoral de 6% : le Parti Populaire Chrétien Démocrate,
parti nationaliste de droite, avec 8,2 des voix (11 mandats) et le bloc électoral « l’Alliance
Brăghiş », alliance de centre-gauche, avec 13.36% voix (19 mandats). 62
2.2. Le Parti Populaire Chrétien Démocrate (PPCD)
Le PPCD, parti unioniste, est le successeur du Mouvement Démocratique de Moldavie
(1988–1989), du Front Populaire de Moldavie (1989–1992) et du Front Populaire Chrétien
Démocrate (1992–1999). Dans son programme de 1999 63 , le parti prône les valeurs
57
Stela SUHAN, « Le parti des Communistes de la République de Moldavie. Mémoire communiste du
communisme et identité politique (2000-2004) » dans Jean-Michel DE WAELE, Catalina ZGUREANUGURAGATA (coordonné par), «La Moldavie entre deux mondes» (dossier), Transitions, vol. 45, n° 2, 2006, p.
114 et Alla SKVORTOVA, Country Report Moldova, 2003, p. 3.
58
Selon le Baromètre d’opinion publique de 2000 et 2001, le PCRM est soutenu par 58% des Russes, 63% des
Ukrainiens, 80% des Bulgares et seulement par 27% des Moldaves/ Roumains, dans Stela SUHAN, op. cit., p. 3.
59
Alla SKVORTOVA, op. cit., p. 3.
60
Mari PEPPER, op. cit., p 55.
61
Stefan GORDA, Partidele politice şi integrarea europeană, 7 juillet 2003.
62
http://www.parties.e-democracy.md/electionresults/2001parliamentary/
63
Disponible en ligne à http://www.e-democracy.md/parties/ppcd/
22
« démocratiques », « chrétiennes » – « la famille », « la solidarité », « la justice » – et
« nationales », la « propriété privée » et la « concurrence » sur le marché.
Le programme inclut une section sur « l’intégration européenne » où le PPCD soutient
que « l’autarchie et l’isolation sont anachroniques et contre-productives » et se donne comme
« objectif majeur stratégique » l’adhésion de la Moldavie à l’UE « dans un futur prévisible ».
Entre temps, les relations entre les deux entités doivent se développer dans le cadre de l’APC
signé en 1994. Les chrétiens-démocrates souhaitent renforcer la coopération régionale et
transfrontalière avec la Roumanie et l’Ukraine et, en ce qui concerne la sécurité militaire du
pays, dénoncent le principe de neutralité permanente fixé par la Constitution et déclarent
l’intégration dans l’OTAN « la seule solution viable pour la défense de l’indépendance, de la
souveraineté et l’intégrité de l’Etat ».
La lutte contre la corruption, la délinquance et la pauvreté, la création des conditions
pour le développement économique, le soutien des agriculteurs et de la classe moyenne et
l’intégration dans les structures européennes ont été les principaux objectifs déclarés dans la
plateforme électorale du parti. Pour les atteindre, le PPCD plaidait pour « une promotion
rapide, conséquente et cohérente de réformes ». 64
2.3. Le Bloc Electoral « l’Alliance Brăghiş »
S’appuyant sur la notoriété politique de Dumitru Brăghiş, premier-ministre entre
décembre 1999 et avril 2001, cette coalition de centre-gauche regroupait six formations
politiques – le Mouvement social-politique « La Nouvelle Force », le Mouvement des
Professionnels « l’Espoir », le Parti Socialiste de Moldavie, l’Union du Travail, l’Union
Centriste de Moldavie et le Parti de la Démocratie Sociale « la Fourmi ». 65
La plateforme électorale de l’Alliance Brăghiş, s’adressant aux électeurs moldaves et
aux russophones en égale mesure, présentait des similitudes frappantes avec celle des
communistes surtout en ce qui concerne l’entente interethnique, le renforcement de l’Etat
moldave, le règlement de la question transnistrienne, l’éradication de la criminalité et de la
pauvreté. Un de leur slogan reprenait par exemple la formule du PCRM « ordre dans le
pays ». 66 L’Alliance ne soutenait pas en échange l’idée de la deuxième langue de l'Etat,
64
Mari PEPPER, op.cit., p. 54.
http://www.parties.e-democracy.md/electoralblocs/2001/
66
Jorun LUNESTAD, Moldova: Parliamentary Elections 2001, working paper,
http://www.humanrights.uio.no/forskning/publikasjoner/wp/wp_2001_05.html#Heading26
65
Mai
2005,
23
comme le faisait le PCRM et les formations politiques de gauche pro-russes Edinstvo 67 et
Ravnopravie 68 . Il évitait aussi de prendre une position claire par rapport à la nomination de la
langue maternelle – « Roumain » ou « Moldave ». En termes économiques, l’Alliance
soutenait l’économie de marché mais « orientée socialement », l’intervention de l’Etat étant
toujours un facteur important. La plupart de ces objectifs devraient être réalisés par de
nouvelles lois, règlements et programmes d'Etat. 69
En ce qui concerne l’intégration européenne, celle-ci ne constituait pas une question de
fond pour une alliance très hétérogène comme en était « L’Alliance Brăghiş » qui comptait
dans ses rangs des leaders plutôt pro-européens et en même temps des personnalités de la
gauche pro-russe. Le penchant vers l’Est est pourtant exprimé ouvertement dans une
déclaration de 2000 du premier-ministre Dumitru Brăghiş, leader de l’alliance : « On ne peut
pas déclarer aujourd’hui que nous sommes européens ou que nous voulons être dans l’Union
Européenne et à la fois nous ne pouvons pas déclarer que nous sommes prêts de rompre
toutes nos relations avec la CEI » 70
2.4 Le Parti Démocratique de Moldavie (PDM)
Parti de l’ancien premier ministre Ion Sturza, il a été créé en 1997 sous l’appellation
de Mouvement Politique « Pour une Moldavie Démocratique et prospère » à l’initiative du
« bloc pro Luchinschi ». Il change de nom en 2000 en Parti Démocratique de la Moldavie. 71
Dans le programme politique adopté lors de leur deuxième Congrès d’avril 2000, les
démocrates se proposent « d’implémenter les valeurs européennes de la démocratie » et
« l’économie de marché basée sur la propriété privée ». 72 Le conflit transnistrien devrait être
résolu par « une implication plus active des organisations internationales : l’ONU, l’OSCE,
le Conseil de l’Europe, l’Union Européenne etc. ».
67
Le Bloc Electoral « Edinstvo » (Unité) comprenait le Parti Républicain de Moldavie, le Parti des Socialistes de
République de Moldavie et le Parti des Forces Progressistes de Moldavie. Aux élections de 2001, il obtient
0.46% des voix, pour les détails voir http://www.parties.e-democracy.md/electoralblocs/2001/
68
Le Mouvement politique « Ravnopravie » (Egalité) a été créé en 1998. Aux élections de 2001, il obtient 0.44%
des voix de l’électorat. Dans son programme, il soutient l’introduction du russe dans le système national
d’enseignement et « le renforcement et l’approfondissement des relations économiques et culturelles avec les
membres de la CEI, primordialement avec la Russie, l’Ukraine et le Belarus », voir http://www.parties.edemocracy.md/en/parties/msprr/program/
69
Jorun LUNESTAD, op. cit.
70
Dumitru Brăghiş: "Nu putem declara ca vrem sa fim cu Uniunea Europeana", Azi, 30 novembre 2000, article
disponible à http://old.azi.md/news?ID=9989
71
http://www.e-democracy.md/parties/pdm/
72
Le programme du PDM de 2000 est disponible à l’adresse http://www.e-democracy.md/files/parties/pdmprogram-2000-ro.pdf
24
La plateforme du PDM se focalise sur les problèmes économiques, en promettant la
création d’un environnement d’affaires favorable, le respect du droit à la propriété, la réforme
du système bancaire, une intervention minimale de l’Etat dans l’économie. En ce qui concerne
l’Europe, le PDM se donne comme but l’intégration de la Moldavie dans l’Union Européenne
à long terme. 73 Avec 5,02% il n’arrive pas pourtant à franchir le seuil électoral et à participer
à la constitution du Parlement moldave.
2.5 Le pôle des partis libéraux et chrétien-démocrates
A droite et au centre-droite de l’échiquier politique moldave, plusieurs partis
politiques entrent en lice aux élections de 2001 : le Parti de la Renaissance et de la
Conciliation, le Parti National Libéral, le Mouvement sociopolitique « Pour l’Ordre et pour la
Justice » et le Parti National Paysan Chrétien-Démocrate. Ensemble ils réussissent à cumuler
12% des voix exprimés mais aucune des formations n’arrivent pas à obtenir à elle seule les
6% nécessaire pour faire partie du législatif. Une année après les élections, ils décident de
fusionner sous le nom de « Parti Libéral » pour « contrecarrer l’offensive communiste contre
l’Etat de droit et les principes de l’économie de marché ». 74
Dans leur déclaration de constitution de 2002 75 , les libéraux expriment clairement leur
vision de la Moldavie comme « partie intégrante de l’espace culturel européen » et leur
souhait naturel de rejoindre l’Union Européenne et l’OTAN. Pour atteindre ce but, la
modernisation du pays « selon les valeurs et modèles ouest-européenne » est vue comme
obligatoire. En outre, les problèmes interethniques et la question de Transnistrie ne pourront
être résolus que « dans le cadre d’une Europe unifiée, selon le modèle de l’UE et suite à une
globalisation accélérée de l’économie ».
En termes économiques, les libéraux prônent l’esprit d’entrepreneuriat, la concurrence
et la non-ingérence de l’Etat dans l’activité des agents économiques, des principes qui seront à
la base d’une économie « stable, dynamique et performante ».
3. Le retour des « survivants » 76
Vu les acteurs en lice pour le scrutin du 25 février 2001, comment pourrait-on
expliquer le retour au pouvoir, par des élections libres, d’un parti considéré comme « un des
plus arriéré et certainement le plus rouge des partis au pouvoir de tout l’espace
73
Jorun LUNESTAD, op.cit.
http://www.e-democracy.md/parties/pl-2003/
75
Ibid.
76
L’expression est utilisée par Guy Hermet dans sa réflexion sur le rôle des “partis survivants” (ex-, neo- et postcommunistes) en Europe centrale et orientale, dans Stela SUHAN, op. cit, p. 126.
74
25
postsoviétique » ? 77 Quel a été le contexte qui a rendu possible la victoire communiste devant
« l’aile droite » des partis militant pour les réformes, la modernisation du pays et l’intégration
dans l’Union Européenne ? Quels ont été les thèmes majeurs de campagne et qu’est qui a
transformé le discours des communistes dans un discours gagnant? Finalement, peut-on parler
d’un enjeu européen aux élections de 2001, dans le sens de priorité et objet de débat pour les
acteurs politiques impliqués ? 78
3.1 Facteurs économiques et politiques
Une première explication du succès électoral des communistes réside dans la
paupérisation et la polarisation de la société moldave, dont la conséquence est l’absence d’une
classe moyenne qui pourrait soutenir les réformes démocratiques 79 . Selon le Département
d’analyses statistiques, 90% de la population vivait avec moins d’un dollar par jour, la plus
touchée des catégories étant les retraités, la base électorale des communistes, qui se situait
sous le seuil de la pauvreté. 80
Les effets de la crise financière russe de 1998 s’ajoutent à une décennie de transition
difficile et se reflètent d’une part dans la diminution drastique du PIB (en 1999, il représente
un tiers de celui de 1990) 81 et de l’autre, dans une vague migratoire de la main d’œuvre 82 .
Les Moldaves qui aurait pu constituer la classe moyenne travaillaient en Europe de façon non
déclarée et ne pouvaient pas se présenter au vote dans les sections des ambassades de la
Moldavie.
En ce qui concerne les explications de nature politique, la fragmentation excessive de
la scène politique moldave, surtout des partis de droite et de centre-droit, a constitué un
élément de faiblesse de ces courants politiques. Comme on a vu précédemment, les partis
libéraux décident de fusionner seulement après leur défaite de 2001 pour contrecarrer le
pouvoir monolithique du Parti des Communistes. Entrant en compétition séparément, aucune
des quatre formations du futur Parti Libéral ne réussit à franchir le seuil électoral élevé de 6%.
Seulement trois formations politiques sur les dix-sept qui se sont présentés au scrutin de
février (sans compter les 9 candidats indépendants) arrivent à avoir une représentation
77
Luke MARCH, op. cit., p. 2
Pour une clarification du concept d’enjeu, voir Mathieu BRUGIDOU, L’élection présidentielle : discours et
enjeux politiques. Une analyse comparée, Paris, l’Harmattan, « Logiques politiques », 1995.
79
Stela SUHAN, op. cit., p. 113.
80
Florent PARMENTIER, La Moldavie à la croisée des chemins, Universitoo, 2003, p.46.
81
Ibid.
82
Il n’y a pas de chiffres exacts quant au nombre de Moldaves qui travaillent à l’étranger. Selon les estimations
des spécialistes moldaves, il s’agirait d’environ 500.000 migrants en 2000, soit 20% de la population. Voir Stela
SUHAN, op.cit., p. 127.
78
26
parlementaire ; 28% de l’électorat moldave n’est pas par conséquent représenté dans le
législatif. 83
De plus, en Moldavie postindépendance, le communisme en tant que régime et
idéologie n’a pas été suffisamment mis en discussion. Faute des politiques de
décommunisation, il y a eu de la place pour des interprétations ambiguës, ambivalentes, voire
positives comme dans le cas du PCRM, à l’égard du passé soviétique du pays. 84
Aux facteurs économiques et politiques décrits ci-dessus s’ajoute aussi la déception de
la population envers les résultats de la transition démocratique et la méfiance envers la classe
politique, surtout envers les forces de droite, perçues comme corrompues et incapables de
gérer la crise économique. 85
3.2 Enjeux et messages électoraux – quelle place pour l’Europe et l’UE ?
Vu la situation économique désastreuse du pays, les thèmes de campagne électorale de
2001 ont été liés principalement à l’amélioration des conditions de vie de la population 86 . La
lutte contre la pauvreté et l’éradication de la corruption deviennent ainsi, à côté du règlement
de la question transnistrienne, les objectifs déclarés de tout parti politique. Ce qui diffère,
c’est la manière dont les acteurs voient les solutions de sortie de la crise et leur crédibilité
devant l’électorat.
En ce qui concerne le premier point, on pourrait dire que les communistes se
proposent de bâtir l’avenir sur les bases du passé, selon le modèle soviétique : la
nationalisation, le contrôle des prix et de l’économie par l’Etat, un système de sécurités
sociales plus englobant, l’enseignement gratuit. Les partis pro-démocratiques prônent en
échange, le regard dirigé vers l’avenir, la poursuite des réformes, les principes de marché
libre, de concurrence et de non-ingérence de l’Etat dans l’économie, la création d’un milieu
d’affaires favorable etc. Deux programmes antinomiques sont présentés ainsi à l’électorat
moldave, deux programmes qui reflètent la manière dont le passé soviétique et le passé récent
de la Moldavie sont proies aux interprétations partisanes. La campagne électorale est en effet
« un moment privilégié de construction de la réalité politique », lors de laquelle les
83
Florent PARMENTIER, op. cit., p.46.
La Moldavie n’est pas un cas isolé ; la majorité des pays de l’ancienne URSS, voire les PECO, ont eu du mal à
implémenter des politiques de décommunisation et le rapport au passé est encore proie aux interprétations
partisanes. Voir par exemple Jon ELSTER, Closing the Books: Transitional Justice in Historical Perspective,
Cambridge, Cambridge University Press, 2004.
85
Stela SUHAN, op.cit., p. 114.
86
Selon le Baromètre de l’opinion publique de janvier 2001, « l’agenda de la population est dominé par des
thèmes liés à la situation économique, à l’amélioration du niveau de vie, au respect de la loi et la lutte contre la
corruption”, voir http://www.ipp.md/barometru1.php?id=12&l=ro
84
27
prétendants au pouvoir se livrent à une lutte symbolique et cherchent à imposer leur vision sur
le passé, le présent et l’avenir. 87 Alors que pour les partis démocratiques, la période
soviétique est une expérience malheureuse et les années postindépendance synonymes de
liberté et démocratie, la représentation communiste de l’histoire moldave se situe au pôle
opposé. Le PCRM idéalise les « bons temps d’avant », quand « tout citoyen avait un poste de
travail. Chacun touchait son salaire et sa retraite assurant une situation matérielle digne
[…]. L’enseignement et l’assistance médicale gratuits, le repos aux frais de l’Etat – tous ces
droits et garanties sociales constituaient les résultats des performances dans l’économie, la
science, les domaines socioculturels et spirituels réalisés dans l’URSS ». 88 Ce passé
« heureux et stable » assuré par un Etat paternaliste est mis en opposition avec la situation
économique désastreuse des années de transition et l’instabilité politique et l’incertitude qui
les a dominées.
Les coupables de tous les maux de la transition moldave sont, dans la vision du
PCRM, « ces démocrates de toutes les couleurs, unis par le désir farouche de s’enrichir » qui
« ont pillé le pays et l’ont séparé dans des territoires hostiles » 89 et qui ont endetté le pays
« par les chants sur ‘les réformes et la démocratie’ ». 90
Le discours du PCRM fait ainsi appel à la nostalgie ressentie par une large partie de la
population – selon une enquête de 2000, 71% des Moldaves évaluent positivement le système
économique soviétique 91 - et essaie de décrédibiliser les forces démocrates en les accusant de
tous les problèmes socio-économiques, voire territoriaux des années postindépendance.
En termes de crédibilité aux yeux des électeurs, plusieurs aspects sont à prendre en
compte. D’un côté, les tentatives du PCRM de se construire une image de « sauveur », de
seule alternative viable capable « de mettre fin au pillage du peuple » semblent réussir. Le
PCRM profite de son statut d’outsider – pendant une décennie les communistes sont soit
interdits comme parti, soit en opposition – pour jouer la carte de son intégrité face à l’élite
politique démocratique. Le Baromètre de l’Opinion Publique de janvier 2001 montre qu’en ce
qui concerne la sortie de la crise, le PCRM reçoit le plus de crédit de la part des interviewés –
87
Jacques GERSTLE, La communication politique, Armand Colin, 2004, p. 138. Voir aussi la définition
bourdieusienne du « champ politique » comme « jeu dont l’enjeu est l’imposition légitime des principes de
vision et de division du monde », dans Pierre BOURDIEU, Propos sur le champ politique, Presses Universitaires
de Lyon, 2000, p. 67.
88
Discours de Vladimir Voronine lors de la réunion du parti, le 9 mai 2000, Comunistul, n° 17 (185), 5 mai
2000, dans Stela SUHAN, op, cit., p. 116.
89
Ibid.
90
Discours de Vladimir Voronine, séance du Parlement du 16 mars 2000, Comunistul, n° 11 (179), 24 mars
2000, dans Stela SUHAN, op, cit., p. 115.
91
Enquête menée dans la période du 12 au 19 février 2000 par le Centre for the Study of Public Policy,
University of Strathclyde, dans Stela SUHAN, op. cit., p. 113.
28
23,1 % ont confiance dans la capacité des communistes de résoudre les problèmes socioéconomiques du pays ; 31,7% pensent qu’aucun parti ne peut contribuer à la sortie de la crise,
alors que 14,5% ont exprimé leur confiance dans d’autres partis politiques, comme le Parti
National Libéral, le Parti Démocratique, le Parti Populaire Chrétien-Démocrate, le Parti de la
Renaissance et Conciliation et le bloc « l’Alliance Brăghiş ». 92 Le PCRM est ainsi considéré
le plus compétent de tous les partis politiques pour se confronter et apporter des solutions au
problème majeur du pays : la crise économique. Cette crédibilité sectorielle93 des
communistes à laquelle s’ajoute la saillance de l’enjeu économique aux yeux de l’électorat
moldave constituent les facteurs explicatifs majeurs du succès du PCRM. En effet, selon le
même Baromètre de janvier 2001, les Moldaves étaient préoccupés par la pauvreté, l’avenir
des enfants et le chômage et deux tiers de la population pensaient que la pauvreté était due au
manque de soutien de la part de l’Etat 94 . Les promesses électorales du PCRM de doubler les
salaires, d’assurer la vieillesse des personnes âgées et l’avenir des enfants, de réinstaurer
l’Etat paternaliste étaient simples, claires et en harmonie avec les attentes de la population
appauvrie. En échange, les autres partis politiques « se disputaient sur des questions plus
ésotériques comme l’élargissement de l’Union Européenne ». 95 Les sondages montraient
pourtant que l’UE était le premier choix pour 51% des répondants en matière « d’intégration
internationale de la Moldavie », suivie par la CEI avec 43% 96 - un changement d’orientation
léger mais constant depuis 1998 quand le rapport de forces étaient inversé et 52% de la
population optait pour un renforcement des relations avec la Communauté des Etats
Indépendants. 97 En dépit de cet intérêt croissant pour la « voie européenne », le résultat des
élections de 2001 ont montré que l’UE n’était pas une priorité pour une population confrontée
à des questions de survie. Le discours antioccidental des communistes n’a pas empêché 50%
de la population de leur accorder le vote – le leader du PCRM, Vladimir Voronine, reconnaît
92
http://www.ipp.md/
Selon la théorie de l’« issue ownership », les électeurs identifient le parti politique qu'ils sentent le plus
compétent ou le plus crédible sur un certain sujet et votent pour ce parti parce qu’il en possède une bonne
réputation. Le concept a été enrichi par l’idée de saillance de l’enjeu (issue salience). Selon Eric Bélanger et
Bonnie Meguid, « l’issue ownership devrait influencer seulement la décision de ces électeurs qui pensent que le
thème en question est important », voir Éric BELANGER & Bonnie M. MEGUID, « Issue Salience, Issue
Ownership and Issue-Based Vote Choice: Evidence from Canada », Paper presented at the American Political
Science Association annual meeting, Chicago, septembre 2004,
disponible en ligne à :
http://www.allacademic.com/meta/p_mla_apa_research_citation/0/6/0/7/5/p60752_index.html
94
http://www.ipp.md/public/barometru/13/ro/GAlla.pdf
95
Luke MARCH, op. cit., p. 13.
96
http://www.ipp.md/barometru1.php?l=ro&id=12
97
http://www.ipp.md/public/barometru/13/ro/GAlla.pdf
93
29
dans l’immédiat des élections qu’il s’agissait plus d’un vote de protestation de la population
privée de choix viables que d’un vote du programme du PCRM. 98
A la place mineure qu’occupe l’UE sur l’agenda des Moldaves, d’autres facteurs
contribuent à rendre la thématique européenne secondaire aux élections de 2001. Les partis
politiques, malgré leur déclaration commune de mai 2000 sur l’intégration européenne,
n’arrivent pas à avoir une vision claire et détaillée des pas à suivre pour atteindre leur objectif.
Dans leurs programmes et plateformes électorales, que nous avons brièvement
présentés, la place accordée à l’Union Européenne, d’habitude dans la section de politique
extérieure, va d’un syntagme (pour le PDM il s’agissait d’implémenter les « valeurs
européennes ») jusqu’à deux, trois paragraphes (comme pour le PPCD). Les partis politiques
prennent position par rapport à « l’enjeu européen » de manière déclarative et laconique ;
aucune des formations ne présentent les mesures et réformes à entreprendre et ce que
l’intégration européenne signifierait sur le plan interne. L’option européenne est toujours
perçue comme avant 2000 sur le plan de la politique extérieure, comme un choix
géostratégique au détriment de la CEI ou de la Russie, qui tient de la compétence de la
diplomatie moldave 99 . Il n’y a pas une « vulgarisation » de l’Union Européenne au niveau de
la population et les partis politiques n’arrivent pas à déclencher un débat public à ce sujet.
Selon Florent Parmentier, « la question européenne semble donc prématurée du fait même du
manque de réformes, d’informations et de la crise économique ». 100 En outre, le support
électoral que les partis reçoivent n’est pas relié à leur positionnement envers l’Europe ; selon
Alla Skvortova, pour les Moldaves l’absence ou l’existence des messages pro-européens dans
les plateformes des partis ne compte pas dans leurs choix électoraux. 101
Ainsi, nous pouvons constater que la rhétorique pro-européenne des partis
démocratiques ne trouve pas l’écho nécessaire au sein d’une population moldave appauvrie
dont les principaux soucis étaient d’ordre socio-économique. Les partis n’arrivent pas à faire
de l’intégration dans l’Union Européenne un sujet d’importance capitale aux yeux de la
population et la bataille électorale, menée sur le terrain des interprétations du passé, de lutte
contre la pauvreté et de corruption, donne gain de cause aux communistes.
98
« Voronin Reelected Moldovan Communist Leader », RFE/RL Newsline, Part II, 23 April 2001, dans Luke
MARCH, op. cit., p. 12
99
Selon Igor Klipii, « L'idée d'intégration européenne représente toujours un processus technique et non pas
politique et n’arrive pas à déterminer l'idéologie (la rhétorique publique, les avis de partis politiques) et des
actions (l'amendement de la législation, de normes, la réforme institutionnelle », dans Alla SKVORTOVA,
op.cit., p. 7
100
Florent PARMENTIER, op. cit., p. 133.
101
Alla SKVORTOVA, op.cit., p. 7.
30
4. Les communistes au pouvoir – le double langage
De mars 2001 jusqu’aux élections de février 2005, le discours et les politiques mises
en place par les communistes, tant sur le plan interne qu’externe, ont fait la preuve de
l’inconstance et des contradictions au sein du PCRM. Selon Luke March, on peut identifier
trois périodes dans le premier mandat des communistes : « une période de ré-soviétisation
jusqu’au milieu des années 2002, des politiques confuses jusqu’à la fin de 2003 et une
direction pro-européenne plus évidente, mais toujours inconstante, après 2003 ». 102
Le PCRM commence sa politique de consolidation du pouvoir en s’efforçant de
contrôler les médias, notamment l’audiovisuel 103 et la sphère judiciaire par la nomination des
juges et la limitation des pouvoirs de la Cour Constitutionnelle.104 Dans le domaine
économique, après avoir déclaré en avril 2001 que l’Organisation Mondiale du Commerce
(OMC) et le Fond Monétaire International (FMI) sont « des instruments de l’impérialisme
américain », Vladimir Voronine accepte, un mois après, l’adhésion de la Moldavie à
l’OMC. 105 Le discours sur la privatisation du secteur viticole et du tabac est accompagné par
des nationalisations sporadiques (la compagne pharmaceutique Farmaco en 2002, l’hôtel
belge Dacia en 2003) et par des intimidations des investisseurs étrangers comme le groupe
espagnol d’électricité Union Fenosa. 106 Vladimir Voronine affirmait, dans une interview
accordée au printemps 2003, que « le communisme et l’économie de marché ne sont pas
incompatibles ». 107
L’intention du PCRM de mettre en pratique sa promesse électorale - faire du russe la
deuxième langue de l’Etat – et l’idée de remplacer l’Histoire des Roumains avec l’Histoire de
la Moldavie comme discipline d’enseignement ont déclenché les plus longues et fortes
mobilisations de rue depuis l’indépendance de la Moldavie. 108 De janvier à avril 2002, à peu
près 100.000 personnes ont protesté dans la place centrale de Chişinău en exigeant la
démission du gouvernement et de Vladimir Voronine. Les communistes ont réagi en
suspendant le Parti Populaire Chrétien-Démocrate, le principal instigateur des protestations,
102
Luke MARCH, op.cit., p.14.
Pour des détails sur l’intimidation des journalistes, l’interdiction de la chaîne publique roumaine TVR1 et
d’autres actions illégales, voir Agnès BON, « Moldavie 2003. A reculons vers le fédéralisme », Le Courrier des
Pays de l’Est 2004/1, n° 1041, p. 78-79.
104
Luke MARCH, op. cit., p.16.
105
Stela SUHAN, op.cit., p. 120.
106
Stefan GORDA, op.cit., voir aussi Luke MARCH, op.cit, p. 16.
107
Entretien avec Vladimir Voronine conduit par Mihnea BERINDEI et Arrielle THÉDRE, Politique
Internationale, n° 99, printemps 2003, Paris, pp. 339-341, dans Stela SUHAN, op. cit., p. 121.
108
Pour des détails, voir George DAMIAN, « Voronin – anti-romanul », Ziua, 7 mars 2005, édition électronique
http://www.ziua.ro/display.php?data=2005-03-07&id=171084&kword=anti-romanul
103
31
connu pour ses positions pro-roumaines et pro-européennes. 109 Les communistes renoncent
aux deux mesures et révoquent la suspension du PPCD uniquement après l’intervention de
l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe. 110
Les positions ambigües et antinomiques du gouvernement communiste et de Vladimir
Voronine se sont fortement manifestées dans la politique extérieure de la Moldavie, dans ses
relations avec ses voisins, notamment avec la Roumanie, et avec les structures
supranationales. Le PCRM gagne le scrutin de 2001 avec un discours antioccidental,
anticapitaliste et pro-russe - le soutien accordé par Vladimir Poutine dans la campagne
électorale était connu, et avec des promesses d’intégrer le pays dans l’Union RussieBiélorussie et de renforcer les relations avec les membres de la CEI. Par la voix de son leader,
le PCRM exprime à plusieurs reprises ses orientations anti-européennes et refuse de prendre
part au consensus de mai 2000 sur l’intégration dans l’UE. En avril 2001, Voronine menace
de transformer la Moldavie dans « le Cuba de l’Europe » s’il y avait des actions de miner le
gouvernement communiste. 111 Des signes de rapprochement de Russie sont faits lors de la
première visite de Voronine à Moscou en qualité de chef d’Etat et après lors de la signature,
en novembre 2001, de l’Accord d’Amitié et de Coopération entre la Moldavie et la Russie.
Pourtant, le projet d’adhésion à l’Union Russie-Biélorussie est assez rapidement
abandonné, selon Voronine, à cause « de la réaction des Russes et des Biélorusses et compte
tenu des différends qui existent entre eux » 112 mais aussi parce que le président moldave n’y
voyait pas d’avantages. 113 A partir de 2001 même, le PCRM et son leader commencent à
adopter une rhétorique pro-européenne en parallèle avec l’idée de renforcement de la
coopération avec la CEI ou la Russie. En octobre 2002, le ministre des Affaires Etrangères de
la Moldavie, Nicolae Dudău, explicite cette position et soutient que « les autorités de
Chişinău sont prêtes à se diriger simultanément vers deux directions opposées : vers l’Europe
et vers la CEI, c’est-à-dire vers la Russie ». 114 Le ministre considère que ces deux buts de la
Moldavie ne sont pas contradictoires parce que les relations avec la CEI sont opportunes pour
le pays et « nous offrent maintenant des possibilités que les structures européennes ne
109
Voronine accuse la Roumanie d’être le « sponsor idéologique » des manifestations de la capitale moldave.
George DAMIAN, op.cit.
110
« L’année électorale 2003», le 9 janvier 2003, http://www.e-democracy.md/comments/political/20030109/
111
Luke MARCH, op.cit., p. 17.
112
Entretien avec Vladimir Voronine, président de la République de Moldavie, conduit par Mihnea BERINDEI
et Arrielle THÉDREL, Politique Internationale, n°99, printemps 2003, Paris, p. 343, dans Stela SUHAN, op.cit.,
p. 120.
113
Dans une interview accordée au journal ukrainien Facty, Voronine avait déclaré à l’égard de l’Union que « il
y a plus de mots que de vrais accords », dans Alla SKVORTOVA, op. cit., p. 3.
114
Dans George DAMIAN, op.cit.
32
pourraient pas nous offrir ». 115 En même temps, Dudău ne rejette pas « la Communauté
Européenne » alors même que l’intégration dans ses structures est « une priorité de la
politique extérieure de la Moldavie ». 116
Un mois après les allégations du ministre des Affaires Etrangères, le 13 novembre
2002, Vladimir Voronine émet le Décret concernant la mise en place de la Commission
nationale pour l’Intégration Européenne qui avait comme principale mission l’élaboration et
la présentation devant le Parlement de la Stratégie d’Intégration Européenne de la République
de Moldavie. 117 Le 27 mai 2003, deux mois après le lancement de la nouvelle politique de
voisinage de l’UE, Voronine annonce que l’objectif de l’adhésion à l’Union Européenne est
devenue pour la République de Moldavie « prioritaire, tant sur le plan interne qu’externe et
l’intégration graduelle dans les structures européenne est devenue une politique d’Etat, qui
sera implémentée progressivement dans tous les domaines d’activité et à tous les
niveaux ». 118
Le 8 août 2003, un Département de l’Intégration Européenne est créé auprès du Ministère des
Affaires Extérieures et à partir de janvier 2004, la Moldavie commence les consultations avec
la Commission Européenne visant l’élaboration d’un Plan d’Actions RM-UE. 119
Pour le PCRM et surtout pour son leader et chef d’Etat de la Moldavie, l’intégration
du pays dans l’Union Européenne se transforme au fur et à mesure d’une « idée délirante »
dans une priorité de la politique intérieure et extérieure du pays. Cette conversion du PCRM à
l’idée européenne est une expérience singulière et les facteurs qui l’ont déterminée méritent
une analyse détaillée. Ce que nous ne proposons de faire dans la section suivante est
justement de mettre en discussion le contexte qui a influencé le changement de direction du
PCRM et d’analyser à la fois le discours de légitimation de cette nouvelle orientation des
communistes.
5. L’heure du pragmatisme – la volte-face du PCRM
De nombreuses suppositions et hypothèses ont été émises pour expliquer le
changement d’orientation pro-ouest qui venait visiblement à l’encontre des principes
idéologiques et programmatiques du PCRM. Un an après la mise en place de la Commission
115
Interview de Nicolae Dudău dans la publication moscovite « Vremea Novostei », dans George DAMIAN,
op.cit.
116
Ibid.
117
Fiche rétrospective des relations UE- Moldavie disponible sur le site du Ministère des Affaires Extérieurs,
http://www.mfa.gov.md/img/docs/fisa_retrospectiva_ro.pdf
118
Dans George DAMIAN, op.cit.
119
http://www.mfa.gov.md/img/docs/fisa_retrospectiva_ro.pdf
33
pour l’Intégration Européenne, le directeur de l’Institut de Politiques Publiques de Moldavie,
Arcadie Barbarosie, déclarait, à l’égard de cette « européanisation » du PCRM, que le parti
« a analysé attentivement les nécessités sociales, a compris les tendances géostratégiques de
cette partie de l’Europe et a été flexible, en ajustant ses plans ». 120 Stefan Gorda avançait en
juillet 2003 trois hypothèses pour expliquer la rhétorique pro-européenne du PCRM : « il peut
s’agir d’une manœuvre temporaire dictée par la conjoncture, d’une possible modification du
programme politique des communistes par l’abolition de l’idéologie ou d’une prépondérance
du pragmatisme politique, du Realpolitik ». 121
Selon nous, il s’agit d’une série de contraintes et facteurs interconnectés, externes et
internes, qui ont pesé sur les décisions du PCRM une fois arrivé au pouvoir et qui ont
déterminé l’adoption d’une rhétorique pro-européenne.
5.1 Le contexte international – entre la Russie et l’Union Européenne
Après la victoire communiste de 2001, Vladimir Voronine espérait négocier avec
Moscou un régime économique préférentiel pour la Moldavie. Ses premières actions en tant
que chef d’Etat ont montré cette volonté de renforcer le « partenariat stratégique » avec la
Russie. La réaction de Vladimir Poutine n’a été pourtant à la hauteur des attentes du PCRM ni
dans le domaine de la coopération économique 122 ni en ce qui concerne l’implication active
de Moscou dans la réglementation du différend transnistrien. La plus grande désillusion a été
liée à la proposition russe de novembre 2003 – le mémorandum « Kozak » - de résoudre le
conflit gelé de Transnistrie par une fédéralisation du pays. Le président Voronine, initialement
en faveur de cette solution, change brutalement d’avis et refuse de signer le document suite à
une mobilisation sans précédent de l’opposition. 123 Le refus marque le début d’un
refroidissement des relations Moldavie-Russie manifeste notamment sur le plan
économique. 124
120
Entretien avec Arcadie Barbarosie, directeur exécutif de l’IPP, le 20 novembre 2003, disponible à l’adresse :
http://www.ipp.md/comentarii1.php?id=29&l=ro
121
Stefan GORDA, Partidele politice şi integrarea europeană, 7 juillet 2003, disponible en ligne à
http://www.e-democracy.md/comments/political/20030707
122
La Russie maintient des taxes élevées sur les importations de Moldavie, qui fait baisser drastiquement les
importations de sucre, alcool et tabac. Le premier-ministre russe avait déclaré que la Russie ne soutiendrait pas la
Moldavie à son inconvénient. Voir Alla SKVORTOVA, op.cit., p. 8-9.
123
Les analystes parlent de « instinct de survie » de Voronine qui s’est rendu compte que la signature du traité
pourrait entraîner sa chute. Voir Agnès BON, op. cit., p. 82-83.
124
La Russie bloque en 2005 les imports vinicoles et agricoles moldaves ce qui touche fortement l’économie
agraire de la Moldavie, voir Inessa BABAN, « Quel gouvernement pour quelle Moldavie ? » Tendances et
perspectives en période électorale, Actualités de la Russie et de la CEI, n°14 - mars 2009.
34
Parallèlement, l’intérêt de l’Union Européenne pour la Moldavie était croissant et des
pas importants ont été faits de deux côtés pour l’établissement d’un cadre institutionnel de
coopération. En 1998, l’Accord de Partenariat et Coopération entre en vigueur et depuis juin
2001 la Moldavie fait partie du Pacte de Stabilité pour l’Europe de Sud-est – un essai de la
part de la communauté internationale pour stabiliser la région des Balkans. 125 L’année 2003
marque aussi le lancement par la Commission Européenne d’une nouvelle politique vis-à-vis
des pays qui seront, après l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’UE, à ses
frontières. La communication sur « L’Europe élargie – le Voisinage : un nouveau cadre
politique pour les relations avec nos voisins de l’est et du sud » a été rendue publique en mars
2003 et prévoyait le renforcement du partenariat avec ces pays, dans leur intérêt mutuel, afin
de favoriser la sécurité, la stabilité et la prospérité. 126 La Moldavie était directement
concernée par cette approche et, même si la politique de voisinage excluait la perspective
d’adhésion, les autorités communistes ont saisi l’opportunité de déclarer l’intégration dans
l’UE une priorité pour la Moldavie. 127
C’est dans ce contexte de refroidissement des relations avec la Russie et
d’élargissement vers l’est de l’Union Européenne, que les communistes font volte-face. Et si
on tient compte en outre du fait que la Moldavie est dépendante de l’aide financière
internationale, l’UE étant un de ses plus importants donateurs, on peut comprendre plus
facilement la conversion européenne du PCRM. Vladimir Voronine, déçu du manque
d’efficacité de la CEI, espérait même que « la Russie, la Biélorussie, l’Ukraine et la Moldavie
se rentrouvraient, un jour, ensemble au sein de l’UE ». 128
Vladimir Voronine se rendait finalement compte qu’une rhétorique pro-européenne
pouvait apporter des bénéfices économiques à la Moldavie et en même temps du capital
électoral et symbolique pour le PCRM sur la scène politique moldave.
5.2 Les facteurs internes
125
Le Pacte a été lancé en 1999 à Cologne pour encourager la coopération entre les Etats de l’Europe de Sud-est
et pour les soutenir dans leurs efforts d’intégration dans les structures euro-atlantiques et européennes. Voir
http://www.mae.ro/index.php
126
http://www.mfa.gov.md/img/docs/fisa_retrospectiva_ro.pdf
127
Selon Wim van Meurs « L’« Europe » a toujours fait partie de la rhétorique politique moldave, mais
l’inclusion du pays dans le Pacte de stabilité en juin 2001 et, surtout, le lancement, au printemps 2003, du
concept « Une Europe élargie », élaboré par Bruxelles, et l’idée d’un engagement de l’UE dans le conflit en
Transnistrie ont donné un nouveau poids à la question européenne. », dans Wim van MEURS, op. cit., p. 147.
128
Entretien avec Vladimir Voronine conduit par Mihnea BERINDEI et Arrielle THÉDREL, Politique
Internationale, n°99, printemps 2003, Paris, p. 343, dans Stela SUHAN, op. cit., p. 120.
35
Les tentatives du PCRM de 2001 et 2002 pour mettre en pratique son programme
électoral - le russe comme langue d’Etat, l’histoire de la Moldavie, les nationalisations – se
heurtent à une vague de protestations de rue. Les principaux protagonistes étaient les jeunes
qui scandaient entre autres « nous voulons en Europe ». 129 Les chrétiens-démocrates, adoptant
un fort discours pro-européen, ont demandé au printemps de 2002, lors des mobilisations de
rue, l’organisation d’un référendum sur l’intégration de la Moldavie dans l’OTAN et l’UE,
proposition rejetée par les autorités. 130 En même temps, plusieurs formations politiques, dont
l’Alliance Social-démocrate de Dumitru Brăghiş et le Parti Libéral, mettent les bases d’une
table ronde permanente comme alternative aux dérapages communistes et aux manifestations
de rue qui se proposait de « défendre les valeurs démocratiques, la poursuite des réformes et
l’intégration européenne ». 131 Les partis fondateurs de la table ronde sollicitent au président
Voronine, le 5 juin 2002, « la création urgente d’une Commission pour l’élaboration de la
stratégie nationale de préparation de la République de Moldavie pour l’adhésion à l’Union
Européenne ». 132
Les communistes se confrontent par conséquent, dans leur première année au
gouvernement, à de longues mobilisations de rue qui finissent seulement après l’intervention
du Conseil de l’Europe et à de fortes pressions de la part de l’opposition pour l’adoption
d’une position pro-européenne et démocratique. L’idée d’intégration dans l’UE, base d’un
consensus politique des partis d’opposition, était en plus soutenue, selon le sondage de l’IPP
de 2001, par la moitié de la population moldave. La promotion de la thématique européenne
aurait pu attirer dans le camp communiste un autre type d’électorat, plus jeune et éduqué, en
élargissant ainsi leur bassin électoral constitué principalement de retraités et russophones. Une
preuve de cette stratégie électorale est la manière dont les communistes décident de s’emparer
du thème européen. L’appel des partis politiques du 5 juin 2002 n’est jamais signé par le
PCRM ; en échange, en novembre 2002, le président « prend l’initiative » et propose la
formation d’une Commission pour l’Intégration Européenne 133 . Compte tenu de la visibilité
du président dans les médias, Voronine réussit à recevoir le crédit politique et électoral pour
une mesure proposée cinq mois avant par l’opposition.
Les évolutions sur la scène internationale – notamment la Politique Européenne de
Voisinage –, les contraintes économiques omniprésentes qui s’aggravent suite au
129
Stefan GORDA, op.cit.
Ibid.
131
http://www.e-democracy.md/parties/docs/joint/200204041/
132
La déclaration commune est disponible à http://www.e-democracy.md/parties/docs/joint/200206211/
133
« Vladimir Voronin a creat comisia nationala de integrare in Uniunea Europeana », Ziua, 13 novembre 2002,
article disponible à http://old.azi.md/news?ID=21579
130
36
mémorandum Kozak et les pressions internes pèsent sur la décision des communistes de
soutenir la voie européenne de la Moldavie. L’adoption d’une rhétorique européenne est aussi
à la base d’une stratégie électorale et politique du PCRM – vu le manque de support pour ses
mesures de 2001-2002, les communistes décident de s’emparer d’une thématique populaire et
consensuelle, en ôtant en même temps à l’opposition un de ses principaux arguments
électoraux.
5.3 Légitimer le changement
Le changement de programme et de discours des communistes à partir des années
2001-2002 se fait sous le signe de l’ambigüité et de tâtonnement. Vladimir Voronine se trouve
à la recherche d’un discours qui puisse légitimer la volte-face du Parti des Communistes tant
sur le plan international qu’en termes de politiques intérieures. Dans le cadre de la Vème
Plénière du PCRM de mai 2002, Vladimir Voronine lance l’idée de réforme du programme du
parti adopté l’année précédente. Plusieurs de ses déclarations plus libérales et pragmatiques en
qualité de président de la République venaient à l’encontre des principes marxistes-léninistes
du programme de 2001. 134 Les leaders communistes oscillaient en fait entre un discours
contestataire et antisystème spécifique à la période passée dans l’opposition et un discours
plus modéré et pragmatique déterminé par l’exercice du pouvoir. Ils avouaient en effet lors de
la Vème Plénière qu’étant en opposition, ils n’ont pas eu la possibilité d’apprécier l’ampleur
des changements qui se sont produits dans le monde et en Moldavie durant les quinze
dernières années. 135 La politique de révisionnisme initiée par Vladimir Voronine, suite à des
contraintes extérieures et intérieures, est marquée par des ambigüités et contradictions. Les
leaders du PCRM semblent ignorer les principes idéologiques et mènent une politique
pragmatique alors que la ligne conservatrice et les théoriciens du parti essaient d’appliquer les
principes léninistes aux réalités actuelles de la Moldavie. 136
En ce qui concerne la politique extérieure, le pragmatisme l’emporte sur les principes
idéologiques ou les affinités du PCRM avec la Russie. Les communistes déclarent se
positionner en fonction des intérêts, primordialement économiques, de la Moldavie : selon
Vladimir Voronine « notre pays sera là où ce serait avantageux d’être et pour l’instant on ne
134
Reperele teoretice ale comuniştilor din
democracy.md/comments/political/20021028/
135
Ibid.
136
Ibid. Voir aussi Stela SUHAN, op. cit., p.121.
Moldova,
28
octombrie
2002,
http://www.e-
37
voit pas quels sont les bénéfices de l’adhésion à l’union Russie-Biélorussie ». 137 Le
changement de direction vers l’Europe n’est pas vu par le PCRM comme contradictoire avec
ses positions antérieures pro-russes mais plutôt complémentaire. Se diriger vers l’est n’exclut
pas une direction pro-ouest et selon le ministre Nicolae Dudău, l’Europe ne voit pas de
raisons à imposer à Chişinău « quoi choisir – l’Ouest ou l’Est ». 138 Cette politique extérieure
non-exclusive « à deux vecteurs » que les communistes prônent et la manière dont ils
envisagent l’intégration dans l’Union Européenne seront analysées plus en détail dans le
deuxième chapitre de notre étude.
137
Déclaration de Vladimir Voronin publiée dans le journal ukrainien « Fakti i komentarii » le 9 octobre 2001,
citée dans « Vladimir Voronin sustine ca pentru moment nu vede care ar fi beneficiile aderarii la uniunea RusiaBelarus », Ziua, 10 octobre 2001, article disponible à http://old.azi.md/news?ID=14138
138
Dans George DAMIAN, op. cit.
38
6. Conclusions provisoires
Assez marginale dans les années postindépendance, vu les enjeux ethnolinguistiques et
« étatiques » qui prédominaient, la question de l’intégration européenne connaîtra une
évolution spectaculaire après les années 2002/2003. A quelques exceptions peu significatives,
tous les partis qui comptaient sur la scène politique moldave ont adopté une attitude proeuropéenne. On peut affirmer à cet égard qu’il s’agit d’une européanisation comprise dans un
sens large de changement de la logique et du discours des acteurs politiques suite à l’impact
principalement de l’élargissement de l’UE à l’Est et de l’adoption de la Politique de
Voisinage en 2003. Cette européanisation visible notamment au niveau discursif, rencontra
des résistances et des limites que nous mettrons en évidence dans le chapitre suivant par
l’identification des cadres que les partis utilisent pour penser ou se positionner à l’égard de
l’Europe et de l’Union Européenne.
39
DEUXIÈME PARTIE
Les limites de l’européanisation : le processus de
cadrage de l’Europe et de l’UE
« L’option pro-européenne est devenue un axiome de la
politique intérieure, une ligne directrice pour la nouvelle élite
politique de la Moldavie. » 139
Marian Lupu, président du Parlement moldave, 2006
« L’Europe restera pour la Moldavie le ferment politique et
culturel dans les années à venir. » 140
Vitalie Ciobanu, écrivain et publiciste moldave, 2005
En 2001, les communistes gagnent les élections sur un fond d’instabilité, de crise
économique et de désillusion face aux formations politiques démocratiques des années
postindépendance. Le retour au pouvoir d’un parti communiste non-réformé qui se donnait
comme objectif l’intégration de la Moldavie dans l’Union Russie-Biélorussie et qui affichait
clairement son attitude hostile envers l’Occident mettait en danger tout progrès enregistré par
les administrations précédentes vis-à-vis d’un rapprochement de l’Union Européenne. Les
premières années du PCRM au pouvoir sont caractérisées par un essai de ré-soviétisation du
pays. Les tentatives de mettre en place son programme économique dirigiste, faire du russe
deuxième langue d’Etat et introduire l’Histoire de la Moldavie dans l’enseignement
déclenchent de réactions dures de la part de l’opposition qui organise les plus amples
manifestations de rue à Chişinău depuis l’indépendance du pays.
Les pressions internes conjuguées à un contexte international spécifique –
l’élargissement de l’Union Européenne à l’Est et sa nouvelle politique de voisinage lancée en
2003, la détérioration des relations avec la Russie suite au « mémorandum Kozak » et
l’inefficacité économique de la CEI – poussent les communistes à s’adapter aux nouvelles
réalités. Un an après le retour au pouvoir du PCRM, Vladimir Voronine lance l’idée de
révision du programme de parti et adopte une attitude pragmatique vis-à-vis des questions
d’ordre économique et de politique extérieure. Le discours antioccidental, anticapitaliste et
139
Le discours de Marian Lupu, président du Parlement, « La République de Moldavie : Comment se voit-elle
dans l’Union Européenne », Londres, Chatham House, 2 févier 2006, disponible sur le site du Parlement
moldave http://www.parlament.md/news/02.02.2006/
140
Vitalie CIOBANU, op.cit.
40
antiaméricain du PCRM n’empêche pas le président Voronine de signer l’adhésion de son
pays à l’Organisation Mondiale du Commerce en 2001 ou de négocier avec le FMI
l’obtention d’un nouveau crédit pour la Moldavie. Quant à l’intégration dans l’Union
Européenne, celle-ci est déclarée « prioritaire » deux mois après le lancement de la Politique
Européenne de Voisinage, en mai 2003. La thématique européenne devient, après cette volteface des communistes, une des plus populaires idées de la vie politique moldave. Outre les
partis situés à l’extrême gauche de l’échiquier politique, toutes les formations expriment leur
assentiment vis-à-vis de l’intégration de la Moldavie dans l’Union Européenne. Le consensus
se limite pourtant, comme on verra plus loin, à cette déclaration de principe, les partis étant
divisés sur leur façon de penser l’Europe et d’envisager l’intégration dans l’UE.
1. 2005 – L’année européenne de la Moldavie
L’intérêt croissant manifesté par l’Union Européenne envers ses nouveaux voisins et
la vision pragmatique affichée par le gouvernement communiste à partir de 2002-2003 place
la thématique européenne au cœur de la vie politique moldave. L’année 2004 est marquée par
exemple par les négociations avec l’Union Européenne en vue de la signature du Plan
d’Actions UE-RM - instrument de la politique de voisinage - qui s’est concrétisée en février
2005. Le Plan d’Action, structuré selon les critères de Copenhague 141 , ne mentionnait pas
pourtant la possibilité d’intégration de la Moldavie dans l’Union Européenne. En fait la
politique de voisinage était conçue comme une alternative à l’élargissement de l’UE et se
proposait l’européanisation des pays à ses frontières sans leur accorder la possibilité d’obtenir
le statut d’Etat membre 142 . La politique mise en place par Bruxelles qui veut tout partager
avec les pays de son voisinage sauf les institutions de l’Union, produit une certaine
convergence des structures et procédures avec les Etats concernés. Pourtant, le manque de
conditionnalité politique 143 – l’absence donc d’une perspective d’intégration européenne à
141
Les critères de Copenhague ou d’adhésion prévoyaient : des institutions stables garantissant la démocratie,
l’État de droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection ; une économie de marché viable
ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l’intérieur de l’UE ; et
la capacité d’assumer les obligations de l’adhésion, notamment de souscrire aux objectifs de l’union politique,
économique et monétaire.
142
Moldova si UE in contextul Politicii Europene de Vecinatate, realizarea Planului de Actiuni UE-Moldova
(fébruarie 2005 – ianuarie 2008), étude réalisée par l’Association pour une Démocratie Participative, disponible
en ligne à http://www.e-democracy.md/files/realizarea-pauem.pdf
143
Selon F. Charillon, la conditionnalité est définie comme « reliant, à travers un Etat ou une organisation
internationale, les bénéfices (comme l’aide financière ou le commerce préférentiel) de l’accomplissement des
conditions économiques et politiques », dans Ion OSOIANU, « The Europeanisation of Executive Governance
41
court ou à moyen terme – laisse la place à une implémentation sélective des réformes par les
gouvernements des pays en question et la Moldavie n’y fait pas exception. Pourtant, en février
2005, la signature du Plan d’Actions UE-RM a été vécue comme un succès important et
comme un pas en avant sur la voie européenne de la Moldavie. Elle a eu lieu de surcroît
durant la campagne électorale pour les élections législatives du 6 mars 2005, élections qui ont
confirmé la configuration politique de 2001 – les communistes, avec 46,1 % des suffrages, ont
remporté 56 sièges devant une coalition centriste – le Bloc « Moldavie démocratique » 144
(BMD, 28,4 %, et 34 sièges) et le PPCD (9,7 % et 11 sièges). 145 A l’exception des formations
d’extrême gauche comme le bloc « Patria-Rodina » et le mouvement « Ravnopravie » qui ont
critiqué avec véhémence le PCRM pour son éloignement de la Russie, de la CEI et des idéaux
du communisme, 146 tous les autres partis ont prôné l’intégration de la Moldavie dans l’Union
Européenne.
Le PCRM s’est retrouvé ainsi sur des positions quasi opposées aux celles de 2001, le
rapprochement de l’Union Européenne étant devenu entre temps le pivot de sa politique. 147
Son programme électoral de 2005 était construit atour de quatre axes stratégiques : « une
nouvelle qualité de la vie, la modernisation économique, l’intégration européenne et la
consolidation de la société ». 148 Le PCRM, qui avait fait campagne quatre ans auparavant
contre l’Occident, est arrivé ainsi à concurrencer le PPCD et le bloc « Moldavie
démocratique » sur le terrain même du rapprochement de l’UE. Dans leur plateforme
électorale de 2005, les communistes se sont de surcroît arrogés les mérites pour la signature
du Plan d’Actions UE-RM et l’ont transformée en atout durant la compétition électorale.
Les groupes politiques qui ont dépassé le seuil électoral de 6% - la « Moldavie
démocratique » dirigée par Serafim Urechean, ancien maire de Chişinău, et le PPCD dirigé
par Iurie Roşca – ont fait du thème européen leur principal argument.
in Moldova and Ukraine: the Weakness of Political Conditionality? », Kent, 2007, p. 8, disponible en ligne à
http://www.ipp.md/files/Publicatii/2008/Ion_Osoian_Europeanisation.pdf
144
Le bloc incluait 3 formations politiques : le Parti Démocratique, le Parti « l’Alliance Notre Moldavie » et le
Parti Social Libéral. L’Alliance « Notre Moldavie » a été à son tour constituée en 2003 par la fusion de
l’Alliance Sociale-démocrate de Moldavie, du Parti Libéral et l’Alliance des Indépendants. Quant au Parti Social
Libéral, il a été créé le 9 mai 2001, jour de l’Europe – geste symbolique pour montrer l’objectif majeur du parti,
par un groupe d’intellectuels, de représentants de la société civile et d’hommes d’affaires. Voir http://www.edemocracy.md/parties
145
http://www.alegeri2005.md/results/
146
Iulian FRUNTASU, « Programele electorale ale partidelor din Republica Moldova: context şi substanţă », 18
février 2005, en ligne à http://www.e-democracy.md/publications/alegeri2005/
147
Agnès BON, « Moldavie 2005. L’Europe en ligne de mire », Le Courrier des Pays de l’Est, 2006/1, 1053, p.
78-91.
148
Elections 2005, étude réalisée par l’Association pour la Démocratie Participative, Chisinau, p. 11-12, en ligne
à http://www.e-democracy.md/publications/alegeri2005/
42
L’Alliance « Moldavie démocratique » accuse les communistes d’avoir instauré un
régime autoritaire, d’avoir utilisé dans l’administration un style dirigiste soviétique et d’avoir
isolé le pays sur la scène internationale. L’Alliance se proclame seule alternative viable
proposant de « programmes concrets pour résoudre les problèmes du pays et pour l’l’intégrer
dans l’Union Européenne ». 149 En ce qui concerne les chrétiens-démocrates, ils se proposent
de « promouvoir la démocratie, les valeurs européennes et l’économie de marché
fonctionnelle » et d’intégrer la Moldavie dans l’Union Européenne avec le soutien de la
Roumanie. 150
Les évolutions sur la scène internationale des années précédentes et le refroidissement
des relations avec la Russie, ne laissaient pas à la Moldavie un autre choix que celui européen.
Les révolutions « colorées » survenues dans les pays voisins en 2003-2004, la « révolution
des roses » en Géorgie et « la révolution orange » en Ukraine – ont remplacé les anciens
nomenklaturistes soutenus par Moscou avec une élite politique orientée vers l’Occident qui se
donnait comme objectif l’intégration de leur pays dans les structures euro-atlantiques 151 .
Ajoutons à cela, pour avoir le tableau complet, une détérioration accentuée des relations
moldo-russes qui a culminé en février 2005 avec l’interdiction des importations de viande et
légumes moldaves, en septembre avec un blocage des importations de vin moldave et en
novembre
avec
l’annonce
d’augmentation
drastique
des
tarifs
de
l’énergie 152 .
L’administration moldave a répondu au chantage politique et aux sanctions économiques en
accusant la Russie d’immixtion dans la campagne électorale de mars 2005. Plusieurs
observateurs russes ont été ainsi expulsés du pays. 153
Dans ce contexte, tous les partis politiques, sauf l’extrême gauche, ont joué la carte
européenne aux élections du 6 mars 2005. 154 Selon Luke March, les communistes ont réussi à
voler les slogans de la « révolution orange » ukrainienne. Les rencontres avec les présidents
« orange » de la Roumanie, l'Ukraine et la Géorgie durant la campagne électorale, ont cimenté
la vue que Voronine aspirait à mettre en pratique la rhétorique pro-européenne. 155 Cet esprit
149
Plateforme électorale de l’Alliance « Moldavie Démocratique » de 2005, disponible à l’adresse
http://www.e-democracy.md/publications/alegeri2005/
150
Plateforme électorale du PPCD, http://www.e-democracy.md/publications/alegeri2005/
151
Mikheil Saakachvili remplace Edouard Chevardnadze en Géorgie et Viktor Iouchtchenko remplace le
président Viktor Ianoukovytch en Ukraine suite à de fortes mobilisations de la population contre la fraude
électorale, voir Inessa BABAN, op. cit., p. 3.
152
Agnès BON, « Moldavie 2005. L’Europe en ligne de mire », p. 82-83.
153
Luke MARCH, op. cit., p. 18.
154
L’opinion publique était en outre de plus en plus favorable au rapprochement de l’UE. Selon le Baromètre de
décembre 2005, 64,3% des rrépondants voteraient pour l’adhésion de la République de Moldavie à l’Union
Européenne s’il y avait un référendum, http://ipp.md/barometru1.php?id=27&l=ro
155
Idem, p.
43
pro-européen affiché par les formations politiques moldaves est perpétué à plusieurs reprises
après les élections législatives. Le 24 mars par exemple, les députés moldaves ont élu Marian
Lupu, député non inscrit et ancien ministre libéral de l’Economie, à la présidence de
l’Assemblée législative. Le jour même, ils ont adopté à l’unanimité la « Déclaration sur le
partenariat politique en vue de l’intégration européenne de la Moldavie ». 156 Ce consensus
politique a été confirmé lors de la réélection de Vladimir Voronine en tant que président de la
Moldavie, le 4 avril 2005, avec un score de 75 voix, supérieur à celui de 2001. 157 Aux 53 voix
des communistes se sont ajouté huit voix du Parti Démocratique, qui avait quitté le bloc
« Moldavie démocratique », onze voix de la droite nationaliste (PPCD) et trois voix du Parti
social-libéral. 158 Iurie Roşca, leader des chrétiens-démocrates, avait déclaré que la période de
confrontation acerbe entre le pouvoir et l’opposition n’était plus d’actualité est que son
soutien pour Vladimir Voronine a été accordé au nom de « l’avenir européen de la
République de Moldavie ». 159 La Moldavie connaît alors, ce que Nicu Popescu appelle « une
évolution révolutionnaire » 160 , un moment d’apaisement et de consensus de la classe politique
autour de certains objectifs stratégiques, dont le principal était l’intégration dans l’Union
Européenne.
La conjoncture politique internationale, l’intérêt manifesté par Bruxelles pour les
anciens pays de l’URSS et les déboires politiques et économiques avec la Russie poussent les
communistes à rejoindre l’opposition sur la thématique européenne. Tous les partis se
transforment ainsi dans les avocats du rapprochement avec l’Union Européenne et les
hommes politiques deviennent des « européens convaincus ». Il faut noter qu’en Moldavie, à
l’exception des partis russophones qui prônent le rapprochement de la Russie parfois sans
aborder la question européenne, il n’y a pas vraiment de positions anti-européennes. Il y a
pourtant des différences majeures entre les acteurs en ce qui concerne l’orientation exacte de
politique étrangère du pays. La présence dans la CEI, l’adhésion à l’OTAN, le renforcement
du partenariat stratégique avec la Russie ou avec la Roumanie sont des questions qui divisent
les partis en dépit de leur position de principe commune sur l’intégration de la Moldavie dans
l’UE. Outre ces aspects géostratégiques, l’Europe s’érige en ressource symbolique et en
instrument dans la lutte politique, le pouvoir et l’opposition s’attaquant réciproquement sur le
156
La Déclaration du Parlement moldave est disponible à http://www.parlament.md/news/25.03.2005/
Agnès BON, « Moldavie 2005. L’Europe en ligne de mire », p. 78.
158
Ibid.
159
« Presedintele PPCD si-a argumentat decizia sa voteze alegerea lui Vladimir Voronin in functia de presedinte
al Moldovei », Ziua, 5 avril 2005, disponible à http://old.azi.md/news?ID=33694
160
Nicu Popescu cité par Florent PARMENTIER, « L’année européenne de la Moldavie : le bilan de 2005 », en
ligne à http://www.moldavie.fr/spip.php?article218
157
44
terrain de la question européenne. Si pour certains partis l’intégration dans l’UE serait « le
retour en Europe » longtemps espéré de la Moldavie, pour d’autres il s’agit plutôt d’un moyen
de tirer profit économiquement de l’appartenance aux structures européennes. Les
représentations sur l’Europe passent ainsi des bénéfices économiques que la Moldavie en peut
retirer à l’importance symbolique et historique de l’intégration dans l’UE.
En dépit d’un certain consensus déclaratif, le discours des partis politiques révèle des
différences et des nuances dans la manière dont l’Europe et l’intégration dans l’Union
Européenne sont perçues, comprises, projetées dans l’avenir. Ces différences sont le résultat
principalement des schémas d’interprétation que les partis utilisent pour imaginer l’Europe et
de leurs intérêts spécifiques. Les prises de position des acteurs politiques moldaves sur
l’intégration dans l’Union Européenne reflètent dans la plupart du temps leur positionnement
face à d’autres enjeux politiques, géostratégiques, ethnoculturels qui dominent la vie politique
de la Moldavie. On pourrait dire ainsi que les discours sur l’Europe et l’UE doivent être
encadrés dans un contexte politique, international et économique bien spécifique.
2. Penser l’Europe et l’UE – l’identification des cadres
Une de nos hypothèses est qu’en dépit d’une certaine européanisation et apparente
uniformisation au niveau discursif, il existe des différences substantielles dans le discours des
partis politiques moldaves à l’égard de l’Europe et l’UE. L’héritage idéologique, le
positionnement sur l’échiquier politique, le contexte socio-économique pèsent énormément
sur la manière dont les partis imaginent l’Europe et l’intégration dans l’Union Européenne.
Une de plus importantes raisons qui conduit au cadrage différent de la même réalité est liée en
fait au positionnent des partis vis-à-vis de l’histoire de la Moldavie, de son passé récent et de
son avenir sur la scène internationale.
En partant de l’idée d’Erving Goffman selon laquelle les individus confrontés à des
événements et à des situations précises, activent un schème d’interprétation qui transforme ce
qui « autrement serait une scène dénuée de sens en quelque chose de sensé » 161 , nous ne
proposons de rendre compte du processus d’attribution du sens à l’Europe et à l’intégration
dans l’UE par les acteurs politiques moldaves. Nous allons utiliser pour ce faire le concept de
« cadre » dans l’acception de W. A. Gamson qui considère que tous les textes, dont les
161
Erving GOFFMAN cité in Daniel CEFAЇ et Danny TROM, op. cit., p. 35.
45
discours font partie, peuvent être compris comme « paquets d’idées tenues ensemble par un
concept unificateur central, appelé ‘cadre’ » 162 .
Selon Douglas, Langstraat et Scully, il ne faut pas appliquer dans l'analyse des cadres
« de lentilles analytiques a priori », au contraire il faut regarder comment les acteurs
évoquent certains cadres dans un discours. La révélation de ces cadres dans les textes nous
aidera à comprendre les « intérêts conflictuels, leurs causes profondes et comment ils ont été
reflétés dans le discours et la polémique à cette époque-là » 163 . Identifier quels cadres ont été
évoqués pour parler de l’Europe et de l’UE et par qui facilitera notre compréhension du
pouvoir, de la politique et des intérêts des acteurs politiques moldaves.
2.1. UE - facteur géostratégique ou vecteur de politique intérieure ?
Deux principaux volets sont à distinguer dans les discours sur l’Europe et l’UE : d’un
côté l’Europe signifie un modèle à suivre en terme de politique intérieure et implique la
démocratisation, le respect des libertés et des droits de l’homme, une justice non soumise au
politique, une économie de marché fonctionnelle; de l’autre côte l’Union Européenne est
inéluctablement un choix géostratégique, une option de politique extérieure qui implique
l’appartenance à une structure de sécurité. Ce deuxième volet fait que toute discussion sur
l’UE se porte aussi sur son antagonisme, ou ce que la grande partie de l’opinion publique et
de la classe politique perçoit comme antagonisme. Parler de l’UE dans ce cas entraîne
implicitement une discussion sur la Russie et la CEI.
La compatibilité entre la présence de la Moldavie dans la CEI et son souhait de
rejoindre l’Union Européenne s’érige en effet en principal thème de débat et de
différenciation des partis politiques en ce qui concerne la politique extérieure. On peut parler
d’un camp de partis pour lesquels il n’y a pas d’incompatibilité entre les deux structures, les
communistes étant les principaux tenants de cette vision, et de l’autre côté de la barricade,
d’un groupe de parti pour lesquels la sortie du pays de la CEI est une condition sine qua non
de l’intégration dans l’Union Européenne. Cette distinction découle principalement de la
manière dont le positionnement de la Moldavie sur la scène internationale est envisagé : soit
dans le camp de Moscou, choix qui entraînera un renforcement des relations avec les pays de
la CEI et principalement avec la Russie, soit comme un pont entre l’Occident et l’Orient et
162
Gamson & Lasch, 1983; Gamson & Modigliani, 1989cité dans W. E. DOUGLAS, J. A. LANGSTRAAT, M.
A. SCULLY (2002), “A picture of the Frame: Frame Analysis as Technique and as Politics”, Organizational
Research Methods, 5 (1), pp. 37.
163
. E. DOUGLAS, J. A. LANGSTRAAT, M. A. SCULLY (2002), op. cit., p. 38.
46
donc une présence simultanée dans la CEI et l’UE, soit uniquement dans le camp occidental,
choix qui supposerait l’adhésion de la Moldavie à l’UE et à l’OTAN et sa sortie de la CEI.
La première option étant peu représentative, car soutenue uniquement par certains
partis de l’extrême gauche 164 , il ne reste que deux choix qui expriment la volonté des
principaux partis politiques moldaves. Cette dichotomie reflète en même temps la complexité
d’une société composée par un tiers de minorités russophones pour lesquelles une
distanciation de la Russie n’est pas souhaitable mais aussi par une population moldave
habituée à ce que la Russie soit toujours le partenaire stratégique de la Moldavie. Comme
l’avouait le leader du Parti Social Libéral, « la population veut dans l’UE et veut aussi une
relation étroite avec la Russie, c’est notre symbiose. Plus de 80% des répondants des
sondages soutiennent que la République de Moldavie doit s’intégrer simultanément dans l’UE
et la CEI, ce qui est absurde. »
165
L’explication pour cette popularité de la Russie et de la
CEI réside, selon Oleg Serebrian, dans l’influence majeure de la presse russe: « La
République de Moldavie n’a pas une presse à elle, on est dans l’espace informationnel russe
[…] ». 166
Tous les partis politiques sont conscients de cette préférence de la population pour une
présence concomitante de la Moldavie dans la CEI et l’UE, mais uniquement le PCRM et les
partis de gauche et de centre s’érigent dans les promoteurs de cette dualité en politique
extérieure, électoralement gagnante.
A partir de 2002 déjà, le PCRM commence à exprimer par la voix de Vladimir Voronine
et du ministre communiste des Affaires Etrangères de l’époque, Nicolae Dudău, cette volonté
de se diriger vers deux directions opposées. Mais la particularité du PCRM ne réside pas
uniquement dans cet objectif de politique extérieure contradictoire, elle se décèle plus
clairement dans sa vision sur ce que l’intégration dans l’Union Européenne peut
paradoxalement représenter. Selon la plateforme électorale du PCRM de 2005, l’intégration
européenne présuppose entre autres « le développement du potentiel de la CEI et le
renforcement du partenariat stratégique avec la Russie ». 167 Quatre ans plus tard, dans la
plateforme électorale de 2009 – « La Moldavie européenne. Nous allons la construire
164
Pour le Mouvement Ravnopravnie, l’objectif de la politique extérieure de la Moldavie devrait être « la
création d’un espace économique, informationnel et culturel unique basé sur l’union de la Russie et de la
Moldavie, auquel d’autres Etats pourront se joindre », dans le programme de 2008, disponible à http://www.edemocracy.md/files/parties/mrr-program-2008-ro.pdf
165
Entretien avec Oleg Serebrian, le président du Parti Social-Libéral, « E nevoie de o "politica rasariteana" a
Romaniei », Revista 22, 30 mars 2007, en ligne à http://www.revista22.ro/e-nevoie-de-o-politica-rasariteana-aromaniei-3596.html
166
Ibid.
167
Plateforme électorale du PCRM de 2005, disponible à http://www.e-democracy.md/publications/alegeri2005/
47
ensemble »
- les communistes développent cette vision particulière et parlent d’une
« ouverture intégrationniste » qui signifierait, outre le rapprochement de l’Europe, « la
concrétisation du potentiel intégrationniste de la CEI » et « le renforcement du partenariat
avec la Russie ». 168 Le PCRM envisage ainsi l’entrée en Europe de la Moldavie par la porte
CEI-iste et russe, Vladimir Voronine parlant même d’une rencontre de la Russie, la
Biélorussie, l’Ukraine et la Moldavie au sein de l’UE.
Dans une déclaration d’août 2009, le président Voronine expliquait rétrospectivement
la « particularité exclusive » de la politique extérieure moldave :
« En 2001, la République de Moldavie a signé le Traité politique avec la Fédération Russe
[…], et après six mois, elle a proclamé son cours vers l’intégration européenne. C’est à
partir de ce moment-là que la Moldavie a démontré sa plus importante particularité
exclusive - l’ouverture intégrationniste, tant vers l’Ouest que vers l’Est. La modernisation
du cadre juridique et de toutes les sphères de la vie selon les standards européens, d’une
part, et l’élargissement du spectre des relations économiques, humanitaires et politiques
avec les pays de la CEI et premièrement avec la Russie, de l’autre. Oui, cette voie de
développement ne s’inscrit pas dans les repères primitifs de certains hommes politiques, en
échange, elle convient à la société moldave, elle correspond aux intérêts de la majorité
absolue de citoyens, elle est avantageuse du point du vue du pragmatisme économique.
Aujourd’hui, on peut affirmer certainement que notre pays est devenu l’endroit d’un
dialogue confortable entre l’Occident et l’Orient […]. » 169
Face à ce discours du Parti des Communistes, du Parti Démocratique ou du Parti Socialdémocrate de l’ancien premier-ministre Dumitru Brăghiş, les chrétiens-démocrates et les
libéraux ont soutenu que la présence de la Moldavie dans les structures de la CEI s’érige en
« obstacle insurmontable de l’adhésion à l’UE ». 170 En outre, le PPCD et le Parti Libéral
rappellent que le contexte géopolitique et les intérêts stratégiques de l’Etat obligent la
République de Moldavie à prendre en compte la complémentarité qui existe entre l’Union
Européenne et l’OTAN. 171 Pour l’aile droite des partis moldaves, la direction européenne
exclut par conséquent le maintien du pays dans la CEI et suppose un choix en ce qui concerne
la sécurité du pays, la neutralité constitutionnelle de la Moldavie étant un principe obsolète.
168
Plateforme électorale du PCRM de 2009, en ligne http://www.pcrm.md/main/index_md.php?action=program
Discours de Vladimir Voronine du 27 août 2009 à l’occasion de la célébration de 18 ans d’indépendance de la
Moldavie, disponible à http://www.presedinte.md/press.php?p=1&s=7251&lang=rom
170
Stefan GORDA, « Partidele politice între UE şi CSI », 14 juillet 2003, http://www.edemocracy.md/comments/political/20030714/
171
Ibid.
169
48
Selon Iurie Leancă, ministre des Affaires Etrangères entre 1998 et 2001 et membre du Parti
Libéral Démocrate de Moldavie 172 , « l’intégration européenne est éminemment un projet
géopolitique », générateur de stabilité et sécurité, et non seulement une manière de se
raccorder à des « standards démocratiques, sociales et économiques ». 173 Cette vision vient à
l’encontre de la rhétorique que le PCRM va adopter à partir des années 2005/2006 et qui
consiste à dire que l’intégration dans l’Union Européenne est principalement un vecteur de la
politique intérieure de l’Etat.
Dans un discours de 2006 tenu à Londres, le nouveau président du Parlement à cette
époque-là, Marian Lupu, avait formulé cette perspective sur l’intégration européenne comme
projet de politique intérieure, en faisait référence à la fois aux bénéfices du « processus
intégrationniste », syntagme typiquement PCRM-iste :
« La Moldavie perçoit son intégration européenne, premièrement comme une tâche
interne, de modernisation de sa construction étatique. Ce constat n’est pas une éventuelle
excuse au cas où l’intégration de la Moldavie dans l’UE est retardée pour un avenir plus
lointain. Les autorités moldaves n’attendent pas passivement l’avenir, elles ont adopté
une position active et pragmatique pour profiter de toutes les opportunités du processus
intégrationniste. » 174
Les communistes développent à tel point cette vision lors du VIème Congrès du parti du
15 mars 2008 qu’ils arrivent à affirmer que l’intégration européenne n’est pas une question
liée à l’adhésion de la Moldavie à l’UE :
« L’intégration européenne et la mise en place d’un système démocratique développé et
multi-niveau, n’est pas une question liée à notre adhésion à l’Union Européenne, mais,
principalement, une question liée à notre option de politique intérieure, qui suppose la
modernisation cardinale de notre système de droit, l’édification d’une société assurée
contre l’exploitation et les abus ». 175
172
Le PLDM, formation de centre-droite, a été créé en 2008 par un ex-membre du Parti Démocratique, Vlad
Filat. Il se propose de passer « des mots aux faits » en ce qui concerne l’intégration dans l’Union Européenne,
http://www.e-democracy.md/files/parties/pldm-program-2007-ro.pdf
173
Entretien avec Iurie Leancă, « Integrarea europeană este un proiect geopolitic », 15 mai 2009,
http://politicom.moldova.org/news/iurie-leanca-integrarea-europeana-este-un-proiect-geopolitic-200654rom.html
174
Discours de Marian Lupu à Londres, février 2006.
175
Le programme du PCRM adopté au VIème Congrès du 15 mars 2008, disponible à l’adresse http://www.edemocracy.md/files/parties/pcrm-program-2008-ro.pdf
49
Le PCRM évite ainsi de mettre en discussion les conséquences géostratégiques que le
choix européen impliquerait et que certains représentants de Bruxelles ont essayé de signaler.
La première prise de position de Bruxelles dans ce sens date de 2003 quand le coprésident du
Comité Parlementaire de Coopération RM-UE avait affirmé que « la présence de la
République de Moldavie dans des structures comme la CEI est incompatible avec le futur
statut de ce pays de membre dans l’Union Européenne. Lorsque la République de Moldavie
va adhérer à l’UE, elle devra dire adieu à la Russie et la CEI ». 176 Bruxelles contredit à cette
occasion le mythe de la double orientation en politique extérieure de la Moldavie mais ses
positions n’ont pas été toujours aussi tranchantes. En ce qui concerne les Etats-Unis, leur
vision sur la place que la Moldavie devrait occuper sur la scène internationale renforce les
positions des communistes. Dans une interview accordée à la radio « Europe Libre » en août
2009, l’ambassadeur des Etats-Unis à Chişinău, avait déclaré que « la Moldavie ne doit pas
choisir entre l’Est et l’Ouest, il n’y a pas de raison pour qu’elle ne soit pas un pont entre l’Est
et l’Ouest ». 177
La position du PCRM vis-à-vis de l’intégration européenne – d’accorder priorité aux
transformations internes au détriment des implications géostratégiques – va être contredite par
un manque de réformes patent dans des domaines clés, voire des abus du gouvernement
communiste. Les rapports de suivi de la Commission Européenne ont été assez éloquents :
« La République de Moldavie a réalisé des succès impressionnants dans tous les domaines,
exceptant l’indépendance de la justice, la liberté des médias, le respect des droits de
l’homme, la lutte contre la corruption et la création d’un environnement attractif pour les
investissements » 178 ou « La République de Moldavie adopte de bonnes lois mais elle les
implémente mal ». 179
Les cadres des partis politiques sur l’Union Européenne sont en effet multiples – elle
est comprise soit comme un choix géostratégique, comme une structure de sécurité qui
pourrait remplacer la CEI et la Russie et positionner la Moldavie dans le camp occidental, soit
uniquement comme une structure socio-économique, un modèle à suivre en termes de
politiques intérieures, sans conséquence sur les options « intégrationnistes » du pays. Ces
176
« Un oficial european trage Chisinaul de mineca: 'Moldova trebuie sa aleaga intre UE si CSI », 14/06/2003,
http://www.ziaruldeiasi.ro/national-extern/un-oficial-european-trage-chisinaul-de-mineca-moldova-trebuie-saaleaga-intre-ue-si-csi~ni31ga
177
Entretien disponible à http://www.europalibera.org/content/article/1800117.html. Pour les prises de positions
des Etats-Unis après les événements d’avril 2009, voir aussi George SCARLAT, « Ni roumanophones, ni
russophobes », Courrier International, no. 984, 10-16 septembre 2009.
178
Moldova si UE in contextul Politicii Europene de Vecinatate, realizarea Planului de Actiuni UE-Moldova
(fébruarie 2005 – ianuarie 2008), p. 9
179
Ibid.
50
interprétations du rôle que l’UE doit jouer pour la Moldavie reflètent les divisions de fonds
qui caractérisent les partis politiques, partagés entre une droite pro-roumaine qui souhaite
libérer le pays de l’influence russe et se diriger vers l’Occident, un centre « étatiste » promoldave qui veut concilier les deux directions et une gauche pro-russe, qui veut garder la
Moldavie dans le camp de Moscou. Les attitudes des acteurs politiques envers l’Europe et
l’intégration dans l’UE doivent être comprises à travers ce clivage ethnoculturel fondateur du
système partisan moldave. En fonction du positionnement des partis, à droite ou à gauche de
l’échiquier, nous pouvons déduire grosso modo leur façon de comprendre l’Europe et
l’intégration dans l’UE. Le cas de la conversion du Parti des Communistes a été dans ce sens
singulier. Le discours antioccidental virulent à été remplacé au fur et à mesure avec une
rhétorique pro-européenne à tel point que durant la campagne électorale de 2005, les
communistes ont concurrencé l’opposition sur le terrain de l’intégration de la Moldavie dans
l’Union Européenne. Pourtant, à partir de 2005/2006, de priorité en politique extérieure,
comme l’avait déclarée Vladimir Voronine en 2003, l’intégration dans l’UE devient plutôt un
facteur de transformation intérieure et, comme on verra plus loin, un générateur de bénéfices
économiques. La conversion européenne incomplète du PCRM manque de consistance et
produit de résistances au niveau discursif et factuel. En dépit de leur rhétorique, les
communistes ne peuvent pas accepter les implications géostratégiques du choix européen.
Ainsi, l’Union Européenne se voit-elle limitée dans la vision du PCRM à son rôle socioéconomique, alors que pour les partis de droite et centre-droit elle représente principalement
un choix de politique extérieure.
2.2. UE – remède économique universel
L’Union Européenne est souvent vue comme une panacée absolue aux problèmes
économiques majeurs auxquels le pays se confronte. En effet, l’aide financière accordée à la
Moldavie est devenue de plus en plus importante. Depuis 1991 quand le programme
d’assistance technique TACIS a été implémenté et jusqu’en 2009, l’Union Européenne « a
offert à la Moldavie plus de 400 millions d’euros. Et durant l’année 2008, l’UE a alloué une
assistance d’un montant total de 62,3 millions d’euros dans le cadre de l’Instrument
Européen de Voisinage et Partenariat ». 180
Pour la majorité de Moldaves, l’Union Européenne renvoie aux bénéfices qu’ils en
pourront obtenir : la possibilité de voyager sans visas dans l’espace Schengen, la chance de
180
Le chef de la Délégation de la Commission Européenne en Moldavie, Cesare DE MONTIS, “Ziua Europei
este şi ziua voastră!”, Timpul, an III-4(30), 13 mai 2009, disponible en ligne à
http://europa.timpul.md/article/2009/05/13/1406
51
travailler légalement dans les Etats prospères de l’Europe, de nouvelles opportunités
d’affaires, un marché pour les produits moldaves etc. 181 . Selon le Baromètre de décembre
2005, 65% des répondants pensent qu’après l’adhésion à l’UE, leurs conditions de vies vont
s’améliorer dans une certaine mesure ou même considérablement. En 2007, ce chiffre
augmente à 76%. 182
Cette vision a été beaucoup entretenue par la rhétorique des partis politiques,
principalement des communistes, qui ont mis en avant les avantages économiques du
rapprochement de l’UE, laissant en arrière-plan le processus de réformes structurelles
obligatoires que la Moldavie devrait mettre en place pour l’obtention des bénéfices convoités.
La politique pragmatique du PCRM et son objectif principal d’obtenir de bénéfices d’une
relation plus étroite avec l’UE se reflètent ouvertement dans les plateformes et les
programmes du PCRM. En 2005 par exemple, les communistes traduisent l’intégration dans
l’UE par un prisme économique. Les avantages qui en pourront ressortir sont mentionnés dans
leur plateforme électorale, en échange, il n’y a aucune trace du mot « réforme » ou des
politiques à implémenter pour atteindre cet objectif. Pour les communistes, l’intégration dans
l’Union Européenne présuppose en premier lieu : « La transformation de la Moldavie dans un
Etat […] des investissements efficaces dans l’économie du marché, « l’ouverture des marchés
occidentaux pour les marchandises moldaves », « la libre circulation, sans visas, des citoyens
moldaves dans les pays de l’Europe », «la protection juridique et sociale de nos concitoyens
qui se trouvent à l’étranger », « la promotion d’un soutien social moderne de la
population ». 183 Ainsi en résulte-il une relation asymétrique où la Moldavie joue le rôle de
bénéficiaire sans prendre des engagements envers l’Union Européenne, sans faire comprendre
à la population le processus complexe par lequel le pays devrait passer. Lors de la campagne
électorale de 2009, les communistes ont mis de nouveau l’accent sur le besoin en projets et
investissements européens. Un des 4 points de leur programme électoral de 2009 « l’ouverture intégrationniste » - met en discussion l’arrivée à « une nouvelle étape dans les
relations entre la RM et l’UE, étape qui permettrait aux citoyens moldaves l’accès libre dans
l’espace européen et assurerait l’accès libre des marchandises moldaves sur le marché
européen commun ». 184 En second lieu, on voit la mention de la modernisation du système de
181
Victor CHIRILĂ, « Relaţia cu UE – starea de fapt », Dilema Veche, An VI, no. 290 - 03 septembre 2009,
disponible en ligne à http://www.dilemaveche.ro/index.php?nr=290&cmd=articol&id=11391
182
BOP de mai 2007 et de décembre 2005, disponible sur le site www.ipp.md
183
Plateforme électorale du PCRM de 2005, http://www.e-democracy.md/publications/alegeri2005/
184
La plateforme électorale du Parti des Communistes de 2009 : « La Moldavie européenne – nous allons la
construire ensemble! », disponible à http://www.e-democracy.md/files/elections/parliamentary2009/electoralprogram-pcrm-2009-ro.pdf
52
droit, du renforcement de l’indépendance de la justice ou de la protection des droits de
l’homme. La primauté des aspects économiques a été pourtant la dominante du discours des
communistes. Dans une allocution de 2006, Vladimir Voronine exprime la quintessence de la
vision des communistes sur l’intégration européenne en commençant par l’idée de projet de
politique intérieure, que nous avons détaillée précédemment, pour souligner à la fin la
prépondérance du facteur économique dans la relation avec l’UE :
« Nous ne percevons pas l’intégration européenne uniquement sur les positions de
l’adhésion à l’Union Européenne. Pour nous, ce processus est similaire, premièrement
avec la modernisation politique interne, juridique et économique du pays. Dans le cadre de
ce processus nous nous efforçons non seulement de construire l’Europe chez nous, mais
aussi d’obtenir les libertés fondamentales comme la liberté de circulation des personnes,
des marchandises et des capitaux. L’élimination des visas et l’instauration du régime de
préférences commerciales avec l’Union Européenne constituent notre objectif principal et
immédiat. » 185
La réplique des partis d’opposition s’est construite en termes de « valeurs » et
d’identification avec l’Europe. Le diplomate moldave Iurie Leancă avait réagi en 2009 face
à ce type de discours du PCRM, en affirmant que « je sais ce que l’UE signifie, quel est le
rôle et la place de l’UE en contexte international et – j’insiste – elle ne peut pas être traitée
comme un club pour des problèmes sociaux et économiques, qui discute aussi, de manière
sporadique, de valeurs et auquel on demande périodiquement de l’argent.» 186
Alors que les communistes ont adopté un discours populiste et se sont penchés sur les
avantages économiques du rapprochement de l’UE, les partis de centre-droit et de droite ont
fait du droit de l’appartenance de la Moldavie à l’espace européen un thème dominant. Tant du
point de vue de la politique extérieure qu’intérieure, les partis pro-démocratiques ont considéré
que la Moldavie doit revenir dans la grande famille européenne à laquelle elle appartient de
point de vue géographique, historique et culturel. Pour certains partis de droite, le retour en
Europe représente même l’occasion longtemps espérée d’un rapprochement, voire d’une
unification, avec la Roumanie. De nouveau, nous pouvons constater que les représentations des
partis politiques moldaves sur ce que l’intégration dans l’Union Européenne peut signifier
185
Le discours de Vladimir VORONINE lors d’une conférence de presse du 11 juillet 2006,
http://www.presedinte.md/
186
Entretien avec Iurie LEANCA, http://politicom.moldova.org/news/iurie-leanca-integrarea-europeana-este-unproiect-geopolitic-200654-rom.html
53
prennent des formes variées et sont déterminées principalement par des interprétations et
visions différentes du passé, du présent et de l’avenir de la République de Moldavie.
2.3. UE – Le retour en Europe de la Moldavie
L’idée d’appartenance de la Moldavie à l’espace européen apparaît avec prépondérance
dans les prises de position des partis d’expression chrétien-démocrate, libérale, social-libérale
et social-démocrate. Pourtant, on peut retrouver cette même idée dans les déclarations des
leaders du PCRM. Dans le discours de Londres de 2006, Marian Lupu avait soutenu que « La
Moldavie a toujours été et restera toujours un Etat européen ». 187 Trois ans plus tard, Vladimir
Voronine met en relation le retour en Europe de la Moldavie au thème cher aux communistes
de consolidation de l’Etat et considère que « la Moldavie est revenue sur le chemin de sa
destinée européenne, sur la voie de son option étatique, qu’elle a choisie déjà en 1359.» 188 La
différence substantielle entre les communistes et la majorité de partis moldaves réside à cet
égard dans l’interprétation du passé récent de la Moldavie. Alors que pour les partis prodémocratiques, la période soviétique équivaut à l’occupation du pays par les Russes et
l’indépendance et l’intégration dans l’UE représentent le retour à la normalité, le PCRM ne
renonce pas aux « valeurs » et à l’héritage soviétique. Les partis pro-démocratiques considèrent
par exemple que Le Mouvement national de 1988-1989 « nous a libéré des schémas d’un
monde anachronique et nous a offert la chance de revenir dans le contexte européen » 189 , alors
que pour les communistes le même moment a mis fin à une période de croissance économique
et de réalisations culturelles, l’indépendance étant le résultat des erreurs du PCUS et de la
conspiration du capitalisme mondial. 190 L’intégration dans l’Union Européenne est vue par la
majorité de partis, sauf par les communistes et les formations de gauche, comme un retour à la
normalité après une parenthèse soviétique dans l’histoire de Moldavie. Le PPCD et l’Alliance
« Notre Moldavie » soulignent cette discontinuité imposée historiquement dans le trajet
européen de la Moldavie et soutiennent le droit de la Moldavie de faire son retour au sein de
l’Europe par l’intégration dans l’UE :
187
Discours de Marian LUPU, Londres, 2006.
Vladimir VORONINE, discours prononcé le 8 septembre 2009 à l’inauguration du monument de Bogdan I,
considéré par les communistes le fondateur de l’Etat moldave médiéval, http://www.presedinte.md/
189
Stefan
GORDA,
« Partidele
politice
şi
integrarea
europeană »,
http://www.edemocracy.md/comments/political/20030707/
190
Stela SUHAN, op. cit., p. 124-125.
188
54
« Nous appartenons à l’espace géographique, linguistique et culturel européen duquel
on a été arrachés violemment il y a six décennies. En tant qu’européens, nous avons le
droit d’appartenir aussi économiquement et politiquement à cet espace. » 191
« Par la tradition historique, la langue et la culture de la population majoritaire, la
République de Moldavie est une partie inaliénable de l’Europe centrale, ayant des traits
distincts de ceux de l’espace est-européen, où prévalent les tendances culturelles
eurasiatiques. » 192
Si dans les discours des communistes, l’Europe est dépeinte grosso modo en termes
économiques comme moteur de modernisation du pays, certains partis pro-démocratiques
opposent à cette vision l’image d’une Europe spirituelle, d’une communauté de valeurs à
laquelle la Moldavie appartient de par son histoire, langue et culture. Et ce pour cela que le
retour à l’Europe devra être fait en dépassant les pratiques et les mentalités du régime
soviétique qui sont incompatibles avec l’intégration dans une Europe des valeurs :
« En partant du constat que la République de Moldavie a été arrachée pendant cinq
décennies du contexte naturel des évolutions socio-économiques, culturelles et spirituelles
européennes, l’Alliance «Notre Moldavie» prend conscience de la gravité des problèmes
auxquels on se confronte, principalement de l’ancienne mentalité, égalitariste et servile.» 193
Ces problèmes s’érigent en obstacles insurmontables parce que « l’intégration
européenne pour un pays comme la République de Moldavie signifie premièrement une
intégration culturelle. » 194 L’aspect économique n’est pas négligé par les partis prodémocratiques, mais l’accent est mis principalement sur le droit de l’appartenance de la
Moldavie à l’Union Européenne par son histoire et culture majoritaire.
Le retour en Europe signifie aussi un rapprochement de la Roumanie qui depuis 2007
est membre de l’Union Européenne et qui est considérée par certains partis et aussi par la
majorité de la population capable de soutenir la Moldavie dans ses démarches. 195 Certains
partis pro-roumains vont plus loin et considèrent que l’intégration dans l’UE représente en
outre une chance historique pour la République de Moldavie de se retrouver dans un espace
commun avec la Roumanie, voire de s’unifier avec le pays voisin.
191
PPCD - http://www.ppcd.md/page.php?modul=HTMLPages&pid=4
Le programme de l’Alliance « Notre Moldavie » de 2005.
193
Le programme de l’Alliance « Notre Moldavie » de 2003.
194
Le programme de l’Alliance « Notre Moldavie » de 2008.
195
Selon le BOP de septembre-octobre 2008, 41,2% de la population considère que la Roumanie peut aider le
plus, de tous les Etats mentionnés, la Moldavie dans son processus d’adhésion à l’UE, www.ipp.md
192
55
2.4. UE – la chance de réunification avec la Roumanie
L’union avec la Roumanie fut le rêve d’une génération d’hommes politiques moldaves
dans les années ’90, réunis autour du Front Populaire de la Moldavie, dans la période des
mouvements de renaissance nationale. Les tensions interethniques et notamment le conflit de
Transnistrie de 1991/1992 ont réussi à estomper les voix unionistes au détriment d’une vision
plus modérée – la « doctrine de Deux-Etats » - qui, en reconnaissant le roumain comme
langue majoritaire de la population, prônait toutefois l’existence d’un Etat moldave
indépendant. Des partis issus du Front Populaire, comme le Parti Populaire ChrétienDémocrate, ont continué même après ces événements de soutenir que le destin de la
Moldavie, par son histoire, était de faire partie de la Roumanie. C’est uniquement dans cette
perspective historique qu’on peut appréhender comment l’Union Européenne s’érige en
solution pour l’accomplissement du rêve unioniste.
L’idée de réunification de la Moldavie avec la Roumanie par le biais de l’Union
Européenne apparaît pour la première fois dans le discours du Parti Populaire Chrétien
Démocrate. Dans le statut du PPCD de 1999, l’objectif stratégique était :
« L’intégration dans une Europe des nations et l’accomplissement de l’union nationale, en
accord avec la volonté populaire et l’esprit des traités internationaux, par un processus
naturel de rapprochement des deux Etats roumains, soutenu par des programmes réalistes
et actions pragmatiques d’ordre économique, social, spirituel et diplomatique ». 196
L’union se fera par conséquent dans un cadre plus large, au sein de la grande famille des
Etats européens. Cette idée d’union nationale au sein de l’Union Européenne apparaît plus
claire encore dans le fragment ci-dessous :
« Nous restons attachés à l’idée d’unité nationale et nous concevons son accomplissement
par un rapprochement continuel de deux Etats roumains – la Roumanie et la République de
Moldavie – dans le cadre du processus général d’intégration européenne ». 197
Les chrétiens-démocrates, comme précurseurs du mouvement unioniste des années ’90,
ont été les principaux tenants de cette vision sur l’Union Européenne. D’autres partis situés au
centre-droite ou à droite de l’échiquier politique, ont adopté par la suite ce discours, dans une
version plus ou moins radicale. L’Alliance « Notre Moldavie » avait soutenu une version plus
196
Mihnea BERINDEI, “Moldova: O dorinţă de Occident?”, Revista 22, 18 août 2003, disponible en ligne à
http://www.revista22.ro/moldova-o-dorinta-de-occident-570.html
197
Site du PPCD - http://www.ppcd.md/page.php?modul=HTMLPages&pid=4
56
modérée de rapprochement avec la Roumanie dans son programme de 2003. Selon leur
vision,
la Moldavie « se retrouvera [avec la Roumanie] – au sein de la communauté
européenne – dans l’espace européen commun historique, économique, culturel et de
langue. » 198 Mais cette thèse de « l’espace national commun » est valable aussi pour les
citoyens moldaves de nationalité russe ou ukrainienne « au fur et à mesure que l’Ukraine et la
Russie vont persévérer dans leurs politiques d’intégration européenne ». 199 L’Alliance
« Notre Moldavie » essaie de mobiliser et de concilier par ce type de discours le tiers de la
population moldave qui n’est pas roumanophone et qui pourrait voir une menace dans un trop
grand rapprochement de la Roumanie. Selon Vasile Efros, membre du Parti Libéral200 proroumain, un discours trop radical sur l’union politique de deux Etats est en effet « assez risqué
car il y a beaucoup de citoyens qui perçoivent les choses différemment sur la Roumanie, la
propagande anti-roumaine a été trop importante pendant 60 ans et on n’a pas réussi, avant le
retour au pouvoir des communistes, de
dire la vérité sur l’identité roumaine
des Moldaves ». 201 Selon lui, « l’union » avec la Roumanie pourrait se faire par la présence de
la Moldavie dans la grande famille européenne. D’autres prises de position des partis ont été
plus radicales, comme celle du Parti Social Libéral qui, par la voix de son leader Oleg
Serebrian, plaidait en 2007 pour « l’officialisation du syntagme ‘la République de Moldavie –
le second Etat roumain’ ». 202 Dans sa vision, « la Roumanie et la République de Moldavie
doivent s’intégrer graduellement après l’adhésion de la Moldavie à l’UE, jusqu’à la fusion
complète ». 203
L’intégration de la Moldavie dans l’Union Européenne est perçue par les partis de l’aile
droite ou de centre-droite comme une chance pour se retrouver avec la Roumanie dans un
espace commun européen. Et si pour certaines formations politiques, cette appartenance à une
communauté politique, économique et de valeurs commune est suffisante, pour d’autres il ne
s’agit que d’un premier pas vers l’accomplissement du rêve de réunification avec la
Roumanie. Quoiqu’il en soit, l’Union Européenne n’est qu’un moyen pour atteindre d’autres
buts qui découlent de l’histoire troublée de la Moldavie, toujours à la croisée de chemins entre
la Roumanie et la Russie.
198
Programme de l’Alliance « Notre Moldavie » de 2003.
Ibidem.
200
Parti politique de droite, successeur du Parti de la Réforme créé en 1993 – formation extraparlementaire, qui
change de nom en 2005 en Parti Libéral. Il n’est pas le même avec le Parti Libéral qui a existé entre mars 2002 et
juillet 2003 et qui a fusionné dans l’Alliance « Notre Moldavie », voir http://www.e-democracy.md/parties/pl/
201
Entretien de l’auteur avec Vasile EFROS du 3 octobre 2009.
202
Entretien avec Oleg SEREBRIAN, op.cit.
203
Ibid.
199
57
Concernant cette vision de réunification avec la Roumanie, le président de la
République moldave avait affirmé lors d’une allocution de 2006 qu’une « telle perspective
n’existe ni même après l’adhésion de la Moldavie à l’Union Européenne ». Vladimir
Voronine exhortait les « architectes de tels scénarios, qu’ils se trouvent à Tiraspol ou à
Bucarest » de « s’habituer au fait que ce genre des rêves sont irréalisables ». 204
L’Union Européenne comme moyen de réalisation de l’unification avec la Roumanie
n’est qu’une vision marginale sur la scène politique moldave, critiquée avec véhémence par
les partis de gauche et de centre-gauche. Il y a pourtant une image et un rôle attribué à l’UE
qui remporte l’assentiment de toute la classe politique moldave – celle d’acteur impliqué dans
le règlement du conflit de Transnistrie et la réunification du territoire national de la Moldavie.
2.5. L’UE et le règlement du conflit transnistrien
Le besoin d’implication de l’Union Européenne dans le règlement du conflit gelé de
Transnistrie a été tout d’abord exprimé par les partis pro-démocratiques – les chrétiendémocrates, les démocrates et les libéraux - avant que le thème devienne dominant dans le
discours du PCRM. Comme nous l’avons montré dans le premier chapitre de notre travail, la
majorité de formations politiques commencent à partir des années 2000 à introduire la
thématique européenne dans leurs discours officiels. Un des points programmatiques
communs a été justement la nécessité de coopter d’autres acteurs internationaux, y compris
l’Union Européenne, dans le cadre des négociations pour le règlement du différend
transnistrien, jusque là menées par les trois médiateurs - la Russie, l’OSCE et l’Ukraine. Ce
type de discours a été favorisé aussi par un changement du contexte stratégique européen.
Avec l’élargissement à l’est de l’Union et l’adhésion de la Roumanie en 2007, la Moldavie
s’est retrouvée aux frontières de l’UE. La nécessité de trouver une solution pour le territoire
séparatiste de l’est de la Moldavie s’est érigée ainsi en problème de sécurité pour l’Union
Européenne qui voulait construire à ses confins un espace de stabilité et de prospérité. 205 Des
mesures concrètes ont été alors prises par l’UE pour inciter au déblocage de la situation,
comme celle de février 2003 qui interdisait aux dirigeants de la Transnistrie l’accès dans les
pays membres. En mai 2003, l’Union prenait en compte même la création éventuelle d’une
mission de consolidation de la paix qui remplacerait les forces russes, installées sur le Dniestr
204
Vladimir VORONINE, conférence de presse du 11 juillet 2006.
Dov LYNCH, « Moldavie. Laboratoire de la nouvelle stratégie européenne », Le Courrier des pays de l'Est
2004/2, n° 1042, p. 40-41.
205
58
depuis 1992. 206 L’intérêt croissant manifesté par l’UE pour la résolution du conflit conjugué
à l’échec du « mémorandum Kozak » proposé par la partie russe explique pourquoi les
communistes se déclarent à partir de 2003 en faveur d’une plus grande implication de l’Union
Européenne.
La promesse de réunification territoriale de la Moldavie a été présente dans les
programmes de tous les partis politiques moldaves sans exception depuis la séparation de
facto de la Transnistrie en 1992. Les moyens de sa réalisation étaient jusqu’en 2003
différentes, les communistes envisageaient une résolution du conflit par leurs relations
spéciales avec la Russie, alors que les partis pro-démocratiques espéraient une implication de
l’Occident. Après l’échec du PCRM de régler le différend par le rapprochement de la Russie,
l’Union Européenne s’est érigée dans la vision des partis politiques en principal acteur
capable d’intervenir pour faire avancer le processus de négociations. Marian Lupu déclarait en
2006 par exemple que le bénéfice que la Moldavie pouvait tirer d’une relation plus étroite
avec l’Union, « serait non seulement le soutien de son développement socio-économique et politique
mais aussi sa consolidation étatique, de nouvelles dimensions dans le règlement du différend
transnistrien étant envisagées ». 207
L’intérêt de la Moldavie pour un rapprochement de l’Union Européenne et pour son
implication dans le conflit transnistrien est double : d’un côté cela pourrait rendre la Moldavie
plus attractive pour les citoyens de Transnistrie par une amélioration du niveau de vie, de
l’autre côté la résolution du différend conditionne une éventuelle intégration de la Moldavie
dans l’Union. 208 Vladimir Voronine, déclarant la réunification du territoire national une
priorité de sa politique, appréciait en octobre 2005 que « la participation de l’UE et des EtatsUnis en qualité d’observateurs aux négociations sur la question transnistrienne était une
réalisation que la Moldavie avait convoitée ces trois dernières années ». 209
On pourrait dire ainsi que l’Union Européenne est vue par les partis politiques, dans
la plupart des cas, comme une solution aux problèmes de toutes sortes de la Moldavie, qu’il
s’agit d’améliorer la situation économique du pays, d’agir comme moteur de sa
modernisation ou, comme nous avons vu dans cette dernière section, de contribuer à sa
réunification territoriale. Ce qui apparaît en outre assez souvent dans les discours des partis,
est l’image de l’Union Européenne comme instrument dans la lutte politique, les
206
Idem, p. 42.
Discours de Marian LUPU, Londres, 2006.
208
Agnès BON, « Moldavie 2005. L’Europe en ligne de mire », op.cit., p. 82.
209
« Vladimir Voronin: participarea UE si SUA in calitate de observatori la negocierile in problema
transnistreana este un succes la care Moldova a rivnit in ultimii 3 ani », Ziua, 7 octobre 2005, disponible à
http://old.azi.md/news?ID=36248
207
59
protagonistes de la vie politique moldave s’accusant réciproquement d’avoir utilisé la
thématique européenne dans leurs propres intérêts.
2.6. UE – ressource dans la compétition politique
Les partis pro-démocratiques ont toujours accusé les communistes d’avoir
instrumentalisé le thème de rapprochement de l’UE pour se maintenir au pouvoir, pour gagner
les votes d’une certaine partie de l’électorat, voire pour attirer les fonds de l’Union et les
utiliser dans leurs intérêts personnels. Vasile Efros, membre du Parti Libéral, considère que «
le PCRM s’est uniquement servi de cet atout [du rapprochement de l’UE], promu notamment
après 2005 après une perte de support de Poutine » et que « le Plan d’Actions a été signé
aussi parce qu’à ce moment-là Voronine était en dissension avec Poutine et il avait besoin de
finances pour enrichir son clan.» 210 Pour l’Alliance « Notre Moldavie », la politique
extérieure de la République de Moldavie est devenue pratiquement « la prisonnière des
intérêts personnels et familiaux obscurs, elle ne reflète pas les intérêts nationaux et n’assure
pas la promotion des intérêts économiques et de sécurité de la Moldavie. Les raisons de cette
situation résident dans la subordination de la politique extérieure aux intérêts du Parti des
Communistes […] ». 211
Les analystes politiques moldaves trouvent eux-aussi, rétrospectivement, que le
rapprochement de l’UE a été instrumentalisé par le PCRM dans une période de
refroidissement des relations avec la Russie suite au Mémorandum Kozak de 2003. Selon
Victor Chirilă, le directeur de l’Association pour la Politique Externe de Chişinău :
« Les autorités communistes de Chişinău ont compris que pour rester au pouvoir, dans les
conditions d’un antagonisme de plus en plus prononcé de Moscou, elles avaient besoin
urgemment du soutien de l’Occident. Par conséquent, l’idée d’intégration européenne a été
transformée par le Parti des Communistes dans une vache à lait […] ». 212
La volte-face du PCRM des années 2002/2003 a été regardée de manière sceptique par
l’opposition démocratique jusqu’aux alentours des élections de 2005. Les dissensions avec la
Russie de cette année-là, une rhétorique de plus en plus pro-européenne dans la campagne
électorale culminant avec la signature du Plan d’Actions UE-RM en février 2005, tous ces
éléments cumulés ont réussi à convaincre à ce moment-là certains acteurs politiques
210
Entretien de l’auteur avec Vasile EFROS, 14 septembre 2009.
Le programme de l’Alliance Notre Moldavie de 2008.
212
Victor CHIRILĂ, « Relaţia cu UE – starea de fapt », Dilema Veche, An VI, no. 290 - 03 septembre 2009,
disponible en ligne à http://www.dilemaveche.ro/index.php?nr=290&cmd=articol&id=11391
211
60
moldaves, voire internationaux, que le changement d’orientation du PCRM était
vraisemblable. Pourtant, les évolutions ultérieures, le manque de réformes dans la justice, le
contrôle des medias, surtout de l’audiovisuel 213 , les violations de droits de l’homme et les
abus commis dans l’immédiat des élections législatives du 5 avril 2009 214 , ont montré que la
conversion européenne du PCRM était incomplète.
L’idée d’une réforme interne lancée par Vladimir Voronine en mai 2002 et continuée
lors du Congrès de décembre 2004, visait la transformation du PCRM dans un « parti de
gauche de type européen » qui devrait prôner les idées du socialisme, de la démocratie et des
droits de l’homme. 215 Un changement de nom même de la formation était prévu, idée qui a été
abandonnée par la suite. Rétrospectivement, cette réforme est vue par Marian Lupu, ancien
membre du parti et président du Parlement entre 2005 et 2009, comme un piège tendu aux
jeunes technocrates du parti :
« […] le président Voronine a parlé de réforme du parti, d’orientation vers un modèle
européen, en invitant les jeunes technocrates de rejoindre le parti et de travailler pour le
bien-être du pays. Mon élection en 2005 en tant que président du Parlement a fait partie
du même schéma – l’économiste Marian Lupu a été transformé dans l’homme politique
Marian Lupu et utilisé délibérément comme une marque crédible pour promouvoir l’idée
de rapprochement de l’Europe ». 216
Par le soutien accordé aux personnalités politiques modérées comme Marian Lupu et
par l’élimination de ses rangs des figures communistes plus orthodoxes, le PCRM a essayé
de rendre crédible sa nouvelle orientation pro-occidentale et pro UE. Certaines des mesures
controversées du gouvernement communiste, comme par exemple l’introduction de
« l’Histoire intégrée » à la place de « l’Histoire des Roumains » dans l’enseignement, ont été
légitimées par une rhétorique pro-européenne. Selon le ministre communiste de l’éducation
de cette époque-là, Valentin Beniuc, il s’agissait d’un pas « que nous sommes obligés de faire
si on veut vraiment nous intégrer dans l’espace européen ». 217
Les deux camps, les communistes et les partis de l’opposition démocratique, ont usité
de même type d’arguments pour se bâtir une image de « vrais pro-européens » en opposition
213
Agnès BON, « Moldavie 2006. La contrainte russe », Le Courrier des Pays de l’Est 2007/1, n° 1059, p. 6778.
214
Pour des détails sur les mobilisations des jeunes moldaves du 6-7 avril, voir
http://unimedia.md/?mod=news&id=10238
215
Luke MARCH, op. cit., p. 23.
216
Entretien avec Marian LUPU conduit par Armand GOSU, « Reformarea PCRM este imposibilă », Revista 22,
21 juillet 2009, disponible en ligne à http://www.revista22.ro/reformarea-pcrm-este-imposibil259-6375.html
217
Déclaration du ministre Valentin BENIUC, cité par le BBC, dans George DAMIAN, op. cit.
61
avec leurs adversaires politiques, « incapables » ou « mal intentionnés ». Surtout après 2005,
les communistes commencent à attaquer les partis pro-démocratiques pour inefficacité dans
leurs démarches pro UE. Dans son discours de Londres de 2006, Marian Lupu abordait la
question d’intégration de la Moldavie dans l’Union Européenne en critiquant l’opposition
pour son incapacité de passer de déclarations à la mise en pratique du projet pro-européen :
« […] des forces politiques, qui ne faisaient que déclarer leur option pro-européenne,
n’ont pas réussi à clarifier leurs visions sur cet objectif et sur les moyens de réalisation.
Bien que la majorité de la population se soit prononcée en faveur de l’option européenne,
les partis de gouvernement, dans leur hésitation, n’ont pas été capables de la concrétiser
dans un document de programme […]». 218
Les communistes s’érigent ainsi en seule force capable de concrétiser la volonté du
peuple à la différence des partis politiques et gouvernements antérieurs qui « ont soustrait [la
Moldavie] des processus intégrationnistes en Europe, les autorités minant à la fois la
coopération efficiente dans le cadre des processus intégrationnistes de l’espace
postsoviétique » 219
Face à ces attaques, les partis pro-démocratiques ont toujours essayé de mettre l’accent
sur l’écart entre la rhétorique pro-européenne et les vraies pratiques des communises,
entre paroles et faits. L’Alliance « Notre Moldavie » accusait par exemple les communistes
« d’avoir sapé le processus d’intégration européenne par un manque de progrès dans
l’implémentation des engagements assumés envers l’UE. » 220 Iurie Leancă, diplomate et
membre du Parti Libéral Démocrate, déclarait en 2009 que la Moldavie doit implémenter « de
réformes réelles » et de mener en même temps « une diplomatie agressive – dans le bon sens
du mot – et dynamique, pour convaincre ceux de Bruxelles et des capitales de l’UE que la
Moldavie est passée de belles déclarations à une activité quotidienne, assidue […] de
rapprochement des standards européens. 221 Dans son programme de 2009, le Parti
Démocratique se proposait lui aussi de promouvoir l’intégration européenne « par de faits et
actions concrètes et non pas par de slogans et déclarations comme il a été le cas ces
dernières années ». 222
218
Marian LUPU, Londres, 2006.
Le programme du PCRM adopté au VIème Congrès du 15 mars 2008, disponible à l’adresse http://www.edemocracy.md/files/parties/pcrm-program-2008-ro.pdf
220
Le programme de l’Alliance Notre Moldavie de 2008.
221
Iurie LEANCA (PLDM), ancien Ministre des Affaires Etrangères (1998-2001), « Republica Moldova la 18
ani de Independenţă », Timpul, an VIII-154(1128), 01.09.2009, http://timpul.md/article/2009/09/01/3847
222
« Les directions prioritaires de politique extérieure dans la vision du PDM », juillet 2009.
219
62
Pour les acteurs politiques moldaves, l’Union Européenne est devenue ainsi un
instrument dans une bataille politique menée avec des arguments similaires, entre les
communistes d’une part et les partis pro-démocratiques de l’autre, ayant comme but la
décrédibilisation de l’adversaire et la construction d’une identité de « vrais européens ».
63
CONCLUSIONS
Si dans les années postindépendance, l’Europe apparaît uniquement en relation avec
les tentatives de la diplomatie moldave d’établir un cadre de coopération avec l’UE, à partir
des années 2000/2001 on voit les partis pro-démocratiques prendre position et introduire
l’Europe et l’UE dans leurs programmes et messages électoraux. Les promesses de réformes
et d’intégration européenne des partis de centre-droite et de droite venaient à l’encontre d’un
discours pro-russe évident du principal adversaire politique – le Parti des Communistes. La
thématique européenne est limitée pourtant aux élections de 2001 à un enjeu de politique
extérieure, brièvement exposé dans les documents programmatiques des partis, et
qui signifiait plus un choix géostratégique de distanciation par rapport à la CEI et à la Russie.
Paradoxalement, c’est seulement après le virage vers l’Ouest du PCRM des années 2002/2003
que le discours pro-européen devient prédominant et l’intégration européenne acquiert une
dimension téléologique pour toute la classe politique moldave, à quelques exceptions peu
représentatives. Cette transformation ne peut être comprise en dehors de l’élargissement de
l’Union Européenne à l’Est, de sa nouvelle politique de voisinage et de l’intérêt croissant
qu’elle manifeste vis-à-vis de la Moldavie et de la résolution du différend transnistrien.
L’impact de l’Union Européenne sur la vie politique moldave ne peut pas être remis en cause
mais en même temps il ne peut pas expliquer à lui seul la montée en puissance de la question
européenne. Le thème européen devient important en Moldavie après les premiers déboires
politiques et économiques avec la Fédération de Russie. La première crise financière russe de
1998 a porté un coup à l’impression de soutien russe, les problèmes liés au règlement du
conflit transnistrien, culminant avec l’échec du mémorandum Kozak, ont montré aux
communistes que l’UE était un partenaire moins contraignant que la Russie. L’Union
Européenne devient l’alternative dont le PCRM avait besoin pour palier aux problèmes
économiques du pays et régler le conflit gelé de Transnistrie. L’« européanisation » du
PCRM, manifeste dans ses discours mais facilement remise en cause par une analyse de ses
pratiques clandestines, est intrinsèquement liée à sa vision pragmatique de la politique. Le
PCRM instrumentalise la question du rapprochement de l’UE d’un côté parce qu’une
rhétorique pro-européenne pouvait apporter des bénéfices économiques et une implication de
l’Europe dans le règlement du conflit transnistrien dans une période de refroidissement des
relations avec la Russie et de l’autre parce qu’il ôtait en même temps à l’opposition un de ses
principaux arguments électoraux. Les principaux partis de l’opposition, comme le PPCD ou
64
les formations du bloc « Moldavie démocratique », au début réticents face à cette volte-face
des communistes, participent en 2005 à la réélection de Vladimir Voronine en tant que chef
d’Etat au nom de l’avenir européen de la Moldavie. 2005 devient ainsi l’année du consensus
de la classe politique autour de la thématique européenne. La perspective même éloignée
d’intégration dans l’UE change la logique discursive et d’action des acteurs politiques
moldaves. Cette européanisation est pourtant limitée et on ne fait pas référence ici à la mise en
application du Plan d’Action ou au manque de réformes patent dans des domaines clés, mais
aux limites visibles toujours au niveau discursif. En analysant les documents
programmatiques des partis et les déclarations des leaders politiques, nous avons constaté
premièrement une absence. L’Union Européenne ne constitue un thème en soi et les
transformations politiques, économiques et sociales que l’intégration européenne suppose ne
sont pas réellement discutées ni même envisagées. L’identification des cadres que les partis
utilisent dans leurs discours pour penser l’Europe et l’intégration européenne nous permet de
tirer certaines conclusions à ce sujet. Dans la plupart du temps l’Union Européenne est perçue
comme un fournisseur de solutions pour les problèmes socio-économiques du pays ou pour la
réalisation de certains désidératas des partis politiques. Les questions ethnolinguistiques,
étatiques, la transition dominée par les aspects culturels, la classe politique et la population
partagées entre les attitudes pro-roumaines et celle pro-russes, tous ces éléments facilitent
notre compréhension des cadres que les partis utilisent pour parler de l’Europe et de l’UE.
Que les partis pensent l’Europe en termes de « choix géostratégique » ou uniquement comme
« moteur de transformation de la société et de l’économie moldave », qu’ils mettent en
opposition une Union Européenne comprise comme « une panacée économique » versus
« une Europe des valeurs » à laquelle la Moldavie a le droit d’appartenir par sa culture et
histoire, tout cela décèle les particularités de l’histoire et de la transition moldave. Finalement,
nous pouvons affirmer que les cadres identifiés ne peuvent pas être compris en dehors de ces
aspects historiques, linguistiques, culturels qui caractérisent la République de Moldavie. Nous
pouvons ajouter à cela l’idée que tout discours des partis politiques moldaves sur l’Europe et
l’Union Européenne doit être mis dans son contexte historique, politique, économique.
L’Europe reste finalement une idée assez vague dans les discours des partis et est liée
essentiellement à la situation politique, géostratégique, économique de la République de
Moldavie que l’intégration dans l’UE peut en quelque sorte améliorer.
65
SOURCES (sélection)
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Entretien avec Vasile Efros, membre du Parti Libéral, Bucarest, le 14 septembre 2009 et
le 3 octobre 2009 (notes manuscrites).
Corresponde électronique avec Julien Danero, chercheur spécialisé sur la vie politique
moldave, CEVIPOL, octobre 2009.
II. PLATEFORMES ET PROGRAMMES DES PARTIS POLITIQUES :
Plateforme électorale de l’Alliance « Moldavie Démocratique » de 2005 :
http://www.e-democracy.md/publications/alegeri2005/
Plateforme électorale du PPCD de 2005 :
http://www.e-democracy.md/publications/alegeri2005/
Plateforme électorale du PCRM de 2005 :
http://www.edemocracy.md/publications/alegeri2005/
Plateforme électorale du PCRM de 2009 :
http://www.pcrm.md/main/index_md.php?action=program
Plateforme électorale du PCRM de 2009 :
http://www.e-democracy.md/files/elections/parliamentary2009/electoral-program-pcrm2009-ro.pdf
Programme du PCRM de 2001 :
http://www.geocities.com/scinteia/partide-pcrm_program.htm
Programme du Parti Démocratique de Moldavie de 2000 :
http://www.e-democracy.md/files/parties/pdm-program-2000-ro.pdf
Programme du Mouvement Ravnopravnie de 2008 :
http://www.e-democracy.md/files/parties/mrr-program-2008-ro.pdf
Programme du PCRM de 2008 :
http://www.e-democracy.md/files/parties/pcrm-program-2008-ro.pdf
Programme de l’Alliance « Notre Moldavie » de 2003, 2005 et 2008 :
http://www.e-democracy.md/parties/amn/
66
III. JOURNAUX ET HEBDOMADAIRES CONSULTES :
Moldaves : Timpul – http://timpul.md/
Roumains : Ziua – http://www.ziua.net/
Revista 22 – http://www.revista22.ro/
Dilema Veche – http://dilemaveche.ro/
IV. SITES WEB CONSULTES :
http://www.azi.md/ ; http://unimedia.md/ ; http://www.curaj.net/ ;
http://www.jurnal.md/ - journaux en ligne
http://ipp.md/ - le site de l’Institut de Politiques Publiques de Moldavie (sondages
d’opinion, études, analyses)
http://www.e-democracy.md/ - le site de l’Association pour une Démocratie
Participative (présentation des partis politiques, programmes et plateformes, résultats
des élections etc.)
http://www.europa.md/ - Portail spécialisé sur l’Union Européenne et la Moldavie
http://ec.europa.eu/world/enp/ - le site de la Commission Européenne dédié à la
Politique Européenne de Voisinage
http://eurojournal.org/ - études et analyses sur la Moldavie, la PEV, la Russie/CEI
http://www.mfa.gov.md/ - le site du Ministère des Affaires Extérieures et de
l’Intégration Européenne de la Moldavie
http://www.parlament.md – le site du Parlement de la République de Moldavie
http://www.presedinte.md – le site de la présidence de la République de Moldavie
(interviews, déclarations et messages de Vladimir Voronine)
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