Le nerf sus-scapulaire : évaluation clinique, neurophysiologique et approche thérapeutique

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Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. II - n° 1 - octobre 2004
Fiche à détacher et à archiver
Le nerf sus-scapulaire :
évaluation clinique,
neurophysiologique
et approche thérapeutique
F. Ochsner
1, 2
, T. Kuntzer
2
(
1
cabinet de neurologie, La Chaux-de-Fonds, Suisse ;
2
service de neurologie, CHU Vaudois, Lausanne, Suisse)
L’étude du nerf sus-scapulaire (NSS) fait par-
tie intégrante de l’évaluation d’un syndrome
douloureux de l’épaule au même titre que
celle du nerf axillaire ou de la coiffe des rota-
teurs. Souvent, la mononeuropathie sus-sca-
pulaire est isolée ; plus rarement, elle s’in-
tègre dans un contexte clinique plus
complexe, une plexopathie brachiale supé-
rieure, un syndrome de Parsonage et Turner,
etc. Le diagnostic différentiel s’articule entre
une radiculopathie C5-C6, une souffrance de
la coiffe des rotateurs, une mononeuropathie
d’une terminale du plexus brachial. En patho-
logie sportive, en particulier chez les lan-
ceurs, la mononeuropathie sus-scapulaire
est une pathologie parfois méconnue (1-3).
L’identification d’une mononeuropathie
sus-scapulaire requiert non seulement un
examen clinique minutieux de l’épaule
mais aussi une évaluation neurophysiolo-
gique détaillée, éventuellement un recours
à l’imagerie.
R
APPEL ANATOMIQUE
(figure 1)
Le NSS est une branche collatérale proxi-
male du plexus brachial. Il est constitué des
fibres issues des racines antérieures de C5
et C6 à l’origine du tronc primaire supérieur.
Il se dirige en bas, en dehors et en arrière
(territoire rétroclaviculaire), avant de péné-
trer dans la fosse sus-épineuse en franchis-
sant l’échancrure coracoïdienne barrée par
le ligament coracoïdien. Après avoir distri-
bué deux branches motrices au muscle sus-
épineux et des rameaux sensoriels aux
structures ligamento-capsulaires, il décrit
une courbe à concavité interne à 90° au
pied de l’épine de l’omoplate et franchit le
ligament spino-glénoïdien à travers un
défilé de même nom pour aboutir dans la
fosse sous-épineuse et se ramifier dans le
muscle (4). Une innervation inhabituelle a
aussi été rapportée avec une séparation
proximale des fascicules destinés aux
muscles sus- et sous-épineux avec déner-
vation exclusive du muscle sus-épineux (3).
L
IEUX D
ENCLAVEMENT POTENTIELS
Couplé à une étude anatomique détaillée,
l’aspect kinésiologique permet de mieux
appréhender la physiopathologie du défi-
cit neurologique. Cinq lieux potentiels de
souffrance du NSS ont été décrits (5) :
le passage des racines et du tronc primaire
dans le défilé des scalènes antérieur et
moyen ;
– le passage du NSS dans le fascia des
muscles sus-claviculaire et omo-hyoïdien ;
– le franchissement de l’échancrure cora-
coïdienne ;
– le fascia entre le muscle sus-épineux et la
base de l’apophyse coracoïdienne ;
1. Nerf sus-scapulaire
2. Muscle sus-épineux
3. Muscle sous-épineux
4. Échancrure coracoïdienne
5. Défilé spinoglénoïdien
6. Épine de l’omoplate
Figure 1. Schéma du nerf sus-scapulaire avec lieux d’enclavement.
(Le professeur G. Monnier a bien voulu fournir ce schéma anatomique).
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– le franchissement du ligament spino-glé-
noïdien à l’entrée de la fosse sous-épi-
neuse.
P
HYSIOPATHOLOGIE
(figure 2)
La plupart des neuropathies isolées du
NSS entrent dans le cadre d’un syndrome
canalaire ou de prise au piège, exception-
nel au passage du défilé spino-glénoïdien
mais fréquent à l’échancrure coracoï-
dienne. La forme chronique est en rapport
avec des microtraumatismes répétitifs à la
suite de mouvements itératifs d’étirement.
La paralysie aiguë du NSS est, elle, habi-
tuellement traumatique de mécanisme
varié, compressif, par une adénopathie, ou
inflammatoire dans le syndrome de Parso-
nage et Turner.
Le NSS est solidaire des déplacements
incessants de l’omoplate, os très mobile,
fixé à son origine sur le tronc primaire
supérieur et distalement par ses terminai-
sons dans le muscle sous-épineux. Il subit
donc les mouvements de va-et-vient de
l’omoplate, mouvements dits de la “son-
nette”, violents lors de leur mise en jeu
avec une incursion extrême de la muscula-
ture scapulaire qui associe un mouvement
de rétropulsion à une rotation interne
extrême et à une abduction du membre
supérieur (MS). Le segment terminal du
NSS se plaque alors médialement contre la
base de l’épine scapulaire avec une angu-
lation très fermée suivie d’une antépulsion
brusque occasionnant une lésion par
microtraumatismes (6).
S
ÉMIOLOGIE CLINIQUE
ET FONCTIONNELLE
La mononeuropathie isolée du NSS entraîne
des douleurs scapulaires postérieures,
sourdes, parfois à caractère insomniant (3).
La découverte d’une lésion du NSS est par-
fois fortuite, du fait de l’entourage d’un
patient qui note une amyotrophie des fosses
épineuses. Dans une série récente (1), seul
un patient sur huit – un joueur de tennis –
a rapporté une perte de la rotation externe
du bras comme unique manifestation
d’atteinte du NSS. La paralysie isolée de
la branche terminale du NSS occasionne en
effet une déficience motrice modérée ; le
muscle petit rond, agoniste innervé par le
nerf axillaire, supplée en partie la défaillance
du puissant muscle sous-épineux. La fonc-
tion du sus-épineux est partiellement
compensée par le chef supérieur du tra-
pèze innervé par l’accessoire du spinal, et
le chef moyen du deltoïde innervé par le
nerf axillaire.
É
VALUATION ÉLECTROPHYSIOLOGIQUE
(figure 3)
L’examen consiste en une étude des para-
mètres de la conduction nerveuse des
nerfs à destinée distale du membre supé-
rieur dans le but d’exclure une polyneuro-
pathie sous-jacente, une plexopathie
brachiale, avec mesure des amplitudes
supramaximales motrices et sensitives des
nerfs médian et ulnaire, des vitesses de
conduction à l’avant-bras et au passage du
coude, des latences minimales et maxi-
males des ondes F. Dans un second temps,
sont mesurées les réponses motrices du
NSS en utilisant une cathode de 0,8 cm de
diamètre et une anode de 30 cm2placée
sur la région postérieure de l’épaule selon
le schéma de la figure 3. La cathode est
appliquée au point d’Erb. Son emplace-
ment final varie en fonction de la réponse
enregistrée dans les muscles épineux (1).
Le site le plus adéquat est en effet déter-
miné par le déplacement de la cathode en
direction de la partie supérieure et mi-cla-
viculaire du creux sus-claviculaire permet-
tant d’évoquer une réponse par un stimu-
lus minimal. La dérivation d’un potentiel
moteur est réalisée par une électrode-
aiguille concentrique bifilaire ou de surface
placée sur le point moteur des muscles
sus- et sous-épineux. Le repérage du
muscle sous-épineux ne pose pas de pro-
blème étant superficiel ; l’électrode active
est insérée à deux travers de doigt cauda-
Figure 2. Vue coronale supérieure du nerf sus-scapulaire (NSS) (B) position normale, (C) étirement du
nerf induit par la position du bras en (A). La neuropathie du NSS peut s’observer par la traction répétée du
nerf entre l’échancrure coracoïdienne et le défilé spino-glénoïdien (Adapté de Kopell HP et al. Pain in the
frozen shoulder. Surg Gyncol Obstet 1959;109-92, avec permission)
1. Muscle sous-épineux ; 2. Muscle sus-épineux ; 3. Tronc primaire supérieur ; 4. Première côte ;
5. Clavicule ; 6. Ligament et échancrure coracoïdienne ; 7. Épine de l’omoplate ;
8. Ligament et défilé spinoglénoïdiens.
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lement du milieu de l’épine de l’omoplate
(électrode de surface active ou électrode-
aiguille), et l’électrode de référence placée
sur l’acromion (électrode de référence). Le
muscle sous-épineux se localisant sous le
chef supérieur du muscle trapèze, il faut le
repérer par des stimulations au point d’Erb
ou au-dessus, et vérifier que la stimulation
du nerf spinal accessoire (XI) n’évoque pas
de réponse. De cas en cas, il est parfois
nécessaire de pratiquer une stimulation
directe des muscles épineux pour recher-
cher un bloc de conduction distal avec
mise en place d’une électrode-aiguille très
superficielle au point moteur, l’anode et la
cathode étant de part et d’autre alignées
sur l’aiguille de réception (7). La stimula-
tion directe des muscles épineux permet
aussi d’apprécier l’état fonctionnel de la
coiffe des rotateurs par la démonstration
d’un déplacement articulaire couplé à la
contraction musculaire.
L’examen en détection consiste en la
recherche d’une activité de repos dans les
muscles sous-épineux, sus-épineux, chefs
moyen et postérieur du deltoïde, biceps
brachial, rhomboïde, petit rond et grand
dentelé. À l’effort musculaire gradué, l’éva-
luation se concentre sur le recrutement et
la morphologie des potentiels d’unité
motrice des mêmes muscles.
Dans notre expérience, il est retrouvé une
perte axonale localisée soit dans le sous-
épineux, soit dans le sus-épineux, soit
dans les deux muscles ; la recherche d’un
bloc de conduction est le plus souvent
vaine (1). En revanche, sont relevants de
nombreux potentiels stables directs et de
latence très prolongée (ondes tardives)
enregistrés dans les muscles sus- et sous-
épineux de certaines observations, reflet
d’une réinnervation terminale. Il n’a pas
été mis en évidence de décharges doubles
indirectes correspondant à la réexcitation
ectopique distale de l’axone moteur par le
passage d’un influx orthodromique volon-
taire ou stimulé, réponse instable observée
en cas de lésion myélinique (8).
P
RINCIPAUX DIAGNOSTICS
DIFFÉRENTIELS DES SCAPULALGIES
Le diagnostic différentiel s’articule entre
une atteinte radiculaire C5 (C6) avec une
douleur prédominant sur le moignon de
l’épaule, un syndrome de Parsonage et Tur-
ner responsable de scapulalgies excru-
çiantes parfois diffuses de l’épaule irra-
diant vers le segment cervical et la racine
du MS avec amyotrophie et déficit moteur
variable mais prédominant sur le territoire
du plexus brachial supérieur souvent en
mosaïque. La symptomatologie est pure-
ment motrice et l’électroneuromyographie
étaye le plus souvent une lésion axonale.
Un syndrome du défilé scalénique parfois
douloureux, parfois s’associant à une lour-
deur brachiale à l’effort, complète le dia-
gnostic différentiel, ainsi qu’une mono-
neuropathie axillaire avec parésie du
deltoïde, la rotation externe en partie com-
pensée par le muscle sous-épineux, une
mononeuropathie du grand dentelé res-
ponsable d’une impotence scapulaire
algique avec scapula alata déclenchée par
l’antéflexion du bras, une pathologie liga-
mento-capsulaire, une tendinite du long
chef du biceps, une lésion du bourrelet glé-
noïdien et une rupture partielle ou com-
plète de la coiffe des rotateurs avec amyo-
trophie de type ab inusu des fosses
épineuses associée ou non à une lésion du
NSS. La coiffe des rotateurs comprend
d’avant en arrière les muscles sous-scapu-
laire, sus-épineux, sous-épineux et petit
rond ; la rupture est démontrée à l’image-
rie, IRM, arthoscanner, l’évaluation élec-
trique étant peu contributive en dehors de
l’exclusion d’une lésion d’un tronc nerveux.
Enfin, il existe de rares arthropathies ner-
veuses de l’épaule, le plus souvent une
syringomyélie, diagnostic établi sur un syn-
drome sensitif dissocié thermo-algésique
avec un syndrome lésionnel suspendu et
l’imagerie précisant l’extension de la cavité
intramédullaire.
Figure 3. Vue postérieure d’un schéma de l’épaule.
(A) Montage par électrodes de surface (en blanc, électrodes de référence placées sur l’acromion ; en noir,
électrodes actives placées en regard du point moteur des muscles sus- et sous-épineux). Stimulation
monopolaire au point d’Erb (1 et 2) et enregistrement simultané des réponses motrices des muscles sus- (3)
et sous-épineux (4) avec référence à la terre (5). (B) Points d’exploration par électrode-aiguille des fais-
ceaux supérieur, moyen et inférieur du muscle trapèze (grosses cibles) et (de haut en bas), des muscles élé-
vateurs de la scapula, rhomboïde et petit rond (petites cibles). Le muscle sus-épineux (étoile à 4 branches)
est exploré par l’insertion de l’aiguille dans la fosse sus-épineuse juste au-dessus du milieu de l’épine de
l’omoplate. Le muscle sous-épineux (étoile à 5 branches) est exploré à l’aiguille dans la fosse sous-épi-
neuse à deux doigts de l’épine de l’omoplate, à partir de son milieu. Pour les muscles sus- et sous-épineux,
l’insertion de l’aiguille est poursuivie jusqu’au contact avec l’os, puis elle est retirée de 2-3 mm.
(Le professeur G. Monnier a bien voulu fournir ce schéma anatomique).
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Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. II - n° 1 - octobre 2004
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A
PPROCHE THÉRAPEUTIQUE
L’approche thérapeutique préconise un
traitement conservateur, une mise au repos
et une immobilisation de l’épaule associées
à la prise d’un anti-inflammatoire non sté-
roïdien, éventuellement à des infiltrations
loco-régionales par un corticoïde retard en
regard de l’échancrure coracoïdienne ou de
la bourse sous-acromiale (9). Le traitement est
souvent peu efficace et, dans la plupart des
séries consultées compte tenu d’un dia-
gnostic tardif, une prise en charge chirurgicale
est alors justifiée avec section respective-
ment du ligament coracoïdien ou spino-
glénoïdien associée à une neurolyse du nerf
sus-scapulaire, parfois à l’excision d’un
ganglion comprimant le nerf sus-scapulaire
au pied de l’épine de l’omoplate (10).
Le délai de dix semaines de mise au repos
proposé par certains auteurs (9) paraît
adéquat avant d’entreprendre une neuro-
lyse du NSS, mais avec des résultats qui
restent malgré tout souvent décevants.
C
ONCLUSION
Devant une épaule douloureuse qui n’a
pas fait sa preuve étiologique, une éva-
luation clinique détaillée des différents
muscles de la ceinture scapulaire est
essentielle ainsi qu’une étude détaillée
du segment cervical complétée par un
examen neurophysiologique indispen-
sable qui permettra de différencier
une mononeuropathie du sus-scapulaire
d’une autre mononeuropathie de l’épaule,
éventuellement d’une radiculopathie ou
encore d’une lésion de la coiffe des
rotateurs, diagnostic différentiel le plus
souvent évoqué dans les scapulalgies
spontanées ou post-traumatiques. En
effet, la recherche d’une tendinopathie
associée est importante car la mécon-
naissance des différentes atteintes poten-
tielles ligamento-scapulaires de l’épaule
peut conduire à des résultats fonction-
nels médiocres même si les muscles
épineux récupèrent une bonne fonction.
L’intérêt de l’examen électrophysio-
logique précoce réside aussi dans le fait
que le testing manuel est souvent limité
par la douleur.
Dans notre expérience (1), le traitement
conservateur, même précoce, est peu effi-
cace. La neurolyse seule ou avec section
ligamentaire permet d’améliorer les sca-
pulalgies et le déficit moteur dans plus de
la moitié des observations.
R
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