Une potion médiévale pour tuer des superbactéries

La Presse +, le 5 avril 2015
Une potion médiévale pour tuer des superbactéries
Un manuscrit venu du fond des âges. Une recette qui semble tout droit sortie d’une histoire de
sorcières. Et une trouvaille étonnante. Des chercheurs de l’Université de Nottingham, en
Angleterre, ont découvert qu’une potion médiévale à base de vin, d’ail et de bile de vache arrivait
à tuer des superbactéries contre lesquelles les antibiotiques conventionnels sont devenus
inefficaces. Explications.
(Philippe Mercure)
L’IDÉE
Cette curieuse histoire débute lorsque Christina Lee, experte en études anglo-saxonnes de
l’Université de Nottingham, en Angleterre, plonge le nez dans le Bald’s Leechbook écrit il y a
quelque 1000 ans et l’un des plus vieux ouvrages médicaux connus. Elle tombe sur la recette d’un
remède contre l’infection de l’œil et décide de vérifier le degré d’avancement de la science de
l’époque.
LA COLLABORATION
Grâce à un travail interdisciplinaire assez unique, cette spécialiste de l’époque médiévale s’allie à des
microbiologistes de la même université afin de reproduire la recette du remède et de la tester en
laboratoire. Christina Lee prend soin de traduire aussi fidèlement que possible le document, rédigé
en vieil anglais.
«Il y avait plusieurs termes ambigus et nous avons dû réfléchir attentivement pour savoir ce qu’ils
signifiaient», dit Freya Harrison, la microbiologiste de l’Université de Nottingham qui a dirigé les
travaux de laboratoire, dans une vidéo mise en ligne par l’université.
LA RECETTE
En voici en gros la teneur :
INGRÉDIENTS
Ail
Oignon ou poireau
Vin
Bile extraite de l’estomac d’une vache
INSTRUCTIONS
Mélanger des quantités égales d’ail et d’oignon. Ajouter le vin et la bile en quantités égales. Laisser
reposer dans un contenant de cuivre pendant neuf jours. Filtrer à travers un morceau de tissu.
Appliquer avec une plume dans l’œil infecté du patient avant le coucher.
Les chercheurs ont tout fait pour respecter la recette originale, notamment en utilisant du vin issu
d’un vignoble qui existe depuis le IXe siècle.
LA CIBLE
Les chercheurs ont testé la potion contre la superbactérie Staphylococcus aureus résistant à la
méthicilline (ou SARM), une bactérie résistante aux antibiotiques. Les superbactéries, qui prolifèrent
dans les hôpitaux et infectent les patients, sont décrites comme «un problème majeur de santé
publique au Québec» par l’Institut national de la santé publique du Québec. En 2013, elles ont
entraîné des coûts évalués entre 14 et 26 millions $ au Canada et fait au moins 23 000 morts aux
États-Unis.
LES RÉSULTATS
«Nous avons été sincèrement stupéfaits des résultats de nos expériences en laboratoire», dit Freya
Harrison.
Les chercheurs ont testé la potion sur des colonies de bactéries organisées en biofilms, une
configuration qui protège les cellules et complique l’action des antibiotiques. La potion a tout de
même réussi à tuer 99,9 % des bactéries.
Des tests menés à la Texas Tech University, aux États-Unis, ont aussi montré que le remède tue 90 %
des bactéries dans des plaies sur des souris, un résultat décrit comme «aussi bon, sinon meilleur,
qu’avec les antibiotiques conventionnels utilisés».
LE MÉCANISME D’ACTION
Pour l’instant, les chercheurs ignorent comment la potion agit. Ils se sont assurés qu’aucun des
ingrédients pris isolément ne fonctionnait.
«Il se peut que le mélange contienne divers composés actifs qui attaquent les bactéries sur plusieurs
fronts à la fois», dit la microbiologiste Freya Harrison.
Elle souligne que la potion contient de l’alcool, un solvant capable d’extraire et de concentrer des
molécules. Le fait que le mélange doive reposer plusieurs jours fait croire aux chercheurs que des
réactions chimiques s’y déroulent.
«Il est possible que les ingrédients servent de précurseurs pour créer de nouvelles molécules», dit
Mme Harrison.
LES APPLICATIONS
Cécile Tremblay, directrice du Laboratoire de santé publique du Québec, attend de voir les données
scientifiques sur la fameuse potion avant de sabler le champagne.
«Mais on a besoin de nouvelles molécules contre ces bactéries, c’est clair, clair, clair», dit-elle.
Il est possible de combattre les bactéries résistantes aux antibiotiques conventionnels par des
antibiotiques de deuxième ou troisième ligne, mais ceux-ci ont souvent un mode d’administration
complexe ou des effets secondaires importants.
«C’est comme tuer une mouche avec un bazooka», illustre Mme Tremblay.
Les chercheurs de Nottingham, eux, ont bon espoir de voir leur découverte déboucher sur des
applications concrètes.
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