L Hypertension artérielle : le concept de norme cède le pas

Hypertension artérielle : le concept de norme cède le pas
à l’objectif
Arterial hypertension : target to goal rather than normal BP
P. C orvol*
L
es relations entre hypertension artérielle, morbidité et
mortalité cardiovasculaire semblent si bien établies
actuellement qu’il peut apparaître inutile d’y revenir.
Le traitement de l’hypertension artérielle a fait chuter de façon
spectaculaire l’incidence des accidents cardiovasculaires, et
notamment des accidents vasculaires cérébraux (AVC), démon-
trant une relation causale entre niveau de pression artérielle et
accident vasculaire. La messe est dite: l’hypertension est respon-
sable de nombre d’AVC ischémiques ou hémorragiques et son
traitement permet d’éviter leur survenue. La prévention secon-
daire des AVC par le traitement antihypertenseur s’avère efficace,
elle aussi, puisque les hypotenseurs diminuent leur risque de réci-
dive chez les patients ayant survécu à un premier accident (1, 2).
Il faut traiter l’hypertension pour éviter un AVC ou sa récidive.
Mais qu’est-ce que l’hypertension artérielle ?
Historiquement, ce sont les médecins américains des compagnies
d’assurances vie qui ont identifié l’élévation de la pression arté-
rielle comme un facteur de risque. Dans un article du JAMA,en
1915, John W. Fisher notait que “la persistance d’une tension éle-
vée induit une mortalité excessive, et plus haute est la tension,
plus grand est le risque”. Cette remarquable observation s’est
largement confirmée et précisée depuis. Une méta-analyse de
61 études prospectives publiée en 2002, correspondant à des
données chez un million de patients adultes et totalisant 12,7 mil-
lions de personnes année, a montré qu’il existait un risque accru,
à chaque décennie, d’accident vasculaire cérébral ou coronarien,
en fonction du niveau tensionnel (3). La pression artérielle mesu-
rée de façon habituelle, systolique ou diastolique, est directement
liée à la mortalité cardiovasculaire, sans qu’il existe un seuil de
protection, du moins jusqu’à 115/75 mmHg. À chaque niveau
tensionnel, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes âgés de 40 à
69 ans, un incrément de 20 mmHg de pression artérielle systo-
lique (ou de 10 mmHg pour la pression artérielle diastolique)
double le risque de décès par AVC, quel que soit le niveau ten-
sionnel. Cela confirme donc qu’il existe une relation étroite entre
la pression systolique ou la pression diastolique et la mortalité
cardiovasculaire.
La notion de risque continu d’événements cardiovasculaires en
fonction des chiffres de pression artérielle est à mettre en paral-
lèle avec l’analyse de la pression artérielle dans la population. La
distribution des valeurs de pression artérielle dans l’ensemble de
la population est dite “unimodale”, suivant une distribution de
type continu, gaussien. De même que chaque niveau tensionnel
comporte son propre risque cardiovasculaire, il n’y a pas de sépa-
ration entre une population normotendue, et qui serait protégée
des risques cardiovasculaires, et une population hypertendue,
à risque. Bien que certains médecins aient été conscients qu’il
existait “une fallacieuse ligne de partage” entre normotension et
hypertension, l’OMS a considéré en 1959 comme normotendus
les sujets ayant une pression artérielle inférieure à 140/90 mmHg
et comme hypertendus ceux ayant une pression artérielle supé-
rieure à 160/95 mmHg. Entre 140/90 mmHg et 160/95 mmHg,
l’hypertension artérielle était déclarée limite, terme dont on peut
se demander s’il n’est pas une survivance de nos résistances à
la “normalisation”. C’est sur ces critères que s’est fait l’ensei-
gnement de nombre de médecins, aboutissant à la décision de la
prescription ou non d’un traitement antihypertenseur. Attitude
pragmatique et opérationnelle mais qui ne tenait pas compte du
risque continu de l’élévation de la pression artérielle et des autres
facteurs de risque cardiovasculaire.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, faut-il toujours
parler de “normal” et de “pathologique” ? Cette difficulté se
reflète bien dans les différentes définitions et classifications de
la pression artérielle qu’ont données les spécialistes du domaine.
En 1999, l’OMS et le Joint National Committee on Prevention,
Detection, Evaluation and Treatment of High Blood Pressure
(JNC 6) proposaient une classification de la pression artérielle en
“optimale, normale, normale haute, hypertension artérielle, hyper-
tension artérielle modérée, hypertension artérielle sévère”… (4).
Une simplification notable vient d’être proposée par le JNC 7 :
pression artérielle normale (inférieure respectivement à 120 et
à 80 mmHg pour la systolique et la diastolique) ; préhyper-
tension (120-139 ou 80-89 mmHg) ; HTA de stade I (140-159 ou
90-99 mmHg) et HTA de stade II pour une systolique supé-
rieure ou égale à 160 et une diastolique supérieure ou égale à
100 mmHg (5). L’état préhypertensif ressemble à l’état prédia-
bétique et peut-être demain à l’état préhypercholestérolémique…
Cette classification, qui fait débat, s’accompagne de recomman-
dations hygiéno-diététiques et thérapeutiques pour chaque niveau
tensionnel.
En fait, on l’a compris, ces différentes classifications n’ont guère
de sens pour des valeurs continues comme la pression artérielle,
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La Lettre du Neurologue - n° 7 - vol. VII - septembre 2003 227
* Collège de France, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris.
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la glycémie, le cholestérol ou le poids. Seul compte l’objectif ten-
sionnel que l’on veut atteindre pour mettre un patient à l’abri
d’un AVC. La norme doit céder le pas devant le but à atteindre.
Le traitement antihypertenseur permet de ramener le risque
d’AVC chez un patient hypertendu à celui d’un patient ayant
naturellement le même niveau tensionnel. La pression artérielle
cible à atteindre doit être réfléchie en fonction du contexte. Ainsi,
s’il faut traiter par des antihypertenseurs l’hypertension avec sa
définition classique de 140/90 mmHg et au minimum amener
à ces chiffres les hypertendus, il est souhaitable de traiter et
d’obtenir des chiffres tensionnels plus bas lorsque qu’il s’agit
d’un patient ayant déjà fait un AVC et/ou accumulant des fac-
teurs de risque cardiovasculaires (diabète, tabagisme…). L’ob-
jectif tensionnel proposé est de 130/80 mmHg pour les patients
diabétiques ou insuffisants rénaux.
Le risque de développer un accident cardiovasculaire peut être
calculé en fonction des données statistiques de longévité et de
morbidité (calcul des risques relatif et absolu par l’équation de
Framingham et apparentées). La prise en compte de la globalité
du risque devrait, en principe, reléguer au second plan la notion
de normalité d’un paramètre isolé. Nos sociétés auront alors à se
prononcer sur leurs objectifs de santé en choisissant les taux de
risque motivant une intervention médicale. De façon concrète, il
est possible de calculer le nombre de patients à traiter pour
réduire d’un pourcentage donné le risque d’infarctus du myocarde
ou d’AVC dans les cinq ou dix ans. Plus que les choix arbitraires
de normes, la détermination de ces objectifs est en prise directe
avec les réalités socio-économiques d’un pays. Pour les décideurs
en santé publique, la politique de limitation des risques doit tenir
compte des dépenses de santé induites, ce qui peut être calculé
par modélisation mathématique (6). Dans ce contexte, on conçoit
que les objectifs (et les normes) puissent varier d’un pays à l’autre.
Ainsi, les recommandations du JNC 7 n’ont pas été adoptées par
d’autres pays ou organisations. L’International Society of Hyper-
tension a publié ses propres propositions en matière d’hyper-
tension et de prévention des AVC (7).
Le prix des médicaments est, bien entendu, déterminant pour
fixer des objectifs raisonnables, supportables par la communauté.
Or, la bonne nouvelle est qu’il ne semble pas que certains traite-
ments antihypertenseurs s’avèrent supérieurs à d’autres pour la
même réduction tensionnelle. Il n’y a pas d’arguments pour pen-
ser que les médicaments les plus récents – et les plus chers – exer-
cent un effet protecteur vasculaire se surajoutant à leur effet anti-
hypertenseur : une méta-analyse récente montre une protection
similaire des différents types d’antihypertenseurs (8) et l’étude
ALLHAT (plus de 33 000 patients suivis en moyenne durant
5 ans) a montré que les diurétiques de type thiazidique rédui-
saient aussi bien le risque d’accident cardiovasculaire que des
médicaments plus récents (inhibiteurs de l’enzyme de conver-
sion de l’angiotensine, bloqueurs des canaux calciques) (9). Une
prévention des AVC à très large échelle est donc tout à fait pos-
sible et peu coûteuse, grâce à l’utilisation en première intention
de faibles doses de diurétiques thiazidiques. Sachant que plus la
tension sera basse, plus le risque d’AVC sera réduit ; un objectif
atteignable et dont aurait rêvé Fisher en 1915.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Gueyffier F, Boissel JP, Bouititie F et al. Effects of antihypertensive treatment
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Chobanian AV, Bakris GL, Blak HR et al. The seventh report of the Joint
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International Society of Hypertension (ISH). Statement on blood pressure
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8.
Major outcomes in high-risk hypertension patients randomized to angiotensin-
converting enzyme inhibitor or calcium channel blocker vs diuretic. ALLHAT.
JAMA 2002 ; 288 : 2981-97.
9.
Staessen JA, Wang JG, Thijs L. Cardiovascular prevention and blood pressure
reduction : a quantitative overview updated until 1 March 2003. J Hypertens
2003 ; 21 : 1055-76.
À la suite des journées internationales “les dystonies”
Les sujets traités seront :
informatique et handicap, une nouvelle conception de la rééducation de la crampe de
l’écrivain, nature de la dystonie, rééducation des enfants dystoniques, le réseau français
dystonie, le test de résistance immunologique à la toxine botulique.
Ligue française
contre la dystonie
le 4 octobre à 14 heures,
Cap 15,
1/3, rue de Grenelle
75015 Paris
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