Le nerf sus-scapulaire : évaluation clinique, neurophysiologique et approche thérapeutique F. Ochsner 1, 2, T. Kuntzer 2 (1 cabinet de neurologie, La Chaux-de-Fonds, Suisse ; service de neurologie, CHU Vaudois, Lausanne, Suisse) L’étude du nerf sus-scapulaire (NSS) fait partie intégrante de l’évaluation d’un syndrome douloureux de l’épaule au même titre que celle du nerf axillaire ou de la coiffe des rotateurs. Souvent, la mononeuropathie sus-scapulaire est isolée ; plus rarement, elle s’intègre dans un contexte clinique plus complexe, une plexopathie brachiale supérieure, un syndrome de Parsonage et Turner, etc. Le diagnostic différentiel s’articule entre une radiculopathie C5-C6, une souffrance de la coiffe des rotateurs, une mononeuropathie d’une terminale du plexus brachial. En pathologie sportive, en particulier chez les lan- ceurs, la mononeuropathie sus-scapulaire est une pathologie parfois méconnue (1-3). L’identification d’une mononeuropathie sus-scapulaire requiert non seulement un examen clinique minutieux de l’épaule mais aussi une évaluation neurophysiologique détaillée, éventuellement un recours à l’imagerie. RAPPEL ANATOMIQUE (figure 1) Le NSS est une branche collatérale proximale du plexus brachial. Il est constitué des Fiche à détacher et à archiver 2 fibres issues des racines antérieures de C5 et C6 à l’origine du tronc primaire supérieur. Il se dirige en bas, en dehors et en arrière (territoire rétroclaviculaire), avant de pénétrer dans la fosse sus-épineuse en franchissant l’échancrure coracoïdienne barrée par le ligament coracoïdien. Après avoir distribué deux branches motrices au muscle susépineux et des rameaux sensoriels aux structures ligamento-capsulaires, il décrit une courbe à concavité interne à 90° au pied de l’épine de l’omoplate et franchit le ligament spino-glénoïdien à travers un défilé de même nom pour aboutir dans la fosse sous-épineuse et se ramifier dans le muscle (4). Une innervation inhabituelle a aussi été rapportée avec une séparation proximale des fascicules destinés aux muscles sus- et sous-épineux avec dénervation exclusive du muscle sus-épineux (3). LIEUX D’ENCLAVEMENT POTENTIELS 1. Nerf sus-scapulaire 2. Muscle sus-épineux 3. Muscle sous-épineux 4. Échancrure coracoïdienne 5. Défilé spinoglénoïdien 6. Épine de l’omoplate Figure 1. Schéma du nerf sus-scapulaire avec lieux d’enclavement. (Le professeur G. Monnier a bien voulu fournir ce schéma anatomique). Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. II - n° 1 - octobre 2004 Couplé à une étude anatomique détaillée, l’aspect kinésiologique permet de mieux appréhender la physiopathologie du déficit neurologique. Cinq lieux potentiels de souffrance du NSS ont été décrits (5) : le passage des racines et du tronc primaire dans le défilé des scalènes antérieur et moyen ; – le passage du NSS dans le fascia des muscles sus-claviculaire et omo-hyoïdien ; – le franchissement de l’échancrure coracoïdienne ; – le fascia entre le muscle sus-épineux et la base de l’apophyse coracoïdienne ; 21 1. Muscle sous-épineux ; 2. Muscle sus-épineux ; 3. Tronc primaire supérieur ; 4. Première côte ; 5. Clavicule ; 6. Ligament et échancrure coracoïdienne ; 7. Épine de l’omoplate ; 8. Ligament et défilé spinoglénoïdiens. Figure 2. Vue coronale supérieure du nerf sus-scapulaire (NSS) (B) position normale, (C) étirement du nerf induit par la position du bras en (A). La neuropathie du NSS peut s’observer par la traction répétée du nerf entre l’échancrure coracoïdienne et le défilé spino-glénoïdien (Adapté de Kopell HP et al. Pain in the frozen shoulder. Surg Gyncol Obstet 1959;109-92, avec permission) 22 (figure 3) L’examen consiste en une étude des paramètres de la conduction nerveuse des nerfs à destinée distale du membre supérieur dans le but d’exclure une polyneuropathie sous-jacente, une plexopathie brachiale, avec mesure des amplitudes supramaximales motrices et sensitives des nerfs médian et ulnaire, des vitesses de conduction à l’avant-bras et au passage du coude, des latences minimales et maximales des ondes F. Dans un second temps, sont mesurées les réponses motrices du NSS en utilisant une cathode de 0,8 cm de diamètre et une anode de 30 cm2 placée sur la région postérieure de l’épaule selon le schéma de la figure 3. La cathode est appliquée au point d’Erb. Son emplacement final varie en fonction de la réponse enregistrée dans les muscles épineux (1). Le site le plus adéquat est en effet déterminé par le déplacement de la cathode en direction de la partie supérieure et mi-claviculaire du creux sus-claviculaire permettant d’évoquer une réponse par un stimulus minimal. La dérivation d’un potentiel moteur est réalisée par une électrodeaiguille concentrique bifilaire ou de surface placée sur le point moteur des muscles sus- et sous-épineux. Le repérage du muscle sous-épineux ne pose pas de problème étant superficiel ; l’électrode active est insérée à deux travers de doigt cauda- Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. II - n° 1 - octobre 2004 archiver ÉVALUATION ÉLECTROPHYSIOLOGIQUE La mononeuropathie isolée du NSS entraîne des douleurs scapulaires postérieures, sourdes, parfois à caractère insomniant (3). La découverte d’une lésion du NSS est parfois fortuite, du fait de l’entourage d’un à ET FONCTIONNELLE et SÉMIOLOGIE CLINIQUE détacher La plupart des neuropathies isolées du NSS entrent dans le cadre d’un syndrome canalaire ou de prise au piège, exceptionnel au passage du défilé spino-glénoïdien mais fréquent à l’échancrure coracoïdienne. La forme chronique est en rapport avec des microtraumatismes répétitifs à la suite de mouvements itératifs d’étirement. La paralysie aiguë du NSS est, elle, habituellement traumatique de mécanisme varié, compressif, par une adénopathie, ou inflammatoire dans le syndrome de Parsonage et Turner. Le NSS est solidaire des déplacements incessants de l’omoplate, os très mobile, fixé à son origine sur le tronc primaire supérieur et distalement par ses terminai- patient qui note une amyotrophie des fosses épineuses. Dans une série récente (1), seul un patient sur huit – un joueur de tennis – a rapporté une perte de la rotation externe du bras comme unique manifestation d’atteinte du NSS. La paralysie isolée de la branche terminale du NSS occasionne en effet une déficience motrice modérée ; le muscle petit rond, agoniste innervé par le nerf axillaire, supplée en partie la défaillance du puissant muscle sous-épineux. La fonction du sus-épineux est partiellement compensée par le chef supérieur du trapèze innervé par l’accessoire du spinal, et le chef moyen du deltoïde innervé par le nerf axillaire. à PHYSIOPATHOLOGIE (figure 2) sons dans le muscle sous-épineux. Il subit donc les mouvements de va-et-vient de l’omoplate, mouvements dits de la “sonnette”, violents lors de leur mise en jeu avec une incursion extrême de la musculature scapulaire qui associe un mouvement de rétropulsion à une rotation interne extrême et à une abduction du membre supérieur (MS). Le segment terminal du NSS se plaque alors médialement contre la base de l’épine scapulaire avec une angulation très fermée suivie d’une antépulsion brusque occasionnant une lésion par microtraumatismes (6). Fiche – le franchissement du ligament spino-glénoïdien à l’entrée de la fosse sous-épineuse. ectopique distale de l’axone moteur par le passage d’un influx orthodromique volontaire ou stimulé, réponse instable observée en cas de lésion myélinique (8). PRINCIPAUX DIAGNOSTICS Fiche à détacher et à archiver DIFFÉRENTIELS DES SCAPULALGIES Figure 3. Vue postérieure d’un schéma de l’épaule. (A) Montage par électrodes de surface (en blanc, électrodes de référence placées sur l’acromion ; en noir, électrodes actives placées en regard du point moteur des muscles sus- et sous-épineux). Stimulation monopolaire au point d’Erb (1 et 2) et enregistrement simultané des réponses motrices des muscles sus- (3) et sous-épineux (4) avec référence à la terre (5). (B) Points d’exploration par électrode-aiguille des faisceaux supérieur, moyen et inférieur du muscle trapèze (grosses cibles) et (de haut en bas), des muscles élévateurs de la scapula, rhomboïde et petit rond (petites cibles). Le muscle sus-épineux (étoile à 4 branches) est exploré par l’insertion de l’aiguille dans la fosse sus-épineuse juste au-dessus du milieu de l’épine de l’omoplate. Le muscle sous-épineux (étoile à 5 branches) est exploré à l’aiguille dans la fosse sous-épineuse à deux doigts de l’épine de l’omoplate, à partir de son milieu. Pour les muscles sus- et sous-épineux, l’insertion de l’aiguille est poursuivie jusqu’au contact avec l’os, puis elle est retirée de 2-3 mm. (Le professeur G. Monnier a bien voulu fournir ce schéma anatomique). lement du milieu de l’épine de l’omoplate (électrode de surface active ou électrodeaiguille), et l’électrode de référence placée sur l’acromion (électrode de référence). Le muscle sous-épineux se localisant sous le chef supérieur du muscle trapèze, il faut le repérer par des stimulations au point d’Erb ou au-dessus, et vérifier que la stimulation du nerf spinal accessoire (XI) n’évoque pas de réponse. De cas en cas, il est parfois nécessaire de pratiquer une stimulation directe des muscles épineux pour rechercher un bloc de conduction distal avec mise en place d’une électrode-aiguille très superficielle au point moteur, l’anode et la cathode étant de part et d’autre alignées sur l’aiguille de réception (7). La stimulation directe des muscles épineux permet aussi d’apprécier l’état fonctionnel de la coiffe des rotateurs par la démonstration d’un déplacement articulaire couplé à la contraction musculaire. L’examen en détection consiste en la recherche d’une activité de repos dans les muscles sous-épineux, sus-épineux, chefs moyen et postérieur du deltoïde, biceps brachial, rhomboïde, petit rond et grand dentelé. À l’effort musculaire gradué, l’évaluation se concentre sur le recrutement et la morphologie des potentiels d’unité motrice des mêmes muscles. Dans notre expérience, il est retrouvé une perte axonale localisée soit dans le sousépineux, soit dans le sus-épineux, soit dans les deux muscles ; la recherche d’un bloc de conduction est le plus souvent vaine (1). En revanche, sont relevants de nombreux potentiels stables directs et de latence très prolongée (ondes tardives) enregistrés dans les muscles sus- et sousépineux de certaines observations, reflet d’une réinnervation terminale. Il n’a pas été mis en évidence de décharges doubles indirectes correspondant à la réexcitation Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. II - n° 1 - octobre 2004 Le diagnostic différentiel s’articule entre une atteinte radiculaire C5 (C6) avec une douleur prédominant sur le moignon de l’épaule, un syndrome de Parsonage et Turner responsable de scapulalgies excruçiantes parfois diffuses de l’épaule irradiant vers le segment cervical et la racine du MS avec amyotrophie et déficit moteur variable mais prédominant sur le territoire du plexus brachial supérieur souvent en mosaïque. La symptomatologie est purement motrice et l’électroneuromyographie étaye le plus souvent une lésion axonale. Un syndrome du défilé scalénique parfois douloureux, parfois s’associant à une lourdeur brachiale à l’effort, complète le diagnostic différentiel, ainsi qu’une mononeuropathie axillaire avec parésie du deltoïde, la rotation externe en partie compensée par le muscle sous-épineux, une mononeuropathie du grand dentelé responsable d’une impotence scapulaire algique avec scapula alata déclenchée par l’antéflexion du bras, une pathologie ligamento-capsulaire, une tendinite du long chef du biceps, une lésion du bourrelet glénoïdien et une rupture partielle ou complète de la coiffe des rotateurs avec amyotrophie de type ab inusu des fosses épineuses associée ou non à une lésion du NSS. La coiffe des rotateurs comprend d’avant en arrière les muscles sous-scapulaire, sus-épineux, sous-épineux et petit rond ; la rupture est démontrée à l’imagerie, IRM, arthoscanner, l’évaluation électrique étant peu contributive en dehors de l’exclusion d’une lésion d’un tronc nerveux. Enfin, il existe de rares arthropathies nerveuses de l’épaule, le plus souvent une syringomyélie, diagnostic établi sur un syndrome sensitif dissocié thermo-algésique avec un syndrome lésionnel suspendu et l’imagerie précisant l’extension de la cavité intramédullaire. 23 Devant une épaule douloureuse qui n’a pas fait sa preuve étiologique, une éva- 24 Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. II - n° 1 - octobre 2004 archiver à et 1. Ochsner F, Bonnard C, Chauplannaz G, Kuntzer T. Scapulalgie et neuropathie suprascapulaire en pathologie sportive. Neurophysiol Clin 2000;30:21-6. 2. Witvrouw E, Cools A, Lysens R et al. Suprascapular neuropathy in volleyball players. Br J Sports Med 2000;34:174-80. 3. Zehetgruber H, Noske H, Lang T, Wurnig C. Suprascapular nerve entrapment. A meta-analysis. Int Orthop 2002;26:339-43. 4. Henlin JL, Rousselot JP, Monnier G et al. Syndrome canalaire du nerf sus-scapulaire dans le défilé spinoglénoïdien. Rev Neurol (Paris) 1992;148:362-7. 5. Ringel SP, Treihaft M, Carry M et al. Suprascapular neuropathy in pitchers. Am J Sports Med 1990;18:80-6. 6. Olivares JP, Arnaud A, Delarque A, Hamidou M. Pathologie du nerf sus-scapulaire chez le sportif. Presse Med 1987;16:1434-5. 7. Roth G, Magistris MR. Detection of conduction block by monopolar percutaneous stimulation of the brachial plexus. Electromyogr. Clin Neurophysiol 1987;27:45-53. 8. Roth G. Décharge double. Schweiz Arch Neurol Neurochir Psychiatr 1971;108:261-72. 9. Martin SD, Warren RF, Martin TL et al. Suprascapular neuropathy. Results of non-operative treatment. J Bone Joint Surg Am 1997;79: 1159-65. 10. Van Zandijcke M, Casselman J. Suprascapular nerve entrapment at the spinoglenoid notch due to a ganglion cyst. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1999;66:245. détacher CONCLUSION RÉFÉRENCES à L’approche thérapeutique préconise un traitement conservateur, une mise au repos et une immobilisation de l’épaule associées à la prise d’un anti-inflammatoire non stéroïdien, éventuellement à des infiltrations loco-régionales par un corticoïde retard en regard de l’échancrure coracoïdienne ou de la bourse sous-acromiale (9). Le traitement est souvent peu efficace et, dans la plupart des séries consultées compte tenu d’un diagnostic tardif, une prise en charge chirurgicale est alors justifiée avec section respectivement du ligament coracoïdien ou spinoglénoïdien associée à une neurolyse du nerf sus-scapulaire, parfois à l’excision d’un ganglion comprimant le nerf sus-scapulaire au pied de l’épine de l’omoplate (10). Le délai de dix semaines de mise au repos proposé par certains auteurs (9) paraît adéquat avant d’entreprendre une neurolyse du NSS, mais avec des résultats qui restent malgré tout souvent décevants. luation clinique détaillée des différents muscles de la ceinture scapulaire est essentielle ainsi qu’une étude détaillée du segment cervical complétée par un examen neurophysiologique indispensable qui permettra de différencier une mononeuropathie du sus-scapulaire d’une autre mononeuropathie de l’épaule, éventuellement d’une radiculopathie ou encore d’une lésion de la coiffe des rotateurs, diagnostic différentiel le plus souvent évoqué dans les scapulalgies spontanées ou post-traumatiques. En effet, la recherche d’une tendinopathie associée est importante car la méconnaissance des différentes atteintes potentielles ligamento-scapulaires de l’épaule peut conduire à des résultats fonctionnels médiocres même si les muscles épineux récupèrent une bonne fonction. L’intérêt de l’examen électrophysiologique précoce réside aussi dans le fait que le testing manuel est souvent limité par la douleur. Dans notre expérience (1), le traitement conservateur, même précoce, est peu efficace. La neurolyse seule ou avec section ligamentaire permet d’améliorer les scapulalgies et le déficit moteur dans plus de la moitié des observations. ■ Fiche APPROCHE THÉRAPEUTIQUE