Les nouvelles réglementations sur l’utilisation du mercure

La Lettre du Cardiologue - n° 300 - octobre 1998
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HYPERTENSION
e 10 décembre 1896, Scipione Riva-Rocci (1863-1939),
médecin de l’université de Turin, publia le premier
d’une série de quatre articles dans la Gazetta Medica
di Torino (1) : les deux premiers concernaient un nouveau sphyg-
momanomètre, les autres portaient sur la technique de mesure.
La mesure sphygmomanométrique de la pression artérielle (PA)
était née, bien que la détermination de la PA systolique et dias-
tolique à l’aide de la méthode auscultatoire n’ait été décrite par
Nicolai Korotkoff qu’en 1905.
En décembre 1996, la Société Française d’Hypertension Arté-
rielle célébra le centenaire de Riva-Rocci et publia l’ouvrage
“Impressions artérielles - Cent ans d’hypertension artérielle,
1896-1996” (2). En décembre 1997, le Groupe de Mesure et Éva-
luation, en collaboration avec le Comité Français de Lutte contre
l’Hypertension Artérielle, publia le livre “La pression artérielle -
Mesures... et recommandations” (3). Ironie du sort, parallèlement
à ce centenaire, nous assisterons vraisemblablement avant la fin
du siècle au remplacement du sphygmomanomètre à mercure,
élément fondamental de la technique auscultatoire Riva-
Rocci/Korotkoff. En effet, plusieurs éléments laissent présager
ce changement :
– l’emploi du mercure serait très limité, voire interdit (4) ;
d’autres appareils fiables sont disponibles et l’utilisation des
appareils automatiques est de plus en plus fréquente ;
l’application de méthodes réalisées loin du milieu médical,
telles que l’automesure ou la mesure ambulatoire pendant 24
heures, ouvre de nouvelles perspectives, que la seule mesure ponc-
tuelle en clinique n’appréhendait pas.
TOXICITÉ ET RÉGLEMENTATION DU MERCURE
Le mercure présente une toxicité importante aussi bien sur le plan
sanitaire qu’écologique. Il s’agit d’un métal persistant bioaccu-
mulable dans l’environnement, avec un risque de pollution des
eaux et du sol touchant ainsi la chaîne alimentaire. Sous sa forme
élémentaire, on le retrouve en médecine dans les thermomètres,
les sphygmomanomètres et les amalgames dentaires. Les patho-
logies imputables au mercure font partie des premières ayant
figuré au tableau des maladies professionnelles indemnisables.
Suite à cette prise de conscience, plusieurs directives européennes
et nationales ont été émises et diverses actions entreprises pour
réglementer, limiter son usage (même en médecine) et encoura-
ger sa substitution :
Directives européennes portant sur les exigences générales et
particulières des normes techniques des tensiomètres non inva-
sifs (5).
Interdiction dans certains pays européens, et notamment en
Suède, conformément au code suédois SFS 1991 : 1290, “ordon-
nance sur certains produits contenant du mercure” ; l’importa-
tion, la fabrication pour des activités commerciales et la vente
des tensiomètres contenant du mercure sont prohibées depuis le
1er janvier 1993.
Dans plusieurs autres pays où l’interdiction n’est pas encore effec-
tive à cette date, des notes d’information portant sur la toxicité
du mercure, les précautions dont il faut s’entourer pour sa mani-
Les nouvelles réglementations sur l’utilisation du mercure
vont-elles modifier les pratiques de la mesure de la pression
artérielle ?
Pr R. Asmar*
* L’Institut Cardiovasculaire, 21, bd Delessert, 75016 Paris.
L
Le mercure : un risque réel.
J.P. Batisse
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pulation et la nécessité de respecter le calendrier d’entretien sont
rendues obligatoires.
Le remplacement du mercure en médecine semble inéluctable ;
il est déjà bien entamé pour les thermomètres ; les sphygmoma-
nomètres et les tonnes de mercure/année qu’ils représentent n’y
échapperont pas.
LA MESURE DE LA PA EN CLINIQUE
Selon les recommandations des sociétés scientifiques, la méthode
de référence pour la mesure de la PA en clinique est la méthode
auscultatoire réalisée à l’aide d’un stéthoscope et d’un manomètre
à mercure. Considérant les inconvénients du mercure, l’emploi
du manomètre anéroïde est soit autorisé, soit conseillé, selon que
nous considérons telles ou telles recommandations (6).
La réflexion actuelle sur la mesure clinique de la PA ne se limite
pas à faire le procès du manomètre à mercure, appareil très pré-
cis et fiable, mais porte sur les limites, inconvénients et faiblesses
de cette méthode sur laquelle sont basés les principaux éléments
de la gestion de l’HTA. En effet, outre son caractère ponctuel, qui
ne prend pas en considération la variabilité tensionnelle, cette
méthode fait intervenir plusieurs facteurs : humain (observateur,
patient), technique (conditions et méthodes de mesure) et maté-
riel (manomètre, brassard, stéthoscope), dont chacun constitue
une source d’erreur qu’il faut savoir dépister et corriger.
Détermination de la PA par le corps médical
Si le facteur humain (patient et observateur) peut être limité par
l’information et la formation du corps médical à la technique de
mesure de la PA, le facteur matériel (notamment le manomètre)
reste déterminant pour l’obtention de mesures fiables et précises.
En effet, comme tout matériel de mesure, les manomètres, aussi
bien à mercure qu’anéroïdes, sont susceptibles de dérèglement et
nécessitent un entretien régulier. Cet entretien est certes recom-
mandé par les scientifiques et les fabricants, mais malheureuse-
ment, en l’absence de contrôle officiel, il est souvent négligé.
Ainsi, il est fréquent d’observer des manomètres utilisés depuis
plusieurs années sans aucune vérification de leur état de fonc-
tionnement, alors que la fiabilité de leurs mesures n’est garantie
par le constructeur que pour une certaine durée, un nombre donné
de mesures, et à condition de respecter le calendrier d’entretien.
Dans de telles conditions, il est légitime de s’interroger sur la véra-
cité des chiffres mesurés et les conséquences qui en découlent.
Pour pallier certains de ces inconvénients, des normes euro-
péennes AFNOR portant sur les exigences techniques de fabri-
cation ont été établies (partie 1 : exigences générales, partie 2 :
exigences complémentaires). Malheureusement, d’une part ces
exigences ne sont pas toujours respectées par les fabricants,
puisque aucun contrôle n’est obligatoire, et d’autre part, comme
pour tout appareil comportant plusieurs composants, la qualité
de l’appareil dans sa globalité dépend de la qualité technique de
chacun de ses composants. Ainsi, pour des raisons purement com-
merciales, il existe sur le marché des produits de qualité tech-
nique très inégale et dont la différence se révèle souvent à l’uti-
lisation. Dans ce cadre, des manomètres (notamment de type
anéroïde), de grande qualité technique, assurant des mesures avec
une précision de ± 3 mmHg (voire moins) et une endurance pour
plus de 10 000 mesures, sont développés et seront mis à la dis-
position du corps médical. De tels appareils pourraient être
employés raisonnablement en clinique et constitueraient une alter-
native à la colonne à mercure.
Mesure de la PA par les appareils électroniques
La PA peut être déterminée par des appareils électroniques en la
présence ou en l’absence du corps médical. La majorité des appa-
reils électroniques déterminent la PA par méthode oscillomé-
trique ; ils sont automatiques ou semi-automatiques (déclenche-
ment manuel de la mesure). Plusieurs études ont souligné le
problème de la fiabilité de leurs mesures avec une inégalité consi-
dérable entre les propriétés techniques des différents appareils
disponibles (7). Même si nous assistons actuellement à une amé-
lioration de la qualité de ces appareils et à l’apparition de certains
modèles dont la fiabilité est satisfaisante, il est à noter que la plu-
part d’entre eux n’ont pas été conçus pour un usage intensif pro-
fessionnel, et leur fiabilité après une période d’utilisation (endu-
rance) n’a pas été établie. Ainsi, dans l’éventualité de l’absence
du manomètre à mercure, pour réaliser une comparaison, le cli-
nicien serait très dépendant de la fiabilité et de la consistance de
l’algorithme de ces appareils.
Dans ce cadre, des appareils électroniques à usage professionnel
(par opposition à ceux de l’automesure par le patient) sont en
cours de développement. Là aussi, en plus de normes européennes
AFNOR de fabrication, des procédures d’homologation et de vali-
dation adaptées sont plus que jamais nécessaires.
Tensiomètre
à mercure :
la fin d’un monopole.
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LA MESURE DE LA PA LOIN DU MILIEU MÉDICAL
De nombreuses études publiées ces dernières années ont souli-
gné les intérêts de la mesure de la PA loin du milieu médical sur
le plan diagnostique, pronostique et thérapeutique, et ce aussi
bien pour l’automesure que pour la mesure ambulatoire pendant
24 heures. Cette dernière permet de mieux évaluer les variations
circadiennes de la PA au cours d’une journée d’activité quoti-
dienne. Ainsi, les derniers rapports de l’OMS (1996) et du JNC
(1997) font état de leur emploi, valeurs de “normalité” et de leurs
principales indications dans la gestion de la maladie hyperten-
sive.
UNITÉ DE MESURE DE LA PRESSION ARTÉRIELLE
À cette date, l’unité de la PA reste le mmHg. Les normes euro-
péennes sur les exigences techniques de fabrication des mano-
mètres non invasifs recommandent d’employer comme unité de
mesure le mmHg, mais aussi le kilopascal (KPa). En effet, en
l’absence de la colonne de mercure, il n’y aurait plus aucune rai-
son scientifique de maintenir le mmHg comme unité de mesure.
Parallèlement, selon le Comité européen de standardisation (8),
le mmHg n’a pas été retenu comme unité SI et les directives euro-
péennes autorisent son emploi jusqu’en 1999 ; il semblerait tou-
tefois que cette directive ait été mal interprétée, et la date de son
application reste imprécise !
À ce propos, les partisans du mmHg mettent en avant la confu-
sion qu’un tel changement d’unité pourrait provoquer dans le
milieu médical, alors que les partisans du kilopascal insistent sur
les éléments suivants :
a. le mmHg favorise des mesures approximatives, en “arrondis-
sant” les chiffres observés, alors que le kilopascal ne le permet
pas puisque 100 mmHg = 13,33 KPa, 160 mmHg = 21,33 KPa,
etc. ;
b. en l’absence de consensus entre les différentes sociétés savantes
pour définir l’hypertension artérielle et le niveau tensionnel impli-
quant l’instauration d’un traitement médicamenteux, l’introduc-
tion d’une nouvelle unité de mesure constituerait une opportu-
nité pour établir un consensus international sur la définition de la
normotension, l’hypertension... Ainsi, nous assisterons certaine-
ment dans les années à venir à des recommandations portant sur
l’unité de mesure de la PA : maintien du mmHg ? Son rempla-
cement ou son dédoublement par le kilopascal ?
PROSPECTIVES
Si nous considérons :
1. Les directives européennes sur l’interdiction et la réglementa-
tion de l’emploi du mercure, la substitution du sphygmomano-
mètre à mercure par un autre appareil semble inéluctable.
2. L’établissement de normes européennes AFNOR portant sur
la fabrication des manomètres non invasifs, le développement de
manomètres de type anéroïde de grande qualité technique pour-
rait constituer raisonnablement une alternative à la colonne à mer-
cure pour la mesure ambulatoire de la PA.
3. Le développement des appareils électroniques à usage profes-
sionnel pour déterminer la PA pourrait voir les applications d’une
telle méthode augmenter à condition d’effectuer une homologa-
tion et une validation bien adaptées à ces appareils.
4. Les intérêts évidents, pour certains patients et dans certaines
conditions, de l’emploi de l’automesure ou de la mesure ambu-
latoire pendant 24 heures (MAPA) se confirment ; leur dévelop-
pement dans les années à venir semble évident.
5. Les directives européennes de standardisation et les réflexions
sur le maintien, le remplacement ou le dédoublement du mmHg
par le kilopascal comme unité SI de mesure de la PA devraient
aboutir à des recommandations plus précises sur l’unité de mesure
à employer.
Tous ces éléments font que nous nous trouvons actuellement
devant une opportunité unique pour préparer pendant les années
à venir des changements qui semblent inéluctables et qui porte-
raient sur les méthodes de mesure de la pression artérielle, mais
aussi sur la prise en charge de la maladie hypertensive. Pour
l’heure, il nous appartient de procéder à nos mesures avec rigueur
et d’interpréter leurs valeurs en connaissant leurs limites.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Riva-Rocci S. Un nuovo sfigmomanometro. Gazzetta Medica di Torino 1896 ;
47 : 981-96.
2. Impressions artérielles : 100 ans d’hypertension, 1896-1996. Société
Française d’Hypertension Artérielle, Édition Imothep/Maloine, 1996.
3. Asmar R., Mallion J. La pression artérielle : mesure, variation, interpréta-
tions, recommandations. Édition Imothep/Maloine, 1997.
4. O’Brien E. Will mercury manometers soon be obsolete ? J Hum Hypertens
1995 ; 9 : 933-4.
5. Directives européennes AFNOR. Exigences générales et particulières des
normes techniques des tensiomètres non invasifs.
6. La lutte contre l’hypertension. Rapport d’un comité d’experts, Genève, OMS,
1996 (OMS, série de rapports techniques ; n° 862).
7. O’Brien E., Mee F., Atkins N., O’Malley K. Inaccuracy of seven popular sphyg-
momanometers for home-measurement of blood pressure. J Hypertens 1990 ; 8 :
621-34.
8. CENELEC/TC62. Draft - 1st working Document - Medical informatics -
Expression of the results of measurement in health sciences. CEN/TC 251/PT -
016 - Bruxelles : European Committee for standardization, 1994.
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