GROS PLAN SUR Introduction

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GROS PLAN SUR
La mesure du temps aujourd’hui
Introduction
la francisation écourtée
Qu’est-ce que le temps ?
de l’expression latine
minutum
Nous n’en savons rien et
médiévale
donc
secunda, qui signifiait
nous
laisserons
minute
cette question aux philo-
littéralement
sophes et aux théoriciens.
de second rang, c’est-
Nous adopterons le point
à-dire seconde division
de vue d’Einstein qui écrivait : « Il semblerait qu’on
pourrait écarter les difficultés concernant la définition du « temps » si l’on
de l’heure, minutum
E. de Clercq
SYRTE,
Observatoire
de Paris
T. Zanon-Willette
Observatoire
de Paris et UPMC
O. Acef
SYRTE,
Observatoire
de Paris
signifiant petite partie
Première définition
Il semble que la se-
substituait à ce dernier terme l’expression « position de la petite
conde ait été définie la première fois autour de l’an mil par
aiguille de ma montre ». Une telle définition suffit en effet si elle
Al-Biruni, originaire de l’Etat du Khwarizm (aujourd’hui situé
concerne uniquement le lieu où se trouve l’horloge » . Nous
en Ouzbékistan) à partir de la durée séparant deux nouvelles
savons en effet mesurer le temps, ou plutôt mesurer un temps
lunes, comme la 1/86 400e partie du jour moyen ; c’est-à-
écoulé, c’est-à-dire une durée, de même qu’on mesure une dis-
dire 1/(24 x 60 x 60). La division du jour moyen en 24 heures
tance entre deux points. Et de même qu’on peut situer un point
remonterait aux Egyptiens qui divisaient la journée et la nuit
dans l’espace connaissant sa distance à des points de référence,
en 12 heures (de durées inégales) chacune, et la division
on peut dater un événement à partir du temps écoulé entre cet
en soixante serait un héritage des babyloniens. Jour moyen
événement et un événement de référence.
parce qu’on savait déjà à l’époque de Ptolémée (Alexandrie,
1
Pour mesurer une grandeur physique, il faut une unité
IIe siècle) que la durée du jour varie au cours de l’année,
et un instrument de mesure. Il y a deux façons possibles :
d’environ 30 min ; c’est la fameuse équation du temps que
utiliser un phénomène continu et si possible linéaire (gno-
connaissent bien les amateurs de cadrans solaires. Ce temps
mon, horloges basées sur l’écoulement d’un fluide, bougies,
« corrigé » n’est valable qu’au méridien du lieu. A la fin du XIXe
C, angle de rotation de la terre, etc.), ou un phénomène
siècle, et jusqu’au début du XXe siècle, il a progressivement
périodique dont on compte les périodes (jours, lunaisons,
été convenu d’une « heure universelle » correspondant au
crues du Nil, pouls, oscillations d’un pendule, vibrations mé-
méridien de Greenwich, c’est le temps universel (TU ou UT)
caniques, onde, etc.). Ce comptage établit ce qu’on appelle
défini comme le temps solaire moyen pour le méridien ori-
une échelle de temps à partir de laquelle on peut mesurer
gine, augmenté de 12 heures. Augmenté de 12 h, parce que
une durée ou dater un évènement.
pour les astronomes il est 0 h en temps solaire à midi.
14
Dans cet article, nous allons tout d’abord rappeler quelle
Cette définition de la seconde devait perdurer jusqu’en
est l’unité de temps avant de passer en revue quelques ins-
1960. Curieusement elle est restée tacite et, à notre connais-
truments de mesure : les horloges.
sance, n’a jamais été énoncée officiellement par une institu-
L’unité de temps
L’unité de temps est la seconde, unité de base du système international (SI), de symbole s. Son nom provient de
1
Einstein – Sur l’électrodynamique des corps en mouvement – Œuvres
choisies, Editions du Seuil.
tion internationale.
Deuxième définition et première
définition officielle
On savait que la vitesse de rotation de la Terre subit une
lente décroissance, de quelques ms par siècle, due aux effets
This is a short review of the state of the art of the measurement of time in the metrology laboratories. After a
brief recall of the successive definitions of the second, now defined on an atomic transition of the caesium atom,
we present today atomic clocks: the Cs beam clock, still the workhorse of time metrology, and the Cs fountain clock based on
cold atoms, which revolutionized the field. A promising new generation based on higher frequency transitions is coming, the
optical clocks, the strontium clock is given as an example. Afterwards a few methods of clock comparison and clock signal
dissemination are addressed.
ABSTRACT
96
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La mesure du temps aujourd’hui
de marées. Ainsi, au temps des dinosaures, la durée du jour
time interval” (Nature, vol. 176, p. 280, 1955) donne pour
devait être inférieure à vingt de nos heures actuelles. Elle
la fréquence du Cs : 9 192 631 830 ±10 c/s (cycles par
deviendrait égale à 28 jours actuels dans quelques milliards
seconde), soit une exactitude relative de 1´10 -9. Après trois
d’années, lorsque la Terre présentera toujours la même face
ans de mesure en collaboration avec Markowitz et Hall de
à la Lune, en attendant qu’elle présente toujours la même
l’Observatoire naval de Washington (USNO), ils publiaient
face au Soleil. Dans les années 30, il fut mis en évidence
une nouvelle mesure en termes de seconde des éphémé-
des irrégularités plus importantes dans la rotation de la Terre,
rides : « 9 192 631 770 ± 20 cycles per second (of E.T.) at
de quelques dizaines de ms par an, liées au fait que la Terre
1957.0 » (Physical Review Letters, vol. 1, p. 105, 1958), dont
n’est pas un solide indéformable, aux effets atmosphériques,
l’exactitude était surtout limitée par la détermination de la
aux courants marins, etc. C’est pourquoi il fut décidé de défi-
seconde des éphémérides. En 1967, la 13e Conférence géné-
nir la seconde à partir de la révolution de la Terre autour du
rale des poids et mesures abrogea la précédente définition et
soleil (sa période est une année tropique). La 11e Conférence
décida en se basant sur cette mesure, que :
générale des poids et mesures (CGPM) ratifiait la nouvelle
« La seconde est la durée de 9 192 631 770 périodes de
définition en 1960 :
la radiation correspondant à la transition entre les deux
« La seconde est la fraction 1/31 556 925, 9747 de l’an-
niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de
née tropique pour 1900 janvier 0 à 12 heures de temps
césium 133 ».
des éphémérides ».
Lors de sa session de 1997 le Comité international des
C’est la seconde des éphémérides, et l’échelle de temps
poids et mesures a précisé que : « Cette définition se réfère
associée est le temps des éphémérides (TE, ou ET). L’écri-
à un atome de césium au repos, à une température de 0 K ».
ture « 1900 janvier 0 à 12 heures » traduite en langage cou-
L’exactitude relative des horloges à césium était alors de
rant est le 31 décembre 1899 à midi. L’étrangeté de cette
l’ordre de 10 -12. Cette définition repose sur l’hypothèse que
définition tient au fait que l’année tropique 1900 n’était pas
tous les atomes de Cs sont identiques et que leurs propriétés
mesurée mais calculée à partir d’une équation décrivant une
sont invariantes dans le temps et l’espace. L’échelle de temps
année tropique moyenne de durée dépendante du temps,
associée est le temps atomique international (TAI). Sa stabi-
d’où la référence à une année tropique « instantanée ».
lité et sa pérennité sont assurées par environ 300 horloges à
La durée de l’année tropique 1900 est environ 365 jours
césium commerciales et 100 masers à hydrogène, apparte-
(de 86 400 s), 5 h, 48 min, 45,97 s. Cette définition n’était
nant à plus de 70 laboratoires de métrologie répartis dans le
pas pratique ; en réalité c’était le mouvement orbital de la
monde entier. En France, c’est le laboratoire Systèmes de ré-
Lune qui était observé et avait l’inconvénient qu’une mesure
férence temps espace (LNE-SYRTE) de l’Observatoire de Pa-
de temps devait attendre quelques années pour être raccor-
ris qui est chargé par le Laboratoire national de métrologie et
dée avec précision à la seconde du SI. Un autre inconvénient
d’essais (LNE) de la responsabilité des références nationales
est qu’elle est basée sur la durée moyenne de la seconde des
de temps et de fréquence. A partir des données d’intercom-
XVIII et XIX siècles, durée inférieure à celle de la seconde
paraison de l’ensemble de ces horloges, le Bureau interna-
de temps moyen en 1960. Cette différence explique, pour
tional des poids et mesures (BIPM) établit une moyenne
une majeure partie, la fréquence à laquelle on est obligé de
pondérée, appelée temps atomique international (TAI),
rajouter des secondes intercalaires de nos jours.
dont l’exactitude de l’intervalle unitaire (la seconde du TAI)
e
e
est assurée par quelques horloges ou étalons primaires. En
Troisième définition
2014, deux horloges à jet atomique et 11 horloges à fontaine
Suite aux travaux de physique fondamentale menés dans
atomique (voir plus loin) ont ainsi contribué à l’exactitude. Le
les années 30-40 à l’université Columbia (Etats-Unis) par
TAI est une échelle de temps papier, accessible avec retard,
Rabi, Zacharias, Ramsey et leur équipe sur la résonance ma-
c’est-à-dire que le BIPM diffuse chaque mois le résultat sous
gnétique et les jets atomiques et moléculaires, Zacharias dé-
la forme d’avance ou retard de chaque horloge par rapport
veloppa le premier prototype commercial d’horloge atomique
au TAI tous les cinq jours du mois précédent. Pour s’y raccor-
à césium en 1955, l’Atomichron. La même année Essen et
der il faut donc raccorder son horloge à une horloge partici-
Paris réalisaient au National Physical Laboratory (Angleterre)
pant au TAI. L’exactitude de la seconde du TAI est d’environ
la première horloge à césium de laboratoire qu’ils compa-
2.10 -16.
raient indirectement via un oscillateur à quartz à une échelle
Si l’on reprend la citation d’Einstein, chaque horloge ne
de temps provisoire de l’observatoire de Greenwich. Le résul-
donne que son temps propre. En effet, alors que Galilée et
tat publié sous le titre “An atomic standard of frequency and
Newton considéraient un temps absolu, la relativité donne
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GROS PLAN SUR
Figure 1 : Schéma de principe d’une horloge atomique. La fréquence f d’un oscillateur local est multipliée par un nombre rationnel k pour interroger
une résonance atomique. Le signal d’erreur est utlisé pour asservir la fréquence de l’oscillateur.
au temps une signification uniquement locale, c’est le temps
de Planck (h
6,63 x 10 -34 J.s). La fréquence d’une transi-
propre. En relativité générale, au-delà du voisinage immédiat
tion atomique est caractéristique d’une espèce atomique. Son
de l’horloge, avant de parler de temps, il faut d’abord défi-
caractère immuable en fait une référence de fréquence. Pour
nir un système de coordonnées spatio-temporel ; le temps
une utilisation pratique, on emploie un oscillateur local, à partir
correspondant est le temps-coordonnée. Le TAI est ainsi
duquel on génère une onde électromagnétique de fréquence
un temps-coordonnée défini sur le géoïde en rotation. La
aussi proche que possible de la fréquence atomique (la fré-
seconde du SI est une seconde de temps propre, alors que
quence est une grandeur sur laquelle on sait réaliser les quatre
l’intervalle unitaire de l’échelle de temps TAI est une seconde
opérations arithmétiques), avec laquelle on va interroger les
de temps-coordonnée.
atomes. Si l’on est suffisamment proche de la résonance, le
Afin de conserver une échelle de temps liée à la rota-
nombre d’atomes changeant d’état est proportionnel à la dif-
tion de la Terre tout en bénéficiant des propriétés du TAI,
férence entre la fréquence d’interrogation et la fréquence ato-
le Temps universel coordonné (UTC) a été créé. L’UTC est
mique (le désaccord). En détectant ces atomes on obtient un
identique au TAI dont il diffère par un nombre entier de
signal utilisable pour corriger la fréquence de l’oscillateur qui
secondes afin de rester en accord avec le temps défini par
est ainsi calée sur la référence atomique et délivre aux utili-
la rotation de la Terre à mieux que 0,9 s près. Depuis le
sateurs une fréquence stable et connue (figure 1). On a ainsi
1er juillet 2015, UTC = TAI-36 s. UTC (souvent improprement
réalisé un étalon atomique de fréquence. Une horloge ato-
appelé temps GMT) est la base légale de l’heure dans la
mique est obtenue en comptant les périodes de l’oscillateur.
plupart des pays du monde, par exemple, en France, l’heure
Ceci est l’analogue de l’horloge à balancier de Huygens (XVIIe
d’hiver est UTC + 1.
siècle), le pendule est remplacé par l’atome, les engrenages
Les horloges actuelles
Principes
par la chaîne de multiplication de fréquence entre l’oscillateur
et l’atome, les aiguilles par le signal de l’oscillateur ou un compteur placé derrière totalisant les périodes d’oscillation.
Les horloges atomiques sont basées sur la relation de Bohr
La qualité de l’horloge est d’autant meilleure que la transi-
E = hv reliant la différence d’énergie E entre deux niveaux
tion utilisée, de fréquence , est étroite, c’est-à-dire possède
atomiques à la fréquence de l’onde absorbée ou émise lors
un grand facteur de qualité défini comme Q = / , où
d’une transition d’un niveau à l’autre, où h est la constante
est la largeur de la transition atomique. Pour obtenir des raies
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La mesure du temps aujourd’hui
Figure 2 : Schéma de principe de la partie atomique d’une horloge à sélection magnétique de type commercial.
étroites avec un bon signal on considère des transitions à partir
situé à une extrémité de l’enceinte, il est chauffé autour de
du niveau fondamental, le plus bas en énergie et le plus stable.
100 °C ; la vapeur qui s’en échappe est filtrée par une série
La largeur d’une transition est alors donnée par l’inverse de
de diaphragmes, formant ainsi un jet directif d’atomes de vi-
= 1/(2 ), ou, si celle-
tesse moyenne supérieure à 200 m/s (720 km/h) avec une
ci est longue, par l’inverse du temps d’observation. La transi-
grande dispersion en vitesses. A la sortie du four, les atomes
tion impliquée dans la définition de la seconde a lieu entre
sont à l’équilibre thermique et sont donc également répartis
les deux sous-niveaux du niveau fondamental du césium, la
sur les deux sous-niveaux qui sont très proches en énergie. Il
probabilité d’émission spontanée est extrêmement faible, la
faut donc créer une différence de population avant de pou-
durée de vie du niveau supérieur non perturbé est de plu-
voir observer une transition. Le jet traverse l’entrefer d’un pre-
sieurs milliers d’années. Le niveau fondamental se compose
mier aimant dessiné de telle sorte qu’il existe un gradient de
de deux sous-niveaux dits hyperfins, parce qu’ils sont dus à
champ magnétique entre ses pôles. Les atomes possédant
l’interaction hyperfine, couplage entre le moment magnétique
un moment magnétique de signe opposé suivant qu’ils sont
du spin nucléaire et le moment magnétique total de l’électron
dans l’état F = 3 ou F = 4, ils subissent une force opposée
célibataire (moment orbital+spin). Le césium est un alcalin et
qui les défléchit en sens inverse et permet de sélectionner
n’a qu’un électron non apparié sur sa couche externe.
par un diaphragme les atomes dans un seul des états. Le
la durée de vie
du niveau excité
Nous présentons à présent les horloges à jet de césium
jet traverse alors une cavité micro-onde résonante à 9 GHz.
(Cs), qui sont massivement utilisées comme référence
Afin d’obtenir un long temps d’interaction et une raie fine,
de temps et nous permettront de préciser les concepts
cette cavité doit être longue, elle est de l’ordre de la dizaine
essentiels.
de centimètres dans une horloge commerciale et de l’ordre
du mètre dans une horloge de laboratoire. En pratique cette
Jets
cavité est constituée d’un guide d’onde courbé en forme de
Les deux sous-niveaux impliqués dans la définition de la
U de sorte que le jet traverse les deux bras du U (figure
seconde sont repérés par leur nombre quantique hyperfin, F
2). Les atomes subissent ainsi deux interactions successives
= 3 pour le niveau inférieur et F = 4 pour le niveau supérieur.
avec le champ micro-onde séparées par un temps d’évolu-
La transition entre ces deux niveaux est induite par interac-
tion libre. C’est la technique dite de Ramsey qui présente un
de l’onde électro-
certain nombre d’avantages par rapport à une interrogation
magnétique. La transition d’horloge est observée sur un jet
unique. Après la première interaction le dipôle atomique os-
atomique, dans un vide poussé, afin de perturber les atomes
cille à sa fréquence propre pendant que le champ oscille à
au minimum. Un four contenant la réserve de césium est
sa fréquence d’interrogation, les deux interférent lors de la
tion avec le vecteur champ magnétique
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deuxième interaction donnant des franges sur le signal en
La largeur de la résonance obtenue sur les horloges pri-
fonction du désaccord. Après la cavité, le jet traverse l’entre-
maires à jet est de l’ordre de 100 Hz, soit un facteur de qual-
fer d’un deuxième aimant qui sélectionne les atomes ayant
ité Q = 108. La stabilité à 1 s est de 3,5 x 10 -13 (pompage
changé d’état. Ceux-ci atteignent alors un détecteur qui les
optique) à 4 x 10 -12 (sélection magnétique). L’exactitude est
ionise et transforme le flux d’atomes en courant électrique
comprise entre 6 et 10 x 10 -15. Les trois principaux effets
proportionnel au nombre d’atomes ayant changé d’état.
limitant l’exactitude de l’horloge à pompage optique sont un
La fréquence d’interrogation, au voisinage de 9,192 631
résidu d’effet Doppler du premier ordre (l’effet Doppler clas-
GHz, est synthétisée à partir d’un oscillateur à quartz, fonc-
sique), l’effet Doppler du deuxième ordre (la dilatation du
tionnant à 5 ou 10 MHz. Elle est modulée de part et d’autre
temps en relativité restreinte) et enfin l’effet parasite de la
autour de la résonance, afin d’obtenir un signal modulé à
lumière de fluorescence (déplacement lumineux : la lumière
la fréquence de modulation d’amplitude proportionnelle au
non résonante déplace les niveaux d’énergie).
désaccord de fréquence et dont la phase renseigne sur le
signe du désaccord. Après démodulation synchrone, le signal
Fontaines
d’erreur obtenu est utilisé pour corriger la fréquence de l’os-
Une des limites des horloges à jet est liée au faible temps
cillateur à quartz, dont la fréquence est asservie moyennant
d’interrogation des atomes, quelques ms au mieux, dû à leur
un rapport connu sur la transition atomique.
grande vitesse (typiquement quelques centaines de m/s).
Ce type d’horloge est dit à sélection magnétique. Les hor-
Grâce aux méthodes de refroidissement laser développées
loges à Cs commerciales participant au TAI sont construites
dans les années 80, on sait ralentir des atomes jusqu’à des
sur ce principe, ainsi que les deux horloges primaires à jet de
vitesses inférieures au cm/s. On parle alors d’atomes froids
la PTB (Physikalisch-Technische Bundesanstalt, l’institut de
parce que dans un gaz à l’équilibre thermique, la température
métrologie allemand).
est une mesure de l’agitation thermique, la vitesse moyenne
Il existe un autre type d’horloge à jet où la sélection magné-
variant comme
, où est T la température exprimée en K.
tique est remplacée par le pompage optique. Dans ce type
Il existe plusieurs méthodes de refroidissement laser.
d’horloge, les deux aimants sont remplacés par deux zones
Nous ne décrirons ici que la plus simple, méthode dite de re-
d’interaction avec un faisceau laser. La fréquence du laser est
froidissement Doppler proposée en 1975 indépendamment
accordée sur une transition entre l’un des deux sous-niveaux
par Hänsch et Schawlow pour les atomes neutres d’une part,
du fondamental, par exemple F = 4, et un niveau excité. En
et Wineland et Dehmelt pour les ions d’autre part. Il est amu-
pratique on utilise une transition correspondant à la longueur
sant de noter que les auteurs ont tous été récompensés du
d’onde 852 nm et les lasers utilisés sont des diodes laser.
prix Nobel, mais pas pour cette proposition, et chacun dans
Les atomes situés dans l’état F = 3 traversent la première
un domaine différent. La méthode est basée sur la pression
zone optique sans être perturbés alors que ceux dans l'état
de radiation et consiste à éclairer un atome en mouvement
F = 4 vont absorber un photon, passer dans l’état excité de
par un faisceau laser dirigé en sens inverse dont la fréquence
courte durée de vie (30 ns) avant de retomber par émission
est légèrement inférieure à une résonance atomique ne per-
spontanée dans l’un des deux sous-niveaux fondamentaux.
mettant pas le pompage optique. Du fait de l’effet Doppler,
Ceux retombant dans l’état 4 pourront subir un nouveau cy-
la fréquence laser est à résonance pour l’atome qui va absor-
cle absorption-retombée, et après quelques cycles le niveau
ber un photon, passer dans l’état excité, se désexciter par
F = 4 sera vide car pratiquement tous les atomes auront
émission spontanée et recommencer. Chaque absorption est
été transférés dans le niveau 3. C’est le principe du pom-
accompagnée de l’absorption de la quantité de mouvement
page optique énoncé par Kastler (1950). Dans la deuxième
du photon qui va ralentir l’atome d’une petite quantité dite
zone optique, après la cavité micro-onde, les atomes ayant
vitesse de recul. Pour le césium, en utilisant un laser à 852
changé d’état seront dans l’état 4, ils passeront dans l’état ex-
nm, la vitesse de recul est 0,35 cm/s et après absorption
cité en absorbant un photon et, en retombant, ils émettront
d'une centaine de milliers de photons, l’atome est alors qua-
un photon par émission spontanée dans une direction aléa-
siment arrêté, du moins dans la direction du vecteur d’onde
toire. L’intensité de cette lumière de fluorescence recueillie
laser. L’effet Doppler ne joue plus et l’atome n’étant plus à
sur une photodiode fournit le signal utile. Un des intérêts de
résonance n’absorbe plus. En utilisant deux faisceaux laser en
ce type d’horloge est d’utiliser plus d’atomes permettant ainsi
sens inverse, on peut freiner les atomes dans les deux sens
un meilleur rapport signal à bruit et une meilleure stabilité. La
et, avec trois paires de faisceaux suivant trois directions ortho-
première horloge primaire construite France (années 80-90)
gonales de l’espace, on peut quasiment les immobiliser. En
est de ce type.
fait ils gardent une vitesse résiduelle, de l’ordre de quelques
100
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La mesure du temps aujourd’hui
Figure 3 : Schéma de la 1ère fontaine construite au LNE-SYRTE. A l’époque la mélasse optique était produite par deux paires de faisceaux laser
horizontaux contra-propageant et une paire verticale suivant les axes d’un trièdre orthonormé. Les faisceaux verticaux servaient aussi à lancer
les atomes vers le haut. Dans la configuration actuelle le trièdre est pivoté afin d’éviter les faisceaux verticaux.
Source : Equipe fréquences micro-ondes, LNE-SYRTE.
cm/s. Un atome traversant cette zone optique va être for-
quentiel. Les atomes de césium sont d’abord capturés dans
tement décéléré ; le coefficient de friction étant énorme,
une mélasse optique, à partir d’une vapeur ou d’un piège
il subit des milliers de g puis va diffuser très lentement. Il
annexe (piège magnéto-optique qui combine les effets de
n’est pas piégé mais évolue dans un milieu de forte viscosité,
pression de radiation avec un désaccord variable induit par
comme un petit objet tombé dans un pot de miel, d’où le
un gradient de champ magnétique). On obtient ainsi une
nom de mélasse optique (Chu et son équipe, 1985). Les
boule d’atomes froids de moins d’un cm3 contenant environ
forces de pression de radiation peuvent être utilisées pour
109 atomes à une température de l’ordre du µK. La boule
ralentir des atomes, mais aussi les pousser, les déplacer, etc.
est ensuite lancée vers le haut avec une vitesse de quelques
Ces techniques ont été mises à profit par André Clairon et
m/s par les lasers dits de refroidissement. Ces atomes sont
son équipe à l’Observatoire de Paris pour construire la pre-
dans le niveau F = 4 et répartis sur plusieurs sous-niveaux,
mière horloge au monde de type fontaine à atomes froids de
les niveaux Zeeman qui s’écartent différemment avec le
césium, au début des années 90 (figure 3). Contrairement
champ magnétique. Une impulsion micro-onde permet
aux horloges à jet, le fonctionnement des fontaines est sé-
de transférer les atomes initialement dans le sous-niveau
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GROS PLAN SUR
çant par un oscillateur cryogénique à saphir, une stabilité de
1,6 x 10 -14 à 1s a été mesurée au LNE-SYRTE. L’exactitude est
de 2-3 x 10 -16 pour les meilleures d’entre elles, dont la fontaine FO2 du LNE-SYRTE. Celle-ci est limitée par l’effet des
collisions entre atomes et l’effet de la cavité, un résidu d’effet
Doppler du premier ordre (lié à la distribution de phase dans
la cavité micro-onde) et un effet compliqué d’interaction
entre le champ micro-onde et la trajectoire du paquet d’onde
atomique.
Horloges de demain
Figure 4 : Spectre de résonance de la transition d’horloge à 9 GHz
dans une fontaine atomique. L’insert montre un zoom sur la frange
centrale de largeur 1,2 Hz. Les points sont les points expérimentaux.
Source : équipe fréquences micro-ondes, LNE-SYRTE.
Les horloges optiques
Peut-on encore améliorer les fontaines ? Certainement,
mais les progrès seront lents et difficiles. On attend beaucoup en revanche d’un changement de domaine de fré-
Zeeman indépendant du champ dans le niveau F = 3, tous
quence, passer des transitions micro-ondes aux transitions
les autres sont poussés hors de l’axe par une impulsion
optiques (infra-rouge, visible, ultra-violet), soit un saut de
laser. Les atomes sélectionnés poursuivent leur vol balis-
quatre ordres de grandeur sur la fréquence. On parle alors
tique et traversent une première fois une cavité micro-onde
de fréquences et d’horloges optiques. Les recherches sont
résonante à 9 GHz subissant une impulsion micro-onde.
très actives actuellement et la concurrence est rude entre
Après un apogée d’environ 1 m au-dessus de la zone de
équipes du monde entier pour trouver l’atome le plus favo-
lancement, ils retombent et, environ 0,5 s après le premier
rable et la meilleure transition d’un point de vue métrolo-
passage, traversent une deuxième fois la cavité, respectant
gique. Ce champ de recherche s’est beaucoup développé
ainsi la méthode de Ramsey. Après quoi, ils traversent un
depuis la mise au point au tout début des années 2000
jeu de faisceaux laser permettant de mesurer au moyen
d’un outil capable de mesurer une fréquence optique à par-
de la fluorescence induite la répartition des populations
tir d’une fréquence micro-onde ou de comparer deux fré-
entre les deux niveaux fondamentaux hyperfins à partir
quences optiques, le peigne de fréquences optiques généré
de laquelle est calculée la probabilité de transition vers le
par laser à impulsions femtosecondes (Hänsch, Hall et leurs
niveau F = 4, puis un nouveau cycle commence. La durée
équipes). Le peigne de fréquences correspond à la transfor-
d’un cycle est de l’ordre de la seconde. A chaque cycle la
mée de Fourier du train d'impulsions temporelles ; quand il
fréquence d’interrogation est désaccordée à mi-hauteur de
est référencé on peut mesurer la fréquence d’un laser par
la résonance, un coup à droite, un coup à gauche. La diffé-
battement optique avec la dent la plus proche du peigne
rence de probabilité entre deux cycles successifs génère un
dont les fréquences sont connues.
signal d’erreur permettant d’asservir la fréquence de l’os-
Dans la chasse au meilleur candidat, il y a deux grandes
cillateur à quartz à partir duquel est générée la fréquence
écoles : les ions piégés et les atomes neutres. Les horloges
d’interrogation à 9 GHz.
à ions piégés permettent d’observer un ion unique, refroidi,
La figure 4 montre le signal obtenu en fonction du dé-
pendant des temps très longs, ce qui permet d’observer une
saccord de fréquence. On a une série de franges dites de
transition de très grande durée de vie et donc très étroite.
Ramsey, dont la largeur de la frange centrale est de l’ordre de
On peut même conserver un ion dans son piège pendant
1 Hz soit un facteur de qualité de 10 .
plusieurs années. Les ions à l’étude sont nombreux :
10
Depuis, la première fontaine à atomes froids d’André Clairon
40
Ca ,
+
88
Sr ,
+
Yb ,
171
+
199
Al+,
27
Hg , etc. Un facteur de qualité de
+
a été reproduite dans tous les grands laboratoires de métrolo-
4 x 1014 a été mesuré sur Al + pour une transition à 1 121
gie du monde. En 2014, 11 fontaines ont participé à l’étalon-
THz (267 nm), et une exactitude de 0,9 x 10 -17 (groupe de
nage du TAI : 3 du LNE-SYRTE (Observatoire de Paris), 2 de
Wineland, 2010). Ces résultats impressionnants ne font
la PTB (Allemagne), 1 de l’INRIM (Italie), 1 du NIM (Chine),
pas peur aux tenants des atomes neutres. Pour éviter les
1 du NIST (USA), 1 du NPL (Angleterre), 1 du NPLI (Inde),
perturbations dues aux forces coulombiennes entre ions, il
1 du VNIIFTRI (Russie).
faut observer un ion unique, d’où un rapport signal à bruit
La stabilité de fréquence à 1s est de l’ordre de 10 , mais
réduit. Avec les méthodes de refroidissement et piégeage
elle peut être limitée par l’oscillateur à quartz. En le rempla-
d’atomes neutres, il est possible d’interroger un grand
-13
102
REE N°1/2016
La mesure du temps aujourd’hui
Figure 6 : Spectre de la transition d’horloge à 429 THz. Les carrés
rouges sont les points expérimentaux, le trait bleu est la courbe
théorique ajustée sur ces points - Source : J. Lodewyck.
Figure 5 : Atomes de Sr dans un piége magnéto-optique. La petite tache
bleue au centre de l’image est le nuage d’atomes de Sr piégés.
La lumière du laser diffusée éclaire le reste – Source : J. Lodewyck.
du Hz (voir figure 6), soit un facteur de qualité de 1014. Comme
la durée de vie du niveau excité est longue, on ne peut compter sur l’émission spontanée pour fournir un signal. Le signal
nombre d’atomes avec un rapport signal à bruit bien plus
de détection peut être obtenu en comptant les atomes n’ayant
conséquent, et donc une meilleure stabilité. Comme pour les
pas subi la transition grâce à la fluorescence induite par le laser
ions, de nombreux candidats sont en lice : les alcalino-terreux
bleu rallumé. Dans cette horloge, l’équivalent de l’oscillateur
Mg, Ca, Sr, et apparentés comme Yb, Hg, etc. Ils présentent
à quartz des horloges à césium est le laser stabilisé sur la
des transitions très étroites (1 mHz) voire quasi-interdites et
fréquence 429 THz. Actuellement sa stabilité de fréquence
donc potentiellement ultrafines. Nous présenterons ici à titre
ramenée à 1s est de 1 x 10 -15 et son exactitude 4 x 10 -17. Une
d’exemple le principe d’une horloge à strontium 87 dévelop-
telle incertitude correspond à moins de 10 s sur l’âge de l’uni-
pée au LNE-SYRTE.
vers ! Les trois principales sources d’incertitude actuelles sont
la perturbation induite par le laser de piégeage (déplacement
Un exemple, l’horloge à 87Sr
Les atomes de Sr issus d’un jet sont d’abord ralentis puis
piégés dans un piège magnéto-optique à l’aide d’un laser accordé sur une transition à 461 nm (bleu) permettant d’échanger rapidement un grand nombre de photons (figure 5). Ils
lumineux), l’effet de transitions voisines, le déplacement lumineux dû au rayonnement thermique environnant les atomes
(rayonnement du corps noir).
Comparaison d’horloges
sont alors piégés dans un piège dipolaire créé par l’onde
Les horloges sont comparées entre elles, soit pour cal-
stationnaire d’un laser très désaccordé (ici 813 nm). La force
culer un temps moyen comme le TAI, soit pour raccorder
dipolaire est due à l’interaction du dipôle atomique induit par
une horloge à une horloge plus exacte. Il faut aussi dissé-
l’onde laser avec le gradient d’intensité entre les ventres et
miner leurs signaux aux utilisateurs. Aujourd’hui on utilise
les nœuds de l’onde stationnaire. Les atomes suffisamment
à cette fin des méthodes soit satellitaires, soit par liens
froids sont piégés au minimum de potentiel qui dans ce cas
optiques. Nous allons donner seulement le principe de
correspond aux ventres de l’onde stationnaire. On obtient ainsi
trois de ces méthodes, dont chacune pourrait justifier un
quelques milliers d’atomes à une température de l’ordre du
article complet.
µK, formant ce que l’on appelle un réseau optique. Les atomes
La 1ère méthode utilise les systèmes de navigation par sat-
sont alors sondés par un laser accordé sur une transition étroite
ellites tels que le système américain GPS, le russe Glonass
(1 mHz) à 429 THz (698 nm, rouge). Grâce au confinement
ou l’européen Galileo dans le futur. Les satellites de ces sys-
spatial des atomes qui est plus petit que la taille caractéris-
tèmes disposent d’horloges atomiques à bord, ils émettent
tique de la longueur d’onde laser nécessaire à l’interrogation,
des tops horaires ainsi que les données permettant d’obtenir
on élimine simultanément l’élargissement de la résonance par
leur position dans un référentiel connu. Dans la méthode de
effet Doppler et le mouvement de recul des atomes (régime
vue commune, deux laboratoires distants enregistrent l’arri-
Lamb-Dicke) pour obtenir une résonance de largeur de l’ordre
vée d’un même top et le datent par rapport à leurs horloges
REE N°1/2016 103
GROS PLAN SUR
Figure 7 : Projets de liaisons optiques ultra-stables en Europe - Crédit : équipe projet Refimeve+.
respectives. Par soustraction, on déduit le retard d’une hor-
horloge sur l’autre. L’intérêt de la méthode est que la plupart
loge par rapport à l’autre. Pour une bonne exactitude, il faut
des retards dus à la propagation sont éliminés du fait de la
connaitre la position des antennes de réceptions à quelques
symétrie. L’exactitude est de l’ordre de 1 ns et la stabilité à
cm près dans le même référentiel que le satellite, connaître
un jour 0,1 ns.
les retards liés à la propagation dans l’ionosphère et l’atmos-
Une variante de cette méthode existe où les signaux mi-
phère, dans les câbles, etc. L’exactitude est améliorée si on
cro-ondes sont remplacés par des tirs lasers vers des satel-
utilise la mesure de la phase de la porteuse plutôt que le top.
lites spécialement équipés. On l’appelle time transfer by laser
L’exactitude obtenue est de l’ordre de 1 à 3 ns et la stabilité
link soit T2L2. Elle n’est pas aussi répandue que TWSTFT et
à un jour 0,1 ns.
est plutôt au stade exploratoire mais ses performances sont
La 2ème méthode est une méthode à deux voies connue
très intéressantes bien qu’elles soient affectées par les condi-
sous le nom TWSTFT (two-way satellite time and frequency
tions météorologiques. L’exactitude serait de l’ordre de 0,2 ns
transfer). Elle utilise des satellites géostationnaires généra-
et la stabilité à un jour de 3 ps.
lement dédiés aux télécommunications, les porteuses des
La 3ème méthode est en plein développement, elle con-
signaux sont dans la bande Ku (12-18 GHz). Un signal est
siste à échanger ou distribuer des signaux optiques par lien
émis au même moment par chacune des deux horloges
fibré. En France, le Laboratoire de physique des lasers de
à comparer vers le satellite. Celui-ci, qui ne dispose pas
l’université Paris 13 et le LNE-SYRTE développent une tech-
d’horloge à bord, retransmet le signal reçu de chaque hor-
nique utilisant un laser ultra-stable à la longueur d’onde des
loge vers l’autre. Chaque station au sol note l’instant d’émis-
télécommunications optiques (1 542 nm), référencé aux
sion de son signal et celui d’arrivée de l’horloge distante.
horloges primaires et injecté dans une fibre. C’est la phase
L’échange des données permet de remonter au retard d’une
du laser qui est le signal métrologique. Un aller-retour dans la
104
REE N°1/2016
La mesure du temps aujourd’hui
Conclusion
fibre permet de mesurer et compenser en temps réel les perturbations apportées par la fibre. Cette technique a pu être
Nous n’avons donné ici qu’un bref aperçu des techniques
démontrée sur des fibres utilisées simultanément pour le
de mesure du temps aujourd’hui. L’affaire des neutrinos
transfert de données, sans aucune perturbation de ce flux de
plus rapides que la lumière, qui a défrayé la chronique il y a
données, grâce à une collaboration avec RENATER (Réseau
quelques années, montre bien toute la complexité et la diffi-
national de télécommunications pour la technologie, l’ensei-
culté des problèmes de datation et de mesure du temps au
gnement et la recherche). L’atténuation dans les fibres est
plus haut niveau d’exactitude en des lieux distincts.
compensée par des amplificateurs bidirectionnels et des sta-
Nous nous trouvons aujourd’hui confrontés à la même
tions régénératrices tout-optiques installées après quelques
situation qu’en 1960. Il existe des horloges potentiellement
centaines de km de parcours. Le projet en cours vise à diffu-
plus exactes que celles basées sur la définition de la seconde.
ser une référence de fréquence optique pour une vingtaine
Potentiellement, parce que pour l’instant les fréquences des
de laboratoires répartis en France, demandeurs d’une réfé-
transitions utilisées ne peuvent être mesurées que vis-à-vis
rence de très haute performance (projet REFIMEVE+). Un
de la fréquence d’horloge du césium. La définition de la se-
autre objectif est de constituer à terme un réseau européen
conde devra donc être changée d’ici quelques années. Sur
permettant la comparaison d’horloges entre laboratoires de
quelle transition de quel ion ou atome sera-t-elle basée ?
métrologie avec une résolution de 10 -18 après une journée
Bien malin qui saura le dire. Elle devra correspondre à des cri-
d’intégration (voir figure 7). Tout récemment, deux horloges
tères scientifiques intrinsèques, mais aussi avoir été réalisée
à atomes froids de strontium, l’une située au LNE-SYRTE à
dans plusieurs laboratoires en accord entre eux et bénéficier
Paris, l’autre à la PTB à Braunschweig en Allemagne, soit un
d’un consensus général. La nouvelle définition durera-t-elle
lien optique de 1 400 km, ont ainsi été comparées avec une
plus longtemps que la précédente ? Pas sûr, quelques labo-
incertitude relative de quelques 10 -19 sur le moyen de com-
ratoires explorent déjà ce qui pourrait être la génération sui-
paraison. Le lien en France relie Paris à Strasbourg où arrive
vante, à savoir une transition nucléaire.
le lien allemand en provenance de Braunschweig qui utilise
Les transitions nucléaires ont l’avantage d’être beaucoup
une fibre dédiée et sa propre technique.
moins sensibles aux perturbations que les transitions électro-
Exactitude et stabilité
Les horloges actuelles sont en fait des étalons de fréquence dont les qualités peuvent être caractérisées par deux grandeurs, l’exactitude et la stabilité de fréquence.
L’exactitude caractérise l’incertitude sur l’écart possible entre la fréquence moyenne délivrée et la valeur théorique, c’està-dire pour un étalon primaire, celle fixée par la définition de la seconde. Elle est donnée en valeur relative. La mesure de la
fréquence d’une transition atomique ne peut se faire sans perturber l’atome, la fréquence mesurée est donc entachée d’un
certain nombre de biais d’origine instrumentale ou fondamentale. L’art de l’horloger consiste à identifier chacun, le mesurer
au mieux possible et déterminer son incertitude. Une correction est appliquée pour compenser ces biais. L’exactitude est
donnée par la combinaison des incertitudes associées à l’estimation de ces biais.
La stabilité correspond aux fluctuations de fréquence autour de la valeur moyenne. Celle-ci n’est mesurable que pour une
durée de mesure . Différents types de bruit affectent la fréquence, caractérisés par la dépendance de leur densité spectrale
en puissance de la fréquence de Fourier f. Les deux plus connus sont le bruit blanc, indépendant de f, et le bruit en 1/f. Pour
certains d’entre eux la variance vraie ne peut être calculée car elle ne converge pas. C’est pourquoi on utilise la variance à
deux échantillons connue sous le nom de variance d’Allan. L’écart-type d’Allan se confond avec l’écart-type vrai pour un bruit
blanc de fréquence, qui est le bruit dominant dans les étalons de fréquence pour des temps de moyennage « raisonnables ».
L’écart-type d’Allan en valeur relative noté
des étalons à 1s, c’est-à-dire
ce chiffre par
y
y
( ) varie en
-1/2
pour du bruit blanc de fréquence. Nous indiquons ici la stabilité
(1s), pour connaître la stabilité correspondant à un temps d’intégration , il suffit de diviser
. Toujours pour du bruit blanc de fréquence,
y
( ) varie comme l’inverse du rapport signal à bruit et du
facteur de qualité de la transition, d’où l’intérêt de chercher des transitions de plus haut facteur de qualité possible.
Stabilité et exactitude ne sont pas tout à fait indépendantes car une meilleure stabilité facilite une meilleure détermination des biais affectant la mesure de la transition et donc permet une meilleure exactitude.
REE N°1/2016 105
GROS PLAN SUR
niques ce qui fait qu’on pourrait les observer dans un solide
décembre 2015. André Clairon a consacré une grande partie
par exemple. Celles-ci présentent également l'avantage d’avoir
de sa carrière au développement des horloges atomiques,
lieu à des fréquences encore plus élevées. L’inconvénient est
microondes et optiques. Il est notamment l’inventeur de la
que la plupart sont dans le domaine des rayons encore inac-
fontaine à atomes de césium.
cessibles aux mesures directes de fréquence. C’est pourquoi
Nous remercions nos collègues Michel Abgrall, Sébastien
l’intérêt se porte sur l’une des plus basses d’entre elles, une
Bize, C. Bizouard, Jocelyne Guéna, Philipe Laurent, Jérôme
transition dans l’ultra-violet lointain, vers 167 nm (2 pétahertz
Lodewyck, Pierre Uhrich, Peter Wolf du SYRTE, Anne Amy-
= 2 x 10 Hz), dans le thorium qui serait de largeur 1 mHz,
Klein du Laboratoire de Physique des Lasers (Villetaneuse),
soit un facteur de qualité de 1018 ! Mais les difficultés expéri-
et François Vernotte de l’Observatoire de Besançon pour leur
mentales sont aussi énormes que le facteur de qualité.
contribution.
15
Des horloges d’une telle précision ont elles des applica-
Le laboratoire Systèmes de référence temps espace
tions ? Dans la vie courante non, ou du moins pas encore,
(SYRTE) et le Laboratoire d’études du rayonnement et de
mais ce sont des outils de choix pour des applications scien-
la matière en astrophysique et atmosphères (LERMA) sont
tifiques, comme tester des théories. Par exemple des effets
deux départements de l’Observatoire de Paris, unités mixtes
relativistes, difficilement mesurables autrefois, deviennent
du CNRS, associés à l’université Pierre et Marie Curie (Paris
des effets majeurs aujourd’hui. Nous
ne donnerons qu’un seul exemple,
l’effet de décalage vers le rouge de la
fréquence d’une onde dans un champ
de gravitation ou effet Einstein. A la sur-
06), PSL Research University et SorOuali Acef est ingénieur de recherche
au laboratoire Systèmes de référence
temps espace de l’Observatoire de Paris.
bonne Universités. Le SYRTE compte
en son sein le LNE-SYRTE, chargé par
le Laboratoire national de métrologie et
Ses recherches actuelles portent sur le
d’essais (LNE) de la responsabilité des
face terrestre cet effet est de l’ordre de
développement de lasers stabilisés dédiés
références nationales de temps et de
10 -16/m. Pour comparer deux horloges
à des applications spatiales.
fréquence.
d’exactitude 10
-18
entre elles, il faudra
Emeric de Clercq est ingénieur de
donc connaître leurs altitudes respec-
recherche au laboratoire Systèmes de réfé-
tives (ou leur potentiel gravitationnel)
rence temps espace de l’Observatoire de
à mieux que le centimètre. A tel point
Paris. Ses recherches actuelles portent sur
que la situation pourrait être renversée
l’application du phénomène de piégeage
et que ce serait alors les horloges qui se-
cohérent de population à la réalisation
raient utilisées pour mesurer le potentiel
d’horloges atomiques compactes.
gravitationnel d’un lieu.
Thomas Zanon-Willette est maître
Remerciements
du rayonnement et de la matière à l’uni-
Cet article est dédié à la mémoire
d’André Clairon qui nous a quittés le 24
106
REE N°1/2016
de conférences au laboratoire d’Etude
versité Pierre et Marie Curie (Paris VI).
Il possède une habilitation à diriger des
recherches.
Bibliographie
Nous avons utilisé les ouvrages suivants :
s,ESFONDEMENTSDELAMESUREDUTEMPS
C. Audoin et B. Guinot, Masson, 1998.
s")0-!NNUALREPORTONTIMEACTIVITIESET
BROCHURE3)DISPONIBLESSURWWWBIPM
org/fr/about-us/
s4HÒSE DE $OCTORAT ,OÕC $UCHAYNE
Observatoire de Paris, 2008.
s7IKIPEDIA
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