L Hypertension artérielle : le concept de norme cède le pas à l’objectif

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Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. I - n° 1 - octobre-novembre-décembre 2003
Hypertension artérielle :
le concept de norme
cède le pas à l’objectif
P. Corvol*
Les relations entre hypertension artérielle, morbidité et mortalité cardiovas-
culaire semblent si bien établies actuellement qu’il peut apparaître inutile d’y
revenir. Le traitement de l’hypertension artérielle a fait chuter de façon spec-
taculaire l’incidence des accidents cardiovasculaires, et notamment des accidents
vasculaires cérébraux (AVC), démontrant une relation causale entre niveau de pres-
sion artérielle et accident vasculaire. La messe est dite : l’hypertension est respon-
sable de nombre d’AVC ischémiques ou hémorragiques et son traitement permet d’évi-
ter leur survenue. La prévention secondaire des AVC par le traitement antihyperten-
seur s’avère efficace, elle aussi, puisque les hypotenseurs diminuent leur risque de
récidive chez les patients ayant survécu à un premier accident (1, 2). Il faut traiter
l’hypertension pour éviter un AVC ou sa récidive. Mais qu’est-ce que l’hypertension
artérielle ?
Historiquement, ce sont les médecins américains des compagnies d’assurances vie
qui ont identifié l’élévation de la pression artérielle comme un facteur de risque.
Dans un article du JAMA, en 1915, John W. Fisher notait que “la persistance d’une ten-
sion élevée induit une mortalité excessive, et plus haute est la tension, plus grand
est le risque”. Cette remarquable observation s’est largement confirmée et précisée
depuis. Une méta-analyse de 61 études prospectives publiée en 2002, correspondant
à des données chez un million de patients adultes et totalisant 12,7 millions de per-
sonnes année, a montré qu’il existait un risque accru, à chaque décennie, d’acci-
dent vasculaire cérébral ou coronarien, en fonction du niveau tensionnel (3). La
pression artérielle mesurée de façon habituelle, systolique ou diastolique, est direc-
tement liée à la mortalité cardiovasculaire, sans qu’il existe un seuil de protection,
du moins jusqu’à 115/75 mmHg. À chaque niveau tensionnel, qu’il s’agisse d’hommes
ou de femmes âgés de 40 à 69 ans, un incrément de 20 mmHg de pression artériel-
le systolique (ou de 10 mmHg pour la pression artérielle diastolique) double le risque
de décès par AVC, quel que soit le niveau tensionnel. Cela confirme donc qu’il existe
une relation étroite entre la pression systolique ou la pression diastolique et la mor-
talité cardiovasculaire.
La notion de risque continu d’événements cardiovasculaires en fonction des chiffres
de pression artérielle est à mettre en parallèle avec l’analyse de la pression artérielle
dans la population. La distribution des valeurs de pression artérielle dans l’en-
semble de la population est dite “unimodale”, suivant une distribution de type conti-
nu, gaussien. De même que chaque niveau tensionnel comporte son propre risque
cardiovasculaire, il n’y a pas de séparation entre une population normotendue, et
qui serait protégée des risques cardiovasculaires, et une population hypertendue, à
risque. Bien que certains médecins aient été conscients qu’il existait “une fallacieuse
éditorial
* Collège de France, hôpital européen
Georges-Pompidou, Paris.
ligne de partage” entre normotension et hypertension, l’OMS a considéré en 1959
comme normotendus les sujets ayant une pression artérielle inférieure à
140/90 mmHg et comme hypertendus ceux ayant une pression artérielle supérieure
à 160/95 mmHg. Entre 140/90 mmHg et 160/95 mmHg, l’hypertension artérielle était
déclarée limite, terme dont on peut se demander s’il n’est pas une survivance de nos
résistances à la “normalisation”. C’est sur ces critères que s’est fait l’enseignement
de nombre de médecins, aboutissant à la décision de la prescription ou non d’un
traitement antihypertenseur. Attitude pragmatique et opérationnelle mais qui ne
tenait pas compte du risque continu de l’élévation de la pression artérielle et des
autres facteurs de risque cardiovasculaire.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, faut-il toujours parler de “normal” et de
“pathologique” ? Cette difficulté se reflète bien dans les différentes définitions et
classifications de la pression artérielle qu’ont données les spécialistes du domaine.
En 1999, l’OMS et le Joint National Committee on Prevention, Detection, Evaluation
and Treatment of High Blood Pressure (JNC 6) proposaient une classification de la
pression artérielle en “optimale, normale, normale haute, hypertension artérielle,
hypertension artérielle modérée, hypertension artérielle sévère”… (4). Une simplifi-
cation notable vient d’être proposée par le JNC 7 : pression artérielle normale (infé-
rieure respectivement à 120 et à 80 mmHg pour la systolique et la diastolique) ; pré-
hypertension (120-139 ou 80-89 mmHg) ; HTA de stade I (140-159 ou 90-99 mmHg) et
HTA de stade II pour une systolique supérieure ou égale à 160 et une diastolique
supérieure ou égale à 100 mmHg (5). L’état préhypertensif ressemble à l’état prédia-
bétique et peut-être demain à l’état préhypercholestérolémique… Cette classifica-
tion, qui fait débat, s’accompagne de recommandations hygiéno-diététiques et thé-
rapeutiques pour chaque niveau tensionnel.
En fait, on l’a compris, ces différentes classifications n’ont guère de sens pour des
valeurs continues comme la pression artérielle, la glycémie, le cholestérol ou le
poids. Seul compte l’objectif tensionnel que l’on veut atteindre pour mettre un
patient à l’abri d’un AVC. La norme doit céder le pas devant le but à atteindre. Le
traitement antihypertenseur permet de ramener le risque d’AVC chez un patient
hypertendu à celui d’un patient ayant naturellement le même niveau tensionnel. La
pression artérielle cible à atteindre doit être réfléchie en fonction du contexte. Ainsi,
s’il faut traiter par des antihypertenseurs l’hypertension avec sa définition clas-
sique de 140/90 mmHg et au minimum amener à ces chiffres les hypertendus, il est
souhaitable de traiter et d’obtenir des chiffres tensionnels plus bas lorsque qu’il
s’agit d’un patient ayant déjà fait un AVC et/ou accumulant des facteurs de risque
cardiovasculaires (diabète, tabagisme…). L’objectif tensionnel proposé est de
130/80 mmHg pour les patients diabétiques ou insuffisants rénaux.
Le risque de développer un accident cardiovasculaire peut être calculé en fonction
des données statistiques de longévité et de morbidité (calcul des risques relatif et
absolu par l’équation de Framingham et apparentées). La prise en compte de la glo-
balité du risque devrait, en principe, reléguer au second plan la notion de normali-
té d’un paramètre isolé. Nos sociétés auront alors à se prononcer sur leurs objectifs
de santé en choisissant les taux de risque motivant une intervention médicale. De
façon concrète, il est possible de calculer le nombre de patients à traiter pour rédui-
re d’un pourcentage donné le risque d’infarctus du myocarde ou d’AVC dans les cinq
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Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. I - n° 1 - octobre-novembre-décembre 2003
éditorial
ou dix ans. Plus que les choix arbitraires de normes, la détermination de ces objec-
tifs est en prise directe avec les réalités socio-économiques d’un pays. Pour les déci-
deurs en santé publique, la politique de limitation des risques doit tenir compte des
dépenses de santé induites, ce qui peut être calculé par modélisation mathématique
(6). Dans ce contexte, on conçoit que les objectifs (et les normes) puissent varier
d’un pays à l’autre. Ainsi, les recommandations du JNC 7 n’ont pas été adoptées par
d’autres pays ou organisations. L’International Society of Hypertension a publié ses
propres propositions en matière d’hypertension et de prévention des AVC (7).
Le prix des médicaments est, bien entendu, déterminant pour fixer des objectifs rai-
sonnables, supportables par la communauté. Or, la bonne nouvelle est qu’il ne
semble pas que certains traitements antihypertenseurs s’avèrent supérieurs à
d’autres pour la même réduction tensionnelle. Il n’y a pas d’arguments pour penser
que les médicaments les plus récents – et les plus chers – exercent un effet protec-
teur vasculaire se surajoutant à leur effet antihypertenseur : une méta-analyse
récente montre une protection similaire des différents types d’antihypertenseurs (8)
et l’étude ALLHAT (plus de 33 000 patients suivis en moyenne durant 5 ans) a mon-
tré que les diurétiques de type thiazidique réduisaient aussi bien le risque d’acci-
dent cardiovasculaire que des médicaments plus récents (inhibiteurs de l’enzyme de
conversion de l’angiotensine, bloqueurs des canaux calciques) (9). Une prévention
des AVC à très large échelle est donc tout à fait possible et peu coûteuse, grâce à
l’utilisation en première intention de faibles doses de diurétiques thiazidiques.
Sachant que plus la tension sera basse, plus le risque d’AVC sera réduit ; un objec-
tif atteignable et dont aurait rêvé Fisher en 1915.
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ÉFÉRENCES
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4. Joint National Committee on Prevention, Detection, Evaluation and Treatment of High Blood Pressure.
The sixth report. Arch Intern Med 1997 ; 157 : 2413-46.
5. Chobanian AV, Bakris GL, Blak HR et al. The seventh report of the Joint National Committee on
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6. Marshall T, Rouse A. Resource implications and health benefits of primary prevention strategies for car-
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J Hypertens 2003 ; 21 : 651-63.
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bitor or calcium channel blocker vs diuretic. ALLHAT. JAMA 2002 ; 288 : 2981-97.
9. Staessen JA, Wang JG, Thijs L. Cardiovascular prevention and blood pressure reduction : a quantitative
overview updated until 1 March 2003. J Hypertens 2003 ; 21 : 1055-76.
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Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. I - n° 1 - octobre-novembre-décembre 2003
© La Lettre du Neurologue 2003 ;
VII (7) : 227-8.
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