Fonction ventriculaire gauche dans l’hypertension artérielle M

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Fonction ventriculaire gauche
dans l’hypertension artérielle
● E. Abergel*
Tableau I. Principales formules utiles.
Points forts
■ La fraction de raccourcissement (ou la fraction d’éjec-
tion) du ventricule gauche est un reflet imparfait de la
contractilité ventriculaire gauche chez l’hypertendu.
■ La
post-charge modifie la valeur de la fraction de raccourcissement indépendamment de la qualité contractile du ventricule gauche ; elle est facilement approchée
en calculant la contrainte télésystolique.
■ Le calcul de la contrainte télésystolique permet de déter-
miner une normale personnalisée de la fraction de raccourcissement chez chaque patient.
■ Sur
un ventricule gauche de géométrie concentrique,
une fraction de raccourcissement < 40 % doit alarmer,
car elle peut refléter une atteinte du ventricule gauche.
Mots-clés : Hypertension artérielle - Échocardiographie Fonction systolique - Contrainte.
L’APPROCHE EN ROUTINE ET SES LIMITES
Le calcul de la fraction de raccourcissement endocardique (FRe)
du ventricule gauche (VG) en mode TM est largement utilisé pour
évaluer la fonction systolique chez l’hypertendu (tableau I). Cette
attitude est légitime, car le recueil des données est simple, et le
résultat obtenu est fiable chez la grande majorité des hypertendus dont la contraction ventriculaire gauche est homogène.
Deux limites
Le résultat de FRe obtenu est souvent considéré comme un reflet
exact de la contractilité VG, alors que, pourtant, son interprétation se heurte à deux importantes limites :
* Hôpital européen Georges-Pompidou et Institut Cœur Effort Santé, Paris.
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FRe mesurée = [(DIVGd - DIVGs)/(DIVGd)] x 100
CTSm = (0,334 x PAS x DIVGs)/(PPs x (1 + PPs/DIVGs))
FRe prédite = (92,2 - 31,6 x Log (CTSm)) ± 3,6 %
FRm mesurée = [((DIVGd + (PPd/2) + (SIVd/2)) - ((DIVGd +
(SIVd/2) + (PPd/2))3 - (DIVGd3 - DIVGs3))1/3)/(DIVGd + (PPd/2) +
(SIVd/2))] x 100
FRm prédite = 20,3 - 0,038 x Log (CTSm) ± 2,2 %
CTSm = contrainte télésystolique méridienne.
DIVGd = diamètre interne du ventricule gauche en télédiastole.
DIVGs = diamètre interne du ventricule gauche en télésystole.
FRe mesurée : calcul de la fraction de raccourcissement à mi-paroi à partir des paramètres du TM du VG.
FRm mesurée = calcul de la fraction de raccourcissement endocardique à partir des
paramètres du TM du VG.
FRe prédite = valeur de la fraction de raccourcissement endocardique normale
personnalisée chez un patient donné en fonction de son niveau de contrainte.
FRm prédite = valeur de la fraction de raccourcissement à mi-paroi normale personnalisée chez un patient donné en fonction de son niveau de contrainte.
PAS = pression artérielle systolique mesurée au brassard.
PPd = épaisseur diastolique de la paroi postérieure.
PPs = épaisseur systolique de la paroi postérieure.
SIVd = épaisseur diastolique du septum interventriculaire.
± permet d’obtenir les valeurs du 5e et du 95e percentile.
1. Les valeurs obtenues de FRe dépendent bien de la contractilité intrinsèque du ventricule gauche, mais aussi de la précharge,
de la post-charge et de la fréquence cardiaque.
Ainsi, une augmentation aiguë de précharge et/ou une diminution de post-charge (hypotension, insuffisance mitrale...) vont
entraîner une augmentation de FRe. À l’inverse, une diminution
aiguë de précharge et/ou une augmentation aiguë de post-charge
(poussée tensionnelle par exemple) vont diminuer la FRe. On
comprend donc que, dans de telles circonstances, il soit difficile
d’identifier ce qui revient à une éventuelle modification de la
contractilité du VG.
Chez l’hypertendu, où, par nature, la post-charge est variable, il
est donc difficile de fonder son diagnostic sur la seule valeur de
FRe. Les erreurs potentielles sont multiples : FRe apparemment
rassurante (> 30 %) en raison d’une post-charge basse, mais reflétant une contractilité du VG altérée ; au contraire, FRe apparemment inquiétante (< 30 %) en raison d’une post-charge élevée,
mais reflétant une contractilité VG normale.
2. Privilégier l’étude du raccourcissement endocardique est discutable. En effet, le myocarde proche de l’endocarde est surtout
riche en fibres dont l’orientation est longitudinale. Ces fibres parLa Lettre du Cardiologue - n° 356 - juin 2002
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ticipent essentiellement au raccourcissement du grand axe du VG,
et non au raccourcissement circonférentiel du VG, qui est étudié
sur un cliché TM (figure 1). Par contre, en pleine épaisseur du
myocarde, à “mi-paroi”, il existe une prédominance de fibres circonférentielles qui sont à l’origine (pour l’essentiel) du raccourcissement du petit axe ventriculaire gauche. Il serait donc plus
adapté d’étudier la fraction de raccourcissement de cette région,
à mi-paroi, plutôt que la fraction de raccourcissement endocardique.
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validé par étude hémodynamique invasive (1), peut s’effectuer en
routine à partir d’un cliché TM du VG (tableau I). Il est nécessaire
de connaître la pression artérielle systolique (ou PAS, en mmHg),
considérée comme la pression télésystolique intra-VG, et de mesurer l’épaisseur télésystolique de la paroi postérieure (PPs) et le diamètre interne télésystolique du VG (ou DIVGs, en centimètres). À
partir de la contrainte, on peut calculer une FRe théorique
(tableau I). La fonction systolique du VG chez l’hypertendu peut
alors être étudiée par une comparaison des valeurs de FRe mesurées aux valeurs de FRe attendues théoriques (tableau I).
Mesurer la fraction de raccourcissement à mi-paroi
Les fibres sous-endocardiques (essentiellement longitudinales) et
les fibres à mi-paroi (essentiellement circonférentielles) ont des
comportements différents au cours du cycle. En effet, les fibres à
mi-paroi ont une migration plus épicardique pendant la systole que
les fibres de la couche sous-endocardique. Ainsi, chez le sujet normal, le raccourcissement systolique des fibres de la couche sousendocardique est plus important que celui des fibres de la couche
sous-épicardique (figure 1). Autrement dit, si l’on considère un
point théorique positionné à mi-paroi du myocarde en télédiastole,
il aura tendance à ne pas rester “médian” au cours du cycle, mais
à migrer en sous-épicardique au cours de la contraction (2).
Figure 1. Représentation en petit axe de la localisation des fibres circonférentielles prédominant à mi-paroi en plein myocarde, alors que les
fibres longitudinales sont situées plutôt en périphérie. La difficulté du
calcul de la FRm vient du fait qu’un point à mi-paroi en diastole ne
demeure pas à mi-paroi en systole.
DVGdm : diamètre diastolique ventriculaire gauche à mi-paroi. DVGsm : diamètre systolique ventriculaire gauche à mi-paroi.
L’APPROCHE QUI POURRAIT DEVENIR ROUTINIÈRE ET SES AVANTAGES
Mesurer la contrainte télésystolique afin de mieux
évaluer la contractilité myocardique
Afin d’évaluer plus spécifiquement la contractilité myocardique
chez l’hypertendu, il est donc nécessaire de tenir compte du niveau
de post-charge, c’est-à-dire des forces s’opposant au raccourcissement des fibres en systole. Ces forces dépendent du niveau de
pression artérielle et de la géométrie VG. La post-charge est au
mieux approchée par l’étude de la contrainte ou du stress pariétal. On distingue deux vecteurs majeurs de contrainte :
1. la contrainte méridionale (ou longitudinale), qui représente la
force s’exerçant dans le grand axe du VG et s’opposant au raccourcissement du grand axe ;
2. la contrainte circonférentielle, perpendiculaire au grand axe,
de direction équatoriale, s’opposant au raccourcissement circonférentiel des fibres, et donc au raccourcissement du petit axe.
Le calcul de la contrainte télésystolique méridionale (CTSm),
La Lettre du Cardiologue - n° 356 - juin 2002
La mesure d’une fraction de raccourcissement non plus endocardique mais à mi-paroi (FRm) est possible. La formule est complexe (tableau I), mais son utilisation intégrée dans une base de
données est extrêmement simple, puisque seuls des paramètres
conventionnels sont nécessaires au calcul (3). Pour calculer la
FRm, il faut d’abord mesurer le diamètre diastolique du VG à miparoi (DIVGdm), qui est égal au diamètre interne (DIVGd) auquel
on ajoute la moitié de l’épaisseur septale et la moitié de l’épaisseur de la paroi postérieure. Ensuite, il faut mesurer le diamètre
systolique du VG à mi-paroi (DIVGsm), et donc pouvoir repérer
la migration des points situés à mi-paroi en diastole : or, en systole, leur position n’est plus à mi-paroi, puisque nous avons vu
que la migration était plutôt péricardique... d’où la complexité de
la formule (tableau I).
Dans des études de populations normales, la FRm normale est de
18 ± 3 % (4, 5). Les études cliniques chez l’hypertendu ont montré que la fonction contractile du VG peut être surestimée par la
FRe, en particulier quand les parois sont hypertrophiées (6), et
surtout quand la géométrie du VG est concentrique. Ainsi, dans
une population de 118 hypertendus avec remodelage concentrique
(h/r* > 0,44) comparés à 104 hypertendus avec VG de géométrie
normale, alors que les FRe étaient comparables, la FRm était plus
basse dans le groupe concentrique (20 ± 3 % versus 22 ± 3 % ;
p < 0,001), malgré une contrainte plus basse (7).
Comme pour la FRe, l’approche consistant à calculer une FRm
théorique à partir du niveau de contrainte est la meilleure pour
interpréter une valeur de FRm mesurée chez un patient donné
(tableau I).
* h/r : épaisseur pariétale relative.
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Utilisation pratique
Est-il possible d’intégrer une telle approche dans sa pratique quotidienne ? La réponse est oui, à condition d’utiliser un ordinateur,
une base de données, et d’y avoir entré les formules nécessaires
aux calculs de FRe, FRm, CTS, FRe et FRm théoriques, toutes
disponibles dans cet article (tableau I).
Certaines des formules sont très lourdes, mais les paramètres
nécessaires au calcul restent très classiques. Seuls deux paramètres supplémentaires par rapport à une échographie “basique”
sont nécessaires : une mesure de la pression artérielle systolique
pendant l’échographie ; une mesure de l’épaisseur de la paroi postérieure en systole sur le cliché TM du VG.
CONCLUSION
La mesure de la FRe est largement utilisée en pratique quotidienne pour évaluer la fonction contractile du VG, mais son interprétation est parfois délicate. Chez l’hypertendu, il est recommandé d’évaluer également la FRm. Le calcul de la contrainte
télésystolique va permettre de définir des normales théoriques
pour la FRe et la FRm (tenant compte du niveau de post-charge),
et de les comparer aux valeurs mesurées afin de préciser au mieux
si la contractilité VG est normale ou pathologique.
Une telle stratégie ne demande pas de surcroît de travail, à condition d’utiliser un support informatisé. Elle rend dans certains cas
de gros services, en particulier lorsque la FRe mesurée a une
valeur limite. Dans certains cas, une FRe mesurée et considérée
classiquement comme abaissée (< 30 %) sera parfaitement rassurante, car la FRe théorique permettra de la considérer comme
normale, évitant ainsi les diagnostics anxiogènes et les investigations lourdes (figure 2).
À l’inverse, la FRe est parfois faussement rassurante sur les VG
de géométrie concentrique : en effet, dès que la FRe est inférieure à 40 %, elle peut refléter une altération de la contractilité
myocardique, comme en témoigne une FRm fréquemment abaissée (8).
■
Bibliographie
1. Reichek N, Wilson J, St John Sutton M et al. Noninvasive determination of left
ventricular end-systolic stress : validation of the method and initial application.
Circulation 1982 ; 65 : 99-108.
2. Shimizu
G, Zile MR, Blaustein AS, Gaasch WH. Left ventricular chamber
filling and midwall fiber lengthening in patients with left ventricular hypertrophy : overestimation of fiber velocities by conventional midwall measurements.
Circulation 1985 ; 71 : 266-72.
Paramètres mesurés
PAS = 180 mmHg
DIVGd = 51 mm
DIVGs = 37 mm
SIVd = 9 mm
PPd = 7 mm
3. Herpin D, Bernier P, Ragot S, Couderq C. Mesure échocardiographique de la
PPs = 14 mm
relation fraction de raccourcissement/contrainte télésystolique du ventricule
gauche de l’hypertendu non traité. Arch Mal Cœur 1998 ; 91 : 921-6.
4. Schussheim AE, Devereux RB, De Simone G et al. Usefulness of subnormal
midwall fractional shortening in predicting left ventricular exercise dysfunction in
asymptomatic patients with systemic hypertension. Am J Cardiol 1997 ; 79 :
1070-4.
Paramètres calculés
5e percentile 95e percentile
FRe prédite
26,1 %
28,0 %
FRe mesurée 27,5 %
FRm prédite
15,6 %
16,3 %
FRm mesurée 16,1 %
5. De Simone G, Devereux RB, Roman MJ et al. Assessment of left ventricular
function by midwall fractional shortening/end-systolic stress relation in human
hypertension. J Am Coll Cardiol 1994 ; 23 : 1444-51.
6. Shimizu G, Hirota Y, Kita Y, Kawamura K, Saito T, Gaasch WH. Left ventricular midwall mechanics in systemic arterial hypertension : myocardial function is
depressed in pressure-overload hypertrophy. Circulation 1991 ; 83 : 1676-84.
7. Sadler DB, Aurigemma GP, Williams DW, Reda DJ, Materson BJ, Gottdiener
JS. Systolic function in hypertensive men with concentric remodeling.
Hypertension 1997 ; 30 : 777-81.
8. De Simone G, Devereux RB, Celentano A, Roman MJ. Left ventricular cham-
AUTOQUESTIONNAIRE
C
FM
1. Citer le (les) paramètre(s) nécessaire(s) pour calculer
la contrainte télésystolique méridionale à partir d’un
cliché TM du ventricule gauche :
c. diamètre systolique du ventricule gauche
a. pression artérielle diastolique au brassard
d. épaisseur septale systolique
b. pression artérielle systolique au brassard
e. épaisseur paroi postérieure systolique
22
La Lettre du Cardiologue - n° 356 - juin 2002
1. b, c, e.
ber and wall mechanics in the presence of concentric geometry. J Hypertens
1999 ; 17 : 1001-6.
RÉPONSES FMC
Figure 2. Exemple de patient chez qui la FRe est mesurée à 27,5 %, faisant conclure à tort à une altération de la fonction “systolique” du VG.
Les calculs complémentaires (automatisés à partir d’une base de données ou d’un tableur), permettent de redresser le diagnostic : chez ce
patient, le niveau de contrainte montre que la FRe normale attendue est
en fait estimée entre 26,1 et 28 %. La normalité est confirmée par l’étude
de la FRm, dont la valeur (16,1 %) se situe dans la fourchette des valeurs
prédites par la contrainte (15,6 à 16,3 %).
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