Cas clinique Cas clinique Saga acromégalique J.M. Kuhn* M onsieur D., âgé de 25 ans, n’a pas d’antécédent pathologique particulier en dehors d’une cure chirurgicale de phimosis réalisée un an avant la consultation actuelle. Il ne suit aucun traitement. La consultation est motivée par l’apparition d’une dysfonction érectile dans les suites de cette intervention. En dépit d’un désir sexuel normal, monsieur D. ne peut obtenir aucune érection. Il se plaint par ailleurs de céphalées récurrentes depuis plus d’un an. Monsieur D. mesure 1,98 m et pèse 81 kg. L’examen révèle d’emblée une dysmorphie faciale de type acromégalique associée à une hypertrophie des extrémités et à une macroglossie. L’androgénisation est normale, de même que l’examen des organes génitaux externes. La pression artérielle est à 145/80 mmHg et le rythme cardiaque régulier à 70 puls/mn. Le patient est en euthyroïdie et en eucortisolisme cliniques. Après charge orale en glucose, la glycémie s’élève de 5,4 à 8,3 mmol/l une heure plus tard. Les taux de GH respectifs sont à 50 et 45 ng/ml. L’IGF-1 plasmatique atteint 1 950 ng/ml pour une norme masculine adulte comprise entre 90 et 350. Ces données hormonales confirment donc indiscutablement le diagnostic d’acromégalie. La symptomatologie initiale et ce diagnostic ont impliqué la réalisation d’une évaluation de la totalité de la fonction anté-hypophysaire. La LH est à 2 mU/ml et s’élève à 26 après administration de GnRH. La testostéronémie contemporaine est à 3,9 ng/ml, pour une norme masculine adulte comprise entre 3,5 et 10. Le taux de prolactine plasmatique est à 9 ng/ml et les fonctions corticotrope et thyréotrope sont parfaitement normales. L’existence d’une dysfonction érectile a été signalée jusqu’à 50 % des cas de certaines séries d’acromégalie. L’hyperprolactinémie témoignant de la présence d’un adénome somato-prolactinique ou du retentissement d’un macroadénome somatotrope sur les connexions hypothalamo-hypophysaires est le facteur étiopathogénique le plus souvent retrouvé. Une telle hypothèse ne peut être retenue dans le cas de monsieur D. puisque, à la fois, le taux de prolactine est normal et les fonctions gonadotropes et testiculaires endocrines sont parfaitement conservées. L’apparition de la dysfonction érectile dans les suites d’une intervention sur phimosis et la conservation de la libido sont des arguments supplémentaires en faveur de l’origine psychogène du trouble. La responsabilité de l’hypersécrétion somatotrope, a priori peu probable, ne pourrait être reconsidérée que si la dys- * Service d’endocrinologie et des maladies métaboliques, CHU de Rouen. 194 Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), n° 4, juillet/août 2003 fonction érectile disparaissait avec le seul traitement curatif de l’anomalie de la sécrétion de GH. Quel que soit le lien avec la dysfonction érectile, la précision de l’étiologie de l’hypersécrétion somatotrope devient dès lors prioritaire. Le champ visuel est normal. L’examen par IRM de la région hypophysaire, dont le résultat est illustré par la figure 1, ne retrouve aucun argument radiologique en faveur de la présence d’un adénome au sein de l’hypophyse. Compte tenu du résultat de l’IRM, l’enquête étiologique a été poursuivie, avec mesure du taux de GH-RH plasmatique. Le taux est inférieur à 30 ng/ml (N < 30), ce qui écarte l’hypothèse qu’une sécrétion systémique de ce facteur soit à l’origine de l’acromégalie. La réalisation d’une scintigraphie au pentréotide marqué à l’indium 111, autre étape de la démarche étiologique, ne révèle aucun site de fixation anormal de l’isotope. En dépit de la normalité de l’examen par IRM de la région pituitaire, l’affirmation de l’origine hypophysaire Figure 1. Imagerie par IRM de la région hypophysaire au moment du diagnostic d’acromégalie. du problème endocrinien de monsieur D. pouvait être faite soit à partir de l’évaluation des fluctuations de la sécrétion de GH après stimulation par la TRH, soit à partir de la mesure des taux de cette même hormone au cours d’un cathétérisme des sinus pétreux. C’est cette seconde approche qui a été choisie. Les résultats des dosages de GH, prolactine, TSH en périphérie et dans les sinus pétreux droit et gauche, avant et après administration de GH-RH, sont représentés sur la figure 2. La sécrétion anormale de GH est bien d’origine hypophysaire. À ce stade, le diagnostic peut donc être celui d’hyperplasie somatotrope ou de microadénome hypophysaire somatotrope (ou somato-prolactinique). L’option thérapeutique a reposé sur un traitement par analogue de la somatostatine. Ce traitement a entraîné une amélioration modeste de la symptomatologie clinique, a abaissé le taux de GH à jeun à 8 ng/ml et l’IGF-1 plasmatique à 1 100 ng/ml. Ce traitement, bien supporté, a été poursuivi sur une période de six mois. Pendant cette période est survenue une crise de colique néphrétique droite, avec authentification de la présence d’un calcul radio-opaque sur la radiographie d’abdomen sans prépa- Figure 2. Profil d’évolution des taux de GH, de prolactine et de TSH dans le sang veineux périphérique et dans le sang prélevé sélectivement au niveau des sinus pétreux droit et gauche, avant et après administration de 2 mg/kg de GH-RH. ration. Bien qu’il n’y ait aucun antécédent familial de pathologie endocrinienne, l’épisode de lithiase urinaire a incité à réaliser un certain nombre d’investigations supplémentaires. Le taux d’hormone parathyroïdienne est à 32 ng/l pour une norme inférieure à 55, la calcémie est à 2,4 mmol/l et la calciurie à 13,6 mmol/24 h. Sur la base de ces résultats, il n’y avait donc pas d’argument en faveur du diagnostic d’hyperparathyroïdie primaire, dont l’association à l’acromégalie aurait fait discuter l’existence d’une néoplasie endocrinienne multiple de type I. L’hypercalciurie a été rattachée à l’effet rénal de l’hormone de croissance. L’épisode lithiasique passé et au terme de six mois de traitement par analogue de la somatostatine, une nouvelle évaluation radiologique de l’hypophyse a été réalisée. Elle a permis de mettre en évidence la présence d’un petit adénome localisé dans l’hémi-hypophyse gauche (figure 3), dont l’ablation par voie trans-sphénoïdale était, en toute logique, l’étape thérapeutique ultérieure. Un symptôme révélateur inhabituel et un microadénome hypophysaire non authentifiable initialement sont deux des premières particularités de cette observation. Le dosage de GH-RH plasmatique et les résultats du cathétérisme sélectif des sinus pétreux ont certes permis de confirmer que cette acromégalie s’inscrivait dans le cadre le plus classique des hypersécrétions somatotropes autonomes, mais ils ne permettaient pas de guider la main du chirurgien en l’absence de visualisation radiologique de la lésion responsable. En effet, la sécrétion préférentielle de GH s’effectuait dans le sinus pétreux droit alors même que l’adénome a été finalement localisé dans l’hémihypophyse gauche. Cette observation illustre donc bien l’intérêt, mais également les limites, des investigations diagnostiques et localisatrices dans de telles circonstances. Cas clinique Cas clinique Figure 3. Aspect IRM de la région hypophysaire obtenu après six mois de traitement par analogue de la somatostatine. Mise en évidence d’un microadénome intra-sellaire localisé dans l’hémi-hypophyse gauche. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), n° 4, juillet/août 2003 195