É D I T O R I A L Thérapies cellulaires et géniques en pathologie cardiovasculaire ● C. Bauters* Mots-clés Angiogenèse - Insuffisance cardiaque - Thérapie génique Thérapie cellulaire. L es cardiologues et leurs patients ont de la chance ; il n’est pas une année sans la publication d’une ou plusieurs études annonçant un nouveau progrès thérapeutique. Les atteintes du muscle cardiaque et du système artériel sont maintenant de plus en plus accessibles aux traitements modernes : chirurgie, cardiologie interventionnelle ou traitement médical. Néanmoins, malgré ces avancées constantes, nos stratégies thérapeutiques sont encore trop souvent mises en échec : quelle solution pour ce patient atteint d’insuffisance cardiaque, déjà traité par inhibiteurs de l’enzyme de conversion et bêtabloquants, trop âgé pour envisager une transplantation cardiaque et dont l’état s’aggrave de mois en mois ? Que faire pour ce coronarien qui souffre tous les jours en dépit d’un traitement médical maximal et pour lequel chirurgiens et cardiologues interventionnels se déclarent impuissants ? Depuis une dizaine d’années, les termes de “thérapie cellulaire” et de “thérapie génique” sont apparus dans les congrès de cardiologie ; après une période durant laquelle la recherche a été cantonnée aux laboratoires, nous voyons maintenant apparaître un nombre croissant d’essais cliniques de ce type. Que devons-nous en penser ? S’agit-il d’une simple mode, qui ne débouchera jamais sur des applications cliniques à grande échelle ? Sommes-nous, au contraire, au début de ce qui sera une révolution dans la prise en charge des maladies cardiovasculaires ? DES STRATÉGIES DIFFÉRENTES MAIS PARFOIS COMPLÉMENTAIRES Ces deux termes désignent des stratégies différentes, même si, dans certains cas, elles peuvent être complémentaires. * Service de cardiologie C, hôpital cardiologique, CHRU de Lille, 59037 Lille Cedex. La Lettre du Cardiologue - n° 356 - juin 2002 La thérapie cellulaire repose sur le principe d’une “réparation” du système cardiovasculaire par des cellules cultivées à des fins thérapeutiques. Elle pose de nombreux problèmes, tels que le type de cellules à utiliser, la technique d’administration, l’intégration et la survie de ces cellules une fois greffées et, bien entendu, l’impact de cette thérapie cellulaire sur la fonction de l’organe considéré. La thérapie génique repose sur l’administration d’un gène codant pour une protéine à action thérapeutique ; la plupart des études visent à l’administration directe du gène (dans le cœur ou dans les vaisseaux malades), et toute la question sera alors qu’il puisse s’intégrer dans suffisamment de cellules pour que la thérapie soit efficace ; dans certains cas, le transfert de gène peut être effectué in vitro dans des cellules en culture qui seront ensuite réinjectées (thérapie génique indirecte). APPLICATIONS L’une des premières applications de la thérapie cellulaire pourrait être l’insuffisance cardiaque. L’apport de cellules permettant de limiter le remodelage ventriculaire, ou même d’améliorer la fonction systolique, serait en effet une innovation majeure dans le cas des nombreux patients pour lesquels le pronostic reste très réservé malgré les thérapeutiques classiques. À l’heure actuelle, plusieurs types cellulaires sont considérés. L’utilisation de cellules obtenues à partir d’une biopsie de muscle de la cuisse est une possibilité (1) ; dans ce domaine, la recherche française est en avance, et une prochaine étude clinique coordonnée par le Pr Ph. Menasché devrait permettre d’apprécier le potentiel de cette stratégie pour les patients souffrant d’insuffisance cardiaque ischémique. Une autre possibilité serait l’utilisation de cellules souches. Ces cellules peuvent être isolées d’organismes adultes et gardent une capacité de se différencier en cellules spécialisées, telles les cellules cardiaques ou vasculaires. En ce qui concerne la thérapie génique cardiovasculaire, les premiers essais ont porté sur l’administration de gènes codant pour des facteurs de croissance endothéliaux, comme le VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor), dans le but de développer une circulation collatérale de suppléance en cas d’ischémie critique (“angiogenèse thérapeutique”). Des essais pilotes dans l’ischémie des membres inférieurs et dans l’ischémie myocardique 3 É D I T O R I A L suggèrent un possible bénéfice, qui devra cependant être démontré par des études randomisées (2). Dans la plupart des cas, ces essais de thérapie génique ont fait appel à l’administration d’un “plasmide nu”, ce qui signifie qu’aucun vecteur viral n’a été utilisé. L’utilisation d’un vecteur viral (adénovirus par exemple) permet d’augmenter l’efficacité du transfert de gène, mais pose un problème en termes de diffusion du transgène et du risque d’angiogenèse non contrôlée. Il serait cependant faux de croire que la thérapie cellulaire sera réservée à l’insuffisance cardiaque et la thérapie génique à l’angiogenèse. Plusieurs stratégies de thérapie génique pourraient voir le jour dans l’insuffisance cardiaque ; à l’inverse, la thérapie cellulaire favorise le développement d’une circulation collatérale qui est en partie formée par des cellules circulantes issues de cellules souches. Par ailleurs, d’autres pathologies cardiovasculaires représentent de bonnes cibles pour ces nouvelles thérapies, comme par exemple les anévrysmes artériels. L’apport de cellules musculaires permettrait en effet de ralentir l’expansion progressive caractéristique des anévrysmes aortiques ; une thérapie génique faisant appel aux gènes des TIMP (inhibiteurs tissulaires des métalloprotéinases) pourrait limiter la protéolyse matricielle, et donc la croissance anévrysmale. Les cinq à dix prochaines années devraient ainsi permettre d’apprécier le réel potentiel des thérapies cellulaires et géniques dans le domaine cardiovasculaire. L’espoir est à la hauteur des possi- bilités théoriquement illimitées de ces nouvelles approches, mais il serait prématuré de conclure à un avenir radieux avant d’avoir connaissance des résultats des études cliniques randomisées qui sont maintenant indispensables. En outre, nombre de questions réglementaires et éthiques ne sont pas encore réglées. Il semble cependant important d’anticiper le développement de ce nouveau domaine, ce qui se fera en assurant une formation spécifique à un certain nombre de jeunes cardiologues. Ils seront alors en position idéale d’interface dans les futurs centres multidisciplinaires de biothérapie qui se mettront en place dans nos centres ■ hospitaliers. Bibliographie 1. Menasché P, Hagège AA, Scorsin M et al. Myoblast transplantation for heart failure. Lancet 2001 ; 357 : 279-80. 2. Losordo DW, Vale PR, Hendel RC et al. Phase 1/2 placebo-controlled, double-blind, dose-escalating trial of myocardial vascular endothelial growth factor 2 gene transfer by catheter delivery in patients with chronic myocardial ischemia. Circulation 2002 ; 105 : 2012-8. À tous nos lecteurs, à tous nos abonnés La Lettre du Cardiologue vous souhaite un bel été et vous remercie de la fidélité de votre engagement Belles lectures ensoleillées Le prochain numéro paraîtra en septembre 4 La Lettre du Cardiologue - n° 356 - juin 2002