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HPS
D o s s i e r
■
t h é m a t i q u e
Statines : la saga
continue…
S. Alamowitch*
* Service de neurologie, hôpital Tenon,
Paris.
156
L’hypercholestérolémie est un facteur de risque
majeur pour les maladies coronariennes ; les
études épidémiologiques ont montré un lien
linéaire entre niveau de LDL-cholestérol et affection coronarienne sans effet seuil. De larges essais
thérapeutiques ont démontré le bénéfice des statines (inhibiteurs de l’HMG-CoA-réductase) en prévention secondaire (4S, CARE, LIPID) et primaire
(WOSCOPS, AFCAPS) des maladies coronariennes
chez le patient avec hypercholestérolémie, puis
avec normocholestérolémie. Ces études ont
abouti à l’autorisation de mise sur le marché des
statines chez les patients coronariens, quel que
soit le niveau de cholestérol. Le lien entre infarctus
cérébral et cholestérol apparaît moins net que
dans les affections coronariennes. Néanmoins, les
statines dans les différents essais ont montré
leurs bénéfices en prévention d’un AVC chez les
patients coronariens.
Après ces larges études, plusieurs questions restaient posées quant à la tolérance à long terme et
au bénéfice des statines chez de nombreux
patients jusque-là non représentés ou sous-représentés dans les essais : patients non coronariens à
risque vasculaire, patients avec un LDL-cholestérol
bas, femmes. HPS (Heart Protection Study) avait
pour objectif de répondre à ces questions. Il s’agissait d’un essai thérapeutique randomisé, en
double aveugle, pragmatique, mené en Angleterre
entre 1994 et 2001 avec une période de randomisation de 1994 à 1997. Trois catégories de patients
ont
été
inclus
dans
cet
essai
thérapeutique : patients avec insuffisance coronarienne : infarctus du myocarde, angor, antécédent
d’angioplastie ou de chirurgie coronarienne ;
patients avec une pathologie artérielle occlusive
non coronarienne : AVC non invalidant considéré
comme non hémorragique, AIT, artérite des
membres inférieurs avec claudication intermittente, endartériectomie, autre chirurgie artérielle
ou angioplastie ; patients à haut risque vasculaire
incluant les patients diabétiques de type 1 ou 2 et
les hommes hypertendus de plus de 65 ans. Les
patients étaient âgés de 40 à 80 ans, devaient avoir
un niveau de cholestérol total ≥ 3,5 mmol/l
(1,35 g/l) et ne devaient avoir ni contre-indications,
ni indications claires à un traitement par statines.
Les patients recevaient 40 mg de simvastatine ou
un placebo. À noter qu’il s’agissait d’une étude
avec un plan factoriel 2X2 comprenant également
un traitement vitaminique antioxydant versus placebo (résultat négatif). Le suivi moyen était de
5 ans. Le critère de jugement primaire était la mort.
Les critères de jugement secondaires incluaient les
événements coronariens majeurs, les AVC constitués et les événements vasculaires majeurs (coronariens majeurs + AVC + revascularisation coronarienne ou non). L’analyse des résultats s’est faite
en intention de traiter.
Au total, 63 603 patients ont été “screenés”,
32 145 étaient éligibles après la phase de run in
(4 semaines de placebo puis 4 semaines de simvastatine) visant à s’assurer de la bonne observance du traitement et à réaliser un bilan biologique ; 20 536 patients ont été finalement
randomisés soit 64 % des patients entrés dans la
phase de run in. Les motifs de non-randomisation
étaient principalement les suivants : mauvaise
observance ou choix du patient (72 % des cas),
indication à une statine (14 % des cas), augmentation des transaminases ou des CPK (8 % des cas).
Sur les 20 536 patients randomisés, 65 % (13 386)
avaient une maladie coronarienne à l’inclusion et
35 % (7 150) étaient dans le groupe à risque vasculaire ou avec une autre pathologie artérielle.
Dans le groupe simvastatine, 85 % des patients
ont reçu le traitement pendant toute la durée de
l’étude, alors que dans le groupe placebo, 17 % ont
reçu une statine. Une différence de 1 mmol/l pour
le LDL-cholestérol était notée entre le groupe placebo et le groupe traitement actif.
Les principaux résultats sont résumés dans le
tableau I. La mortalité était diminuée de façon
significative dans le groupe traitement actif avec
une réduction du risque relatif (RRR) de 13 % (IC
95 % : 6-19 %), la mortalité était à 12,9 % pour le
groupe placebo versus 14,7 % pour le groupe simvastatine. La RRR de mort vasculaire était de 17 %
(IC 95 % : 9-25 %). Les événements coronariens
majeurs étaient significativement diminués dans
le groupe traité avec une RRR de 27 % (IC 95 % :
21-33 %), de même que le nombre de revascularisations. Les AVC, fatals ou non, étaient réduits
significativement dans le groupe simvastatine
avec une RRR de 25 % (IC 95 % : 15-34 %), le taux
d’événements étant respectivement à 4,3 et
5,7 % dans les groupes simvastatine et placebo.
Le bénéfice paraissait plus net sur les AVC modérés et mineurs que sur les AVC sévères et fatals. Il
existait une réduction statistiquement significa-
Correspondances en neurologie vasculaire - n° 4 - Vol. II - octobre-novembre-décembre 2002
Faits nouveaux en neurologie vasculaire
Tableau I. Effets de la simvastatine sur les principaux critères de jugement à 5 ans.
Critères de jugement
Événements coronariens
majeurs
AVC constitués
– ischémiques
– hémorragiques
– inconnus
Revascularisation
Total des événements
vasculaires majeurs
Mortalité
– vasculaire
– non vasculaire
Simvastatine
Placebo
Réduction relative
(n = 10 269) (%) (n = 10 267) (%) du risque (IC 95 %) (%)
COMMENTAIRES
p
8,7
4,3
2,8
0,5
1,0
9,1
19,8
11,8
5,7
4,0
0,5
1,3
11,7
25,2
27 (21,33)
25 (15,34)
< 0,0001
< 0,0001
24 (17,30)
24 (19,28)
< 0,0001
< 0,0001
12,9
7,6
5,3
14,7
9,1
5,6
13 (6, 19)
17 (9, 25)
5 (-7, 15)
< 0,0001
0,4
0,0003
Tableau II. Effets de la simvastatine sur les événements vasculaires majeurs à 5 ans chez les patients
avec maladie cérébro-vasculaire à l’inclusion.
Catégories de patients à l’inclusion
Maladie cérébro-vasculaire
– avec maladie coronarienne
– sans maladie coronarienne
✓ MRC/BHF Heart Protection Study of
Cholestérol lowering with simvastatin
in 20 536 high-risk individuals : a
randomised placebo-controlled triel.
Heart Protection Study Collaborative
group. Lancet 2002 ; 360 : 7-22.
Simvastatine
24,7 % (406/1 645)
32,4 % (234/723)
18,7 % (172/922)
Placebo
29,8 % (488/1 635)
37,4 % (276/737)
23,6 % (212/898)
tive des AVC ischémiques sans modification du
risque d’AVC hémorragique. Sur les
20 356 patients de l’essai, 3 280 avait une maladie cérébro-vasculaire à l’inclusion, 1 460 dans le
groupe avec maladie coronarienne et 1 820 dans
le groupe sans. La réduction d’un premier événement vasculaire majeur était observée de façon
statistiquement significative chez ces patients
dans les deux groupes quel que soit leur statut
coronarien à l’inclusion, passant de 29,8 % (placebo) à 24 % (simvastatine) (tableau II).
Le bénéfice du traitement par simvastatine était
observé pour les différents sous-groupes étudiés prenant en compte le sexe, l’âge (y compris
chez les plus de 70 ans), les traitements associés
(aspirine, antihypertenseurs…) et le niveau de
cholestérol à l’inclusion. Le bénéfice était statistiquement significatif, quel que soit le niveau de
cholestérol, y compris chez les patients ayant un
LDL-cholestérol < 3 mmol/l (1,16 g/l).
Il n’a pas été noté de différence dans l’incidence
des cancers entre les deux bras de l’essai (7,8 %
pour le placebo et 7,9 % pour la simvastatine).
Une augmentation des CPK supérieure à 4 fois la
normale était observée dans 0,01 % des cas dans
le groupe placebo et 0,07 % dans le groupe simvastatine (p = 0,07). Une atteinte musculaire
(symptômes musculaires avec CPK > 40 N) avec
ou sans rhabdomyolyse était présente chez
0,04 % des patients sous placebo (n = 4) et
0,1 % (n = 10) sous simvastatine.
Correspondances en neurologie vasculaire - n° 4 - Vol. II - octobre-novembre-décembre 2002
HPS apparaît incontestablement comme une
étude importante dans la saga des statines commencée maintenant il y a une dizaine d’années.
Rory Collins, principal investigateur d’HPS, proclamait dans le BMJ au moment de sa publication : “Statins are the new Aspirin”.
Quelques réserves s’imposent néanmoins. La première concerne la forme avec un regret : celui de
voir constamment les résultats des grandes
études cardiovasculaires rapportés sous forme de
réduction relative du risque sans qu’il soit fait
état, dans la section résultats, de l’article de la
réduction absolue du risque ou du nombre de
patients à traiter, chiffres plus parlants et plus
significatifs pour le clinicien. À titre d’exemple, la
RRR d’AVC est de 25 %. Si l’on considère les
chiffres absolus, le taux d’AVC passe de 5,7 à
4,3 % sous simvastatine, avec par conséquent
une estimation de la réduction absolue du risque
d’AVC à 1,4 % à 5 ans. Une deuxième critique
concerne le sous-groupe des patients avec maladie cérébro-vasculaire à l’inclusion. Les investigateurs, constitués essentiellement de médecins
généralistes anglais, pouvaient inclure les AVC
qu’ils “pensaient” non hémorragiques, notion
floue si aucune imagerie n’est réalisée. Sur le critère de jugement d’AVC, il faut également souligner que 237 des 1 029 AVC (23 %) survenus au
cours du suivi n’ont pu être classés comme ischémiques ou hémorragiques. Ces deux remarques
sont le reflet d’un essai pragmatique comprenant
un large nombre de patients (20 536) mais qui
déçoit forcément sur l’aspect explicatif : faible
qualité des données pour les AVC à l’inclusion et
comme critère de jugement. L’étude SPARCL
(essai de prévention secondaire des AVC : atorvastatine versus placebo) nous apportera sans
doute des informations déterminantes. Enfin, un
dernier point qui reste en suspens est celui du
risque de cancer après traitement par statines.
Les études animales ont montré une possible
action cancérogène des statines. Les patients
avec antécédents de cancer étaient exclus d’HPS.
Le taux de cancer était identique dans les groupes
placebo et simvastatine, mais qu’en est-il du
risque de cancer sous statines à long terme après
5 ans ?
Au vu des résultats convaincants d’HPS, le clinicien peut choisir entre traiter dès maintenant par
statines les patients avec AVC ischémiques,
patients à haut risque vasculaire par définition,
ou attendre les résultats de SPARCL.
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