LIBÉRALE Groupe de parole Pourquoi, comment, pour quels résultats ? S’il est assez fréquent que les infirmières hospitalières bénéficient de groupes de parole, c’est plus rare pour les libérales. Un groupe a fonctionné dans l’Est parisien pendant un an et demi. Q uel était le but de ces groupes de parole ? Les infirmières participantes cherchaient : – à être moins isolées ; – à mieux faire face au stress et à la fatigue ; – à échanger sur l’évolution de leurs pratiques professionnelles ; – à travailler sur les relations aux patients et avec leurs associés. Le groupe de travail visait à prévenir l’épuisement professionnel. Méthodologie Les réunions avaient toujours lieu le même jour, aux mêmes horaires, et cela une fois par mois. Chaque réunion commençait par un tour de table qui permettait à chacune des participantes de s’exprimer ainsi que par un recensement des thèmes qu’elles voulaient travailler. S’ensuivaient alors soit des analyses de cas concrets, soit des séquences d’apports plus théoriques ou encore des “jeux de rôle”. Lors des analyses de cas, chaque infirmière réagissait en puisant dans son expérience et proposait des axes de solution. L’animatrice régulait la parole et proposait des éclairages si nécessaire. Les jeux de rôle permettaient aux participantes de mieux identifier leurs ressources pour gérer les situations traitées. Par exemple, on mimait une séquence d’entretien entre l’infirmière et l’épouse du patient sur leurs places respectives dans les soins à prodiguer à celui-ci. Les quinze réunions furent financées sur le budget de formation professionnelle des infirmières. L’animation en fut confiée à une psychologue clinicienne maîtrisant l’animation de groupes de parole. Les difficultés rencontrées ? Le nombre de professionnelles intéressées au départ et celui des infirmières qui se sont impliquées dans la durée ont été divisés par deux. 40 Professions Santé Infirmier Infirmière - No 32 - décembre 2001 On peut craindre que l’effort nécessaire pour s’abstraire du quotidien ait été trop fort pour certaines des professionnelles. L’avantage en fut une intimité, une sincérité et une honnêteté plus grandes, sans jugement dans le groupe. Cela a favorisé, de l’avis général, un travail approfondi sur soi-même et des remises en question efficaces. La limitation a été que, en l’absence de pluralité de points de vue, la prise de recul individuelle était moins grande. Les principaux thèmes travaillés Lors des séances de travail, les thèmes les plus importants furent : – les relations professionnelles avec les patients et les partenaires ; – l’articulation entre la qualité de vie et les exigences de l’exercice libéral, dans une profession de santé ; – la prise en charge des personnes présentant des pathologies lourdes (personnes très âgées et grabataires, ou atteintes de cancer, sclérose en plaques, etc.) ; – le rapport individuel à la maladie, au vieillissement et à l’approche de la mort ; – les représentations du rôle de l’infirmière libérale et l’évolution du métier. A cette occasion, des émotions difficiles, voire douloureuses, de la relation aux patients ont pu être partagées, notamment quand : – l’infirmière libérale est seule au courant d’éléments de diagnostic et/ou de pronostic défavorables ; – la dépendance affective est importante chez le patient et sollicite fortement l’infirmière ; – l’identification personnelle au patient gravement atteint créé un profond malaise ; – l’infirmière a peur, voire a la conscience, de faire mal son travail. Les apports théoriques ou méthodologiques ont concerné principalement : LIBÉRALE – la notion de stress et d’épuisement professionnel (burn out) ; – les techniques de communication ; – la notion de “soins relationnels” (l’infirmière intervient tant au niveau du corps du patient qu’au niveau de son système de relation) ; – la responsabilité des professionnels de santé en cas de problème de maltraitance auprès des personnes. Quels résultats ? Les séances ont permis “de faire une pause” et de répondre au “besoin de souffler”. Les modifications observées dans la pratique des infirmières ayant participé au groupe sont les suivantes : – une prise de recul sur le métier, avec le développement d’un plus grand réalisme, sans pour autant lâcher sur les exigences professionnelles fortes dans la profession ; – une appréhension plus concrète de la “relation d’aide”, faite d’empathie et d’écoute active, afin de trouver “l’attitude la plus juste” et de favoriser des “moments de santé” pour l’autre et soi-même ; – une meilleure affirmation de soi et de ses choix (par exemple, apprendre à dire non à un patient ou à un professionnel partenaire, sans agressivité ni culpabilité, et l’amener à l’idée que la disponibilité de l’infirmière n’est pas permanente) ; – une meilleure acceptation chez l’infirmière de ses limites physiques et psychiques ; – une meilleure gestion des émotions et de la charge mentale : les “choses sont posées ici, ça évite de ruminer” ; – un meilleur décodage de ce qui se joue dans les relations patient/infirmière, surtout à domicile : “Quand on soigne quelqu’un, on le fait avec sa personnalité, il faut réfléchir sur soi-même et être au clair avec ses propres motivations”. Ce groupe fonctionnait bien, et c’est pour éviter de tomber dans une routine, renforcée par le petit nombre de participants qu’il a cependant été mis un terme à son existence. Les infirmières impliquées envisagent de poursuivre ce travail de prise de recul, sous une forme proche ou différente. Au total, afin de créer et de pérenniser de tels groupes, il paraît important de : – maintenir un cadre horaire régulier ; – disposer d’une animation extérieure, de préférence par une personne formée à la psychologie, afin d’éviter un échange centré exclusivement sur l’action et d’optimiser la prise de recul. L’intérêt de participer à de tels groupes, surtout en libéral, est d’“offrir une occasion pour mieux aider les autres, en s’étant penché(e) sur sa propre souffrance”. Il nécessite cependant de prendre le temps (et le risque) de se donner un temps différent du quotidien, propre à venir oxygéner la pratique professionnelle. Stéphanie Feliculis Psychologue Catherine Hoog-Reyre et Martine Sausset Infirmières libérales • Sur un petit groupe de personnes, ce travail s’apparente davantage à des pratiques de “coaching” développées actuellement en entreprise : cf. l’article de S. Feliculis sur la question, “Pratiques d’évaluation du changement en coaching individualisé : enquête, questions et mise en perspective”, Pratiques psychologiques, 2000, no 2, pp. 33-47. • S. Feliculis , “Le burn out : ascension et déclin d’un concept”, Journal des psychologues, 1998, no 157, pp. 38-41 Pratiques professionnelles : thèmes abordés • Comment se faire connaître comme infirmière libérale dans son quartier par rapport à une clientèle ? • Comment participer à différents réseaux de soins ? • Quel mode de collaboration choisir lorsqu’on veut travailler avec d’autres infirmières ? • La place des soins de nursing dans la pratique de l’infirmière libérale. • L’évolution des tarifs de prestations et du statut de la profession. Discussions autour d’analyses de cas • La place du conjoint et de toute la famille dans les soins. • La place de l’hygiène de vie du patient dans l’évolution de sa maladie (rôle d'éducation à la santé). • Les processus d’attachement et de détachement affectif que l’infirmière libérale doit gérer dans le temps de chaque patient et dans le temps de sa propre journée de travail. Professions Santé Infirmier Infirmière - No 32 - décembre 2001 41