SÉLECTION DE LIVRES
JARDINER AUTREMENT :
STRATÉGIES ENVIRONNEMENTALES AU JARDIN
colloque scientifique de la SNHF
Montpellier, le 20 mai 2011
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de l’autre côté de la chaîne alimentaire à laquelle appartient
la loutre, du côté des « ennemis ».
Aucun signe de maladie, d’épidémie, mais l’« ombre » d’un
redoutable prédateur, l’orque. Pourquoi donc les orques en
sont-elles venues à mettre les loutres de mer à leur menu –
des proies de taille modeste et qu’elles négligeaient jusque
là ? Parce que les phoques dont elles avaient l’habitude de se
nourrir sont devenus rares dans la région, victimes de l’ef-
fondrement des bancs de poissons consécutif à la surpêche
pratiquée par un autre grand prédateur, Homo sapiens.
Ainsi, une maille se défait et c’est tout le «vêtement» qui se
déchire…
Côté oursins, cela ne va pas mieux : la forêt de laminaires –
ces algues géantes qui tapissent les fonds marins côtiers et
font vivre quantité de vers, mollusques, crustacés et poissons
– part en lambeaux, broutée par des échinodermes de plus en
plus nombreux, d’où une destruction sans précédent de la
biodiversité qui en dépendait.
Voilà ce qu’est un réseau trophique : un système complexe
d’interactions mangeurs-mangés, où circulent matière et
énergie depuis les algues qui fabriquent de la matière orga-
nique grâce à la photosynthèse, jusqu‘aux grand prédateurs
en bout de chaînes, dont l’homme.
Ainsi, depuis son apparition sur Terre il y a 3,8 milliards
d’années, la Vie n’a cessé de se diversifier tout en traversant
crises et cataclysmes divers (dérive des continents, éruptions
volcaniques, glaciations, amples variations du niveau des
mers, irruption de chaînes de montage, etc.) – et c’est pour
cela qu’elle s’est maintenue jusqu’à nos jours : la diversité
qu’elle déploie est une stratégie d’adaptation aux change-
ments – une stratégie de développement durable pourrait-on
dire !
Ajoutons que si les relations de type mangeurs-mangés
paraissent dominer la scène (pour les ressources alimentaires
précisément, mais aussi pour l’espace qui donne accès à ces
ressources et permet de s’installer, nicher ou s’abriter), il
ne faut pas sous-estimer l’importance dans l’évolution et le
succès du vivant des relations de coopération (mutualismes
et symbioses). Ni le rôle stabilisateur des prédateurs (voir
Encart 1).
Un prédateur écologiquement nécessaire
Sur les bans rocheux de la zone de balancement des marées (estran) des côtes américaines, l’écologue Bob Paine avait relevé l’associa-
tion remarquablement constante de moules, de balanes et d’une étoile de mer faisant fonction de prédateur de sommet à cette échelle
spatiale d’analyse. En d’autres termes, parce qu’elle se nourrit des balanes, moules, et autres petits crustacés, l’étoile de mer se trouve
fonctionnellement placée au sommet de ce petit réseau trophique. En juin 1963, Bob Paine élimine l’étoile de mer sur des bandes de 8
m x 2 m. Dès septembre, il observe l’expansion d’une espèce de balane, Balanus glandula, qui occupait selon les sites 60 à 80 % de
l’espace rocheux disponible. En juin de l’année suivante, les balanes étaient repoussées par la croissance rapide de la moule de Californie
qui domina peu à peu tout l’espace avec la subsistance sporadique de la balane à cou d’oie : la richesse spécifique locale, en absence
de l’espèce clé de voûte (selon le concept proposé par Paine), est passée de 15 à 7 espèces. Ainsi, la présence du prédateur de sommet
permettait la coexistence de nombreuses espèces en compétition pour la colonisation de la bande rocheuse de l’estran. Sa disparition
entraîna un appauvrissement de la communauté par exclusion compétitive des espèces les moins efficaces dans la colonisation du substrat
rocheux. L’étoile de mer Pisaster ochraceus est une espèce clé de voûte et l’hypothèse de Paine est que « la diversité spécifique locale est
directement dépendante de l’efficacité avec laquelle les prédateurs empêchent la monopolisation des ressources par une seule espèce ».
Qui ou quoi empêchera Homo sapiens de monopoliser toutes les ressources à son seul profit ? Un code de développement durable !
Des interactions de prédation et de compétition, mais aussi
des relations de coopération
Dans l’histoire du vivant, les évolutionnistes John Maynard
Smith et Eörs Szathmary relèvent ce qu’ils appellent les huit
transitions majeures. Ces transitions marquent des sortes de
sauts évolutifs, l’accès à des types d’organisation biologique
plus complexes. Ces changements majeurs, qui demandèrent
le franchissement d’obstacles difficiles, sont le fruit de véri-
tables inventions dans l’organisation du vivant. Or la plupart
résultent d’une association, d’un mariage plus ou moins indis-
soluble : des entités, antérieurement séparées, ne peuvent
plus, après la transition, se répliquer qu’en tant qu’éléments
du système plus vaste qu’elles ont créé ensemble. C’est le cas
de la symbiose à l’origine des cellules eucaryotes, comme de
l’apparition des organismes multicellulaires ou des espèces
sociales.
Retenons que dans la dynamique écologique où se déploie la
biodiversité, les relations à bénéfices réciproques furent tout
aussi décisives que les aptitudes compétitives que l’on tend
à valoriser aujourd’hui trop unilatéralement dans certains
débats de société. Quelques exemples : pour capturer leurs
proies, nombre de grands carnivores – loups, lions, hyènes,
lycaons – doivent recourir à des chasses collectives et s’orga-
niser en conséquence ; beaucoup d’espèces, pour se protéger
des attaques de leurs prédateurs, doivent vivre en groupes
– marmottes, pigeons picorant en terrain découvert, bœufs
musqués ou buffles etc. Et n’oublions pas Homo sapiens :
que serait-il devenu sans sa solide organisation sociale et le
partenariat très original qu’il a développé avec plantes et
animaux domestiques ?